vendredi 28 septembre 2018

Les figures du Mal



La radicalisation, on en parle, et c'est toujours la même petite musique qu'on entend: islamisme, djihad, terreur moyenâgeuse. Dans le roman de Jean-Paul Chaumeil, l'enfer est bordé de deux rives qui se font face avec violence. Boris est un privé bordelais revenu d'Afghanistan où il espérait venger la mort de sa femme, le 11 septembre 2001 à New-York. Si son combat s'inscrit peu ou prou dans les limites de l'état de droit, celui de sa fille ne revendique que la haine. La radicalisation consume aussi l'espérance d'une jeunesse instrumentalisée par les vieux démons de l'Occident chrétien.

Intervenant avec un autre baroudeur pour empêcher le lynchage d'un homosexuel, Boris enquête en marge de la procédure officielle dans un Bordeaux où la modernité glacée des ambitions municipales le dispute à la nostalgie des derniers quartiers populaires.





L'autre figure du mal se recompose en négatif de la première. On glisse du djihad à la croisade, de la famille monoparentale urbaine à celle qui survit dans une petite ferme, de la promotion par la mosquée au culte de la violence dans une fac de droit, et de la pratique militaire en Syrie aux missions combattantes dans les territoires perdus de l'ex-Yougoslavie. 





À la manière de Jérôme Leroy, Jean-Paul Chaumeil réanime le tueur qui flotte parfois à notre insu dans les replis de la conscience. Mais dans ce face à face entre un père et sa fille, c'est le roman qui gagne.

Parfois c'est le diable qui vous sauve de l'enfer – Jean-Paul Chaumeil – Rouergue – 272 pages – 20€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 16 septembre 2018



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jeudi 27 septembre 2018

La prose du monde






Chroniqueur de villes à l’envers, amateur d’alphabets étranges et de livres-mondes, l’auteur nous entraîne cette fois-ci dans une île sans nom, perdue dans l’Atlantique. De son voyage fictif il ramène une sorte de guide touristique un peu fou: l’île est un labyrinthe de mots qui ne cherchent plus à faire sens et se confondent avec la chair du monde. Une utopie phénoménologique.




L’Âge d’or - Michal Ajvaz - Traduit du tchèque par Michal Pacvoň et Aline Azoulay-Pacvoň - Mirobole éditions - 312 pages - 22 € - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10 septembre 2017




mercredi 26 septembre 2018

Corridors de l'âme





"Le cerveau regorge de corridors bien pires que les lieux matériels." Cette citation d'Emily Dickinson, la mort d'une amie d'enfance et l'interrogation sur la culpabilité de celui que la justice a mis en prison, obsèdent le narrateur écrivain. Avec le même talent que Thomas H. Cook, Valentin Musso s'attarde sur les incertitudes de la mémoire et les non-dits familiaux. Suspense et justesse psychologique.





Dernier été pour Lisa – Valentin Musso – Seuil – 400 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 16 septembre 2018



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mardi 25 septembre 2018

Transe de vie





Se méfier du mauvais genre où le crime se raconte avec une tranquille assurance. Apprendre à lire à ses dépens. "Hors la nuit" tremblait de fièvre. "Requiem pour Miranda" flambe de cette douleur dont se nourrissent les grands poèmes. Y-a-t'il un point d'équilibre entre la souffrance et le plaisir? Dans ce théâtre de la cruauté, le texte seul permet d'approcher le silence des victimes et la solitude des bourreaux.





Requiem pour Miranda – Sylvain Kermici – Les Arènes Equinox – 170 pages – 9,90€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 16 septembre 2018



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lundi 24 septembre 2018

Froid devant






Elle a un prénom hitchcockien. Rebecka Alden appartient à cette galaxie suédoise où les étoiles jettent des feux de glace. Ce n'est pas un hasard si elle évoque "hantise", le film de Cukor. Dans cette ambiance crépusculaire, Nora vend en librairie le miracle d'avoir survécu à une chute de sept étages. Mais une voisine étrange remet en cause le scénario de cette rédemption. Attention à la dernière marche!





