vendredi 29 mars 2024

Le veuf et l'orphelin




L'innocence affichée masque parfois une culpabilité retorse. Deux cousins se partagent le casting du roman de Claire Favan. Entre Jules et Alex, l'amitié adolescente s'abime dans l'horreur après un jeu stupide depuis le pont autoroutier. Ils y ont lancé la pierre qui a couté la vie à une automobiliste et à son bébé. Jules est coupable mais c'est Alex qui a initié le jeu. Quand on débute si mal, on finit rarement bien. Alex et Jules se retrouveront de nouveau impliqués dans le viol et le meurtre d'une lycéenne.
 
La protection du père d'Alex, flic et veuf, n'offrira qu'un répit provisoire dans ce parcours criminel dont Claire Favan s'amuse à projeter les ombres. Pourquoi Alex se laisse-t-il accuser d'un dernier crime? Et quelle est la part du diable qui arbitre les mystérieux rapports entre les deux cousins? 

Le roi du silence - Claire Favan – Harper Collins – 368 pages – 20,90€ - ***  
Lionel Germain



mercredi 27 mars 2024

La fin de l'innocence


Rendu célèbre par sa trilogie du "Problème à trois corps", l’écrivain chinois Liu Cixin est une icône de la SF. Primée internationalement, son œuvre a fait l’objet d’adaptations cinématographiques aux États-Unis et en Chine.  



Ce nouveau roman, "L’Ère de la supernova", se lit comme une parabole: dans un futur proche, l’explosion d’une étoile déclenche une tempête de radiations qui endommagent l’ADN de tous les êtres vivants sur Terre. Seuls les enfants de moins de treize ans pourront survivre. Commence alors une douloureuse entreprise de transmission. En quelques mois les adultes disparaissent, laissant le monde entre les mains d’une jeunesse immature. 




Dans ce qui advient ensuite, le cocasse le dispute au tragique. Tournant le dos au productivisme insensé de la civilisation qui leur a donné le jour, les enfants imaginent un monde basé sur le jeu. Sauf qu’on joue à la guerre, aussi. Le spectre de "Sa Majesté des mouches" de William Golding, est directement invoqué dans le roman. Mais l’humanité parvient à se renouveler dans les crises qu’elle traverse: c’est le sens de la fin surprenante de l’histoire.

L’Ère de la supernova - Liu Cixin - Traduit du chinois par Gwennael Gaffric -  Actes Sud - 453 pages - 24€ - ****
François Rahier


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lundi 25 mars 2024

Bourreaux d'enfants


Si les héros étaient fatigués dans les années 80, ce sont aujourd'hui de véritables énigmes comme ce personnage du roman de Lou Berney, rebaptisé "Hardly", "à peine" capable d'autre chose que de s'allumer à longueur de journée des calumets de la paix. Dans un parc d'attractions en phase terminale, il est un des animateurs de ce Far West hanté, mélange de gore au pays des cowboys. 



Et voilà notre zombie qui se transforme peu à peu en justicier, alerté par le comportement mutique de deux enfants victimes de maltraitance. L'auteur nous accroche au périple du anti-héros, à son obsession d'échapper à l'indifférence dont on se sent  tous coupables un jour ou l'autre. L'occasion, également, de dénoncer avec humour la terrifiante misère des services sociaux américains.  





Descente - Lou Berney – Traduit de l'américain par Souad Degachi et Maxime Shelledy – Harper Collins noir – 324 pages – 22,50€ - ***  
Lionel Germain



vendredi 22 mars 2024

Un fromage pour Brie



Brie a disparu et rien de surprenant à ce que son mari en fasse tout un plat. Mais loin de se la couler douce, Andrew est en ligne de mire de l'inspectrice Marissa Hardy qui aime les coupables bien faits. À la limite du harcèlement, elle s'obstine à penser que le mari est un assassin. Quand un voisin affirme avoir vu la jeune femme réapparaître, l'enquêtrice ne lâche pas l'affaire pour autant. On bascule alors en cascade vers une fin surprenante à force  d'élaguer les soupçons. Dans cette intrigue aux rebondissements millimétrés, la leçon de suspense vaut bien un fromage sans doute.


