vendredi 15 février 2019

Gens des marais



Deuxième volet de la trilogie consacrée au Mississippi par l'auteur de "Brasier noir". Dans ce roman initial, on découvrait les rapports compliqués entre Penn Cage, maire de Natchez, et son père, le docteur Tom Cage mêlé à un épisode douloureux de la guerre raciale du Klan contre les Noirs. "L'Arbre aux Morts" met en relief la personnalité de Forrest Knox, en passe de devenir le chef de la police d'état de Louisiane et paradoxalement d'être sans rival sur le terrain criminel. La prohibition imposée par les églises est une aubaine pour développer le trafic de drogue et la prostitution. Mais se profile un vrai pactole avec l'ouragan Katrina. 





Une armée de prédateurs en col blanc est sur le pied de guerre pour interdire le retour des Noirs et spéculer sur la reconstruction luxueuse des quartiers détruits. De la légende de l'Arbre aux Morts héritée des Indiens Natchez, on est passé à la réalité sinistre de la condition noire et à ce que les esclaves appelaient l'Arbre aux chaînes dont la simple évocation vaut tous les commentaires. Quelque part au cœur du marais, le Klan y concluait ses chasses macabres.




Dans ce deuxième volet d'une trilogie qui s'annonce comme une œuvre majeure, Greg Iles déconstruit à la manière de James Ellroy l'histoire de cette Amérique pétrie de bible et de frustration et rouvre le dossier de J.F. Kennedy. Pas simplement pour interroger les indices d'un crime politique mais pour purger la mangrove de ce mal absolu toujours dissimulé sous les plis du drapeau confédéré.  

L'Arbre aux Morts – Greg Iles – Traduit de l'américain par Aurélie Trouchet – Actes Sud – 976 pages – 27€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 février 2019


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jeudi 14 février 2019

Sous la glace






Placé sous le signe de Carl Sagan qui écrivait "l’extinction est la règle, la survie est l’exception", ce thriller aborde une des conséquences entrevues récemment du changement climatique. Le permafrost va libérer en fondant d’immenses quantités de carbone, mais aussi peut-être des virus contre lesquels aucune espèce n’est immunisée. Un labo high tec en fait ici l’expérience.






La 6e extinction - James Rollins - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Leslie Boitelle-Tessier - Fleuve noir - 589 pages – 21,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er juillet  2018





mercredi 13 février 2019

Sur un air de poisse






Ce roman rappelle le bon vieux temps de la Série noire, la poisse ineffaçable dans laquelle s'engluaient les personnages de Goodis, Chase ou Thompson. Deux gamines, cloisonnées dans des rêves médiocres, s'évadent pour des épisodes de rébellion sans avenir. Mère alcoolique, beau-père gardien de prison et séducteur sans âme, les portraits sont saisissants.






Mauvaises graines – Lindsay Hunter – Traduit de l'américain par Samuel Todd – Série noire Gallimard – 288 pages – 22€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 février 2019



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mardi 12 février 2019

Une ombre au tableau






Comment une doctorante en religion, indifférente aux émotions mystiques, peut-elle un jour se trouver bousculée par la présence d'une ombre qui ne la quitte plus? Y a-t-il un rapport avec cette enquête sur une secte que lui a confiée la police? Ce deuxième roman du Brésilien ramène l'arrière-plan mystérieux d'un monde aveuglé par ses propres lumières. 





Malgré tout la nuit tombe – Antonio Xerxenesky – Traduit du brésilien par Mélanie Fusaro – Asphalte – 224 pages – 20€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 février 20



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lundi 11 février 2019

En désespoir de cause






"Je suis la fille à la moto (…) j'roule dans la vie au grand galop." Dani fredonnait ce refrain en 1966 mais Denis Soula préfère la poésie de Nick Cave. Le roman est un polaroid où se superposent les destins de deux femmes, le temps d'une nuit, la femme à la moto et une tireuse d'élite des services secrets, en désespoir de cause et le cœur lourd de trop de deuils.





Deux femmes – Denis Soula – Joelle Losfeld éditions – 114 pages – 12,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 février 2019




vendredi 8 février 2019

Crise de mère





Nina a prévu un voyage en Floride avec ses enfants et son nouveau compagnon. Sauf que Charlie, l'adolescente à problèmes, ne réapparaît pas au moment du départ. Pendant soixante pages, Nicci French nous broie les nerfs avec les préparatifs de cette escapade. Ensuite, on reste dans le sillage d'une mère face à l'incrédulité des autres pour tenter de retrouver sa fille. La prudence besogneuse des flics locaux ajoute à cette tension permanente de l'intrigue.




La vraie folie, elle, niche au cœur du personnage de Holly. Réédité chez Pocket, "Aide-moi" est une leçon magistrale de déconstruction des routines. Pour vivre au-delà du danger, Holly accumule les attitudes risquées (remettre un mec à sa place dans un bar) et se retrouve au bout de la nuit à dévider la pelote du grand hasard événementiel. Holly est une version réussie du Titanic. Elle ne craint pas les voies d'eau parce qu'elle a tout compartimenté mais le naufrage paraît quand même inéluctable.  