Le dernier péché – Rebecka Alden – Traduit du suédois par Lucas Messmer – 10/18 – 406 pages – 8,40€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 septembre 2018



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vendredi 21 septembre 2018

L'Algérie et son double



Le lieutenant Benlazar est le fils d'un combattant de l'ALN (Armée de Libération Nationale) réfugié en France après les luttes clandestines de la toute nouvelle république algérienne indépendante. Élevé dans le seul rappel de sa langue, et devenu officier de la DGSE, le voilà replongé dans l'univers de ses origines en 1992 pour contribuer à la lutte anti-terroriste.




L'Algérie est alors confrontée à une flambée islamiste provoquée par le déni démocratique de décembre 1991, date à laquelle l'armée met fin au processus électoral favorable au FIS (Front Islamique du Salut). Une collaboration avec la terrifiante DRS, la police secrète du régime, conduit Benlazar à Aïn M'Guel, un  camp de concentration quelque part dans le désert où sont "interrogés" les suspects. 






L'une des grandes qualités de Frédéric Paulin consiste à maîtriser cette chronologie de la terreur à la manière dont Ellroy a démasqué la fiction radieuse de Los Angeles. Les acteurs du drame ne sont pas les donneurs d'ordre mais les artisans obscurs du chaos, agents secrets, victimes retournées du totalitarisme algérien, petits fonctionnaires du renseignement.

Et là, c'est le personnage de Benlazar qui donne de la chair au substrat historique. Héros tragique, bordé de linceuls que le roman national a parfois transformés en étendard, il est la clé secrète d'un drame dont les étapes constitutives se nouent entre les deux rives de la Méditerranée. Arabe et Français au moment où les traditions s'affrontent pour solder les mauvais comptes du terrorisme, il est sans doute aussi l'otage d'une magnifique leçon d'histoire.   

La guerre est une ruse – Frédéric Paulin – Agullo – 384 pages – 22€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 septembre 2018



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jeudi 20 septembre 2018

Elfes, Assassins et Chevaliers






Agrégé d’histoire et féru de jeux de rôles, l’auteur récrit la chronique des marches de Champagne et Bourgogne en plein cœur du XIVe siècle. En mode fantasy, l’histoire devient un territoire SF. Il suffisait de presque rien, quelques elfes, un vieux manuscrit du moyen-âge, et, du British Museum à la BnF, vers 1900, deux ou trois érudits de l’école positiviste découvrant avec ébahissement un passé différent de ce qu’il aurait dû être…





L’Ombre du pouvoir - Fabien Cerutti - Folio SF/Gallimard - 506 pages – 8,20€
- ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 11 juin 2017




mercredi 19 septembre 2018

Horreur d'aiguillage






Philippe Hauret réussit un patchwork étrange entremêlant les destins de deux héros aussi paumés que dissemblables. On est sur le fil avec Lino, écrivain employé de bureau inconsolable depuis la mort accidentelle d'un pote au dernier rendez-vous du service militaire. Quand Jessica, SDF, atterrit sur son palier, une autre vie commence, chaotique et parfois dangereuse mais donnant du grain à moudre à l'écrivain et au lecteur.





Je suis un guépard – Philippe Hauret – Jigal – 216 pages – 18€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 septembre 2018



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mardi 18 septembre 2018

Nuit de plomb





Lire un roman de Jean-Luc Aubarbier, c'est toujours une échappée vers le dessous des cartes. Avec son couple moderne de francs-maçons, Pierre Cavaignac et Marjolaine Karadec, il décline une série d'intrigues où la profondeur de champ plonge dans les archives lointaines des sociétés secrètes. Ici, au mystère de Jack l'Éventreur se mêlent les frissons codés sur la genèse d'un monstre idéologique.