Disparue à cette adresse - Linwood Barclay – Traduit de l'anglais (Canada) par Renaud Morin – Belfond noir – 448 pages – 22,90€ - *** 
Lionel Germain



mercredi 20 mars 2024

Danse avec les fantômes


Cette petite anthologie propose un florilège des nouvelles publiées à Beyrouth par Zaki Beydoun au cours des quinze dernières années. Né au Liban, diplômé de philosophie en France, l’auteur enseigne à l’université de Zhejiang en Chine. Il y a dans ces textes, parfois très courts, quelque chose de l’interrogation sur le réel qui affleure dans certains contes de Maupassant, "Le Horla" ou "Qui sait?" par exemple. 



Mais quand, ayant atteint la taille des galaxies le narrateur copule avec l’univers, ou lorsqu’il court après sa bouche transformée en grenouille, ou bien se retrouve enfermé dans un point géométrique, nous sommes plus près de Kafka ou de Borges. La vertigineuse exploration du monde des rêves, à laquelle nous convie l’auteur, est sans égale dans la littérature arabe d’aujourd’hui, mais elle résonne aussi d’une manière bien à elle dans le cadre plus général du fantastique contemporain. 



"Entrer dans l’univers de Zaki, c’est simplement changer d’univers", écrit Jean-Marie Gustave Le Clézio dans sa préface. Ici le diable peut commettre un attentat suicide au Paradis pour en finir avec Dieu, le ciel peut se vider et partir on ne sait où avec le Soleil, la lune et les étoiles. Et les enfants sont des anges déchus qui se réfugient dans les rêves après avoir été chassés de la réalité, du monde des adultes.

Organes invisibles et autres nouvelles fantastiques - Zaki Beydoun - Traduit de l’arabe (Liban) par Nathalie Bontemps - Préface de Jean-Marie Gustave Le Clézio -  Sindbad/Actes sud - 117 pages - 14,50€ - ***
François Rahier



lundi 18 mars 2024

À manger froid



Il ne lui reste qu'un œil mais il l'échangerait volontiers contre les dernières dents de ses victimes. On dira que le Borgne a de bonnes raisons d'éliminer ses ennemis. Elles remontent à une époque dont l'avocate qui occupe le devant de la scène ignore tout. Louise Pariset gère les divorces et ses propres peines de cœur. Avec le soutien d'un clandestin, Kofi Diallo, livreur à vélo habité par un irrépressible besoin de justice, Louise va se retrouver au cœur de cette enquête lyonnaise où la vengeance est un plat qui se mange froid.



Dans l'œil de la vengeance – Nathalie Gauthereau – Rouergue – 400 pages – 22,50€ - *** – 
Lionel Germain



vendredi 15 mars 2024

À moitié morte


La gémellité est une mine d'or pour les auteurs de polars alors même que dans les premières "bibles" du Vingtième Siècle destinées à enseigner le bon usage aux écrivains, on excluait cette possibilité de fournir un alibi à l'assassin. Le crime littéraire a eu lieu de toutes les façons possibles: jalousie meurtrière d'un frère ou d'une sœur, complicité fraternelle avec échange de coupables, dénonciation calomnieuse d'un frère pour un meurtre que le dénonciateur a commis… 




Dans cette variante que nous propose Will Dean, Molly et Katie sont deux jeunes femmes que tout oppose. L'une, Molly, est agoraphobe et se terre chez elle à Londres. L'autre, Katie, est exubérante et vit à New-York. C'est elle aussi qu'on retrouve assassinée près de Central Park. Pour Molly, il va falloir faire l'effort de prendre l'avion pour rejoindre New-York. 




Dans l'enquête qui commence et où tous les repères se brouillent peu à peu, on devine que l'auteur va nous ménager une chute autour de cette "gémellité". Au-delà du deuil et de cette sensation d'être "morte à moitié", Molly ne faiblit pas. Pas d'erreur, c'est la sœur. Mais laquelle?

