lundi 30 novembre 2020

Bijoux de famille




Un couple de flics, Virginie Sevran et Pierre Biolet, enquêteurs à la DRPJ de Versailles, se retrouvent autour du cadavre d'un bijoutier dont la femme a également disparu. Cécile Cabanac s'attarde juste assez sur son personnage de femme flic en immersion dans un quartier où les différences de classe sont visibles à l'œil nu. On dit que les diamants sont éternels mais ceux qui s'en approchent ont parfois une espérance de vie médiocre. Polar peinard.




Requiem pour un diamant – Cécile Cabanac – Fleuve noir – 458 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain




samedi 28 novembre 2020

Bleue de toi


Quand on dit que le voyage est plus important que la destination, ce n'est pas qu'une brève de comptoir. La métaphore amoureuse est la meilleure illustration de l'adage si joliment effilé par le dernier roman de Nadine Monfils.
 



Elle nous avait séduits avec "Le rêve d'un fou" sur les traces du Facteur Cheval. La voilà qui met en scène l'escapade d'une vieille dame à la recherche du grand amour de sa vie. "Bleue de toi", comme disent les Belges. Accompagnée de Frank, un chauffeur de taxi débordant de tendresse, elle nous administre la preuve que les bons sentiments peuvent aussi nous offrir une jolie parenthèse dans la mélancolie contemporaine.





Le Souffleur de nuages – Nadine Monfils – Fleuve éditions – 180 pages – 15,90€ - ***     
Lionel Germain


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vendredi 27 novembre 2020

Femmes à abattre


"Les femmes sont généralement tuées à la main, ou avec quelque ustensile ménager qui pèsera lourd sur leur crâne, parfois elles sont poignardées avec un couteau de cuisine. Elles sont tuées sans trop de cérémonial, elles sont tuées sans trop de manières, elles sont tuées par la seule volonté de leur bourreau, elles sont tuées modestement pourrait-on dire. Elles sont tuées par des coups portés dans le secret des alcôves familiales. Et il faut souvent plusieurs années pour que des violences conjugales finissent en bain de sang. Il faut des habitudes qui s'enveniment et des ressentiments qui s'exacerbent… et parfois, il suffit d'une simple soirée alcoolisée et l'alcool sera accusé du crime."




Les Militantes – Claire Raphaël – Rouergue noir – 224 pages – 18€ - *** 



Lire aussi sur le site de l'éditeur.




jeudi 26 novembre 2020

Pays perdu

 



Salué par Graham Greene dès 1946, mort il y a un peu plus de 50 ans, Peake fut ignoré en France de son vivant. Un château démesuré, labyrinthique, des personnages excentriques et grotesques, une intrigue à la Dickens. Et surtout un pays où l’on n’arrive jamais dans lequel André Dhôtel qui aida à la découverte de ce monument de l’imaginaire chez nous en 1974 se reconnut bien évidemment.





Le cycle de Gormenghast - Mervyn Peake - Avant propos de Michael Moorcock, Préface et bibliographie de Jacques Baudou – Omnibus - 1184 pages – 31,50€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 13 mai 2018



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mercredi 25 novembre 2020

Mauvais karma


Le tueur ici n'est pas l'archétype du sniper qui vous démonte un gun en 15 secondes sans ôter ses Ray-ban. C'est encore un roman sur la pathologie du loser à la française en vogue dans le polar des années 80, en l'occurrence un comptable, vieux, chauve, petit, laid et atteint d'une maladie de peau. Il déteste d'ailleurs les hommes jeunes, virils, grands et beaux. Sans doute une raison pour supprimer les "tombeurs de ces dames". 




Accomplissant sa tâche avec un zèle particulier, il accumule les souvenirs de ses crimes comme on remplit un album de photos. Quand il prend ses vacances dans un coin tranquille à la campagne, il promet de ne plus tuer personne. Seulement, voilà, on ne fait pas toujours ce qu'on veut. Beaucoup moins drôle que le Keller de Lawrence Block mais Christian Oster n'avait pas l'intention de nous faire rire avec ce personnage au mauvais karma.




