lundi 9 septembre 2024

Désespoir sur la Spree


Les mémoires d'outre-tombe se donnent parfois en préavis, registre obituaire de précaution où s'annonce la mauvaise nouvelle qui n'a pas encore eu lieu. Dans ce très beau recueil de "certains faits", Yasmina Reza flâne aux frontières des pas perdus, à l'écumoire des tribunaux. Elle y tamise des fragments de justice ordinaire, des drames essorés par le ressac des dossiers qui constitue l'auxiliaire contraignant des juges. Ce temps réducteur dont les coupables sont victimes, et les victimes oubliées dans le flux des procédures, est aussi le temps auquel se mesure la romancière.

"Un soir de l'hiver 2021, nous marchions tous les deux à Berlin le long de la Spree. (…)
Il faisait froid. J'ai dit: « Pouvons-nous marcher un peu plus vite Rainer?
- C'est difficile avec mon genou, et puis je ne suis plus aussi jeune qu'avant. » (…)
La promenade n'était plus la même. Par quel mauvais tour Rainer, que j'avais connu dans mon souvenir pas tellement plus âgé que moi, avec sa clope, son petit holster de cuir en bandoulière, se mettait à avoir quatre-vingt-un ans, ce chiffre absurde, affolant."

Les procès se traduiront en "minutes", et de ces "minutes" à celles qui floconnent sur nos calendriers, il y a un nuage de sens annonciateur de mauvais "temps". 




De Morandini à Tarik Ramadan en passant par Paul Bismuth, les chambres correctionnelles ont leurs stars. Des seconds rôles aussi qui occupent provisoirement le devant de la scène dans des remakes simenoniens où les criminels refusent la réalité de leurs crimes avant d'être effacés vingt ans par décision d'une cour d'assises. Comment réussir à évoquer le drame d'une mère qui a tué sa fille de sept ans?
 


Des flacons de larmes, du lourd et du dérisoire, comme un exercice de procédure comparée qui ramène au fait littéraire en exhumant le personnage de Fela Bialer dans "Un jour de plaisir" d'Isaac Bashevis Singer, en revenant aux "Hauts de Hurlevent", à "Absalon, Absalon" et au film "Babel" de Gonzalez Iñarritu. 

Un répertoire de "faits divers" n'est jamais qu'un raccourci vers le théâtre d'ombres où l'on se presse de mauvaise grâce.

"Ce coin de Berlin le long de la Spree, du côté du Berliner, où je suis retournée depuis même avec lui et même au printemps devant des gens qui dansaient le tango est lié à cette marche nocturne où le Temps s'est épouvantablement rappelé à moi."

Récits de certains faits – Yasmina Reza – Flammarion – 237 pages – 20€ - **** 
Lionel Germain