mardi 30 avril 2024

Roman noir pour rire (un peu)


Le pire jour de l’année pour beaucoup, dans cette petite cité résidentielle d’une probable banlieue bruxelloise ("cinquante appartements, plus de cent habitants en tenant compte des enfants" mais pas des animaux de compagnie), c’est bien celui de l’assemblée générale des copropriétaires. 


Le narrateur, critique littéraire de son état, voit avec un ennui mitigé d’amusement s’annoncer ces quatre heures de réunion qui promettent comme les précédentes d’être confuses, houleuses, et de voir trop souvent se déverser les haines mesquines des uns pour les autres. Comme d’habitude sa rêverie l’entraîne vers la vue reposante du lac dont il jouit depuis son balcon, ou l’anatomie attirante d’une jolie voisine. La découverte dans les toilettes du cadavre de l’un des leurs, assassiné d’un coup de couteau, rompt la monotonie de la réunion des copropriétaires. 



Sous-titré ironiquement "roman noir", - ironie soulignée par la couverture pleine d’humour de Loustal - ce petit livre relève plutôt de la comédie policière; étendant à un ensemble résidentiel le huis-clos devenu classique chez Agatha Christie par exemple, ici une île et ses dix personnages, là une rame de l’Orient-Express etc., l’auteur s’amuse à mettre en scène toute une humanité bigarrée de sentiments souvent peu honorables, avec une certaine empathie et, presque, de la compassion. 

Auteur de nombreux romans pour la jeunesse et de séries policières, Frank Andriat retrouve ici la plume sensible avec laquelle il aborde des questions parfois très graves, avec humour, légèreté, dans la lumière.

Mortelle assemblée de copropriété - Frank Andriat - Éditions Deville (Bruxelles) - 177 pages - *** - 20€ 
François Rahier



lundi 29 avril 2024

Futur sombre


Avec "Obsolète, Sophie Loubière, écrivaine majeure du polar hexagonal, rejoint le cercle de plus en plus large des auteurs de dystopies.


Deux siècles après le nôtre, nous observons les rescapés du Grand Effondrement rassemblés dans une civilisation du Recyclage aux accents orwelliens. Les femmes de plus de cinquante ans y sont priées de disparaître dans un mystérieux Domaine des Hautes-Plaines pour laisser s'exprimer la fécondité des plus jeunes. Que deviennent réellement les femmes "obsolètes"? Comment se défont les liens amoureux dans chaque couple? Et comment trois fillettes ont-elles pu être assassinées dans ce paradis où la médecine légale appartient à l'archéologie? 



Le suspense nous éloigne de l'évidence qui va nous cueillir au terme de l'intrigue. Emmenée par la novlangue orwellienne, et en lisière du cauchemar imaginé par Margaret Atwood, Sophie Loubière nous propose une surprenante excursion vers la sortie des ténèbres.

Obsolète – Sophie Loubière – Belfond noir – 528 pages – 21€ - **** 
Lionel Germain 


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lundi 8 avril 2024

Import-Export


Documenté avec précision mais sans jamais déborder sur le versant de la pure expertise judiciaire, le roman est à l'image de la série "D'argent et de sang" inspirée par le travail d'enquête de Fabrice Arfi: une très convaincante immersion dans les arcanes du trafic international de stupéfiants.


De Marbella, la "Californie" espagnole, aux palaces parisiens, ce sont avant tout des personnages de fiction avec lesquels on embarque pour un voyage mouvementé. Côté voyous, Junior, l'équilibriste du réseau, veut tout, tout de suite quand Youssef est un homme prudent et gestionnaire. Et côté flic, la commandante Ouazzani, empathique et déterminée, s'emploie à tronçonner l'arbre à came. Bernard Petit, ancien patron du "36", enfile tour à tour le costard des méchants et des gentils. 




Le Nerf de la guerre - Bernard Petit – Fleuve noir – 384 pages – 21,90€ - ***  
Lionel Germain



vendredi 5 avril 2024

Un mauvais cas d'école


Le harcèlement scolaire, ce n'est pas qu'une affaire de chahut organisé autour d'une cible un peu bousculée pour l'occasion. Amélie Antoine pose les jalons de ce qui se produit réellement des couloirs de collège au cruel emballement des réseaux dits "sociaux", nouvelle arène où l'on met à mort les victimes qu'une dictature adolescente a désignées à sa cohorte de "followers". 




La tortionnaire en chef s'appelle Sarah et sa victime Orlane. Atteinte d'un diabète sévère, Sarah  dissimule sa souffrance derrière une cruauté qui lui permet de détourner l'attention qu'on pourrait accorder à sa propre faiblesse. Pour ça, elle "offre" Orlane à ses camarades et transforme le quotidien de la jeune fille en cauchemar. 




On sait dans la réalité quelles peuvent être les conséquences terribles du harcèlement. Amélie Antoine propose avec intelligence les deux fins possibles au drame qu'elle nous raconte. Et le commentaire éclairé d'Emmanuelle Piquet, autrice de la postface, démontre au-delà du recours aux adultes qu'il existe aussi d'autres pistes pour apprendre aux enfants victimes à se défendre. Une œuvre à diffuser dans tous les établissements scolaires. 

Ne vois-tu rien venir? – Amélie Antoine, avec une postface d'Emmanuelle Piquet – Syros – 304 pages – 15,95€ - ***
Lionel Germain



mercredi 3 avril 2024

"Dark Theologian"


Stephen King, on a parfois l’impression qu’il reprend sa plume là où il l’avait laissée à la fin de son dernier bouquin. Et sa petite ville du Midwest, toujours-jamais la même, on dirait qu’on y a des souvenirs en commun, qu’on y retrouve des voisins, des amis. 




Ainsi Holly Gibney, le temps a passé depuis "L’Outsider", sa mère vient de mourir du covid, et l’on s’éloigne tant bien que mal des années Trump. À peine sortie du marasme, elle reprend du service, cherchant en même temps à faire son deuil et, enquêtant sur des jeunes gens disparus, à comprendre pourquoi le Mal fait si bien son lit dans le monde des hommes. 




Le Mal, c’est la grande affaire de King: dans un livre inédit en français, l’américain Douglas E. Cowan ne l’appelle-t-il pas "dark theologian"? Ici le comble de l’horreur tient peut-être à l’identité des prédateurs et à leurs misérables desseins.

Holly - Stephen King - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch. Albin-Michel - 522 pages - 24,90€ - ***
François Rahier 


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