La pause du tueur – Christian Oster – Engrenage n°97 Fleuve noir (1984) - **
Lionel Germain





mardi 24 novembre 2020

Marché noir




Shelby Foote est mort en 2005 et ce sont les éditions Denoël en 1981 qui ont d'abord publié ce "September, September" vibrant d'un sud à la Faulkner. Spécialiste de la guerre de Sécession, Shelby Foote choisit une date clé pour situer son intrigue, celle de ce mois de septembre 1957 où le gouverneur de l'Arkansas s'oppose à la Constitution en interdisant l'entrée au collège de Little Rock à neuf étudiants noirs. Quand de surcroit, trois bras cassés blancs enlèvent un jeune garçon noir pour une rançon, l'Amérique se révèle telle qu'en elle-même.



September September – Shelby Foote – Traduit de l'américain par Jane Fillion, traduction révisée par Marie-Caroline Aubert – Gallimard La Noire – 432 pages – 21€  - ***
Lionel Germain





lundi 23 novembre 2020

Vacances pénitentiaires

 


Pour le sixième épisode de ses aventures, Helen Grace fait très fort. L'inspectrice de Southampton est derrière les barreaux dans une prison où cohabite une collection de criminelles qu'elle a contribué à faire condamner. M.J.Arlidge s'amuse beaucoup à nous faire peur avec son héroïne dont tout le monde souhaite la mort. En attendant que sa collègue prouve son innocence à l'extérieur, Helen ne trouve rien de mieux à faire que d'enquêter sur une série de meurtres à l'intérieur de la prison. On ne se refait pas.



À cache-cache – M.J. Arlidge – Traduit de l'anglais par Séverine Quelet – Les Escales – 320 pages – 21,90€ - **
Lionel Germain




samedi 21 novembre 2020

Le roi des privés d'Espagne


Comme souvent dans le polar, la victime n'était pas un ange mais un entrepreneur tellement corrompu que la moitié de l'Espagne, cette moitié qui tient les cordons de la bourse, lui avait versé son obole. Un flic honnête (ça existe aussi dans le polar) privatise donc la procédure pour ne pas insulter l'avenir, et la confie à Txema Arregui, le privé le plus déjanté de la péninsule ibérique.




Après "Je reste roi d'Espagne", Carlos Salem remet en selle ce détective emprunté à la "mythologie du roman et du film noirs" mais qui n'a de cesse de la faire mentir. Quand Sherlock Holmes avait un faible pour la solution prohibée à 7% de cocaïne, Txema Arregui dope ses petites cellules grises dans la fréquentation des sex-shops. Les femmes fatales ne sont ni blondes ni rousses, elles ont les cheveux verts. Dalia Aguilar, cheveu vert et manteau rouge, cliente entre deux portes, le charge de retrouver son chat Patty. 



Tout Carlos Salem se niche dans l'humour tendre de ces errances déductives, des personnages frôlés dans le flou sépia d'un vieux film sans qu'on ne soit jamais saisi par le ridicule. Et bien-sûr, en guest-star, associé improbable du détective, Johnny Bourbon, roi émérite avide d'échapper au décor guindé du Palais de la Zarzuela, à sa mauvaise conscience de chasseur de fauves et à l'ennui d'une retraite forcée.

Méfions-nous des femmes aux cheveux verts, des "Dahlia rouges" qui ont perdu leur chat, mais admirons ce duo fantasque, le Roi d'Espagne et Txema Arregui, cherchant à redonner du sens au combat aussi absurde qu'éternel que se livrent le "bien" et le "mal". "Tous les Juifs ne sont pas des banquiers, pas plus que tous les musulmans ne sont des terroristes ni tous les Gitans des dealers."

Et si Carlos Salem pense encore que le coupable ce n'est pas le majordome mais le "système", le lecteur lui s'en moque un peu. Ce qu'il veut, c'est prolonger le plus longtemps possible cette virée insolente avec le Roi des privés et son pote le "dur-à-cuire".
  