Charlie n'est pas rentrée - Nicci French - Fleuve Noir - 272 pages – 20€ -
Aide-moi - Nicci French - Pocket - 347 pages - 6,40€ - ***
Lionel Germain







jeudi 7 février 2019

Salut, Wolinski!





Tiré d’une nouvelle parue en 1975 et déjà dédiée au célèbre humoriste assassiné en 2015, ce livre-culte d’Andrevon est réédité alors que son futur proche est à nos portes et que le monde où nous vivons prend de plus en plus les tics et les tocs d’un scénar de thriller dystopique. Un roman coup-de-poing sans concession sur les dérives de nos sociétés: voici venir le règne des effaceurs, bêtes, méchants et tout-puissants.





Le Travail du furet - Jean-Pierre Andrevon  - Hélios - 313 pages – 7,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er juillet  2018




mercredi 6 février 2019

Le vieillard nu



Melchior est un commissaire de police qui vit dans un deux pièces rue du Château-des-rentiers à Fontenay. Sa femme Odile est morte. Sa petite amie Edith Mulot, la journaliste, a quitté la ville. Florence, la femme d'un ancien collègue victime d'un attentat du métro à Londres, le sollicite pour reprendre une vieille enquête sur la disparition d'un enfant. Vieux, fatigué mais soudain amoureux, Melchior est aussi l'apprenti romancier guère convaincu par "l'illusion du roman noir qui prétend au réalisme". 



Sans nier la part du déterminisme dans l'émergence d'une œuvre, il préfère le travail de police buissonnière à la sécheresse d'un procès-verbal et conjugue avec un malin plaisir toutes les impossibilités d'aboutir à ce thriller programmé. Cette "enquête sans élan" réserve d'agréables surprises au lecteur et "le vieillard" a beau être "nu", le voilà qui transfigure la nostalgie crépusculaire en rêve de jouvence. Demouzon  réussit du même coup un "roman noir" des plus subtils. 





Un amour de Melchior - Alain Demouzon - Fayard - 428 pages - 20€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – Août 2008





mardi 5 février 2019

Sud-Est à sciatique


Comment réveiller les cigales? Est-ce possible d'imaginer l'adorable ville de Sète en plein Trafalgar politico-mafieux? Dans un premier roman où la musique n'adoucissait vraiment pas les mœurs, Lilian Bathelot présentait quelques uns des futurs cadavres de ce nouvel épisode. Le Ministre de l'Intérieur et le préfet ont décidé d'avoir la peau du commissaire divisionnaire Lopez, sympathique pied-noir fâcheusement intègre.



Des hommes de main ont été embauchés par les services de sécurité du "Conseil local" dont le Président s'est rendu coupable d'un crime. On peut ne pas avoir lu le roman inaugural et se laisser complètement embarquer dans la "Théorie du K.O.". L'important, c'est la traque. Une fois la cible désignée, on sait que Lopez va avoir un mal de chien à se dépêtrer des combines fomentées par ses supérieurs pour lui clouer le bec. Services spéciaux contre Lopez, son lumbago et une poignée de pauvres bougres. Pastis garanti.     





La théorie du K.O. - Lilian Bathelot - Jigal - 196 pages – 15€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – Juillet 2008




lundi 4 février 2019

Prendre un bol d'air






La croissance folle a un prix. Les Chinois privés d'oxygène découvrent l'étendue du désastre. Dans un système fermé, la corruption et la pollution font bon ménage. Cette nouvelle enquête de l'inspecteur Chen, un régal d'érudition, nous plonge au cœur d'un monde empoisonné où se négocient en secret des cannettes d'air pur canadien. 





Chine, retiens ton souffle – Qiu Xiaolong – Traduit de l'anglais par Adélaïde Pralon – Liana Levi – 256 pages – 19€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 3 février 2019




vendredi 1 février 2019

Rose, c'est la vie



Chez Franck Bouysse, la terre transpire et se creuse sous le poids des souffrances. Une terre meuble dans laquelle se façonnent les âmes rudoyées, des paysages où dominent les clochers en semis, les moissons silencieuses d'hommes et de femmes qu'on dirait sortis d'un tableau de Courbet. De femmes surtout, comme dans "Glaise" justement. La Première Guerre les mettait non sans péril au cœur du nouveau monde en train de naître.



Dans ce nouveau roman, c'est Rose, femme d'un autre siècle encore, dont le témoignage nous parvient sous la forme d'un journal. Rose est morte dans un asile. Son journal est récupéré clandestinement sur son lit de mort par Gabriel, un curé auquel une inconnue a transmis l'information. C'est donc une première transgression que Gabriel s'autorise avant de devenir le médiateur de cette série de manquements à l'harmonie apparente de l'ordre social.




En racontant la chaîne des servitudes dont nous sommes les héritiers parfois sans mémoire, Franck Bouysse met en évidence l'assignation douloureuse des femmes. Là où le polar est ramené à sa filiation avec le conte, l'histoire de cette mère dépossédée de son seul bien inaliénable le renvoie à ses propres déterminants: la cruauté bien réelle du monde. Et ce portrait magnifique de Rose se nourrit de "la musique des mots magiciens", dernier refuge peut-être où se niche "ce qu'on appelle une âme".   

Né d'aucune femme – Franck Bouysse – La Manufacture de Livres – 416 pages – 20,90€ - **** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 27 janvier 2019



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