samedi 21 septembre 2019

Frissons du nord



Lire Jo Nesbo, c'est s'interroger à chaque fois sur le paradoxe nordique. La séduction d'une contrée lointaine et glacée s'est dissipée dans un rapport au monde où tout nous est offert d'un simple clic. Par ailleurs, le froid qui exclut l'obscénité exubérante du sud épargne un trésor de perversité parfois plus redoutable. Il y a le paysage, Oslo, "vilaine et belle", "froide et chaude", et le personnage démesuré d'Harry Hole qu'on aurait du mal à imaginer sous d'autres latitudes.



Redevenu un poivrot abandonné par la femme de sa vie, Harry Hole n'a plus que "la moitié d'un cœur" pour accomplir sa mission face à la lame impitoyable de son adversaire. Les tueurs en série sont à la littérature ce que le glutamate est à la gastronomie. Chez Nesbo, on en redemande. Parce que ce monstre d'Harry Hole est un professeur de pathologie criminelle, et le type avec son couteau dont la police traque la piste sanglante, un cas d'école. 





Les lecteurs français sont friands de disputes entre thrillers à grosses ficelles et romans noirs en col Mao.  Les travaux dirigés du professeur Harry, mélange d'esbroufe, de grand guignol et d'habiles déductions, réconcilient les amateurs des deux sous-genres. L'intrigue à tiroirs de ce dernier roman dissimule une critique sociale dans le refus des conventions et le comportement hors-norme du personnage. 

Le couteau – Jo Nesbo - Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Série noire Gallimard – 602 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 septembre 2019



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vendredi 20 septembre 2019

Apéro sanglant





Qu'est-ce qui rend Oslo comparable à Londres et Stockholm? Le prix du mètre carré et la relégation de la classe ouvrière. Ce n'est pas le sujet de cette réédition mais comment réduire "La Soif" à quelques lignes d'eau tiède quand la narration a l'intranquillité d'un fleuve amazonien? Harry Hole face à un tueur aux penchants vampiriques.  





La soif – Jo Nesbo – Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Folio policier Gallimard – 736 pages – 9,50€  - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 septembre 2019



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jeudi 19 septembre 2019

Chroniques de mondes à venir




Chez Curval, qui publie depuis plus de 60 ans, la SF est un art: entre satire, humour et utopie, ses textes relèvent autant de l’insolite que de l’anticipation, et il n’est jamais très loin de Villiers de L’Isle-Adam ou de Roussel. Voici donc une brassée de nouvelles – un genre dans lequel il excelle – complétant à merveille l’excellent Livre d’or que son complice André Ruellan lui avait consacré en 1981.




On est bien seul dans l’univers - Philippe Curval - Nouvelles réunies par Richard Comballot - La Volte - 508 pages - 20€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 7 janvier 2018




mercredi 18 septembre 2019

Calvaire texan



"Une bonne conscience, c'est rien d'autre qu'une mauvaise mémoire." Le propos est marmonné par un taulard à un autre taulard sur le point d'être libéré. On est en 1972. Evan Riggs, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, est condamné à perpète pour un meurtre que le coma éthylique a effacé de son disque dur. Incarcéré depuis les années cinquante, il a pris sous son aile Henry Quin, lui-même meurtrier accidentel pour cause d'ivresse. Enfin libérable, Quin devra remettre une lettre à la fille que Riggs n'a jamais connue et que son frère shérif est supposé élever à Calvary. Passionnante intrusion dans l'intimité sulfureuse d'une petite ville texane.


Le Chant de l'assassin – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Claude et Jean Demanuelli – Sonatine – 496 pages – 22€ - ***–
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 4 août 2019



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mardi 17 septembre 2019

Sale temps sous le tartan



Une scène d'ouverture réussie, c'est souvent la garantie d'embarquer le lecteur jusqu'au terme de l'aventure. Val McDermid a su camper les seconds rôles, une bande de jeunes en virée dont certains ne survivront pas au prologue. Un accident que des tests ADN vont transformer en enquête au long cours pour la commandant Karen Pirie, en charge de l'unité des affaires historiques, les "cold cases" de la police écossaise. Difficile de résister au plaisir d'une escapade à Edimbourg.





Hors Limites – Val McDermid – Traduit de l'anglais par Perrine Chambon et Arnaud Baignot – Flammarion – 400 pages – 22€ - ***
Lionel Germain


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lundi 16 septembre 2019

Pink punk





Dans les quartiers sud de Chicago, Joe Meno installe le décor d'un roman initiatique où le héros, Brian, hésite entre un destin de star punk et celui d'amoureux transi d'une petite furie aux cheveux roses. L'auteur analyse les limites du bonheur tribal quand la recherche de singularité se heurte aux exigences d'un nouveau conformisme. 





