samedi 18 décembre 2021

Noyer le poison


La nature du frisson n'est jamais réductible aux aléas climatiques. Du froid hivernal qui vous hérisse le poil à la caresse d'un soir d'été, il se nourrit d'une combinatoire de signes contraires. Et Donato Carrisi est l'auteur italien qui en maîtrise le mieux les ressorts littéraires. Juriste et criminologue reconverti en écrivain après le succès du "Chuchoteur", lauréat en 2011 du prix SNCF du Polar européen, il s'est beaucoup intéressé aux tueurs en série et à la genèse du phénomène.


 
"Je suis l'abysse", inspiré de faits réels, explore donc les failles d'une enfance malmenée et les dommages collatéraux du désamour maternel. Mais la science du "frisson" exige sa part de gothique dans la distribution des personnages: Un "nettoyeur" dont les femmes ont tout à craindre, une "chasseuse de mouches" qui se consacre à leur sauvetage, et des victimes qui reculent toujours le moment de voir le prédateur derrière le prince charmant. 




Grâce à ce jeu de masques, l'auteur organise le partage du suspense entre les figures du deuil et de la rédemption. Un étonnant savoir-faire pour noyer le poison dans l'eau bénite. 

Je suis l'abysse – Donato Carrisi – Traduit de l'italien par Anaïs Bouteille-Bokobza – Calmann-Lévy noir – 352 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain 



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 17 décembre 2021

Sa main à couper





Maud, l'héroïne du roman d'Éric Cherrière, recèle un parfum d'aventure. Il faudra patienter pour comprendre le secret de sa main tranchée, et l'épilogue pour saisir le vrai destin de cette "gamine guerrière sauvage". Aux côtés d'un frère, d'un père champion d'athlétisme et d'une mère bodybuildée, l'autre personnage clé, c'est le grand-père qui lui a enseigné à rendre les coups.




Après "Mon cœur restera de glace", Éric Cherrière signe un nouveau voyage à travers les douleurs contemporaines. Crimes contre l'humanité et mystérieuse concession de l'Arctique. 

Gamine guerrière sauvage – Éric Cherrière – Plon – 310 pages – 19€ - ***  
Lionel Germain




jeudi 16 décembre 2021

Un amant de trop


Ancien baroudeur de nos guerres coloniales, Claude-Hubert Goldstein a imposé sa signature au Fleuve noir pendant de longues années sous le nom de Claude Joste. Ce roman sans le héros récurrent de l'auteur, le commissaire Thiébaut, propose un méli-mélo meurtrier. Un député s'égare avec une maîtresse qui le croit riche alors que sa fortune vient de sa femme. Cette maîtresse a un autre amant avec lequel elle projette de faire disparaître le député qu'elle aura au préalable épousé. Mais le député n'a pas l'intention de divorcer et le deuxième amant tombe réellement amoureux de la fille du député. Ringard, fourbe et savoureux comme une primaire électorale.


Corps à cœur – Claude Joste – Fleuve noir (1984) – 187 pages – à peu près 3,80€ (sur site de vente en ligne) – ***
Lionel Germain





mercredi 15 décembre 2021

Les plus qu'humains



Mise à mal par l’explosion d’une lointaine supernova, l’humanité devient stérile. Entendra-t-on à nouveau le rire des enfants? Cette belle histoire de mort et de résilience portée par un personnage christique avait été publiée en 1976. La présente réédition est complétée par un important dossier: un long entretien où Cowper s’explique sur son panthéisme et dit comment il trouve dans la nature une sorte d’absolu moral;  une postface passionnante de Christopher Priest. L’on comprend ce que le grand écrivain anglais doit à son prédécesseur un peu oublié aujourd’hui.


Le Crépuscule de Briareus - Richard Cowper - Traduction de l’anglais révisée par Pierre-Paul Durastanti – Argyll - 270 pages -19,90€
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest



 

mardi 14 décembre 2021

Se faire une toile



"Matricide", "La Nuit du pigeon", "Meurtre sans mémoire", Alexandre Lous, longtemps critique au Magazine Littéraire, semblait indifférent en tant qu'écrivain aux mutations qui affectaient l'univers du polar des années quatre-vingt. Dans "Tableaux noirs", Leopold Develde est un peintre aux idées plutôt sombres. Est-ce une raison suffisante pour que tous ceux qui ont possédé ses œuvres soient poignardés à côté de ses toiles lacérées? Si la police le considère comme le suspect n° 1, lui-même n'est plus sûr de rien et le roman vacille alors dans un vertige subtil. 



