vendredi 29 janvier 2021

Noir et blanc, à fleur de peau


Attica Locke est une femme. Précisons aussi qu'elle est noire puisqu'elle vit dans un pays où les gens ont une couleur qui détermine encore le rapport aux autres. Surtout au Texas, l'état dont on retrouve l'atmosphère oppressante dans son dernier roman publié en France. Son personnage central, Darren Matthews, a beau être un Ranger, il est d'abord un noir soumis au délit de faciès qui le contraint à ne jamais négliger son apparence: « ne jamais se rendre en ville avec l'air abattu ou minable d'un homme prêt à s'expliquer à tout moment. Même son oncle Clayton, autrefois avocat et professeur de droit constitutionnel, disait souvent que pour des hommes comme nous, un pantalon avachi ou des pans de chemise sortis étaient "un motif suffisant d'interpellation" ».




Si la situation que nous décrit Attica Locke a déjà été évoquée au cinéma et en littérature, on est frappé par la récurrence contemporaine de cette crispation identitaire des "blancs" dans le sud des États-Unis. L'assassinat d'une jeune femme blanche survient quelques jours après celui d'un homme noir. Dans les deux cas, la police locale démontre sa partialité et l'intervention de Darren Matthews avive les tensions raciales. 



La Présidence d'Obama n'aura donc été qu'une étoile filante dans la nuit américaine quand "l'homme aux cheveux orange" a su, lui, libérer la violence des "fraternités" aryennes et transformer les shérifs des petites bourgades en "cousins" de ces suprémacistes blancs.

Sur les accords de John Lee Hooker, le héros d'Attica Locke, incertain dans sa relation amoureuse et empêtré  dans son rapport avec une mère alcoolique, redonne malgré tout espoir et dignité à une communauté repliée dans sa peur.

Bluebird, Bluebird - Attica Locke – Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch – Liana Levi policier – 336 pages – 20€ - ****
Lionel Germain



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mercredi 27 janvier 2021

Carnet de voyage

 


Il n’y a qu’un matheux pour voir le monde comme un ruban de Möbius! Dans ce road trip incertain et les méandres de sa géométrie déroutante, entre Paris et la ville des doges ou l’une de leurs multiples versions alternatives, on croise Rainer Maria Rilke et Corto Maltese, Sade et Lautréamont bien sûr, mais aussi quelques fantômes douloureux. En fait ce roman foutraque est une autofiction où l’auteur trouve sa résilience et un certain apaisement. 




Le Möbius Paris Venise - François Darnaudet – Nestiveqnen - 264 pages - 19€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er septembre 2019



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lundi 25 janvier 2021

Sous la Révolution, ça se corse!


Henri Loevenbruck poursuit avec "Le Mystère de la Main rouge" la traversée de l'effervescence révolutionnaire française. Initiée dans "Le Loup des Cordeliers", la série donne la vedette à un jeune Rastignac, Gabriel Joly, venu à Paris pour se consacrer au journalisme. C'est lui qui a su percer l'identité du mystérieux "Loup des Cordeliers", la jeune Lorette au sabre vengeur.




Aux côtés de Gabriel Joly, on retrouve aussi son double féminin venu de Liège, Mademoiselle Terwagne. Son amitié avec Camille Desmoulins les réunit à l'Hôtel des Menus-Plaisirs où se pressent les députés le 22 juillet 1789. Maximilien de Robespierre y rafraichit l'enthousiasme des modérés et dans son sillage, se profile enfin la silhouette de Cristofanu Salicetti, député corse. 




Un député qui "plaide pour que l'île, considérée comme un territoire de conquête, soit déclarée partie intégrante du royaume et que ses habitants soient admis à jouir des mêmes droits que ceux promis aux Français par l'Assemblée".

Échappant à des sévices dignes de l'Inquisition grâce à un pirate au grand cœur, Gabriel réussit à rejoindre le maquis corse pour enquêter sur cette "Main rouge", société secrète qui compte bien jouer un rôle dans la révolution française. Les turbulences de la période sont évidemment le terreau d'une fiction qui ramène nos "héros" à l'essentiel d'un romanesque malicieusement inachevé. A suivre, donc.