Le complot de l'Aube dorée – Jean-Luc Aubarbier – Icity – 320 pages – 17,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 septembre 2018



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lundi 17 septembre 2018

A Fleur de Mal





Après "Corrosion", Bassoff s'emploie à nous peler les nerfs encore valides. Au début des années cinquante, un psy abrège les souffrances des malades mentaux à l'aide d'un pic à glace: lobotomie transorbitale. Le roman démarre sur une intervention dont l'heureux bénéficiaire deviendra l'assistant inoffensif du "psy" jusqu'au bouquet final. La fiction dévore le réel et la fable terrifiante évoque la Nef des Fous moyenâgeuse. 




Les incurables – Jon Bassoff – Traduit de l'américain par Anatole Pons – Gallmeister – 240 pages – 21,80€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 septembre 2018



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vendredi 14 septembre 2018

Picole drame




Pete Killharney est un chroniqueur d'un genre un peu particulier. Depuis un bar irlandais minable voisin de la huitième Avenue, il tient une sorte de tribunal dont les assesseurs sont une poignée de trognes rougeaudes. Parmi ces justes qui trinquent à leur univers menacé, Pete Killharney dresse une liste noire sur laquelle figurent les crapules reconnues de New-York. Une dizaine de notables protégés par la loi même si personne n'a d'illusion sur leur moralité. On trouve là pêle-mêle un évangéliste Télé, un délégué à l'ONU, un industriel ou un banquier. Mais le gag tourne au drame quand un zélateur inconnu commence à appliquer des sentences de mort et que la liste noire rétrécit comme peau de chagrin.





Le héros, ancien joueur de basket, est défini comme "un chroniqueur renommé, lauréat du prix Pulitzer, buveur notoire et conscience de la ville". À l'origine de sa vocation de justicier, il y a un drame personnel. L'accident dont son père fut victime au volant du bus qu'il pilotait, et le comportement de la municipalité qui abandonna la veuve et les orphelins en décrétant de façon mensongère que l'employé était un ivrogne. 






Le roman noir américain classique tourne toujours autour de la bouteille. Même quand le père n'a rien bu, les enfants trinquent. 

Liste noire – Timothy Downey – série noire Gallimard n° 2121 (1987) - ***
Lionel Germain




jeudi 13 septembre 2018

Instinct de préservation






De l’Angleterre victorienne à une Chine de la fin du XXIe siècle où les abeilles auront disparu, un roman écologiste bien documenté qui se lit aussi comme une saga familiale complexe interrogeant les ressorts de la parentalité: ambitions déçues, temporalités qui se croisent, histoires de transmission, de père en fils, de la nature à l’homme…






Une histoire des abeilles - Maja Lunde - Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon - Presses de la Cité - 397 pages – 22,50€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 3 septembre 2017




mercredi 12 septembre 2018

Le Zoo dans la peau






Le jour le plus long ne pourrait durer que trois heures quand on les vit avec l'intensité de l'héroïne de "Zoo". Un huis-clos en plein air où Joan et son fils Lincoln se retrouvent prisonniers quelques minutes avant la fermeture. Échappés d'un jeu vidéo et du pire cauchemar de Steinbeck, les tueurs mènent la traque, obligeant Joan à des réflexes de survie. En librairie le 6 septembre et bientôt sur vos écrans.





Le Zoo – Gin Phillips – Traduit de l'américain par Dominique Haas – 10/18 – 288 pages – 7,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 2 septembre 2018



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mardi 11 septembre 2018

Maquignons






Dans "La Ferme des poupées", on devine que les poupées en question n'ont plus rien de l'innocence qu'elles évoquent. Expédié à Krotowice, l'inspecteur Mortka enquête sur une affaire de meurtre et de pédophilie. Les Tziganes sont les coupables désignés et, sans aucun manichéisme, l'auteur pointe les contradictions "culturelles" qui fondent la stigmatisation.





La Ferme aux poupées – Wojciech Chmielarz – traduit du polonais par Erik Veaux – Agullo – 400 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 2 septembre 2018



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lundi 10 septembre 2018

Prescription mortelle





Comment envisager la vie après la mort d'un enfant? Ce qui est arrivé au jeune fils d'un entrepreneur de la région lyonnaise semble accidentel. Un empoisonnement après la prise d'un médicament destiné à soigner un zona à répétition. La gendarmerie mène l'enquête et la famille est en première ligne. Éric Oliva rend crédible cette procédure insupportable et malheureusement fatale au couple. 