Tableaux noirs – Alexandre Lous (Belgique)– Clancier-Guénaud (1984) – *** 
Lionel Germain




lundi 13 décembre 2021

Psy sur écoute





Le héros d'Aimee Molloy est un psy sur écoute. À l'insu de son plein gré, il bénéficie des largesses d'un propriétaire qui lui offre un cabinet sur mesure. Seul bémol, un conduit d'aération dans le plafond qui trahit le secret des confidences professionnelles sur le divan. Quand le bon psy disparaît, l'enquête prouve qu'il trainait quelques casseroles en or massif. Le refoulé sent rarement bon.




Bonne nuit mon ange – Aimee Molloy – Traduit de l'américain par Typhaine Ducellier – Les Escales – 368 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain




samedi 11 décembre 2021

Boire et conduire


Un motel des années cinquante avec de hauts tabourets rembourrés et des chromes étincelants, l'ombre nécessaire, la certitude d'une clarté asphyxiante à l'affût sur le parking, l'encolure glacée d'une bouteille de bière et un jukebox qui grésille un air de country. Du Texas au désert mexicain, James Crumley embarque ses deux poivrots, Milo et Sughrue, pour une virée homérique où la castagne est reine. 


Il s'agit pour les deux amis de retrouver l'escroc qui a étouffé l'héritage de Milo. Les méchants sont tatoués des talons aux sourcils. Les héros sont fatigués et l'alcool coule à flot. Les femmes  sont de passage. Les hommes aussi, mais ils ne le savent pas encore. "Mon père, piégé dans un mauvais mariage, amoureux d'une autre mauvaise femme, s'était suicidé d'un coup de fusil alors que j'étais encore enfant. Ma mère s'était pendue avec son collant taille XL dans une clinique d'amaigrissement alors que j'étais adolescent engagé dans la guerre de Corée." Belles retrouvailles avec un mythe du roman noir.


Les Serpents de la frontière – James Crumley – Traduit de l'américain par Jacques Mailhos – Illustrations de Joëlle Jolivet - Gallmeister – 432 pages – 24,40€ - ***
Lionel Germain



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 10 décembre 2021

Dérèglement de conte



Une prise d'otages en plein Paris, pour Julia qui anime "au cœur de la nuit" sur une radio à grande écoute, l'info prime sur le débat intimiste avec ses auditeurs. Danielle Thiéry et Marc Welinski s'amusent à froisser les nerfs de leurs lecteurs quand une femme otage s'invite dans la conversation radiophonique. Le roman glisse peu à peu du thème du terrorisme à celui de l'affrontement psychologique, et le dérèglement du conte nous laisse entrevoir un au-delà des apparences qui fissure le portrait des victimes et des coupables. 



Mourir ne suffit pas – Danielle Thiéry et Marc Welinski – Éditions Anne Carrière – 250 pages – 18€ - ** 
Lionel Germain




jeudi 9 décembre 2021

Maman chérie


On trouve ce qu'on veut dans la Bible. De l'amour bien-sûr. Et de la haine aussi quand on cherche un alibi à sa colère. Le roman de l'Israélienne Sarah Blau met en scène une spécialiste de la Bible, Sheila Heller dans le tourbillon d'une série de meurtres. 




Les victimes sont des femmes qu'on a ligotées avec un poupon dans les bras et le mot "mère" gravé sur le front. Si Sheila se retrouve au cœur de l'enquête, c'est qu'elle-même n'est pas étrangère au pacte qu'avaient signé ces femmes, et si l'inspecteur un peu trop séduisant s'intéresse à elle, c'est qu'elle pourrait bien faire une coupable idéale.





Le questionnement féministe du roman porte sur le statut de "mère" et sur le refus radical qu'il inspire aux "Autres", ces jeunes filles réunies autour d'une promesse d'accomplissement sans recours à la maternité. Mais Sarah Blau décrit le basculement des consciences. Le moment où la "nature" se rappelle au bon souvenir d'une instance "culturelle" implacable. 

Si Lilith est l'égale de l'homme à l'inverse d'Ève qui a une dette existentielle envers Adam, elle appartient autant à la démonologie juive qu'à l'étendard féministe contemporain.

Filles de Lilith – Sarah Blau – Traduit de l'Hébreu (Israël) par Sylvie Cohen – Presses de la Cité – 252 pages - 20€ - *** 
Lionel Germain 



Lire aussi dans Sud-Ouest




mercredi 8 décembre 2021

L'homme qui créa des dieux


Disparu en 1985, Frank Herbert aurait eu 100 ans l’an dernier. L’importance qu’il attache à l’écologie, sa vision paradoxale de la religion et les commentaires qu’elles suscitent encore font de lui un penseur clé. Comme son contemporain Edgar Morin, il aura marqué le siècle. Le parallèle entre les deux avait déjà été tenté dans ces colonnes par Michel Jeury il y a presque 40 ans. Citant Morin qui parlait du "monde qui s’ouvre, incertain, mystérieux, plus shakespearien que newtonien", Jeury avançait l’idée qu’Herbert était peut-être le chantre de ce monde nouveau, marqué du sceau de la complexité, mêlant tragédie et bouffonnerie. 