La Première Sœur - Will Dean – Traduit de l'anglais (GB) par Laurent Bury – Belfond noir – 352 pages – 22€ - *** 
Lionel Germain 



mercredi 13 mars 2024

Les autres noms du monde


Auteur de livres pour la jeunesse – dont "Loin, très loin de tout", merveilleux conte initiatique – et de "Terremer", un cycle de fantasy marqué par un engagement écologiste de longue date, Ursula Le Guin (1929-2018) écrivait aussi de la SF. Dès 1975 Gérard Klein signalait la singularité de son œuvre dans son essai "Malaise dans la science-fiction". Ses œuvres majeures reparaissent aujourd’hui. 




Dans "La Main gauche de la nuit", au fil d’un itinéraire à travers les splendeurs désolées d’un monde polaire, des explorateurs d’un futur lointain découvrent une société sexuellement indifférenciée. "Le nom du monde est forêt", qui lui fait suite, propose une réflexion "décoloniale" en lien avec le thème du développement durable. 





Cette intégrale recueille aussi de petits textes précieux et méconnus, une réflexion sur la notion de genre et l’écriture inclusive, un court fragment sur la puberté dans un contexte d’indifférenciation sexuelle et le point de vue de l’auteur sur les raisons de lire ou pas de la science-fiction…

Le Livre de Hain : Intégrale - Ursula Le Guin – Traductions de l'américain révisées par Sébastien Guillot - Le Livre de poche, 2 volumes - 2818 pages - 53,80€ - ****


Parution le 25 janvier 2024 en édition collector reliée: 

Le Dit d’Aka, suivi de Le Nom du monde est forêt - Traductions révisées par Sébastien Guillot - Ailleurs & demain/Robert Laffont - 348 pages - 24,90 € - ****
François Rahier



lundi 11 mars 2024

Linge sale


Si les familles se recomposent avec bonheur depuis le nouveau millénaire, il n'en reste pas moins qu'elles sont toujours le chaudron dans lequel se mitonnent les haines recuites et les passions les plus détestables. Christophe Royer a choisi Lyon pour installer une héroïne de polar atypique et attachante, le commandant Nathalie Lesage, femme d'autant plus libre qu'elle a hérité d'une petite fortune. Une caution d'indépendance qui maintient intacte sa  vocation d'enquêtrice.


A Lyon, dans les familles à problèmes demandez la famille Daventure, organisée de façon sectaire autour de la matriarche et du culte de Maître Philippe personnage aussi réel que Raspoutine auquel il a été opposé dans ses liens avec le Tsar Nicolas II. C'est autour de cet héritage idéologique que se construit l'intrigue passionnante de Christophe Royer. La famille semble avoir trouvé un ennemi qui poursuit une vengeance lointaine, et parallèlement, Nathalie va se trouver en position de marraine d'une adolescente déboussolée. 



Dans le foisonnement des séries policières, ce roman publié par un petit éditeur du Sud-Est est une agréable surprise.

Famille décomposée – Christophe Royer – Taurnada - 272 pages – 9,90€ - ***

Lionel Germain





vendredi 8 mars 2024

L'Homme au pardessus

 
"L'homme au pardessus, me laissant livré à moi-même, me forçait à lui trouver des remplaçants."
C'est une photo qui va relancer l'enquête de "Thierry" pour échapper définitivement aux "Marignac". L'auteur qu'on connait aujourd'hui, traducteur du russe et de l'anglais, romancier qui avoue avoir lâché beaucoup de lui-même comme pour se rattraper d'un vide originel, est une encyclopédie passionnante des marges. Il en a fréquenté toutes les variantes, drogue, alcool, mauvais trip et famille toxique. Même en littérature, il s'est rarement accommodé des courants porteurs. 



La photo envoyée par la sœur de sa mère est celle d'un homme en pardessus avec un bébé dans les bras. L'enfant, c'est lui. L'homme, l'inconnu qui a plaqué sa mère un peu après. "Photos passées" est le roman autobiographique d'une enquête où le bâtard se cherche à défaut d'une raison, un point de départ à la vie qu'il a vécue. La chance du lecteur, c'est que cette vie est passionnante, bordée de fugues entre Paris, New-York, Berlin, Kiev ou Moscou. 




D'explorations souterraines de la littérature, les territoires de Limonov, écrivain "sulfureux"  capable de "glaner son souper dans nos fanges", formule baudelairienne que Thierry adresse à Edouard. Un père de substitution.