La Crête des damnés – Joe Meno – Traduit de l'américain par Estelle Flory – Agullo – 384 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 15 septembre 2019



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samedi 14 septembre 2019

La saison du cerf



La Géorgie où Peter Farris nous invite à rencontrer ses personnages est un décor quasi intemporel. Les centaines d'hectares qui appartiennent à la famille Pelham, figure centrale du dernier roman publié en France, semblent hors d'atteinte des malédictions promises par les climatologues. Une nature sauvage où patrouillent les sangliers, les tatous et bien-sûr les cerfs attirés par la profusion des glands au pied d'un chêne plus fertile que les autres.  

On a pu découvrir avec "Le Diable en personne" que ce décor n'a rien du paradis originel. Le cauchemar américain est toujours provoqué par l'acharnement des hommes à construire un enfer sur mesure. Et c'est souvent du côté des hommes de Dieu que le mal prend forme. 






Dans la famille Pelham, il y a le père, amoureux de son domaine et désireux de le transmettre à son fils avec les valeurs qui s'imposent: respect du monde vivant et respect de l'animal qu'on tue pour se nourrir. Notamment le grand cerf, jamais considéré comme un trophée, simplement comme un tribut nécessaire à la survie du prédateur.





Mais dans la famille Pelham, il y a également la belle-mère et cet oncle prédicateur évangéliste dont l'église est une tire-lire cynique et malveillante. Quand le père meurt d'un "accident" provoqué, le fils affronte la cupidité du pasteur et ne doit son salut qu'à la rencontre d'un vagabond installé sur ses terres. Crime et rédemption, Peter Farris préserve l'espérance d'une humanité solidaire et humble face à la magie sans cesse renouvelée de la nature sauvage.

Les mangeurs d'argile – Peter Farris – Traduit de l'américain par Anatole Pons – Gallmeister – 336 pages – 23€ - ****  
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 1er septembre 2019



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vendredi 13 septembre 2019

Le prix du savoir


Tout est dans l'affreuse logique des prêts étudiants américains. Avec des notes médiocres, un élève est malgré tout accepté dans un établissement universitaire de seconde zone qui se verra crédité d'un revenu versé par l'état. Au terme de son parcours, l'étudiant, lui, devra assumer une dette astronomique. Les experts l'affirment, la catastrophe est programmée. En termes de fiction, personne ne peut rivaliser avec John Grisham pour transformer le dossier de presse en polar captivant. Ses trois personnages en rupture de fac  munis d'un faux titre d'avocat s'enfoncent dans les carambouilles. Avec une belle chute en point de mire. 


Les imposteurs – John Grisham – Traduit de l'américain par Dominique Defert – JC Lattès – 400 pages – 22,50€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 21 juillet 2019



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jeudi 12 septembre 2019

Les enfants de la Terre




Sur une trame classique de space opera, une réflexion sur les fins dernières de l’humanité. L’homme survivra-t-il à la mort de la Terre, et comment? L’idée de la colonisation d’astres lointains, suivie d’une terraformation, hypothèses envisagées aujourd’hui par les scientifiques, rencontre ici celles du transhumanisme. Demain, tous des dieux, encore des hommes? 





Dans la toile du temps - Adrian Tchaikovsky - Traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat - Lunes d’encre/Denoël - 578 pages - 24€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 27 mai 2018





mercredi 11 septembre 2019

Les yeux fermés




Cette unité spéciale n'existe pas et donc les super-héros qui la composent non plus. Pourtant, Jenny Aaron a un super pouvoir: elle est aveugle. Le personnage imaginé par Andreas Pflüger est crédible malgré toutes les invraisemblances auxquelles le lecteur est soumis. La scène inaugurale qui explique le handicap est menée à un rythme d'enfer. L'intrigue à base de vol d'œuvre d'art, de vengeance biblique et de haute trahison amoureuse malmène le raisonnable et comble notre besoin de merveilleux. Thriller haut de gamme.



Irrévocable – Andreas Pflüger – Traduit de l'allemand par Pierre Malherbet – Fleuve noir – 544 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain




mardi 10 septembre 2019

Sœur souffrance



Pour Alison, jeune artiste au physique ingrat à ses propres yeux, s'entailler profondément les poignets reste le seul moyen d'oublier une blessure ancienne et bien plus profonde que toutes les scarifications. Dans une maison de repos, Kitty a elle perdu le sens des civilités. Elle insulte les soignants en tentant de réapprendre le sens des mots et de percer les secrets d'une mémoire défaillante. Entre ces deux sœurs, règne le fantôme d'une troisième petite fille victime d'un accident sur le chemin de l'école. Un suspense construit sur la culpabilité, les non-dits et la complexité des liens familiaux.