Le Mystère de la Main rouge – Henri Loevenbruck – XO – 560 pages – 21,90€ - ***  
Lionel Germain




vendredi 22 janvier 2021

Dans les sales draps d'un roman noir

 
C'est un revenant, de ceux qui hantent les territoires de fiction en vous laissant croire que le réel est à portée de fusil: Philippe Clerc, assureur niçois survivant des années quatre-vingt. Le roman s'appelait "Fenêtre sur femme" et renvoyait moins à Hitchcock qu'à Howard Hawks. Patrick Raynal a dirigé la Série noire et ce personnage qui refait surface appartient à une époque où les noyés savaient nager, où le soleil se levait sur la plage de Miami avant d'aller sombrer dans les rouleaux du Pacifique entre Malibu et San Francisco.



A plus de soixante-quinze ans, Philippe Clerc se réveille dans le lit d'une femme qui est morte. On l'accuse du meurtre mais la seule chose dont il est certain, c'est que sa libido est en berne, "l'éternelle question du corps qui vieillit alors que l'esprit musarde encore dans sa jeunesse". Au cours de cette enquête sur le tripot à ciel ouvert de la baie des Anges, le "héros" croise les vrais méchants et très peu de gentils, sauf une femme peut-être, Moïra, une parque attentive qui contrairement à la légende voudrait l'empêcher de filer du mauvais coton. 



Masséna, c'est aussi le nom du troisième mousquetaire aux côtés de Clerc et Bandry. A la fin des années soixante, le trio d'adolescents rêve d'un autre monde et va se partager la galaxie soixante-huitarde. Anar, "trotsko" et "mao". Bandry le trotskiste deviendra flic, Masséna truand, et Clerc assureur. Comme dans une chanson de Brel, on devient vieux quand on assume le frisson coupable pour "la musique des quarante-huit soupapes d'une Ferrari". Le temps n'est qu'un intervalle qui nous sépare d'une très mauvaise nouvelle et le roman noir classique de Patrick Raynal diffuse un mélange de colère et de nostalgie impuissante.

L'âge de la guerre – Patrick Raynal – Albin Michel – 264 pages – 18,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 17 janvier 2021



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mercredi 20 janvier 2021

Verne: science et conscience


On ne présente plus Jules Verne. "Vingt mille lieues sous les mers", "Voyage au centre de la Terre", "Le Tour du monde en quatre-vingts jours" et "Le Château des Carpathes", ressortent en un fort volume illustré des 223 gravures et 20 hors-textes en couleur de l’édition Hetzel d’origine. 




Lus, relus, ressassés, ces 4 chefs d’œuvre n’ont pas pris une ride: loin de sacraliser le progrès technique, c’est le vertige à venir de l’homme devant les possibilités nouvelles données par la science que Verne interroge. Et Nemo est son prophète. Claude Aziza, historien de la littérature populaire, signe la préface, et propose en complément un petit dictionnaire "Jules Verne de A à Z".





Voyages extraordinaires - Jules Verne - Omnibus, relié, illustré - 832 pages - 39€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 23 décembre 2018





lundi 18 janvier 2021

Quatre à quatre


Claude Mesplède qui a rejoint les étoiles du noir en 2018, avait créé cette petite collection de nouvelles. Dos à dos ou face à face entre deux auteurs, l'un disparu, l'autre bien vivant. Hervé Le Corre, par exemple, côtoyait Jules Renard. 



Pour vaincre le mauvais sort éditorial en plein confinement, c'est par quatre que l'aventure se poursuit. Giraudoux y nargue Conan Doyle, Pirandello revisite la douleur d'une mère dont les fils ont quitté la Sicile pour le Nouveau Monde. Avec Benoît Séverac et Maxime Gillio, les peurs contemporaines font écho aux séquelles de la dernière guerre et à la mélancolie d'un homme victime patiente d'un amour inaccessible.




Double noir: Pirandello, Giraudoux, Séverac, Gillio – Éditions Nèfle noir – 78 pages – 8€ - ***
Lionel Germain




vendredi 15 janvier 2021

Au bout de la nuit


Il y a le noir et l'au-delà du noir auquel on n'est rarement préparé même quand on possède une solide collection de polars dans sa bibliothèque. Dans la galaxie poisseuse, les romans de Joseph Knox ont l'éclat du goudron et la rapacité des trous noirs pour avaler bienveillance et chaleur humaine. 



