vendredi 29 juin 2018

Vision trouble



Dans le "polar", il y a les irréductibles qui haïssent le thriller, synonyme de divertissement. Ils parcourent les territoires de fiction à la recherche d'un projet d'insoumission à l'ordre absurde et brutal qui nous gouverne. Mais si le "roman noir" a toujours son mot à dire pour contrer les illusions contemporaines, on l'a lui aussi enterré mille fois depuis son âge d'or à la mi-temps du siècle dernier. Et à côté de ces irréductibles, les amateurs de "suspense" ne se privent pas forcément d'un regard critique sur le monde. Comme le roman noir, le thriller a ses mauvaises périodes où les intrigues répétitives s'accumulent. N'est pas Patricia Highsmith qui veut. Du moins jusqu'à l'apparition d'A.J.Finn.





"La femme à la fenêtre" est un premier roman, concentré de toutes les vertus du genre et consécration déjà pour l'écrivain dont la Fox a acheté les droits. Dans un lotissement de Harlem, une femme, prisonnière de sa maison à cause d'une agoraphobie aigue, se réinvente sur la Toile et traque le voisinage avec son appareil photo. 







Son mari et sa fille se sont éloignés d'elle sans qu'on sache vraiment pourquoi, elle abuse du vin rouge, et sa rencontre soudaine avec une femme provoque un drame aussi prévisible qu'impossible à qualifier. A.J.Finn revisite Hitchcock et les atmosphères oppressantes de Clouzot. Comme avec "Le journal d'Edith" de Highsmith, le lecteur accompagne la narratrice dans le naufrage des certitudes et de la raison. Paré pour le coup de poing final. 

La femme à la fenêtre – A.J.Finn – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Presses de la Cité – 520 pages – 21€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 juin 2018



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jeudi 28 juin 2018

Big Apple, super star





Ville monde, la grosse pomme est aussi la cité de tous les futurs et de tous les fantasmes. Pour cette deuxième saison de son anthologie culte, l’éditeur rassemble 25 plumes aguerries ou commençantes, de Barbara Sadoul ou Piet Legay au regretté Boris Darnaudet: une visite guidée dans les méandres d’un imaginaire que fécondent ses tours et ses jardins, ses nuits et ses cloaques, mais aussi une vue sur l’Hudson ou l’East River.





Dimension New York 2 - anthologie présentée par Philippe Ward - Rivière Blanche - 516 pages - 35€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 7 mai 2017




Enquête au pays des soyeux



Au début du XXe siècle, à Lyon, l’industrie de la soie vit ses derniers beaux jours, dans l’insouciance d’une époque qui s’étourdit des mirages du progrès en essayant d’oublier la guerre qui vient. À Saint-Genis-la-Vallée,  au cœur du pays des mouliniers et des soyeux, le temps d’un printemps puis d’un été incertains, Marie Jardin, la "Sans-Corset", jeune veuve émancipée et intrépide, enquête à sa façon sur une succession de morts, accidentelles ou pas, qui ont récemment endeuillé une manufacture. 




Sherlock Holmes en jupons, entre secrets et mensonges, faux semblants et rancœurs héritées d’un passé pas si lointain dont on avait oublié la violence, Marie comprend vite qu’on la manipule, mais éprouve aussi un malin plaisir à se jouer de ceux qui croient la tromper, les hommes surtout, entraînant dans son allant une kyrielle de femmes jeunes ou moins jeunes qui font de ce livre écrit par un vieil homme une ode à la féminité triomphante. 