La dernière affaire de Johnny Bourbon – Carlos Salem – Traduit de l'espagnol par Judith Vernant – Actes Sud actes noirs – 224 pages – 21€ - ****
Lionel Germain



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vendredi 20 novembre 2020

Mise en bière




Intrigue inspirée d'un fait divers qui a ému une petite ville bavaroise plus habituée à pratiquer la mise en bière au comptoir qu'au moyen violent d'une mise à mort. En 1922, l'assassinat de deux femmes, mère et fille, aboutit à l'arrestation d'un jeune homme qui fréquentait l'une des victimes. Délinquant aspiré dans le sillage d'un psychopathe jusqu'à l'acte criminel ultime, c'est un portrait tout en nuances que brosse Andrea Maria Schenkel.





Tromperie – Andrea Maria Schenkel – Traduit de l'allemand par Stéphanie Lux – Actes Sud – 224 pages – 21,80€  - **
Lionel Germain




jeudi 19 novembre 2020

Underground vs monde réel




On connaît l’ancrage des comic strips dans la culture dominante, genre Flash Gordon. Mais les super-héros moins convenables des fascicules populaires émargeaient plutôt à gauche, corrigeant Hitler dès les années 30 ou promouvant l’émancipation de la femme. On les retrouve ensuite aux côtés des noirs américains, ou carrément LGBTQ. Détail amusant: le livre donne aussi les clés du "hoodie", le sweat à capuche devenu référent mondial des ados.




Super-héros, une histoire politique - William Blanc – Libertalia - 357 pages - 17€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 13 octobre 2019




mercredi 18 novembre 2020

Boucles d'or




Thriller qui allie le sens du merveilleux à la détermination d'un adolescent échappé d'un roman de Dickens, "Arrêt d'urgence" présente trois enfants abandonnés par leur mère au bord de l'autoroute pour cause de panne. C'est bien-sûr la montée de l'angoisse quand celle-ci ne réapparaît plus. L'aîné devenu chef de famille se transforme alors en "Boucles d'or" pour subvenir aux besoins de sa petite fratrie. Quant à l'enquête sur cette mystérieuse disparition, elle permet de découvrir un savoureux couple de flics.



Arrêt d'urgence – Belinda Bauer – Traduit de l'anglais par Christine Rimoldy – Belfond noir – 400 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain




mardi 17 novembre 2020

Gémir n'est pas de mise



Elles sont cinq jeunes femmes invitées par les éditions Servane Astine à participer à l'atelier d'écriture dirigé par Pierre Yves François. L'une d'elle, commandante de police, a même eu l'autorisation d'amener son mari gendarme. Michel Bussi ne parodie pas Agatha Christie, il invente sa mécanique policière dans le décor de rêve des Marquises. Chaque mort dans ce huis-clos ensoleillé est un chapitre du roman à énigmes que tentent de déchiffrer l'adolescente, fille de l'une des disparues, et Yann, le gendarme. Un agréable divertissement rythmé par les accords de Brel.




Au soleil redouté – Michel Bussi – Presses de la Cité – 430 pages – 21,90€  – *** 
Lionel Germain





lundi 16 novembre 2020

Classico




Variation chandlérienne sur les standards du roman noir: flic poivrot, âme blessée, ville pourrie et nuit désespérante. Il ne reste plus à l'alto magique de Charlie Parker que de donner le tempo. Dans cette ville de Naples à l'atmosphère aussi apaisée que l'arrière-salle d'un speakeasy, quelques mesures de blues suffiront à l'inspecteur Denis Carbone pour chercher à comprendre le destin des putains moldaves. Classique comme le Palazzo Capone de la via Santa Brigida.




Fragile est la nuit – Angelo Petrella – Traduit de l'italien par Nathalie Bauer – Éditions Philippe Rey – 176 pages – 19€ - ***
Lionel Germain




samedi 14 novembre 2020

Chasses gardées

Quand Patrick Cargnelutti nous assigne au commentaire du réel, le romanesque se saisit heureusement de ses personnages. Et des plus vicieux d'abord, comme ce Cyrille Varennes, ancien des forces spéciales calibré pour les coups fourrés en Afrique. 