En nous invitant à découvrir Marignac, le mari de sa mère, on débusque Kaa, l'autre fils légitime, connu des amateurs de polars des années 80. Quand Thierry se dopait, Pascal, alias Kaa, descendait des litres de whisky. Ces deux-là ne s'aimaient guère. 

Hervé Prudon, John Farris, le récit de toutes ces rencontres nous laissent au seuil du questionnement: Qui était l'homme au pardessus? Thierry Marignac déjoue le pathos du manque. Avant d'être ballotté dans le maelstrom d'un demi-siècle parcouru intensément, l'enfant sur la photo ne sait pas encore que les histoires d'amour finissent mal. 

Photos passées – Thierry Marignac – La Manufacture de livres – 184 pages – 17€ - ****
Lionel Germain 



mercredi 6 mars 2024

L'hiver du mécontentement


La littérature abonde aujourd’hui dans le récit des manières dont notre monde finira, catastrophe climatique, effondrement, pandémie. L’histoire de clash civilisationnel que nous conte Olivier Sebban est différente. 


Ce roman très noir, écrit dans une langue somptueuse dont la précision stylistique suspend parfois la narration comme si elle tentait désespérément d’abolir l’instant, fait signe vers autre chose. Ce n’est pas pour rien que l’auteur emprunte son titre aux premières lignes du "Richard III" de Shakespeare, plaçant le roman sous l’égide de la neige et de la mort, un "hiver du mécontentement" qui évoque aussi la crise anglaise de la fin des années 1970 et le chaos social prémonitoire qui lui fit suite. 




La cathédrale, dont la présence obsédante revient de page en page, comme un fanal au milieu du maelstrom où tout se délite, un lieu au demeurant où l’on entre peu et où l’on prie mal, la figure biblique du fils prodigue qui court à travers le roman, ouvrent encore d’autres pistes pour ce texte riche et déroutant, la quête éperdue de rédemption d’un fils en deuil d’un frère par exemple.

Maintenant que l’hiver - Olivier Sebban – Rivages - 269 pages - 21€ - ****
François Rahier


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lundi 4 mars 2024

La poudrière des Années 30


Le flic et le journaliste sont des héros récurrents de polar mais ne partagent pas la même vision du monde. On le voit encore avec les deux personnages qu'a choisis Alexandre Courban pour illustrer l'entre-deux-guerres. On est en février 1934 et le commissaire Bornec s'interroge sur les circonstances dans lesquelles une jeune femme  est morte. On a retrouvé son corps dans la Seine. 



Accident, suicide ou meurtre, l'inconnue rebaptisée Daphné rejoint la cohorte des anonymes dont le bouquet obsède l'esprit d'un flic moins sensible à la recherche de la vérité qu'à la résolution d'un "problème". Quant au journaliste Gabriel Funel, le fait-divers n'est à ses yeux qu'un élément d'un ensemble plus vaste où se déploie la violence sociale. Funel est journaliste à "L'Humanité" et en 1934, l'extrême-droite est dans la rue.



Le choix de ce personnage n'est sans doute pas étranger à la thèse universitaire que l'auteur a consacrée à la genèse du journal communiste. La France de cette période est aussi une poudrière où les affaires de corruption comme l'affaire Stavisky donnent du grain à moudre aux complotistes.

Peu à peu, le mystère de "Daphné" se raccorde aux pratiques très contestables de la raffinerie de la Jamaïque. Alors que grondent les rumeurs sur les mensonges diffusés par les milieux d'affaires sur les raisons de la hausse du prix du sucre, le patron de la raffinerie cultive un goût très dispendieux pour les œuvres d'art. Et dans l'usine, les petits-chefs s'arrogent un droit de cuissage sur les ouvrières isolées. 

Le journaliste de l'Huma s'aventure alors jusqu'aux champs de betteraves où s'épuisent les travailleurs agricoles, véritables "forçats aux mains vertes" pour tenter de comprendre l'ampleur du problème. Spéculation, menace des membres de "Croix-de-feu" liés à l'extrême-droite, exploitation ouvrière, tout est mis-en-scène dans ce premier volet passionnant d'une saga au cœur du Front populaire.

Passage de l'Avenir, 1934 – Alexandre Courban – Agullo – 240 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain


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