samedi 31 juillet 2021

Le jardin des leurres



Reinhard Lettau est un écrivain allemand mort en 1996. Chacune des 21 nouvelles de ce recueil est un piège où l'absurde se prend au sérieux avec une ironie inquiétante. Le labyrinthe imaginé par un propriétaire pour le retour de sa femme se transforme en jardin des leurres dans lequel on ne s'aventure pas sans risque. Mais derrière la tournée en province d'un dictateur mélomane qui a coupé le son ou l'impossible trêve des combattants d'une guerre interminable se profilent un décor et des menaces qui nous semblent bien réelles.



Invitation à des orages d'été – Reinhard Lettau – Traduit de l'allemand par Louise Servicen – éditions de L'Arbre vengeur – 250 pages – 15€ - ****
Lionel Germain




lundi 26 juillet 2021

Polar à l'os


Le jardinier s'appelle Jim Carlos. Son histoire est consignée dans des cahiers qui pourraient permettre l'inculpation de ses patrons pour meurtre. 


Les Loubet sont riches et puissants mais leurs jardiniers n'ont pas de chance. Avant la disparition mystérieuse et définitive de Jim Carlos, son chien, le bon Lebowski, avait trouvé un os. Certainement celui du jardinier auquel succédait son bon maître. Pour la juge, les carnets sont une preuve que le tribunal refuse de considérer en l'absence du corps. L'os de Lebowski manque à l'appel et le roman tourne habilement autour de ces absences, celles du "nonosse" et des cadavres, pour trousser une comédie policière bienfaisante. 



L'os de Lebowski – Vincent Maillard – Philippe Rey – 208 pages – 18€ - ****
Lionel Germain



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vendredi 23 juillet 2021

Pétain et Schnock


De son enfance à Saint-Ouen, Denis, fils de brocanteur, a gardé le goût de l'indépendance un peu canaille. Son frère sous méthadone est un légume, Mirabelle, la fille qu'il aime est une "gauchiste", alors que lui fait le coup de poing rémunéré pour les "fachos". Et le patron du bar qu'il fréquente avec ses amis voudrait rapatrier le corps du maréchal Pétain à Douaumont. Ce sont les souvenirs de 1973 qui reviennent à Denis, désormais brocanteur à son tour en 2022, le jour où une femme présidente s'apprête à faire un discours depuis Verdun…


Mirabelle, comme une porte ouverte sur un monde dont il est exclu, a été la maîtresse de son frère. Dans une scène très puissante qui évite tous les écueils du genre, Chris Simon installe un corps à corps sensuel et poétique entre les deux amants sous LSD. Cette extase à laquelle Denis se refusait par culpabilité envers son frère n'est pourtant qu'un beau trip amoureux qui l'abandonne sans certitude sur l'avenir de cette relation. Parti de l'Île d'Yeu, le braquage rocambolesque de la tombe se poursuit par un rallye nocturne avec le cercueil du "proscrit".


Chris Simon n'oublie pas le point d'histoire sur la déportation des Juifs de France. Pétain n'a jamais cherché à faire "bouclier", et dès 1941, le fichage systématique a été le prélude à la déportation de 73 000 personnes sous la seule responsabilité de "Vichy". 

Au détour des déambulations burlesques, on découvre également une France contemporaine profondément inégalitaire. Le luxe de l'espace privé et les pauvres privés d'espace se retrouvent dans la fiction d'un monde où la richesse ruissellerait comme la vertu sur le vice pour en atténuer la rigueur. Mais ce mouvement de consolation est un leurre. Dans la réalité, la richesse n'est jamais si loin du crime qu'elle ne puisse effacer la vertu des apparences. Ne ruisselle souvent que le sang des pauvres. Les riches ont soif. "Le renoncement du pauvre, les nantis comptent dessus. Ils font construire par leurs architectes des bâtisses aux façades monumentales et ornées qui reflètent leur supériorité, leur pouvoir et leurs privilèges.

Au-delà du symbole que représente la réhabilitation d'un maréchal dont l'Histoire ne nous apprend rien de bon mais auquel le nouveau "roman national" rend hommage, l'accession de cette présidente au pouvoir en 2022 valide le triomphe des idées simples. «Il suffit de dresser les très pauvres contre ceux qui le sont moins, les immigrés contre leur descendance, les étrangers contre les "de souche"» 

En marge du monde de l'édition, Chris Simon fait preuve de rigueur dans la construction de ses intrigues. Personnages crédibles, péripéties nombreuses et passionnantes, scénario original:  on aimerait qu'un bon réalisateur s'en empare. 

Road-movie pour un proscrit – Chris Simon – Impression à la demande: chrisimon.com – 280 pages – 15,90€ - 3,99€ sur Kindle  - ***
Lionel Germain



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lundi 19 juillet 2021

Du beau linge dans de sales draps


Les éditions Agullo sont villenavaises sans être assignées à résidence. L'excellent nouvelliste occitan Yan Lespoux y côtoie le Croate Jurica Pavicic et le slovaque Arpad Soltesz. Quant au cinquième roman du Polonais Wojciech Chmierlarz consacré au flic Jacub Mortka, il nous entraîne à Varsovie.



Mortka, dit le Kub, enquête sur l'assassinat de la femme et de la fille d'un gangster. Tout le monde est persuadé de la culpabilité de Kochan, un collègue de Mortka. Mais lui est bien décidé à prouver le contraire. Parallèlement à cette enquête, la lieutenante Suchorka, dite la "Sèche", se demande comment faire aboutir l'inculpation d'une brochette de personnalités très en vue impliquées dans une scène de viol collectif dont elle a réussi à se procurer l'enregistrement. 



La "Sèche" est une belle invention de Chmielarz, aussi obstinée et téméraire que son collègue. Qualité indispensable dans cette affaire où hiérarchie policière corrompue et mafieux aux manettes révèlent une ville à la musicalité trompeuse dissimulant un trésor de perversité. 

Les Ombres – Wojciech Chmierlarz – Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez – Agullo – 544 pages –  22,50€ - ***
Lionel Germain



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vendredi 2 juillet 2021

Ce vieux Rebus


Aidé de Siobhan Clarke, son ex-collègue de la brigade criminelle, Rebus déménage pour un rez-de-chaussée avec jardin. C'est toute une vie qui se résume dans ce simple constat. John Rebus est vieux. Pendant que le flic retraité s'installe dans ses souvenirs et ses nouveaux pénates, Siobhan reprend le boulot à Edimbourg où un jeune Saoudien fortuné vient d'être assassiné. L'affaire revient en écho à Rebus par l'intermédiaire de son "amie" Deborah Quant, la légiste. Mais c'est la disparition de Keith le compagnon de sa fille Samantha qui remet le vieux flic en selle.



Samantha et Keith ont une fille Carrie. Dans leur village, se trouve le "Camp 1033" et le rappel historique du sort fait aux Italiens et aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Un contexte auquel s'intéressait particulièrement Keith. Et même si l'infidélité de Samantha peut expliquer son départ, Keith n'aurait jamais abandonné sa fille. 






Des deux enquêtes qui nous sont proposées par Rankin, l'une explore les revers sombres de la magnifique ville d'Edimbourg, l'autre, de loin la plus tourmentée, revisite un pan d'histoire méconnu: la réalité de ces camps de concentration britanniques. Rebus a beau être vieux, le charme opère toujours.

Le chant des ténèbres – Ian Rankin – Traduit de l'anglais (GB) par Fabienne Gondrand – Le Masque – 22,50€ - ***
Lionel Germain


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