Son surnom, c'est la "hyène" et son terrain de chasse la région des Grands Lacs. C'est lui le héros négatif auquel nous renvoie Céline cité en exergue: "le goût profond de l'homme, c'est la mise à mort douloureuse, c'est la vivisection sous ses yeux, voilà ce qu'il veut voir." Et voilà derrière les masques ce qui permet au réel de ressurgir: le pillage de la forêt, la prédation des multinationales, le malheur planifié des populations. Le roman noir du monde. 




Succession – Patrick Cargnelutti – Piranha – 368 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain



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vendredi 13 novembre 2020

Mourir d'aimer




L'assassinat d'une jeune fille, ancienne mini miss, provoque l'arrestation d'un coupable idéal. La demi-sœur de la victime mène l'enquête et révèle les zones d'ombre de leurs histoires respectives. La question semble incongrue mais une femme peut-elle tomber amoureuse d'un prédateur en déniant à quiconque l'idée d'une manipulation? C'est ce point de vue qu'essaie d'analyser Amy K. Green dans un premier roman très efficace.





Reine de beauté – Amy K. Green – Traduit de l'américain par Sarah Tardy – Belfond noir – 416 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain




jeudi 12 novembre 2020

Mémoire de l'âge d'or




Romans, nouvelles, scénarios de BD, pendant 50 ans il a œuvré pour le genre, aux côtés de son épouse Leigh Brackett – qui travailla elle-même sur "Star Wars". Des origines à nos jours le space opera lui doit beaucoup, les super héros des comics également. Un passionnant dossier, sous la houlette de deux bordelais, Francis Valéry et Laurent Queyssi, une utile piqûre de rappel pour ceux qui ignorent encore que la SF a une histoire.




Edmond Hamilton: le roi des étoiles - revue Bifrost n° 90 - Éditions du Bélial’ - 190 pages - 11€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 6 mai 2018





mardi 10 novembre 2020

Nounou mystère




Pour installer l'ambiance, rien ne vaut un manoir, une aristocrate et la disparition mystérieuse d'une nounou en 1987. Quand Gilly Macmillan a planté le décor, le lecteur se glisse dans la peau de Jocelyn, la fille de l'aristocrate qui réintègre le giron familial après la mort de son mari. Ne reste plus que l'angoisse à convoquer en faisant surgir la nounou disparue, prête pour un nouveau départ avec la fille de Jocelyn. Ça grince dans la romance et Gilly Macmillan ne rate pas sa sortie.




La Nanny – Gilly Macmillan - Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet – Les Escales – 432 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain




lundi 9 novembre 2020

Femme d'intérieur



Les Islandais nous ont habitués à l'audace démocratique, un segment du réel que le personnel politique français a zappé depuis longtemps. On y redécouvre la "vérité", la "simplicité", et un rapport au monde sans filtre et sans porteur de parapluie à la descente de la limousine. Lilja Sigurdardottir explore cet espace où le ministère de l'intérieur est occupé par une femme, Ursula. Les hommes ne sont pas meilleurs qu'en France mais l'audace démocratique a rendu les institutions plus solides. Malgré la corruption, les coups bas et un couple en péril, Ursula résiste.



Trahison – Lilja Sigurdardottir – Traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün – Métailié – 330 pages – 22€ - ***
Lionel Germain




samedi 7 novembre 2020

Une vingt-cinquième image par seconde

 

"Que faisais-tu avant d'avoir ces diamants?
Je les voulais."
Le dialogue entre Charles Boyer et Hedy Lamarr est tiré du film "Algiers" de John Cromwell, adaptation américaine en 1938 de "Pépé le Moko" de Julien Duvivier réalisé un an plus tôt. Cette Hedy Lamar si troublante dans son tête-à-tête avec Charles Boyer auquel dans son réduit de la Casbah d'Alger elle demande s'il connaît Paris: "La rue Saint Martin, Champs-Élysées, la Gare du Nord"…, toute la mélancolie de l'exil en quelques répliques, et cette présence de l'actrice autrichienne qu'on retrouve au cœur d'une super production littéraire de Dominique Maisons.

