mercredi 31 mai 2023

Cold song


Une planète glaciaire, dont le sol regorge de ressources indispensables à la survie de l’humanité. Des milliers de forçats qui en explorent les entrailles. Trois têtes brulées prêtes à risquer le pire en échange d’une improbable libération. 




Jusqu’ici, les ingrédients classiques d’un roman d’aventures. Mais ce planet opera hyperréaliste servi par une écriture étonnamment maîtrisée pour un premier roman, est aussi une véritable ode à la liberté en milieu extrême, musicalement orchestrée comme une symphonie. Glaciologue préoccupé par le réchauffement climatique, l’auteur a accompagné plusieurs expéditions en Antarctique.





Le Chant des glaces - Jean Krug – Pocket - 460 pages - 9,70€ - ****

François Rahier



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mercredi 17 mai 2023

Peaux-Rouges, visages pâles et magie noire


Au commencement de cette mosaïque de nouvelles formant, à la fin, une histoire unique (comme dans les fix-up américains), il y a le père, François, fasciné par la guerre civile américaine et la figure du Général Custer, et le fils, Boris, trop tôt disparu, à "25 ans pour toujours", auteurs de textes souvent horrifiques influencés par Robert Howard et H. P. Lovecraft. 


Cette saga, où vampires et zombies interfèrent avec l’histoire officielle des États-Unis, sur fond de vaudou et de taoïsme, ne se prend jamais au sérieux, pastichant avec humour la célèbre série kitsch des années 60 "Les Mystères de l’Ouest", où les agents secrets James West et Artemus Gordon affrontaient le diabolique docteur Loveless. Un "weird western" qui montre combien le genre, loin des classiques histoires de cow-boys et d’indiens, peut être fédérateur, du polar au fantastique et à la science-fiction.




Les Sorciers de l’Ouest - Boris et François Darnaudet - Rivière Blanche - 294 pages - 22€ - ***
François Rahier

lundi 15 mai 2023

D'une rive à l'autre

 
"Toutes les guerres sont livrées deux fois, la première sur les champs de bataille et la seconde dans les mémoires". Et c'est bien-sûr à celle des mémoires que se consacre Viet Thanh Nguyen qui est né au Vietnam en 1971 mais s'est retrouvé dans un camp en Pennsylvanie après la chute de Saïgon. Devenu professeur à l'Université de Californie du Sud, il est aussi l'écrivain finaliste du National Book Award pour cet essai, "Jamais rien ne meurt", publié en 2019 en France en même temps qu'un recueil de nouvelles, "Les Réfugiés", qui prolonge par la fiction le travail de mémoire "comparée" sur la guerre du Vietnam.



Aussi passionnant que le point de vue "autobiographique" pakistanais d'Ayad Akhtar dans "Terre natale", celui de Viet Thanh Nguyen évoque bien-sûr la mémoire des vaincus sud-vietnamiens de Little-Saïgon en Californie avant de se déprendre d'une subjectivité envahissante pour mieux essorer le regard de l'autre. C'est soudain une critique corrosive et argumentée qui déferle sur la collection de préjugés dont s'énorgueillit le cinéma et la littérature américaine.


 
"Apocalypse Now a été vu partout, et beaucoup de gens acceptent sa vision du monde" qui oblige "le public à regarder en face la simultanéité de l'inhumanité et de l'humanité", et "en donnant à voir le cœur noir de l'homme blanc" le fait "au détriment de l'autre, qui est maintenu dans un statut simplement inhumain et présenté comme une terrible menace" ou "comme une pauvre victime anonyme".


Mais comme Ayad Akhtar, l'auteur nous parle de cet exil qui est aussi parfois une forme de mort, et c'est surtout dans le recueil de nouvelles "Les Réfugiés" que s'incarne ce face-à-face "avec cette peur humaine et xénophobe de l'étranger". De magnifiques histoires de filiation troublées par ce saut dans l'inconnu, ce passage de la guerre à la paix armée en terre souvent hostile, cette perte d'une patrie qui n'est pas réductible à la couleur d'un drapeau mais coalise des parfums, des chants et des couleurs condamnés à se dissoudre dans la nouvelle nation.



Les Réfugiés – Viet Than Nguyen – Traduit de l'américain par Clément Baude – Belfond – 216 pages – 20€ - nouvelles
Jamais rien ne meurt - Viet Than Nguyen – Traduit de l'américain par Valérie Bourgeois – Belfond 420 pages – 20€ - ****

Lionel Germain




vendredi 12 mai 2023

Les ados se font la belle


"Il faut toujours écouter ses enfants." C'est en partie grâce à eux que Sophie Loubière a démarré une carrière de romancière. Un jour de vacances et la découverte d'un panneau "dernier parking avant la plage" ont servi de déclencheur à ce bel atelier d'écriture. 




Un premier roman remanié qui nous ramène en 2003 dans une station balnéaire vendéenne en compagnie d'une jeune mère de famille. Seule avec ses deux ados, elle vient décompresser après une rupture difficile. Mais la douceur estivale est vite contrariée par une succession de disparitions d'adolescents. Et quand certains réapparaissent, ils sont étrangement condamnés au silence.