Auteur de science-fiction de réputation internationale venu ensuite au roman de région, Jeury rêvait, dans ses dernières années, d’un "polar 1900". Le manuscrit vient d’en être retrouvé par sa fille dans un fichier oublié de l’ordinateur de l’écrivain. Ce roman attachant nous immerge une nouvelle fois dans un espace et un temps chers à son cœur, les monts du lyonnais qui ont vu naître sa famille, un pays d’hommes et de femmes debout que l’auteur excelle à dépeindre dans leurs travaux et leurs jours, au gré d’une écriture sensuelle et lyrique tissée d’emprunts au parler local…

Les trois veuves - Michel Jeury - Préface de Dany Jeury - Robert Laffont -  414 pages - 21€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 25 juin 2017




mercredi 27 juin 2018

Porteur de balises





Un vétéran des "opérations extérieures" reconverti dans l'association de malfaiteurs à Paris, se retrouve promu en "Parisien" dans la vraie capitale du règlement de comptes. Jean-François Paillard nous livre les clés de Marseille où tous les coups tordus sont permis. Comme transformer le dur-à-cuire en porteur de balises, bouc-émissaire destiné à plonger à la place des coupables. Gros calibre et testostérone.




Le Parisien – Jean-François Paillard – Asphalte – 240 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 juin 2018



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mardi 26 juin 2018

Correspondances






Comme sur le quai d'une gare, le goût d'ailleurs vous arrive par la grâce des courants d'air. La Loupiote, Libération, Eden, L'Incertain, New-Look, et même carrément Tisséo, autant d'escales où Pascal Dessaint s'installe provisoirement à la recherche des correspondances. Nouvelles noires pour la ville rose, pour la fin du monde dans le regard d'une femme et pour l'ivresse du désespoir. Le puzzle d'une vie.





En attendant Bukowski – Pascal Dessaint – SCUP – 160 pages – 12€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 juin 2018



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lundi 25 juin 2018

Manque de veine






On peut faire de ce livre un "brûlot" contre la Russie contemporaine, croire à la singularité du crime qui hante les rues de Saint-Pétersbourg et abandonne des hordes de junkies à une somnolence définitive. Il suffit de traverser Budapest ou Neuköln à Berlin pour comprendre l'universalité tragique du phénomène dont Andreï Doronine, lui-même ancien toxicomane, nous fait l'écho avec une sobriété glaçante.





Transsiberian Back to Black – Andreï Doronine – Traduit du russe par Thierry Marignac – 10/18 – 216 pages – 7,10€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 juin 2018



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vendredi 15 juin 2018

Les cartes du Tendre



Retrouver Colin Harrison plus de dix ans après "Havana Room", dont la mémoire du lecteur a gardé le parfum subtil de mystère et d'intelligence, c'est se préparer au même bonheur. Et dès les premières pages de "Manhattan Vertigo", la magie s'installe autour du personnage de Paul Reeves, avocat sans grande ambition professionnelle mais véritable collectionneur obsédé par les cartes de New-York au point d'avoir transformé une partie de son appartement en musée. 



Il a pour voisine une énigmatique et jolie jeune femme, Jennifer, épouse d'un non moins énigmatique homme d'affaires d'origine iranienne, Ahmed Mehraz. Si Paul se contente d'une activité réduite aux problèmes d'immigration, Ahmed Mehraz incarne l'arrogance d'un parvenu. Son regard sur l'Amérique prophétise avec un certain mépris le déclin des WASP au profit d'une classe dirigeante mêlant Latinos et Asiatiques. Mais quand sa femme le trompe avec un ancien GI, la traque menée par le clan iranien contraint Paul à sortir de sa réserve.





Sur ce thème de la trahison amoureuse, Colin Harrison construit un thriller assez classique, non sans avoir pris le soin auparavant de nous appâter avec son personnage de collectionneur, à la recherche quasi obsessionnelle de "la" carte, la Ratzer, ayant servi à George Washington dans son combat pour l'indépendance. L'Île de Manhattan y surgit des marais, village d'une dizaine de milliers d'habitants accrochés à leurs fermes. Et dans cette quête rarement assouvie du passé s'annonce avec mélancolie le chant funèbre d'une civilisation.

