lundi 30 janvier 2023

Fantômes à louer




On aimerait pouvoir flanquer le roman de Peter James d'une étiquette fantastique, mais le magicien du polar britannique nous bluffe encore avec ce récit cauchemardesque qui feint d'emprunter à Stephen King pour mieux brouiller les cartes. Un charmant lotissement à la place d'un manoir à l'abandon et un couple modèle en quête d'un petit paradis, on a tous les ingrédients pour déchaîner les turbulences d'un grand bal des fantômes. Mais les fantômes n'existent pas, non? Néo-gothique.



47, allée du Lac – Peter James – Traduit de l'anglais (GB) par Maït Foulkes – Fleuve noir – 400 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain




vendredi 27 janvier 2023

Vétéran d'une guerre civile


Ancien combattant lui-même, Fahuk Sehic signe un premier roman sur les guerres yougoslaves qui nous remet en mémoire les cinquante ans de cette étrange "République fédérative populaire" et le conflit meurtrier entre Serbes et Bosniens.


 
L'Una du titre, c'est le nom d'une rivière qui hésite entre Croatie et Bosnie, joue parfois les frontières mais fomente surtout les rêves poétiques et prophétiques de l'écrivain. Voilà l'OLNI de la rentrée, un objet littéraire, c'est une certitude, mais en équilibre instable entre la confession et la tentation épique. Le narrateur est un vétéran. Lors d'une séance d'hypnose, soumis au caprice d'un fakir de cirque, il replonge en lui-même au cœur d'une violence inexplicable. 



Il se souvient de sa chair et de son sang, d'avoir donné la mort pour échapper à son propre anéantissement, d'être irréductible à aucun discours sur la logique guerrière. Il se réveillera de ce cauchemar, dans les rues de Berlin, enivré de la tranquille indifférence d'un monde en paix. Un récit fiévreux qui épouse les méandres du fleuve. Lyrique et sombre, comme la guerre.

Le Livre de l'Una – Faruk Sehic – Traduit du bosnien par Olivier Lannuzel – Agullo – 236 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain



Lire aussi dans Sud-Ouest



version papier




mercredi 25 janvier 2023

Ouragan romanesque



Publiée il y a moins de vingt ans, "La Horde du Contrevent" d’Alain Damasio serait-elle devenue un classique? Adaptée en BD, puis sur la scène d’un théâtre interactif immersif, l’œuvre a fait l’objet récemment d’une performance musicale de dix heures. Auteur engagé, clivant, parfois réputé illisible en raison de ses subtilités typographique, l’homme a ses détracteurs mais aussi ses fans. Cette petite somme réunit des inédits, des hommages, des entretiens, et une longue étude où sont convoqués Barthes ou Deleuze. "La SF est le genre littéraire majeur", dit Damasio, qui n’écrit "surtout pas pour divertir, ni faire rêver".


L’Étoffe dont sont tissés les vents - Antoine St Épondyle - Hélios/ActuSF - 289 pages – 9,90€  - ****
François Rahier - Sud-Ouest dimanche - 25 septembre 2022 




lundi 23 janvier 2023

La même peau


C'est le bordel. Et c'est Alexandra Schwartzbrod qui le dit en hébreu: "Balagan", titre éloquent pour qualifier ce que nous nous contenterons d'appeler pudiquement le "bourbier" israélien. "Balagan" est le premier volet d'une série qui inclut "Adieu Jérusalem" et "Les Lumières de Tel-Aviv".


 

Les enquêtes sur deux attentats commis dans la partie juive et arabe de Jérusalem sont menées par Landau, côté juif, et par Bishara, côté arabe. Dans un pays où les checkpoints séparent deux univers, celui de l'opulence et le tiers-monde aux "routes défoncées", la paix paraît également impossible entre ces deux flics israéliens, l'un arabe et l'autre juif. 




Par la grâce du visa littéraire, on pénètre des territoires inaccessibles aux étrangers. On y rencontre Salomon, l'ange ultra-orthodoxe qui sauve les morts, on découvre les Russes de l'armée israélienne, et la relégation moins médiatisée des chrétiens palestiniens, "victimes ultimes". La douleur du commandant Bishara, arabe chrétien israélien procède du choix auquel il a soumis son existence: la malédiction israélienne plutôt que la déliquescence palestinienne. 

Mais les frontières entre les hommes ne sont pas réductibles aux évidences géographiques. Une course de chameaux dans le désert montre à quel point le repérage identitaire est trompeur. "Regardez-les qui vibrent tous à l'unisson. On a du mal à imaginer qu'ils puissent tant se haïr." Le roman noir ici est au cœur de l'interrogation qui fonde sa légitimité: la lumière n'a pas de patrie, pas davantage que les ténèbres. Les morts ont décidément tous la même peau.

