mercredi 12 juillet 2023

Irrintzina




Le cri du défi basque qui selon certaines traditions fit surgir à Roncevaux les mythiques Gizandi retentit à nouveau dans ce livre étonnant. Au beau milieu d’un règlement de comptes entre factions indépendantistes, des créatures immémoriales surgissent, d’Irun à Bayonne, revêtues d’oripeaux carnavalesques. Pour le meilleur ou pour le pire? Un libraire abertzale va démêler l’écheveau, aux frontières du réel, affrontant des horreurs sans nom qui menacent peut-être beaucoup plus que l’ordre politique. 



Né à Bordeaux, vivant à Pamiers, l’auteur, sensible aux réalités basques, donne ici un thriller fantastique qui doit aussi beaucoup à Lovecraft.

Mascarades - Philippe Ward - Aïtamatxi éditions - 314 pages - 17€ - ***
François Rahier



mardi 11 juillet 2023

Dernière danse


C'est une trilogie qui s'achève et Nicolas Lebel l'avoue volontiers, il s'agissait avec ces trois romans de rompre un premier cycle de polars consacrés au Capitaine Mehrlicht pour tenter une incursion dans le thriller. Chaque intrigue se déploie autour d'une bande de criminels baptisée "les Furies" (en référence aux divinités vengeresses de la mythologie), et d'un autre personnage de policier, Yvonne Chen.


Une héroïne vraiment pas commode, capable de vous en coller une dans le buffet sur un simple changement d'humeur. Placardisée par ses chefs de la "Crim", elle joue les infiltrées pour un autre service. Et on ne sait plus trop sur quel chausson danser avec ces "Furies", des tueurs à gages qui pratiquent le pas de deux autour de leurs victimes. Yvonne, experte au double jeu sur un billard à plusieurs bandes, les pourchasse alors même que le maître de ballet la recrute pour exécuter un des deux frères propriétaires d'un vignoble dans les Vosges. 


Après "Le Gibier" et "La Capture", "L'Hallali" pourrait bien sonner la fin de partie pour l'héroïne atypique de Nicolas Lebel. Mais attention au changement de pied.

L'Hallali – Nicolas Lebel – Le Masque – 300 pages – 20,90€ - *** 

Lionel Germain


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version papier



lundi 10 juillet 2023

La ligne rouge de la terreur


Si la littérature française s'est déjà emparée de la lutte contre le terrorisme islamiste et de son arrière-plan historique (à commencer par les romans de DOA ou ceux de Julien Suaudeau), on assiste peut-être avec le scénario imaginé par François Dupaquier au franchissement de la dernière ligne rouge romanesque où le polar cède à la dystopie. 



Au départ de l'intrigue, son héroïne, Tara Vaillant, est pourtant une policière borderline fidèle aux archétypes du roman noir. Après la mort de sa mère, sa vraie famille loge au commissariat de Bobigny et elle partage son temps entre un lot d'addictions et quelques rencontres éphémères. Il faudra deux meurtres de repentis terroristes pour qu'elle renoue avec ses propres racines irakiennes et avec la "Lionne" du titre qui fait référence à une combattante, décidée à venger le massacre des Yézidis. 


François Dupaquier connaît bien ces zones de guerre. La ligne rouge qui hante l'imaginaire occidental s'inscrit désormais en termes de sécession sur une partie du territoire européen. Et ce qui rend le roman aussi terrible que passionnant, c'est la vraisemblance de l'avènement du crime.

La Lionne – François Dupaquier – Flammarion – 454 pages – 22€ - ***
Lionel Germain


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version papier


vendredi 7 juillet 2023

Grande soif du mal


On les voit errer dans nos rues, âmes en peine et corps en souffrance, les Nigérianes victimes de la prostitution organisée par les mafias africaines sont au cœur du dernier roman de Marin Ledun. Le polar démonte les rouages du crime pour mettre en évidence ses rapports consanguins avec l'économie globale. 