Nombre de publications célèbrent l’homme aujourd’hui, des rééditions, des traductions révisées, des nouveautés. On attendait beaucoup du film de Denis Villeneuve, et c’est l’occasion de relire Dune. Mais Herbert n’est pas l’auteur d’une œuvre unique, cette saga romanesque aux dimensions impressionnantes que l’on ne présente plus. L’ensemble de ses nouvelles paraît en ce moment, deux forts volumes comprenant huit inédits. 



Pour la plupart parus en revues, ces textes relèvent souvent du space opera et sont tributaires des codes et clichés de l’époque. L’auteur s’en joue avec humour, proposant une réflexion critique sur le réel et sa perception, appelant la science à faire son autocritique, plaidant pour l’introduction de l’éthique dans une politique probabiliste et ouverte. 

Ces textes sont un bréviaire pertinent pour l’époque compliquée que nous vivons. Mais nous ne sommes pas encore des dieux, et le capharnaüm convivial et un peu inquiétant que le lecteur découvrira par exemple sur la planète Amel qui héberge toutes les religions des mondes habités le temps d’une interminable "Trêve œcuménique", est à l’image de notre monde, terrifiant et risible parfois.

Nouvelles, intégrale - Frank Herbert - Traduit de l’anglais sous la direction de Pierre-Paul Durastanti - Le Bélial’ - 2 volumes, 480 et 500 pages - 24,90€ chaque.
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest



 

mardi 7 décembre 2021

Le bourreau des légendes


Dans les services secrets, les légendes sont parfois écourtées par les nouvelles technologies. "Face-mort", par exemple est un bourreau impitoyable. Grâce aux performances de cet algorithme de reconnaissance faciale, la traque se déclenche et les cibles sont condamnées.


 
La capitaine Barelli, autre légende des Forces spéciales est en première ligne d'un roman dense et bourré d'informations angoissantes sur la face noire de notre humanité. Du dossier "sauterelles" sur la mutation du terrorisme islamiste au mirage d'une Europe que des "milliards de gens qui n'ont rien (…) voient comme une oie gavée, riche, molle et faible", on découvre les secrets glaçants de "Face-mort". 





Au moment où les abeilles disparaissent, une société chinoise anticipe en fabriquant un drone pollinisateur que l'armée pourrait bien reconvertir de façon moins plaisante. Et au cas où les réjouissances mortelles ne seraient pas complètes, rendez-vous au TASRU, l'unité de recherches sur le venin australien tropical. 

On s'y amuse à fournir des lapins à des méduses survitaminées dont la caresse provoque une mort par implosion cardiaque. Les éventuels survivants éprouvent "un sentiment de mort catastrophique imminente d'une telle force (…)" qu'ils supplient leur médecin de les tuer. Pour en finir.

Face Mort – Stéphane Marchand – Fleuve noir – 464 pages – 19,90€ - ***

Lionel Germain

lundi 6 décembre 2021

Noires Cévennes



Premier roman d'un universitaire exilé à New-York pour y enseigner la littérature et la philosophie du XVIIIème siècle, le polar de Lucien Nouis s'aère dans la garrigue nîmoise où un chasseur a découvert le cadavre d'une jeune femme carbonisé. C'est un personnage de commissaire assez singulier qui se charge de l'enquête. Émile Bordarier dont la fille fugueuse apprécie les punks à chien est divorcé. Entre prédation foncière et zadisme intransigeant, le village cévenol du drame offre un raccourci saisissant vers nos problèmes du moment.



Nous ne négligerons aucune piste – Lucien Nouis – Le Masque – 300 pages – 20€ - réédition Le Masque poche mai 2023 - 84 pages – 8,90  - ***
Lionel Germain





vendredi 3 décembre 2021

Blanchard voit rouge





1962 est une année qui réveille les vieux souvenirs de la France coloniale. L'Algérie, bien-sûr, mais aussi l'Afrique noire où la France s'est retirée en respectant la formulation de Pierre Messmer, Premier Ministre du Général de Gaulle: "La France accorda l'indépendance à ceux qui la réclamait le moins après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d'intransigeance." 