Balagan - Alexandra Schwartzbrod – Rivages noir poche – 316 pages – 9€ - ****
Lionel Germain



 

vendredi 20 janvier 2023

"Que veut cette horde d'esclaves..."


En s'attaquant aux conséquences du "Code noir" de Louis XIV, Laurent Joffrin plonge le héros imaginé par Jean-François Parot au terme de l'épisode révolutionnaire fatal à Louis XVI et à la monarchie. Nicolas Le Floch, fidèle à un roi que Laurent Joffrin réussit à nous rendre attachant, se voue davantage à la personne qu'au système en train de basculer. 




Les grands propriétaires de Saint-Domingue redoutent l'avènement d'un monde où les "libres de couleur" auraient les mêmes droits qu'eux. Tous les coups sont donc permis pour effrayer une assemblée déjà effervescente et la dissuader de voter l'émancipation des esclaves. Un éclairage passionnant sur les contradictions qui émaillent le débat révolutionnaire.





L'Énigme du code noir – Laurent Joffrin – Buchet-Chastel – 272 pages – 19,50€ - ***
Lionel Germain




mercredi 18 janvier 2023

Une fiction à hauteur de poésie



L’œuvre de Le Guin se déploie depuis cinquante ans dans les registres les plus divers avec intelligence et poésie, plaidant sans militantisme pour la différence et le vivre ensemble, l’arbre et la forêt, et l’homme au milieu, – l’homme qui a besoin de dire le monde pour ne pas s’égarer, et, s’il s’égare, qu’on doit rejoindre jusque dans le chagrin et la pitié. On connait les longs cycles romanesques de l’auteur. Ce nouveau recueil permet de mesurer son talent dans l’art de ciseler des textes courts. Un entretien, suivi d’une bibliographie exhaustive, peaufine l’ensemble. 


Les Quatre vents du désir - Ursula K. Le Guin - Textes français revus par Erwann Perchoc - Le Bélial’ - 444 pages – 23,90 € - ***
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest




lundi 16 janvier 2023

Son autre fils




Depuis "Nymphéas noirs", Michel Bussi multiplie les escapades aux frontières du genre, dans un mélange de fiction policière et fantastique. "Rien ne s'efface", c'est d'abord le portrait d'une femme effondrée après la disparition de son fils. Dix ans plus tard, sur une plage du Pays basque, c'est pourtant le sosie parfait de son enfant qu'elle aperçoit. Un enfant de dix ans, inchangé malgré les années. L'intrigue est diabolique et on se laisse mener par le bout du nez même si la ficelle de l'épilogue nous ramène à la trivialité du réel.



Rien ne t'efface – Michel Bussi – Presses de la Cité – 446 pages – 21,90€ - **
Lionel Germain




vendredi 13 janvier 2023

La tradition du pire


Elizabeth George déploie ses intrigues avec des personnages dont les apparitions ne doivent rien au hasard. En ouvrant son dernier roman, on sait que le sergent Barbara Havers et son chef, l'aristocrate Linley, surgiront à un moment ou à un autre pour dénicher le "coupable". Ici, l'assassin d'une policière d'origine africaine chargée de lutter contre les violences faites aux femmes. Mais le casting des seconds rôles est parfait.


 
C'est Deborah, personnage récurrent, qui s'affiche en première ligne. Elle est sollicitée en tant que photographe pour illustrer le témoignage de jeunes filles noires. Les responsables africaines de l'association londonienne qui pilote le projet ne sont pas enthousiastes de voir une femme "blanche" se consacrer à cette série de reportages. Avec beaucoup d'humanité, Elizabeth George éclaire les causes lointaines de cette méfiance communautaire.





On découvre ensuite une famille nigériane dans laquelle l'emprise du père est menacée par la révolte du fils. Le jeune homme anticipe les menaces dont sa petite sœur pourrait être victime. Et le plus terrible des paradoxes est incarné par la mère, doublement agressée dans sa propre enfance et dans sa vie d'épouse. Elle représente le maillon faible de cette lutte contre l'excision, thème autour duquel Elizabeth George a construit un véritable roman de combat. 

Enfin, dans le nord-est de Londres, on partage le sentiment de culpabilité d'un commissaire, infidèle à une femme dont toute l'énergie est consacrée à leur enfant handicapée. Aucun de ces personnages n'est étranger au meurtre inaugural, garantie d'un polar efficace. Et si on retrouve avec bonheur Linley, bousculé dans sa relation affective, et Barbara, égale à sa réputation rugueuse, tout se resserre avec la puissance d'un grand roman social sur la dénonciation du pire des crimes: l'excision au Vingt-et-unième siècle des petites filles africaines de Londres.