Ce qui était vrai dans "Leur âme au diable" avec l'industrie du tabac, s'applique encore dans "Free Queens" où une multinationale de la bière est le premier jalon d'une emprise sur les jeunes filles de Lagos. "Free Queens", dans le roman, est une ONG auprès de laquelle une journaliste française va tenter de comprendre et de dénoncer la pratique des réseaux criminels. Pour vendre sa bière, le patron recrute des hôtesses et mène une campagne de corruption institutionnelle qui implique aussi bien l'armée que la police. 




Dans un pays où les femmes "portent le fardeau de la preuve" en cas de viol, et où les maris ont le droit de "punir leurs épouses", seul un flic de la sécurité routière semble se révolter. Difficile d'endiguer la "soif du mal" mais le roman de Marin Ledun enlève l'envie de trinquer sur les comptoirs de Lagos.

Free Queens – Marin Ledun – Série noire Gallimard – 400 pages – 19€ - ***
Lionel Germain



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version papier


mercredi 5 juillet 2023

La cicatrice et la fossette


Le "nouveau" King est arrivé. Avec près d’un an et demie de gestation et d’écriture dans un moment difficile, le livre est un peu celui des années covid; l’auteur rend hommage d’ailleurs en fin d’ouvrage à tous ses amis connus et inconnus disparus dans la période et dont il dit porter le deuil. C’est ce qui donne peut-être sa tonalité particulière à un roman qui ressemble au "Talisman", écrit avec Peter Straub en 1984, la quête initiatique d’un ado égaré entre deux mondes, une reine à sauver, un environnement empreint de féérie et d’horreur. Mais la comparaison s’arrête ici. 




Charlie a 17 ans; lycéen studieux et sportif, il a perdu sa mère dans un accident, et son père, qui avait sombré dans la boisson, sort de sa dépendance, grâce aux Alcooliques Anonymes, mais peut-être aussi aux prières incertaines du garçon qui ne sait plus comment payer – à Dieu sait qui – la dette qu’il vient de contracter. 






La rencontre d’un vieillard grabataire et de sa chienne âgée et elle aussi en fin de vie, à qui il va se vouer éperdument, devenant soignant, assistant de vie, ne rechignant pas aux tâches les plus ingrates, va l’amener au Puits des mondes, un univers parallèle dont l’entrée se situe au fond d’un petit cabanon. 

Mais le "Conte de fées" à l’envers dans lequel nous plongeons alors avec Charlie est celui d’un monde miné par l’entropie, une étrange lèpre ronge les visages dont les traits s’effacent, tandis que d’obscures forces du mal s’acharnent à tout détruire.

Au cœur des décombres, le cœur brisé, le jeune héros se relève néanmoins et compose avec la souffrance, apprenant le sens de la réparation. Alors qu’il échange un baiser avec sa princesse aux lèvres mutilées, il se souvient d’un haïku appris un jour au collège: "Quand on aime, les cicatrices ont la beauté des fossettes". Le "nouveau" King est arrivé, empathique plus que jamais.

Conte de fées - Stephen King - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch - Albin-Michel - 728 pages - 24,90€ - ****
François Rahier



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lundi 3 juillet 2023

Double Scotch


Si vous cherchez un Dur-à-cuire qui tremble comme une rosière devant une flaque de sang, adoptez Harry McCoy. Devenu flic plutôt que truand grâce au hasard de sa famille d'accueil, c'est encore en taule qu'il a son meilleur pote, Cooper, dont les activités finissent toujours par intéresser les flics de Glasgow. "Les mois d'avril sont meurtriers" dirait le regretté Robin Cook, Anglais pur sauce à la menthe mais proche du "tartan noir" écossais par le style et l'inspiration.


 

Alan Parks s'est calé dans les années 70 et déroule un cycle de faits-divers qui en disent long sur la société britannique. Dans cet épisode on feint de redouter les tueurs de l'IRA mais ce sont des monstruosités bien plus anciennes qui hantent l'imaginaire de certains officiers. De quoi raviver l'ulcère de McCoy et l'inciter à suspendre les hostilités en plongeant au fond d'une bouteille. De Scotch évidemment.



Les morts d'avril – Alan Parks – Traduit de l'anglais (GB-Écosse) par Olivier Deparis – Rivages noir – 444 pages – 23,50€ - *** –
Lionel Germain