Quelques années plus tard, très précisément le 17 mars 1953 dans le Comté de Nye au Nevada sur le site de l'essai Mercury, la star s'appelle "Annie" et elle provoque un magnifique champignon scénarisé par l'armée américaine.




Santino Starace, prêtre catholique qui ne croit plus en Dieu continue d'officier pour les âmes noires de Las Vegas. Sa chapelle en bois construite par de vrais chrétiens est le seul monument authentique du Las Frontier Village, ville de pionniers en toc, où le saloon en mars 1953 est décoré aux couleurs radioactives de cette bombe qui a explosé au Nevada. 




Les mafieux qui tirent les cordons de la bourse hollywoodienne espère l'indulgence de la Legion of Decency du père Starace pour "Tant qu'il y aura des hommes", le film avec Frank Sinatra, un protégé de la "Famille". Starace lui n'a d'indulgence que pour la sensualité irrésistible de son jeune amant mexicain. Ce qui lui vaut l'attention des services secrets de l'armée et notamment du Major Chance Buckman, lui-même menacé par ses dettes de jeu auprès des bookmakers. Contraint par ses supérieurs de faire équipe avec Annie Morrison, une rousse aussi flamboyante que la bombe du Nevada, Buckman est sommé de rassembler des producteurs indépendants pour contrer la puissance des "Majors". 

Les syndicats du crime n'ont pas mis la main sur les studios. Ce sont les studios qui se sont développés sur la plus-value du crime, chaque producteur ayant son frère jumeau au bureau du vice organisé: "La MGM tenait son propre bordel, chaque studio avait son revendeur de drogue.

Dominique Maisons nous raconte comment la toute-puissance qui champignonne dans le désert du Nevada s'appuie sur un outil de domination non moins massif concocté sous les spots de la MGM. Larkin Moffat, producteur dans la débine aimerait tourner "Don Quichote" mais il en est réduit à des westerns crépusculaires avec de vieux acteurs alcooliques et toxicomanes. C'est sur lui que parie l'armée à hauteur de deux millions de dollars empruntés à la mafia. Quand l'USAir Force autorise l'apparition des dernières merveilles de son arsenal, il est logique qu'elle impose son droit de regard. Ou qu'elle s'intéresse de très près au tachitoscope qui consiste à insérer une vingt-cinquième image par seconde pour créer une "suggestion hypnotique" sur un produit masqué, boisson gazeuse ou bannière étoilée. 

Au-delà du pacte moral détaillé par la Legion of Decency, se profile également la question raciale. L'agent de la CIA infiltré dans les sphères dirigeantes de la Paramount exige une vision pacifiée du "nègre" que démentent les lois toujours ségrégationnistes en vigueur.

Mais les deux millions de dollars nous ramènent peu à peu aux fondamentaux du polar. Là où planent toujours les fantômes épinglés par Kenneth Anger dans "Hollywood Babylone", Dominique Maisons confie les plus beaux rôles à des femmes vraies ou inventées. Son portrait d'Annie Morrison qui a gagné ses galons dans l'armée après avoir refusé un statut de "veuve de guerre", celui plus troublant de Liz Montgomery qui rôde dans le sillage sensuel d'une starlette, et la réinvention magique d'Hedy Lamarr, nous renvoient aux grands classiques du roman noir, aux familles toxiques de Ross McDonald ou aux femmes perdues de Raymond Chandler.

Avant les diamants – Dominique Maisons – Éditions de La Martinière – 520 pages – 21,90€ - ****
 Lionel Germain



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vendredi 6 novembre 2020

Boboland



La gentrification est un mot qui résume dans ses sonorités la sécheresse des phénomènes qu'il recouvre. Eva Dolan abandonne les problèmes de l'immigration qu'elle analysait dans ses deux premiers romans. On se retrouve avec un couple de militantes engagées dans toutes les luttes contre le "système". À l'occasion d'une fête organisée pour célébrer le recul provisoire des promoteurs, un homme est tué. Accident ou meurtre? Eva Dolan s'infiltre dans la conscience politique des deux femmes. Du passé, on ne fait jamais vraiment table rase. 



