vendredi 13 juillet 2018

D'une guerre à l'autre



"Brasier noir" est le premier tome d'une trilogie déjà publiée aux États-Unis et dont l'intrigue flirte avec les grandes thématiques chères aux écrivains du Sud: la culpabilité des pères, la violence raciale, la corruption politique et la perte de toute innocence pour les fils. C'est le cas de Penn Cage, personnage déjà rencontré dans d'autres romans de Greg Iles.




Ancien juriste, Maire de Natchez, il est le fils d'un docteur dont l'infirmière noire a été martyrisée par les extrémistes blancs dans les années soixante. Quand s'ouvre la partie contemporaine du roman, on bascule avec les héritiers de cette période où le Klan et les milices de même obédience faisaient griller les Noirs dans les faubourgs de Natchez. C'est désormais face à une accusation de meurtre du père que le fils engage son combat pour la vérité.





Toujours difficile de refaire l'histoire. Le rétroviseur a souvent des défaillances coupables, surtout quand l'actualité n'a pas fourni en temps utile les réponses aux questions aussi troublantes que celles posées par la mort de John Kennedy par exemple. Sans être le sujet du roman de Greg Iles, l'assassinat du président américain s'y inscrit pourtant en marge d'une analyse plus subversive sur la réalité des guerres menées par les États-Unis.

La Corée où le Vietnam masquent un blessure secrète, plus profonde et jamais refermée, une guerre civile dont les nordistes ne sont que les vainqueurs provisoires. "La guerre en elle-même faisait encore rage dans tout le pays, juste au-dessous de la surface étincelante du Rêve Américain (…) quiconque avait lu un peu d'histoire savait que les grandes civilisations s'effondraient toujours de l'intérieur." Une fresque passionnante.

Brasier noir – Greg Iles – Traduit de l'américain par Aurélie Tronchet – Actes Sud – 1056 pages – 28€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 juillet 2018



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Attirée par les cheveux



En littérature, les bons sentiments ont la réputation de garantir le naufrage. Pour éviter l'écueil, la famille Mabille-Pons du dernier roman de Marin Ledun s'est offert une porteuse de parole capable de disserter sur Sophocle ou Pétrarque. Elle s'appelle Rose, s'habille en noir, préfère les Fleurs du Mal de Baudelaire à la poésie de Proust et officie comme responsable culturelle d'un salon de coiffure, le Popul-Hair. Si elle n'apprécie guère Freud et Lacan, elle s'arrime à sa "tribu" avec la même intensité que sa mère Adélaïde, une infirmière en lutte permanente.




Autour du père, clerc de notaire en échec professionnel, gravitent les autres enfants, une fille et quatre garçons, dont Gus, adopté dans un orphelinat en Colombie. Plus bronzé que la moyenne de ses camarades, Gus a le profil idéal du "bouc émissaire" dans les embrouilles du collège, voire du coupable, notamment à l'occasion du braquage d'un bureau de tabac dont le propriétaire se retrouve dans le coma.




Marin Ledun ne s'amuse qu'en apparence. Il nous entraîne avec le sourire à partager sa déconvenue d'un genre littéraire où le héros n'a pour ambition que de dénicher l'auteur d'un crime. Même si depuis belle lurette, le polar s'est ébroué vers d'autres horizons, l'hommage à Pennac se double d'une cure de jouvence au Popul-Hair avec le chœur des rieuses impatientes d'écouter Rose leur déclamer les poèmes de Gérard de Nerval. 

Ce qui nous ramène dans les roues de Manchette, à la ronde camusienne sur le boulevard périphérique du roman noir, au "Petit Bleu de la Côte Ouest" et à l'humour tragique de la dissidence inutile et nécessaire. Oui, Marin Ledun, "résistons par le rire, et vive la vie".

Salut à toi ô mon frère – Marin Ledun – Série noire Gallimard – 280 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 juin 2018



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jeudi 12 juillet 2018

La Forêt des songes






Le genre a cessé d’être une dépendance de la SF, et depuis son coming-out comme domaine autonome sous l’égide de Tolkien, G. R. R. Martin et quelques autres, la "matière de Bretagne" n’est plus la chasse gardée des spécialistes en vieux français ou en gallois. Un recueil où près de trente auteurs y vont de leur plume, d’interprétations en relectures décoiffantes et souvent peu orthodoxes.






Dimension Brocéliande - anthologie présentée par Chantal Robillard et Claudine Glot - Rivière blanche - 272 pages - 20€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 17 septembre 2017




D'un déluge l'autre






Dans un monde où changement climatique, retour du religieux et terrorisme chronique trament la banalité du quotidien, une série d’événements, de Turquie au Vatican, en passant par Melbourne, l’Université de Toulouse-Le Mirail ou l’Arménie s’assemblent en un puzzle étrange. Haut fonctionnaire à l’international et fin connaisseur des géopolitiques moyen-orientales, l’auteur  a préféré user d’un pseudonyme.





