Partition rock

La vie, l'œuvre et la mort de Jimmy Hendrix est au cœur du roman de Stéphane Pajot. Les intrigues s'y enchâssent comme dans une course de relais bornée par les épisodes mystérieux voire fantasmés de la biographie du guitariste. Autour des personnages d'Issa le narrateur et de Tony l'arbitre, médiateur impliqué dans un double meurtre, l'auteur dessine le portrait d'un quartier "en marge" où la réussite se joue dans le trafic. Issa y a perdu son frère et retrouve ses racines au Maroc, à Essaouira, une ville dans laquelle le souvenir d'Hendrix anime le tourisme et peaufine sa légende. Roman hommage au guitariste, "Matos" est aussi une belle histoire de transmission.

Matos – Stéphane Pajot – Geste éditions Moissons noires – 230 pages – 7,50€ - ***
Lionel Germain

Version Papier

Pour un monde vert

Entre "Alice au pays des merveilles" de Lewis Carroll et "La Ferme des animaux" de George Orwell, ce roman vite devenu un classique de la littérature anglaise conte l’aventure inoubliable de quatre amis, la Taupe, le Rat, le Blaireau et le Crapaud – mais en anglais ce sont tous des messieurs – au sein d’une nature menacée par l’industrialisation  croissante en Grande-Bretagne à l’époque édouardienne. Sous l’apparente légèreté de la fable affleurent les défis d’une époque, l’éloge de la solidarité face aux comportements égoïstes, avec, en filigrane, l’ombre du poète Oscar Wilde.

 

Le Vent dans les saules  - Kenneth Grahame - Édition et traduction de Sophie Chiari - Le Livre de poche - 333 pages - 7,40€
François Rahier

Suicide assisté

Tomar Khan n'est pas le premier flic de fiction à se plier au réel. Les auteurs de polar ont pris acte de la disparition du 36 Quai des Orfèvres. Le héros de Niko Tackian a rejoint la rue du Bastion dans le 17ème, nouveau siège de la DRPJ parisienne. Malgré ses ennuis personnels, l'ordinaire du crime ne prend pas de congés. Une femme semble s'être suicidée et son corps est retrouvé dans une piscine des Buttes Chaumont. Avec Rhonda, sa collègue, Tomar Khan va découvrir que la baignade n'était pas désirée. Un bon polar sur les mécanismes de l'emprise.

Celle qui pleurait sous l'eau – Niko Tackian – Livre de poche – 282 pages – 7,70€ - ***
Lionel Germain

Frais d'agence

L'année 1973 imprime sa marque à ce roman de Lisa Sandlin et ravive de vieux souvenirs de lecture, un polar de Bill Pronzini mettant en scène son privé "sans nom" par exemple. Ici le privé s'appelle Tom Phelan. Il inaugure son agence en embauchant une secrétaire au tempérament prononcé. Delpha Wade sort de taule après avoir infligé une correction définitive à son violeur. On est dans le sud cajun, on y parle un français oublié, et le Bayou regorge de gibier de potence à débusquer. Le duo daté fonctionne à merveille pour ce premier roman déjà couvert de récompenses aux États-Unis.

Les samaritains du Bayou – Lisa Sandlin - Traduit de l'américain par Claire-Marie Clévy – Belfond noir – 336 pages – 22€ - 

Pocket – 384 pages – 8,60€ - ***

Lionel Germain

Lire aussi dans Sud-Ouest

Vertige de l'amour

C'est un vrai boulot au Japon. Pas recommandable mais lucratif. On les appelle les wakaresaseya  et leur activité consiste à séduire les épouses pour produire un flagrant délit d'adultère au mari désireux de divorcer. 

Dans un premier temps, Kaitaro le séducteur, fait le job avant de tomber amoureux de Rina, la mère de Sumiko. L'issue tragique de cette union transforme Sumiko en enquêtrice décidée à comprendre les ressorts de cette passion. Et les lois japonaises ne plaisantent pas avec l'amour. Stéphanie Scott nous offre alors une exploration passionnante de cette zone grise des relations conjugales japonaises où le machisme règne en maître. 