Le ton est donné pour ce roman de Thomas Cantaloube qui met en scène son héros journaliste ancien flic, Luc Blanchard. L'empoisonnement criminel d'un leader camerounais à Genève le lance sur la piste de la mafia et des barbouzes. 

Frakas – Thomas Cantaloube – Série noire Gallimard – 420 pages – 19€ - **
Lionel Germain




jeudi 2 décembre 2021

Faire avec Susan


Jill Joyce est une star de la télé dans "La Poupée pendouillait". Capricieuse, nymphomane et toxico, elle reçoit des lettres de menace qui conduisent les studios à embaucher Spenser pour la protéger. Il se trouve que Susan est conseillère "psy" sur le tournage du feuilleton ce qui nous vaut une enquête familiale. Ce roman n'est pas sans rappeler "Printemps pourri" où le privé se livrait à un véritable boulot d'éducateur auprès d'un adolescent en pleine tourmente.



Dans "Rose sang", Spenser aide le sergent Belson à retrouver le "tueur à la rose rouge" qui s'attaque aux femmes noires de Boston. Ce n'est pas un boulot agréable et Susan est encore là pour donner un coup de main. Mais voilà, Susan commence à nous énerver. C'est un peu madame "je-sais-tout". A force de se comparer à Sartre et Simone de Beauvoir, les deux tourtereaux ont perdu le sens de la mesure. "Tu es ma vie comme la musique au bord du silence" ose affirmer Spenser. "La musique au bord de quoi?" demande Susan atteinte du syndrome de Ludwig.



Heureusement, avec ses copains Spenser redevient lui-même, comme avec Hawk par exemple, conforme à la légende classique des grands solitaires du roman noir.

La poupée pendouillait – Robert Brown Parker – Série noire Gallimard (1991) - **
Rose sang – Robert Brown Parker – Série noire Gallimard (1988) - **

Lionel Germain





mercredi 1 décembre 2021

Exolinguistique



Teixcalaan, un empire galactique éloigné dans le temps et dans l’espace aux dimensions sidérantes. Des personnages équipés de puces mémorielles leur fournissant tous les souvenirs de leur lignée, les femmes souvent aux postes clés. Une onomastique déroutante, des toponymes empruntés aux dialectes de l’ancien Mexique; on y parle aussi une variété de l’arménien oriental moderne, une langue que l’auteure de ce space opera hors catégorie, également spécialiste de civilisation byzantine, enseigne à l’Université. Ça aide, quand on ne veut pas simplement refaire Star Wars.


Un souvenir nommé empire - Arkady Martine - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilles Goullet - Nouveaux millénaires/J’ai lu - 509 pages - 23€
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest




mardi 30 novembre 2021

Susan est revenue





Eh bien oui, elle est toujours là, Susan. Fine psychologue, elle donne même de bons conseils à Spenser qui enquête sur la disparition d'une jeune prostituée dans "La chair et le pognon". Conseils qui s'avèreront judicieux également dans une autre affaire. La mort d'un journaliste victime de son flair autour d'un gros trafic de cocaïne à Wheaton, un petit bled du Massachussetts où les gens se montrent très antipathiques. 




La vie sentimentale du privé de Boston est un peu morne dans ces deux épisodes ce qui donne une légère impression de routine. Quand Susan ne le fait pas souffrir, Spenser a du mal à sortir du lot. 
(à suivre




La chair et le pognon – De quoi il se mêle? – Robert Brown Parker – Série noire (1987) - **
Lionel Germain




lundi 29 novembre 2021

Susan reviendra-t-elle?


Trois romans publiés chez Mazarine et dans la Série noire donne un premier aperçu de Spenser, le privé de Robert Brown-Parker. L'intérêt réside bien-sûr dans la chronologie. "Le Disparu" a été écrit en 1974. Le détective est à la recherche d'un adolescent fugueur. Un schéma classique et une des toutes premières enquêtes de Spenser qui nous renseigne sur sa rencontre avec Susan Silverman. La jeune femme est conseillère d'éducation dans un collège. Leur amitié amoureuse dure encore dix ans plus tard. Traversée d'espoir et de crises, elle est pratiquement le véritable sujet des livres qui vont suivre. Au-delà des intrigues, on comprend surtout que Spenser évolue, souffre, se pose des questions au sujet de sa liaison avec la jeune femme. Elle aussi s'interroge, mesure les risques d'une vie commune et choisit finalement de mener une existence indépendante.