La Dernière licorne - Tobby Rolland - Presses de la cité - 592 pages - 22€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 28 mai 2017




mercredi 11 juillet 2018

Fin de piste







"Le Vieux Pays", c'est le nom que porte encore l'ancien centre de Goussainville, un ensemble de ruines fantomatiques blotties autour de l'église Saint-Pierre et Saint-Paul. Ce sont les avions de Roissy qui l'ont condamné. En y collant son personnage de dur-à-cuire, revenu de tout et privé d'empathie envers ses semblables, Jean-Pierre Rumeau esquisse la métaphore d'un monde en train de disparaître. 



Le vieux pays – Jean-Pierre Rumeau – Albin Michel - 318 pages – 19,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 juin 2018



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Came over






La tradition du regard critique inscrit dans une intrigue la plus réaliste possible a des précurseurs célèbres au 19ème siècle mais séduit toujours les auteurs contemporains. À commencer par Christian Roux. Dans "Que la guerre est jolie", il analyse tous les maux de la société française, corruption immobilière, trafic de drogue et cauchemar post-traumatique en rapport avec une guerre sans nom. Brillantissime.




Que la guerre est jolie – Christian Roux – Rivages – 300 pages – 19,50€ -
Réédition septembre 2019 - Rivages noir – 432 pages – 9,50€ - **** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 juillet 2018



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mardi 10 juillet 2018

Vent d'ouest et cache-poussière






Amoureux du "cinoche", Sébastien Bouchery pille avec bonheur le trésor scénaristique du western hollywoodien. Ils sont sept pisteurs rassemblés en 1866 pour traquer dans les grands espaces du Nebraska un tueur d'enfants. Des personnages bien contrastés dans un western où l'arrière plan politique n'est pas accessoire et où les justiciers sont sans doute  beaucoup à la poursuite d'eux-mêmes.  





Dusk – Sébastien Bouchery – Pocket – 446 pages – 7,80€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 27 mai 2018




Angle mort






Le réel n'est certainement pas réductible au souvenir, la reconstitution du passé étant tributaire de la largeur du rétroviseur. Il y a ces angles morts où se joue l'essentiel de ce qu'on n'a pas voulu voir, comme dans cet excellent roman de Chirovici. Un agent littéraire reçoit le manuscrit témoignant d'un crime vieux de trente ans. Mais la vérité s'épuise dans les profondeurs du miroir. Trouble et troublant.





Jeux de miroirs – E.O. Chirovici – Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet – Pocket – 352 pages – 7,40€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 juin 2018



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lundi 9 juillet 2018

Au pied de la lettre




C'est devenu un tel cliché de parler du  polar comme prolongement du conte, qu'on a du mal à en revitaliser le principe pour évoquer "Les lois du ciel". Grégoire Courtois ne donne pas dans la métaphore. Il prend l'affaire au pied de la lettre en installant sa classe verte au cœur de la forêt, en abandonnant Fred, l'instituteur, à cause de la gastro d'une maman accompagnatrice, en nous livrant dès les premières pages les échos de cet essaim d'enfants dont l'innocence est pour certains toute relative. Au pied de la lettre, l'ombre est vraiment menaçante et l'univers du conte se retourne comme un gant sali par la lumière du jour. 



Les lois du ciel – Grégoire Courtois – Folio – 208 pages – 6,60€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 27 mai 2018




Panier de crabes





En criminologie, l'assassinat est un des beaux-arts qui décore les thèses universitaires mais quand on abandonne la poussière des amphis, la mort a un parfum vulgaire. "Au 5ème étage de la faculté de droit", les travaux pratiques ont coûté la vie à une professeure et à un doctorant. Après avoir traqué le frisson dans les couloirs du Louvre, l'auteur trousse un polar à l'ancienne au cœur d'Athènes.





Au 5ème étage de la faculté de droit – Christos Markogiannakis – Traduit du grec par Anne-Laure Brisac – Albin Michel – 284 pages – 19,90€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 juillet



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vendredi 6 juillet 2018

Chair à canon pour pâté de campagne



La guerre du Vietnam a été utilisée à des fins très différentes dans le répertoire thématique du roman noir. De la dénonciation de la guerre elle-même, puis de l'indifférence coupable envers les vétérans, on est passé à l'exploitation du syndrome post-traumatique qu'on retrouve dans le polar contemporain évoquant l'Afghanistan. Le roman d'Iain Levison décrit plutôt l'instrumentalisation de l'héroïsme de guerre, un prisme magistralement travaillé par Ellroy dans "L.A.Confidential".