Après "Sirènes" et "Chambre 413", la troisième étape des aventures d'Aidan Waits, inspecteur de nuit à Manchester, ressemble davantage à un chemin de croix qu'à une enquête policière. Le "somnambule" est un meurtrier qui n'a gardé aucun souvenir de ses crimes. C'est peut-être surtout ce flic alcoolique, toxicomane, corrompu, mais qui ne se résout pas à n'être que la somme de ces constituants maléfiques, et qui titube dans sa nuit intérieure.




Somnambule – Joseph Knox – Traduit de l'anglais (GB) par Jean Esch  - Le Masque – 350 pages – 21,90€ - ****
Lionel Germain




mercredi 13 janvier 2021

Dans les failles du réel




Bien connue pour ses romans adultes et ados toutes tendances confondues, vampires et polar au premier chef, l’auteure est passée maître aussi dans l’art de la nouvelle. Ce premier recueil propose treize textes qui scrutent les chausse-trappes dissimulées dans les failles du réel, d’un Cirque Médrano plus vrai que nature mais subtilement décalé au Liban de la guerre civile en passant par la réécriture de Faust et d’autres mythes classiques.





Monsieur Boum-Boum - Jeanne Faivre d’Arcier - Rivière Blanche - 246 pages - 20€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 8 septembre 2019



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lundi 11 janvier 2021

Au fond du lac



C'est au plus écossais des auteurs de polars basés dans le Lot qu'on doit cette série consacrée au personnage d'Enzo Mac Leod. Pour ce dernier épisode, le tueur en série qui purge sa peine à Lannemezan est-il aussi l'assassin de la jeune fille disparue en 1989 dont le corps vient d'être retrouvé au bord d'un lac? Enzo Mac Leod mène l'enquête et le coupable a peu de chance d'être celui qu'on offre au lecteur dès la quatrième de couverture. Mais outre le rebondissement final, c'est son rapport compliqué avec la filiation qui donne du sel à cette intrigue.



Un alibi en béton – Peter May – Traduit de l'anglais par Ariane Bataille – Rouergue – 368 pages – 22€ - *** 
Lionel Germain

vendredi 8 janvier 2021

L'étage des morts


"Trait bleu", "Rouge écarlate", "Jaune soufre", Jacques Bablon aime les titres en couleur et le cinémascope. Le nuancier vire au noir avec ce dernier polar agencé comme une comédie à l'américaine à laquelle ne manque que la dégaine nonchalante de Clark Gable. Dans un immeuble parisien de cinq étages, l'intrigue se déploie par palier, avec fenêtre sur cour et dans le secret des chambres. Depuis le cinquième, le scénario s'organise sur le tempo trompeur d'une fuite dans les WC qui promet un dégât des eaux majeur. On fait la fête au quatrième, on s'apprête à mourir ailleurs, on rêve de la belle étrangère hébergée au deuxième. Un excellent travail d'horlogerie.


Noir côté cour – Jacques Bablon – Jigal – 176 pages – 17€ - ***
Lionel Germain 




mercredi 6 janvier 2021

La science en s'amusant





Inaugurant une collection qui interroge les liens entre science et SF, cet ouvrage coécrit par un astrophysicien et un paléontologue s’amuse à prendre au mot quelques blockbusters récents mettant à mal les lois de la physique ou de la biologie. Au programme "Godzilla", "Interstellar", "Seul sur Mars", "Prometheus" et quelques autres. Une manière de comater intelligent même devant des nanars.




La Science fait son cinéma - Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer - Parallaxe/Le Bélial’ - 246 pages – 14,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 21 octobre 2018




lundi 4 janvier 2021

Mort digitale




Dans les obsèques, on célèbre la disparition du corps et pour les croyants, la survivance de l'âme. Mais au XXIème siècle, chacun de nous se constitue autour d'une trinité dont le dernier versant se niche dans les tréfonds du web et de quelques disques durs. L'héroïne de Bertrand Dumeste est la nettoyeuse numérique qui permet d'effacer les traces indésirables du défunt. Maud Béloze, croque mort digital, est une véritable aventurière du net. Les vilains secrets des disparus lui valent de solides ennemis bien vivants. 



Noire est la pluie – Bertrand Dumeste – Geste Éditions – 336 pages – 13,90€ - **
Lionel Germain