Ce qu'il me reste de toi – Stephanie Scott – Traduit de l'anglais (GB) par Denyse Beaulieu – JC Lattès – 380 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain

 

Rentrée des glaces

Patrice Gain, a eu le prix du polar Sud-Ouest-Lire-en-poche pour "Denali", un roman qui nous hissait au plus haut sommet des États-Unis, le mont McKinley en Alaska, à plus de 6000 mètres d'altitude. Cet amour pour le contraste entre froid polaire et mauvaise chaleur des passions humaines se délocalise une nouvelle fois avec "De silence et de loup" qui met en scène Anna, journaliste piégée aux confins de la Sibérie. 

Rien ne se passe bien sur cette banquise où elle affronte l'hiver avec une équipe de scientifiques. Tous les maux d'une humanité corrompue se concentrent sur le glaçon, mais on les reconnaît aussi dans le silence d'une chartreuse qui accueille le frère d'Anna en quête d'une étrange rédemption. Pour Patrice Gain, si l'homme était vraiment un loup pour l'homme, le monde serait sans doute plus fréquentable.

De silence et de loup – Patrice Gain – Albin Michel – 272 pages – 17,90€ - ***
Lionel Germain 

Au creux de la vague

Elle est d'une étonnante faiblesse. Ses maux de ventre la surprennent et son mari s'étonne d'une récurrence de ses "gastro". On devine que cette histoire ressemble aux plus affreux des faits divers. Agnès Laurent, grand reporter, a su se défaire d'un regard distancié pour épouser l'humeur de cette femme étrangère à la vie qui pousse en elle, pour déchiffrer la panique et le sentiment de culpabilité du mari. 

Pour que la coupure de presse devienne un roman, il fallait cette empathie. Elle nous installe au cœur de la souffrance du couple. La femme interroge sa peur, lui refuse de la réduire à la monstruosité de ses actes. Au creux de la vague, le "mal" de mère pointe aussi l'absence du père.

Rendors-toi tout va bien – Agnès Laurent – Plon – 210 pages – 19€ - ***
Lionel Germain 

Retour de variant

Depuis la parution du premier tome de ce thriller d’anticipation il y a deux ans, le monde a connu la pandémie du covid-19. Dans le roman aussi, le virus à l’origine d’une évolution à rebours de l’humanité a muté. Et les erectus, parqués dans des réserves et devenus féconds constituent une menace pour la Terre entière. Au-delà des codes du genre, ce roman écrit par un scientifique pose la question des transformations majeures que subit en ce moment la planète et de l’extinction possible de certaines espèces. Sur le court terme il s’interroge aussi sur les parades sanitaires envisageables à l’avenir pour enrayer de nouvelles pandémies.

Erectus: l’armée de Darwin - Xavier Müller - XO éditions - 487 pages -  19,90€
François Rahier 

Lire aussi dans Sud-Ouest

Dix au compteur Geiger

Dans sa préface, Thomas Bauer qui a déjà écrit un ouvrage sur Henri Decoin, rappelle cette "dilatation progressive de la rêverie" évoquée par Gaston Bachelard. Une façon d'expliquer les quelques 150 pages consacrées aux quinze rounds de "Battling" contre Ralph Geiger, le champion d'Allemagne.

Ce roman paru en feuilleton avant d'être publié en 1926 par Flammarion, est d'abord le pari d'une caméra subjective embarquée dans la tête de Battling, poète animé par la haine de soi et la rage d'en découdre avec panache. On sait que le combat finira mal pour lui puisque Battling, désormais locataire d'une chambre en asile psychiatrique, est condamné à revivre jour après jour la séquence cruelle sur le ring. Une éternité pour compter jusqu'à dix.

Quinze rounds – Henri Decoin – Préface de Thomas Bauer – L'Arbre vengeur – 180 pages – 15€ - *** 
Lionel Germain