Dans "Base-ball boum", Spenser cherche à découvrir si Marty Rabb, la jeune idole du base-ball, est en cheville avec le Milieu pour truquer ses matches. Il sera amené au cours de son enquête à tuer deux hommes, et ne s'en sortira moralement que grâce au réconfort que lui apporte Susan. "Spenser, tu es un cas type pour le mouvement féministe. Un prisonnier de la mystique mâle. Ce dont je suis sûre, c'est que tu me plairais moins si cela ne te tourmentait pas d'avoir tué ces deux hommes."



En 1984, les choses ont bien changé. "À coups de goupillons" commence par la remise des diplômes sur le campus de Harvard. Susan a été reçue à son doctorat de psychologie clinique. Elle repart pour Washington et Spenser encaisse mal de se retrouver seul à Boston. Heureusement, Paul Giacomin arrive pour lui tenir compagnie. Paul est un danseur revenu à la vie après l'intervention de Spenser dans "Printemps pourri". Paul, Spenser et Susan formaient presque une famille. Pour tromper l'ennui et la déprime, Spenser enquête sur la disparition d'une danseuse de la troupe de Paul, victime probable d'une secte religieuse. On suit agréablement les péripéties de l'intrigue, mais au bout du compte, Susan reviendra-t-elle? 
(à suivre)



Le Disparu (Mazarine - 1974 et réédition 10/18 - 1990) – Base-ball boum (Série noire - 1984) – À coups de goupillons (Série noire - 1985) - Robert Brown Parker - ***
Lionel Germain




samedi 27 novembre 2021

Bavard et ricochets


Un avocat accusé de meurtre et incapable de rassembler les cinq millions de dollars de caution, c'est le portrait peu enviable de Mickey Haller. Son nouveau  statut de prisonnier permet à ce bavard professionnel de tester l'ordinaire de ses clients. Mickey Haller est un héros de substitution. L'auteur l'a créé pour compléter la famille recomposée de Harry Bosch. Et Harry Bosch, son demi-frère, apparaît discrètement, un peu comme une illusion d'optique dont le ricochet nous abandonne au deuxième rebond dans les remous existentiels de l'avocat. Lequel est accusé d'avoir tué un escroc retrouvé dans le coffre de sa voiture.



Mickey Haller parle beaucoup. Son innocence ne fait pas de doute pour le lecteur mais les faits sont cruels. L'escroc était un de ses clients avec lequel il avait un sacré contentieux. Et pour l'enfoncer davantage, le FBI semble jouer un drôle de jeu. Question plaidoirie et effets de manche, on peut compter sur le talent de Michael Connelly, à une époque chroniqueur judiciaire pour le Los Angeles Times. Son savoir-faire est un des atouts de ce polar plaisant. 




L'innocence et la loi – Michael Connelly – Traduit de l'américain par Robert Pépin – Calmann-Lévy noir – 504 pages – 21,90€ - **
Lionel Germain



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 26 novembre 2021

Trois îles et un cercueil

 
"C'était un homme qui aimait les îles". La première que choisit le narrateur est couvertes de pruneliers, de primevères et de jacinthes bleues. On y trouve une ferme et trois chaumières. Mais cette petite communauté se refuse à l'harmonie et coûte cher à son propriétaire qui la revend. 



La deuxième île, plus petite, sur laquelle il emménage avec cinq personnes à son service laisse entrevoir un bref instant l'idée du bonheur. Face à la mer, l'écrivain se pose la question et ajoute: "Je suis transformé en rêve." Et puis il y a cette jeune fille pour laquelle il succombe en se sentant déjà empli d'une mort sans volupté. Fuyant son enfant et la promesse d'un foyer, il abandonne encore sa maîtresse pour une autre île, la troisième. 



Le voilà dans une petite maison près d'une plage de galets, avec des moutons et un chat. Même ces animaux ne tardent pas à lui faire horreur. Les oiseaux ne font plus escale. L'hiver n'est pas qu'une saison. Bientôt, une lumière grise et glacée fige le décor.

On peut faire l'exégèse de cette nouvelle, chercher à comprendre ce qui nous échappe toujours dans la quête d'idéal, mais reste encore à s'abandonner à la puissance poétique du texte qui ramène dans ces trois vagues successives les vapeurs navrées de l'existence.

L'homme qui aimait les îles – D.H. Lawrence – Traduit de l'anglais par Catherine Delavallade – L'arbuste véhément éditions de l'Arbre vengeur - 100 pages – 6€ - ***
Lionel Germain




jeudi 25 novembre 2021

Une femme en colère


C'est une déclaration d'intention: les éditions Dalva se proposent de "mettre à l'honneur des autrices contemporaines", et dans la livraison d'automne, on s'arrêtera sur cette "Étrangère" d'Olga Merino, un roman aux couleurs de l'Espagne, brûlantes et sèches. 