L'autrice nous offre un suspense subtil sur lequel se greffe une romance entre le veilleur de nuit de la station et la jeune femme. Les personnages justes et attachants, l'intrigue imprévisible et l'élégante fluidité du texte nous valent un polar idéal pour les soirées pluvieuses ou la prochaine escale sur le sable.

"Dernier parking avant la plage" fut aussi avec "Parking de nuit" au générique d'une série d'émissions que Sophie Loubière anima sur France Inter.

Dernier parking avant la plage – Sophie Loubière – Éditions Ifs, Phénix noir – 357 pages – 15€ - ***
Lionel Germain




mercredi 10 mai 2023

Rock, SF et Fantasy


Continuateur adolescent d’Edgar R. Burroughs pour le Tarzan Adventures dont il devint rédacteur en chef à 18 ans, Michael Moorcock est aussi considéré comme un des principaux représentants de la nouvelle vague qui bouleversa la SF des années 60. Il troqua bien vite cependant la technique expérimentale de ses narrations éclatées pour l’écriture beaucoup plus classique de nombreux cycles de "fantasy" devenus immédiatement populaires. 



Le dédain apparent qu’il affiche dans la préface directement écrite en français de ce gros recueil ne doit pas tromper: la fantasy de Moorcock, décalée, souvent déjantée, prend à rebrousse-poil les mythes et l’héroïsme. Son personnage le plus célèbre, Elric, nécromancien, anti-héros et albinos, cultive un romantisme désespéré, et, dans cette intégrale, Hawkmoon, le Champion éternel, enchaîné à un destin qui le dépasse, n’a rien d’un surhomme lui non plus. 



Un autre recueil révèle en même temps un Moorcock uchronique et steampunk, promenant ses personnages dans des rétro-futurs alternatifs où le dirigeable et la machine à vapeur sont du dernier cri. Une vue en coupe de siècles de sang, et de ténébreux millénaires revisités par une inspiration franchement libertaire. À lire en écoutant "Entropy tango", CD emblématique du groupe rock Michael Moorcock & The Deep Fix.

La Légende de Hawkmoon - Michael Moorcock – Omnibus - 981 pages - 25€
Le Nomade du Temps - Michael Moorcock - Traduit de l’anglais par Denise Hersant et Jacques Schmitt, Traductions révisées et complétées par Sébastien Guillot - Gallimard/Folio SF - 711 pages – 12,90€ - ***
François Rahier









vendredi 5 mai 2023

Anselme l'Africain


Quand la canicule s'abat sur Bordeaux en ce mois de juillet, Anselme Viloc est surpris par un coup de fil dans son bureau de Castéja. Un indice qui nous renseigne sur l'époque du roman. Castéja fut l'hôtel de police bordelais à partir des années 50 et Anselme Viloc, "flic de papier", est le héros décalé et rêveur que Guy Rechenmann promène parfois dans les coulisses de la grande histoire. 




En 1994, les téléphones portables sont encore de la science-fiction pour le grand public. Le "coup de fil" inaugural provient d'un adolescent troublé par la mort supposée accidentelle de sa tante à l'hôpital psychiatrique de Cadillac. Avocate en droit international des affaires, elle avait mis ses compétences au service d'une compagnie franco-américaine chargée de l'exploitation d'une mine de manganèse au Gabon. 



Guy Rechenmann se fait l'historien de cette période postcoloniale où les blancs sont vécus comme porteurs de malédiction. 
C'est donc bien au cœur de la sorcellerie africaine que Viloc va devoir chercher la clé de cette énigme. Héros d'un polar qui ravive le souvenir du roman d'aventure et culmine dans un pastiche inattendu d'Hercule Poirot. 

C'est pas sorcier – Guy Rechenmann – Cairn, du Noir au Sud – 328 pages – 11,50€ - ***
Lionel Germain



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version papier




mercredi 3 mai 2023

Quand la maison brûle...


Ils s’appellent Virginia, Ianov ou encore Asna, ils vivent en Californie, dans la Sibérie orientale, la région autonome du Kurdistan… Le monde cassé dans lequel ils errent, éperdus, ce monde où tout les sépare, l’arrogance des puissances d’argent, l’incurie des gouvernants face à la crise climatique, la guerre, le terrorisme, va redevenir maison commune quand le destin les rassemble au bout de leur chemin.


Dans ce futur proche, les saisons des incendies des hémisphères Nord et Sud se rejoignent dans des mégafeux aux conséquences dramatiques. Fuyant l’horreur d’un quotidien dévasté, leur histoire rappelle celle des okies de l’Amérique des années 30 victimes du Dust Bowl, et l’ombre du Tom Joad de Steinbeck plane sur ces colonnes de réfugiés. Une scène au cœur du livre le résume peut-être tout entier: le chemin de croix à travers la Sibérie dévastée de Ianov et de sa jument mourante, et la cohorte pitoyable des animaux blessés qui les suivent aveuglément. 



Ancien journaliste, Antonin Sabot est revenu vivre dans le village de son enfance, en Haute-Loire, où il a fondé une librairie autogérée. 

Le Grand Incendie - Antonin Sabot- Presses de la Cité - 279 pages - 21€ - ***
François Rahier


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