Les oubliés de Londres – Eva Dolan -  Traduit de l'anglais par Lise Garond – Liana Levi – 400 pages – 21€ - ***
Lionel Germain



 

jeudi 5 novembre 2020

Fracture sociale




Opportunément réédité, ce roman écrit il y a un demi-siècle raconte le parcours initiatique d’un adolescent dans une Angleterre coupée en deux: la caste dirigeante, réfugiée dans un Eden campagnard où se perpétuent les fastes de l’Empire, parque la majorité démunie dans des mégalopoles surpeuplées, la gavant de jeux violents et d’images, sans hésiter devant la camisole chimique quand le contrôle social n’opère plus.




Les gardiens - John Christopher - Traduit de l’anglais par Jean La Gravière – Mijade - 252 pages - 8€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 20 octobre 2019



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mercredi 4 novembre 2020

Méchamment justes



Rien ne ressemble moins en apparence à une histoire de justiciers que le roman farceur de Benoît Philippon. On y joue au poker dans des endroits insalubres avec un ramassis d'ordures sans foi ni loi. Seulement au féminin, ça donne "joueuse" et Maxine n'est pas du genre à se laisser marcher sur la quinte flush. Le héros masculin, Zack, a été élevé à la dure. S'il ne se refuse rien à une table de poker, il a gardé un sens moral intact. Avec Maxine et son pote Baloo, ils forment un trio inattendu de redresseurs de torts. Méchamment justes.




Joueuse – Benoît Philippon – Les Arènes Equinox – 368 pages – 18€ - ***  
Lionel Germain





mardi 3 novembre 2020

Personne ne bouge




Dans le silence obscur d'une chambre, une jeune femme est étendue sur un lit. Barbara Abel tisse le désarroi familial au chevet de Jeanne, figée dans un coma qui semble irréversible et suscite le débat contradictoire habituel. Peut-on oui ou non débrancher les machines? Le polar réserve cependant des surprises dont la simple énonciation relèverait de l'indécence ou de l'horreur. L'autrice a acquis un savoir faire impressionnant dans la mécanique des âmes, et celles de ses personnages sont particulièrement retorses.



Et les vivants autour – Barbara Abel – Belfond – 448 pages – 19€ - *** 
Lionel Germain




lundi 2 novembre 2020

La dernière frontière du réel


Bellacosa, dénicheur indépendant d'engins de chantier arpente un comté imaginaire du Texas où bruissent les rumeurs des mafias mexicaines. Notamment celle concernant la mort d'El Gordo Pacheco, mafieux de légende dévoré par ses autruches après avoir réussi l'exploit de ressusciter le dodo de Maurice, un oiseau emblématique de l'île disparu au seizième siècle. Avec Fernando A. Flores, on se croirait dans un cauchemar imaginé par Raymond Roussel. Son Amérique ne nous surprend que par un effet de loupe sur les monstruosités en gestation autour de nous.



La dernière frontière enferme le Rio Grande entre deux murs. Le règne des cartels accompagne celui de toutes les corruptions dont les scientifiques paient le prix, condamnés à reprogrammer la faune en laboratoire, comme ce cochontruffe aux larmes de lait, totem d'une tribu elle-même exterminée.
Il est peut-être superflu de convoquer le "réalisme magique" dès qu'un auteur d'origine sud-américaine mêle des éléments fantastiques à une intrigue où l'anticipation sert à grossir le trait de nos frayeurs contemporaines. 



Mais Fernando A. Flores, poète et libraire d'origine mexicaine installé aux États-Unis, adopte une neutralité narrative très efficace pour donner du crédit à cette réinvention du monde.

Les larmes du cochontruffe – Fernando A. Flores – Traduit de l'américain par Paul Durant – Gallimard La Noire – 322 pages – 20€ - ****
Lionel Germain


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