Chez Levison, le personnage de Bill Drake, candidat au Sénat, a obtenu 47 ans plus tôt la Purple Heart pour avoir transformé le massacre d'un buffle et d'une famille de paysans en fait d'armes contre le Viêt-Cong. Le psychopathe qui a déclenché la tuerie a obtenu pour sa part la Bronze star avant de finir en prison pour des meurtres crapuleux dans l'Iowa.  Et voilà qu'au moment de faire campagne, le sergent qui dirigeait la section, aujourd'hui chef de la police d'une petite ville, est sollicité comme caution morale du futur sénateur. 



Loin du foisonnement d'Ellroy, Levison n'a besoin que de 200 pages pour nous rappeler que les "bons" et les "méchants" de 39-45 ont disparu dans la tragédie impériale des années Soixante. Le bon sergent qui accepte de mentir est un pion sur l'échiquier électoral ou "progressistes" et "conservateurs" s'affrontent pour eux-mêmes avec un cynisme meurtrier. On le savait déjà. Depuis "Tribulations d'un précaire", Levison enfonce ses clous dans le cercueil d'une démocratie "qui bouge encore".

Pour services rendus – Iain Levison – Traduit de l'américain par Fanchita Gonzalez Battle – Liana Levi – 224 pages – 18€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 juin 2018



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jeudi 5 juillet 2018

La tétralogie des origines





Le finale époustouflant d’un serial thriller mêlant archéologie, histoire contemporaine et anticipation, sur fond de quête spirituelle et d’enquête un brin complotiste autour des armes de destruction massive qu’auraient pu posséder les nazis. Et la douloureuse rédemption d’un héros qui avait d’abord choisi le côté sombre, c’est-à-dire Hitler. "Le Château des millions d’années", premier volume de l’ensemble, ressort en Pocket. 





Le Crépuscule des dieux - Stéphane Przybylski - Le Bélial’ - 480 pages - 20€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 24 septembre 2017




Dernières nouvelles de Russie






L’ère soviétique ne fut-elle qu’une parenthèse? Dans ce recueil de huit textes courts, contes grivois ou scatologiques, nouvelles horrifiques, simples apologues ou brefs succédanés de vie quotidienne, l’auteur retrouve la truculence d’un Gogol pour décrire la noirceur d’une Russie qui lui paraît toujours aussi absurde et corrompue jusqu’à la caricature.





Syphilis - Mikhaïl Elizarov - Traduit du russe par Stéphane A. Dudoignon - Serge Safran éditeur - 185 pages – 18,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 28 mai 2017




mercredi 4 juillet 2018

Les Misères de Paris




Cécile est la fille d'un joueur d'alto qui swinguait sur les boulevards et a fini SDF. Cécile maraude avec le Samu social. Les clochards déambulent comme des zombies pour ne pas s'écrouler sur place, victimes des nuits glaciales, du froid qui guette les premiers signes d'abandon. Entre incendie volontaire, sida, bagarre alcoolisée et profonde solitude, Marc Villard poursuit sa chronique d'un Paris vibrant de tendresse, loin du glamour publicitaire.





Les biffins – Marc Villard – Joelle Losfeld éditions – 120 pages – 12,50€ - **** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 juin 2018



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mardi 3 juillet 2018

Fille à Papa





Il est né en 1987 et a mis huit ans pour écrire ce petit chef-d'œuvre de noirceur. Autant dire que ses dents de lait venaient de lui échapper quand il a imaginé le personnage de Turtle, une gamine de 14 ans vivant sous l'emprise d'un père complètement fêlé qui en a fait sa "chose". À la différence de la Nuit du Chasseur, le prédateur est ici rempli de compassion et de remords. Roman terrible écrit dans une langue superbe.





My absolute darling – Gabriel Tallent – Traduit de l'américain par Laura Derajinski – Gallmeister – 454 pages – 24,40€ - *****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 juin 2018



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lundi 2 juillet 2018

Une amitié particulière



Humour et tension psychologique, satire sociale, il y a du Patricia Highsmith chez cette jeune auteur anglaise.





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L'invitation - Elizabeth Day - traduit de l'anglais par Maxime Berrée - Belfond - 332 pages - 21€ - 
Olivier Mony - Sud-Ouest-dimanche - 1er juillet 2018




Vin mauvais





Après l'Afrique et les mystères du Pharaon, les désordres amoureux d'un jeune peintre et la description du vieux Bordeaux dévoré par la peste, Dominique Faget s'installe au cœur de la Louvière en Gironde, dans un aller-retour cruel entre la période de la guerre en 1942 et l'été 1956 à Saint Laurent des Vignes. Spoliation des juifs et secrets de famille nourrissent l'intrigue de ce polar historique.






Les sanglots de Pierre – Dominique Faget – City éditions – 240 pages – 16,90€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 17 juin 2018



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