Angie a été la compagne à Londres d'un peintre disparu tragiquement. De retour en Espagne, elle est une étrangère dans son propre village, et son désir de liberté se heurte aux préjugés qui animent la guerre de succession après la mort d'un grand propriétaire. Un roman féministe sur fond de lutte des classes.





L'Étrangère – Olga Merino - Traduit de l'espagnol par Aline Velasco – Dalva éditions – 288 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain 




mercredi 24 novembre 2021

Un nouveau regard




Quand il s’agit d’un des plus vieux thèmes de la SF – les robots du tchèque Karel Čapek ont eu cent ans l’an dernier – nul doute qu’il faille  revoir nos copies, jusqu’au changement de paradigme. L’intérêt de ce nouveau dossier est double: il propose d’abord des visions alternatives sur l’IA, le robot, l’homme et la machine; ensuite il croise les regards. Le passionnant débat qu’il propose via zoom entre trois auteurs, un français, une chinoise et un japonais, esquisse un nouvel imaginaire des rapports homme-machine dans un cadre qui ne serait pas forcément dystopique.


Intelligence Artificielle et Science-Fiction - dossier coordonné par Denis Taillandier - Revue Galaxies n° 71 - 192 pages - 11€ - sur commande en  librairie ou sur le site de galaxies-sf.com (non sécurisé) 
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest




mardi 23 novembre 2021

Chasse gardée



Quand il ne nous perd pas dans la jungle guyanaise, Colin Niel aime prendre de la hauteur. "Seules les bêtes", adapté par Dominik Moll, était un magnifique roman choral dans l'âpreté du Causse. "Entre fauves" nous entraîne du désert de Kaokoland en Namibie à la Vallée d'Aspe où Cannellito, dernier représentant des ours pyrénéens a disparu. C'est encore à plusieurs voix que se raconte cette traque entre Martin, le garde du Parc national des Pyrénées, et Appoline, la chasseuse de fauves. Avec en surplomb, le souffle brûlant d'un lion en cavale dans le désert de Namibie.

Entre fauves – Colin Niel – Rouergue noir – 352 pages – 21€ - *** 
Lionel Germain





lundi 22 novembre 2021

Disparitions inquiétantes




Le titre annonce la couleur un peu brutalement dans cette affaire de disparitions d'adolescents une nuit de fête de la musique. Qui sont les ravisseurs? Où est passé Rafaël qui manque encore à l'appel? Et qu'est-il arrivé à Roxane dont la mère est morte quand elle avait cinq ans, précipitée sous un train en présence de sa fille? Toutes ces questions ne trouvent que des réponses partielles et la "cannibale" dont le portrait se dessine peu à peu a tout du personnage récurrent qui hantera le prochain épisode. 



Cannibale – Danielle Thiéry – Syros – 384 pages – 16,95€ - *** – 
Lionel Germain




samedi 20 novembre 2021

Une odeur de forêt


"Le shérif Gains a l'air d'un bout de bois sculpté qu'on a laissé sous la pluie. (…) il émane de lui une odeur de forêt, toute de résine et de feu de bois, qui, obscurément, lui donne l'air d'un vieillard."



Le roman d'Anna Bailey emprunte son titre original et ses fragrances à un coin perdu d'Amérique, les Tall Bones du Colorado. Alors que la nuit s'apprête à napper les bois de ses ombres, la jeune Abigail s'échappe du feu de camp autour duquel dansent et s'amusent les lycéens. Il y a l'alcool, les rires et les coyotes qui rôdent. Sa disparition après un dernier regard à son amie Emma entrouvre les portes de l'enceinte familiale où le père fait régner une loi violente. 




Anna Bailey qui a vécu dans une petite communauté religieuse du Colorado, exsude la substance toxique de ces bourgades rurales. Homosexualité, marginalité sociale: derrière les prêches compassionnels du pasteur de l'église baptiste se fomentent les projets d'exclusion, et sous la plume talentueuse de cette jeune autrice, les paysages bucoliques se chargent soudain des humeurs de l'automne pour féconder haine et rancœur.

Une pluie de septembre – Anna Bailey – Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié – Sonatine – 408 pages – 21€ - ***
Lionel Germain



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 19 novembre 2021

Tapis vert au noir



Dans les romans d'Edyr Augusto, il n'y a pas vraiment de gentils. L'écrivain peut-être? C'est à lui qu'un caïd raconte l'histoire de ce coin de Brésil aussi accueillant qu'une mare de piranhas. La prohibition a toujours fait la fortune des gangsters. Ici, c'est le casino clandestin qui enrichit le maître des lieux. Des histoires de bandits voués à la cupidité, au crime, parfois à l'amour mais surtout à la fatalité des morts subites, des destins raccourcis par la reine des tapis verts: la malchance. 