Blood Sisters – Jane Corry – Traduit de l'anglais par Fabienne Gondrand – Pygmalion – 504 pages – 21,90€ - ** 
Lionel Germain




lundi 9 septembre 2019

Gregario




Le Tour de France est une tragédie dont l'huis-clos est un hexagone presque parfait. Doté d'escaliers aussi prestigieux que le Tourmalet, on y grimpe dans l'espoir d'un podium et parfois on y meurt sur une mauvaise descente. Le Mexicain Zepeda Patterson en restitue la sueur et les larmes. Celles de son héros franco-colombien initié à la douleur sur les coteaux de Medellin. Devenu le "gregario" de la vedette du Tour, il enquête sur d'étranges accidents avant d'espérer succéder au patron. Ambition, corruption, trahison: un polar au sommet.



Mort contre la montre – Jorge Zepeda Patterson – Traduit de l'espagnol par Claude Bleton – Actes Sud – 336 pages – 22,80€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 1er septembre 2019



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samedi 7 septembre 2019

Enfer numérique




Moira, une jeune française, rencontre à Hong Kong Ming Jianfeng, patron d'une société du numérique. Son objectif: devenir leader en matière d'intelligence artificielle grâce à DEUS, un programme auquel Moira est chargée de donner un supplément d'âme. Pendant ce temps-là dans la ville surpeuplée, l'inspecteur Chan enquête sur les meurtres de trois jeunes femmes, violées et torturées. Point commun entre toutes ces victimes: elles ont travaillé chez Ming.




Nouvelle variation sur cette prétendue "transparence" à laquelle nous condamnent les géants de l'Internet, le roman propose une immersion passionnante dans Hong Kong, destination polluée par tous les trafics qui jalonnent son histoire.  

M-Le bord de l'abîme – Bernard Minier – XO – 576 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 14 juillet 2019



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vendredi 6 septembre 2019

Guerre des mondes




Phocas, rouquin qui se dissimule sous une capuche pour sonder le cœur de sa ville, est un ancien centurion devenu empereur. On l'appelle l'Usurpateur. Il finira mal et le destin de Constantinople se retrouve entre les mains d'Héraclius dont le cousin Nicétas devient le bras armé. Épopée, trahisons amoureuses, basculement de l'Empire romain et menace d'une Perse hégémonique, tout concourt à faire de ce roman un très fidèle compagnon pour table de chevet. 




Constantinople – Baptiste Touverey – Robert Laffont – 504 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain




jeudi 5 septembre 2019

L'autre côté du rêve




Auteur-phare de la littérature nord-américaine du XXe siècle disparue en 2018, elle a été pressentie plusieurs fois pour le prix Nobel. À travers romans, essais, poèmes, retravaillant de l’intérieur les codes de la fantasy et du mainstream, elle traite des problèmes cruciaux de notre temps, le genre, l’écologie. Précieux recueil accompagné d’une bibliographie incitative.





Aux Douze vents du monde - Ursula K. Le Guin - Édition supervisée par Pierre-Paul Durastanti - Le Bélial’ - 397 pages - 24€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 3 juin  2018




mercredi 4 septembre 2019

Fin de liaison



Anna Ekberg a l'art de mixer les sentiments contraires. De la passion amoureuse à la haine conjugale, le trait de côte sépare soudain des zones irréconciliables. Dans l'amour à mort, il y a les deux termes du mystère que la romancière danoise observe à travers le regard d'un vieux flic. Au moment de marier sa fille, il se souvient d'une enquête inaboutie. Un couple désuni et le crime qui se voudrait réparateur mais ne provoque qu'une destruction massive du sens moral. L'architecture du mal inscrit parfois ses fondations sur un simple désordre amoureux.



Amour entre adultes – Anna Ekberg –  Traduit du danois par Laila Flink Thullesens et Christine Berlioz - Cherche Midi – 480 pages – 21€  – **
Lionel Germain




mardi 3 septembre 2019

Douce amère



Jérôme Leroy n'est jamais meilleur que dans cet entre deux, le réel et l'affliction, l'invention du monde et le regard porté sur l'effondrement d'un autre proche de celui dans lequel nous tentons de survivre. "Un peu tard dans la saison", des milliers de personnes se sont effacées des radars sans prévenir. On a parlé d'éclipse dans une Europe au bord du chaos. Écrivain, jeune femme des services secrets, les personnages cousinent de livre en livre. Après l'enfer, la "Douceur" qui règne désormais sur la France a quelque chose d'amer.



Un peu tard dans la saison – Jérôme Leroy – La Table ronde – 256 pages – 18€ - ***
Lionel Germain




lundi 2 septembre 2019

Dernier voyage organisé






On devine que la ligne qui relie Bogota à Varsovie ressemble à une longue traînée de poudre blanche. Le voyage organisé proposé à des Polonais sous le prétexte de tourner une pub pour une boisson gazeuse au nom prédestiné, mène directement à l'enfer des cartels. Troisième enquête publiée en France de l'inspecteur Mortka





La Colombienne – Wojciech Chmielarz – Traduit du polonais par Erik Veaux – Agullo – 416 pages – 22€ - ***  
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 1er septembre 2019



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