Une chose à cacher – Elizabeth George – Traduit de l'américain par Nathalie Serval – Presses de la Cité – 656 pages – 23€ - **** 
Lionel Germain


Lire aussi dans Sud-Ouest


version papier



mercredi 11 janvier 2023

Cités radieuses, ombre et lumière


Publiée à l’occasion du salon de l’Imaginaire de Mérignac, cette anthologie réunit fictions, essais critiques et bibliographies. 



Retenons particulièrement la passionnante étude qu’André-François Ruaud consacre à "L’Utopie comme espace de vie" où il évoque le parcours de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, une analyse de l’œuvre graphique de François Schuiten, "Les Cités Obscures", par Benoît Peeters, et la mise en garde du charentais Régis Messac, mort en déportation: "Certes, il faudra dépasser les utopies : mais pour cela, il faut d’abord les atteindre. Ce n’est pas encore fait".





Hypermondes #02: Utopies - anthologie proposée par Natacha Vas-Deyres et Loïc Nicolas - Les Moutons électriques - 367 pages - 17€ - ***
François Rahier




lundi 9 janvier 2023

Flic fantôme


Une femme flic démissionnaire après la mort de son mari, flic victime du devoir, voilà une héroïne qu'on semble avoir déjà croisée dans les couloirs des librairies. La collection "Terres de France" des Presses de la Cité nous déroulent habituellement des intrigues ronronnantes dans les paysages champêtres de l'hexagone. Éric LeNabour s'empare lui de la Bretagne pour un décor de roman noir pur jus avec une escale à Hambourg.


 

Quand le lieutenant Laura Delgado se retranche à Quiberon, elle ne pense qu'à l'avenir de ses deux filles. Son père est un docker à la retraite plutôt mutique et son nouveau compagnon a une âme d'artiste. Mais le répit sera de courte durée. Une des filles se met en danger après un rendez-vous suspect sur une plage. Et Éric Le Nabour réserve une surprise de taille autour de la mort du mari. 




Laura n'est pas paranoïaque. Le lecteur commence pourtant à douter de tous ceux qui s'agitent autour d'elle: flics, père, amant, et même le fantôme du disparu dont les agissements restent une énigme. Une bonne série B avec une héroïne combattive et convaincante.

Cruels sont les rivages – Éric Le Nabour – Presses de la Cité Terres de France – 384 pages – 20€ - ***
Lionel Germain




vendredi 6 janvier 2023

Maudits foyers


Au moment où Pocket réédite "La Chair de sa chair", le très bon roman de Claire Favan sur le parcours chaotique d'une femme battue aux États-Unis, Harper Collins sort son dernier polar dont le cadre est bien français, davantage pour le pire que pour le meilleur.



Un roman aussi crument éclairé qu'une salle de garde-à-vue. On y voit se débattre les fantômes de sa propre histoire à travers celle de deux jumeaux surgis de "nulle part" et dont le destin est confié à l'ASE. Cette Aide Sociale à l'Enfance n'a de bienveillant que la volonté individuelle de certains éducateurs. Mais passé le cap des familles d'accueil toxiques, l'enfance prend fin de toute manière à 18 ans.




Le récit est passionnant et parcouru d'une colère légitime. Il nous rappelle que pour les 340 000 enfants "gérés" par l'ASE, la majorité est synonyme d'un nouvel abandon. "Vingt-cinq pour cent des sans-abris sont d'anciens pensionnaires de l'ASE. Chiffre qui passe à quarante pour cent pour les SDF de moins de vingt-cinq ans."
Terrible constat.

De nulle part – Claire Favan – Harper Collins noir – 384 pages – 20,90€ - ***
La chair de sa chair – Claire Favan – Pocket – 408 pages – 7,95€ - **** 

Lionel Germain




mercredi 4 janvier 2023

L'école des Robinsons



Avec Clarke et Asimov, Heinlein est considéré comme l’un des trois grands de la SF,  et un cratère martien porte son nom. Auteur non-conformiste controversé, rejeté et célébré à la fois à droite et à gauche, il a inspiré le cinéaste Paul Verhoeven pour le film "Starship Troopers". Ce roman d’apprentissage de 1955 était resté inédit en français: un groupe d’ados téléporté sur une planète lointaine pour un test de survie redécouvre la vie sauvage, ses saveurs et ses dangers. Plus proche de Jules Verne que du livre de Golding paru l’année précédente ce roman se lit toujours avec intérêt.



Destination  Outreterres - Robert Heinlein - Traduit de l’anglais (États-Unis) par David Imbert - Le Rayon imaginaire - 350 pages - 22€ - ***
François Rahier - Sud-Ouest dimanche - 25 septembre 2022