Casino Amazonie – Edyr Augusto – Traduit du brésilien par Diniz Galhos – Asphalte – 208 pages – 20€ - *** 
Lionel Germain





jeudi 18 novembre 2021

Exercice de stylet





L'inspecteur s'appelle Gamelle, les victimes se comptent par dizaines aux arrêts de bus et aux passages piétons, et l'adjoint de l'inspecteur est un cul-de-jatte. L'assassin manie son poignard sans volupté mais la beauté est dans la répétition qu'exige un monde pétri de transgressions inesthétiques. Burlesque et acide.





Un flic bien trop honnête – Franz Bartelt – Seuil Cadre noir – 176 pages – 17,50€ - **
Lionel Germain




mercredi 17 novembre 2021

Les aventuriers de la Cité perdue


De la Colombie des narcotrafiquants ou des FARC en voie de repentance aux forêts andines regorgeant de mythes ou de leurres, ce roman haletant, flirtant avec le fantastique et l’ésotérisme peut se lire aussi comme un guide de voyage à haut risque. Escorté d’un bon garde du corps, on y apprend comment déguster une "bandera paisa", le plat national, ou fumer le puro de là-bas – moins bon que le cubain, en buvant force "Vive 100". Et le rêve des cités d’or, poursuivi par les anciens conquistadors, Indiana Jones ou le colonel Fawcett qui fut son modèle, reprend les hommes. Au risque de se perdre, ou de tout perdre.


Comuna 13 - Philippe Ward - Cal Ana/Rivière blanche - 280 pages - 20€
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest




mardi 16 novembre 2021

Enfants volés


Tout est tellement terrible dans la Shoha qu'on a du mal à en isoler un épisode sans le mettre en perspective avec la "solution finale". Robert et Gérard Finaly ne sont qu'en apparence des miraculés du massacre. 


Enfants juifs confiés à une femme qui crut les sauver en les baptisant, ils furent l'objet d'un marchandage sordide pendant huit ans, de 1945 à 1953. Marie Cosnay nous raconte la crise diplomatique que provoqua une tante installée en Israël. Elle exigeait de pouvoir récupérer les orphelins. Retour impressionnant sur les zones d'ombre de l'après-guerre, les compromissions de l'Église et les mauvais calculs de l'Espagne franquiste. Et la question: de quoi le baptême était-il censé protéger les deux enfants Finaly?



Comètes et perdrix – Marie Cosnay – Éditions de l'Ogre – 170 pages – 19€ - ***
Lionel Germain




lundi 15 novembre 2021

A couteaux tirés


Valentin Musso s'est désormais fait un beau prénom dans le "suspense psychologique". "Qu'à jamais j'oublie" s'ouvre sur une scène étrange et dérangeante. Nina Kircher, la veuve d'un photographe célèbre, quitte la piscine de son hôtel pour aller poignarder un homme dans son bungalow. Avec la même économie de pathos que l'Américain Grisham dans "La Sentence", Valentin Musso perce peu-à-peu la muraille de silence dans laquelle Nina s'est repliée en déléguant à son fils la charge de l'enquête. Celle-ci nous livre les secrets douloureux d'une enfance maltraitée et les étranges pratiques de certaines institutions en Suisse.


Qu'à jamais j'oublie – Valentin Musso – Seuil – 314 pages – 19€ - ***
Lionel Germain




samedi 13 novembre 2021

Enquête à contrejour


Comme l’impression d’abord de passer à côté de l'histoire par la faute d'une distraction coupable mais préméditée par l'auteur. L'histoire donc d'une disparition d'enfant au cours d'un vide grenier scolaire. Le vague indice d'un homme avec un ours en peluche et l'enquête de routine à laquelle on s'attend. Jan Costin Wagner s'emploie à nous perdre en livrant les échos fragmentés du réel à travers les points de vue multiples. Mais davantage qu'un roman choral, c'est un labyrinthe narratif dans lequel se croisent des personnages à contrejour.


Ben et Christian pourraient se réduire aux silhouettes stéréotypées qui fonctionnent dans toutes les séries. Les deux flics ne donnent à voir que des reflets d'eux-mêmes destinés à la bonne marche d'une procédure pénale. Ce qu'ils préservent à l'ombre du récit constitue le joyau littéraire de cet auteur allemand, maître des introspections bouleversantes. Une scène de crime fantomatique où des fils de lumière comme projetés de l'intérieur des personnages tissent peu à peu la trame du roman noir.