Vase rose – Éric Oliva – Taurnada – 230 pages – 9,99€ - ** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 2 septembre 2018



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vendredi 7 septembre 2018

Tissé main





Peter May renoue avec les Hébrides, ces territoires où les vents vous mettent le cœur à vif. Niamh (prononcez Nive) et son mari Ruairidh (prononcez Rou-a-ri), produisent du tweed pour une styliste parisienne. Niamh pense que l'intérêt de son mari n'est pas purement professionnel, et à partir de ce vaudeville, Peter May nous réexpédie dans la tempête écossaise pour un thriller gothique et décoiffant.




Je te protégerai – Peter May – Traduit de l'anglais par Ariane Bataille – Rouergue – 416 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 2 septembre 2018



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jeudi 6 septembre 2018

Voyage au bout de la nuit





Grièvement blessée au Kosovo une femme officier a vécu une expérience de mort imminente. Bien des années plus tard son jeune fils doit subir une grave opération nécessitant un arrêt cardiaque, et elle décide de l’accompagner, en coma artificiel. L’antichambre de la mort est en effet une zone franche où des gangs sans foi ni loi font régner la terreur. Un thriller métaphysique puisant dans les tréfonds de l’âme humaine.





Playground - Lars Kepler - Traduit du suédois par Lena Grumbach -  Exofictions/Actes sud - 406 pages - 23€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 11 juin 2017




mercredi 5 septembre 2018

La fièvre de l'Art


Partout dans le monde, il existe des collectionneurs pathologiques, passionnés par la recherche des livres anciens et des éditions originales. John Grisham nous présente le personnage d'un libraire installé sur l'île de Camino en Floride. 





Sa boutique recèle des œuvres acquises illégalement après le cambriolage de l'Université de Princeton. A la poursuite des inestimables manuscrits de Scott Fitzgerald, une compagnie d'assurances réussit à convaincre une jeune romancière endettée d'infiltrer l'entourage du libraire, et comme toujours chez Grisham, l'étude du milieu est passionnante. Analyse et critique pleine d'humour du petit monde de l'édition.





Le cas Fitzgerald – John Grisham – Traduit de l'américain par Dominique Defert – JC Lattès – 396 pages – 23€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 26 août 2018



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mardi 4 septembre 2018

Famille en kit



Une jeune libraire orpheline se voit confier un manuscrit par un ami de son père, et c'est l'occasion, au cœur d'un méli-mélo familial, de redécouvrir cette phase migratoire américaine consécutive à la libération des camps de la mort nazis. Quand la sexualité se fait trop explicite dans un roman, on parle de contrainte éditoriale ou du ridicule qui assaisonne le mauvais chapitre. Ellory réussit à déployer l'épisode entre la petite libraire et son amant avec une nécessité pleine de rage poétique et sensuelle. Un bon point supplémentaire pour ce divertissement estival qui diffère jusqu'aux derniers chapitres la solution du puzzle familial.



Les fantômes de Manhattan – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Claude et Jean Demanuelli – Sonatine – 460 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 19 août 2018



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lundi 3 septembre 2018

L'émoi est haïssable



Tout est dans le portrait du personnage, un flic de l'IGPN, la redoutée police des polices. Un quintal et demi de mauvaise humeur hostile aux débordements affectifs débarque dans une petite station savoyarde proche de la frontière pour un contrôle de routine du commissariat local. 





La mort suspecte d'un migrant le renvoie à sa mission de police judiciaire dans une enquête entravée par le pouvoir économique exorbitant d'un notable. Polar aux références revendiquées du côté du western, le roman de Laurent Guillaume évite les pièges de l'hommage ou de la parodie grâce à une distance pleine d'humour. Et après cette "moisson rouge" en pays savoyard, on pourrait bien revoir un jour son héros XXL. 





Là où vivent les loups – Laurent Guillaume – Denoël – 256 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 12 août 2018



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