L'été la nuit – Jan Costin Wagner – Traduit de l'allemand par Marie-Claude Auger – Actes sud – 288 pages – 22,50€ - ****
Lionel Germain



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 12 novembre 2021

Mauvaises fréquentations


Une vieille dame vient voir Robert Flécheux, détective privé depuis vingt ans déjà dans une petite ville où les affaires sont rarement exceptionnelles, pour qu'il retrouve sa petite fille disparue. Flécheux va découvrir que Mouche, la fugueuse imprudente, a côtoyé des gens peu fréquentables dans le milieu du cinéma et de la prostitution. Le détective aura bien du mal à dénicher son "Arlésienne" et beaucoup de témoins disparaissent, victimes d'un assassin mystérieux.


 
Ce premier roman de la série "criminelle" de Demouzon s'éloigne volontairement des modèles américains dont le pastiche ou la copie servile était de rigueur à l'époque. On retrouve néanmoins l'action violente et l'atmosphère des romans noirs mais Demouzon nous persuade peu à peu que son "héros" a une histoire et que c'est cette histoire, celle de son personnage, qu'il est en train de nous raconter.





Mouche – Alain Demouzon – Flammarion J'ai Lu (1976) – *** 
Lionel Germain





mercredi 10 novembre 2021

Romances interplanétaires



Auteur de l’âge d’or, familier des "pulps" un peu oublié de nos jours, Kline est surtout connu pour ses démêlés supposés avec Edgar Rice Burroughs, le créateur de Tarzan. Coup de bluff d’un critique en mal de sensationnel sans doute: Kline n’a jamais plagié les cycles interplanétaires de son illustre contemporain, et ses personnages, d’ailleurs, visitent Mars, Vénus ou la Lune selon un protocole un tout petit peu plus scientifique. Mais Dumas ou Verne ne sont jamais très loin non plus, et le lecteur s’immerge dans ces récits d’aventures avec un plaisir régressif certes, mais bien réel. 


L’Aventurier de Mars - Otis Adelbert Kline - Traduit par Martine Blond - Introduction de Jean-Marc Lofficier - Rivière Blanche - 392 pages - 26€
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest




mardi 9 novembre 2021

Insécurité sociale



Les affaires de famille constituent la réserve inépuisable des intrigues de polar. François-Xavier Dillard y puise avec malice comme on pioche un sujet dans le chapeau d'un atelier d'écriture. Un gentil couple a perdu sa fille dans le naufrage d'un voilier. Quand débarquent de nouvelles voisines avec une fille qui ressemble à la leur, les signes annonciateurs de tempête narrative se multiplient. L'auteur s'en tire bien. Des errances de l'adolescente à la détresse de l'amour blessé, on fonce page après page vers une pirouette finale inattendue.



Prendre un enfant par la main - François-Xavier Dillard – Belfond – 336 pages – 19€ - ***
Lionel Germain



 

lundi 8 novembre 2021

Joli genou et vieux hibou


Autrice pour la jeunesse abondamment primée (on dit que ses tirages rivalisent avec ceux de la reine J. K. Rowling), Jacqueline Wilson a également écrit des polars pour adultes à ses débuts. "Truth an Dare" qu'a traduit Maurice Bernard Endrèbe a été publié dans la collection Littérature Policière des éditions Fleuve noir en 1984.



Un arrêt d'autobus sous la pluie, une jeune femme seule avec ses emplettes, une voiture qui s'arrête pilotée par un vieux monsieur déjà chauve. La jeune femme grimpe avec ses paquets trempés. Merci, bonsoir… et vogue la galère. Quand la main baladeuse atteint le sommet du genou, la jeune femme a presque envie de rire. Elle s'appelle Claire et le film d'Éric Rohmer est l'un de ses préférés. Mais les doigts ont bientôt une audace déplacée. Elle réussira à se débarrasser du vieux dégueulasse mais ses malheurs ne feront que commencer. 


Un mari impuissant et jaloux ameute la police pour venger l'honneur de sa femme, et l'inspecteur de la brigade criminelle, séducteur inquiétant, va paniquer la victime qu'il devait rassurer. Et puis "le vieux", qui rôde, et qui finit par retrouver la trace de Claire. Le drame va se jouer là où on l'attendait le moins. Portrait peu flatteur du rapport amoureux que Michel Lebrun exécuta littérairement dans sa recension des polars en 1985.




Pauvres de nous – Jacqueline Wilson – Traduit de l'anglais (GB) par Maurice Bernard Endrèbe - Littérature Policière Fleuve noir – ** 
Lionel Germain