Manhattan Vertigo – Colin Harrison – Traduit de l'américain par Michael Belano – Belfond – 420 pages – 20,90€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 27 mai 2018



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jeudi 14 juin 2018

Le livre des révélations





Dans les solitudes glacées d’un hôtel de montagne enfoui dans la neige, huit personnes se lacèrent autour du cadavre de la neuvième, la vieille bâtisse de l’époque soviétique et son gardien jouant un peu le rôle du chœur antique. Huis-clos tragique sans bons ni méchants, ce nouveau roman d’un auteur à l’aise dans le post-apocalyptique conjugue ici habilement l’histoire de catastrophes personnelles qui s’achèvent en tsunami.




L’Hôtel - Yana Vagner - Traduit du russe par Raphaëlle Pache – Mirobole – 508 pages – 22,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er octobre 2017




mercredi 13 juin 2018

Histoire sans parole





Si les enfants ne doivent pas payer pour les crimes de leurs parents, les mystérieux créanciers venus du ciel ou de l'enfer n'en finissent pas de réclamer leur dû. Pour Samuel et Marie, fils et fille de destins contraires, l'addition reste en souffrance. Le père de Samuel a échappé à la déportation mais pas à la troublante culpabilité qui le rend muet depuis cinq ans. Celui de Marie pourrait bien être le dénonciateur de ces enfants juifs martyrisés. Gilles Vincent raconte l'alliance des héritiers contre une menace enfin apaisée. 





Dans la douleur du siècle – Gilles Vincent – Éditions In8 – 244 pages – 17€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 juin 2018



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mardi 12 juin 2018

Prédation






Danielle Thiéry a connu de près les brigades spécialisées dans une autre vie dont la littérature lui permet de solder les comptes. "Féroce" ne dénonce pas seulement les trafiquants d'innocence. L'histoire de ce prédateur à la recherche d'enfants déjà blessés dans leur chair est aussi la poursuite du portrait d'Alix, profileuse à-typique et passionnée.






Féroce – Danielle Thiéry – Flammarion – 384 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 juin 2018



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lundi 11 juin 2018

Sans peur






"La guerre est une folie qui n'épargne pas même les survivants. Elle abime tout, corrompt tout. Nul ne peut la côtoyer et demeurer sans peur et sans reproche." À qui peut s'adresser ce jugement plein de bon sens? Au Chevalier Bayard, bien-sûr. Les lecteurs jeunes ou moins jeunes qui ont vibré avec Dumas se régaleront de ce voyage au cœur du Royaume de France en 1515. Bayard est amoureux et François Ier, lui, n'est pas sans reproche.





Le disparu de l'Hôtel-Dieu – Éric Fouassier – Lattès – 532 pages – 20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 juin 2018



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vendredi 8 juin 2018

Toujours prêt






"Il court en parallèle à la pente. La peur et la fureur l'habitent ensemble. La peur qui ne l'a jamais quitté depuis que, louveteau d'un mois, il a suivi avec ses frères sa mère fuyant l'approche des humains. La fureur d'être encore traqué par eux jusque dans ce bois où il s'était cru enfin tranquille, à présent qu'il ne lui reste plus longtemps à vivre."






Loups solitaires – Serge Quadruppani – Métailié – 240 pages – 18€ - ** 


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jeudi 7 juin 2018

Humains Vs Post-Humains






Dernier volet d’un techno thriller pessimiste surfant la vague de l’humanité augmentée: les hommes pourront-ils garder une distance critique face aux biotechnologies à l’heure de la numérisation du monde? Le principe de précaution ne semble qu’un vœu pieu quand une guerre civile larvée et la géopolitique tendue des rapports entre la Chine et les USA mène tout droit à un conflit nucléaire. 





Apex - Ramez Naam - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque - Presses de la Cité - 766 pages - 24€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 21 mai 2017




mercredi 6 juin 2018

Nettoyage industriel





Claire Favan donne des sueurs froides à ses lecteurs avec ce scénario qui déjoue tous les espoirs de résilience. La première partie présente les conséquences de la mécanique judiciaire quand elle broie la vie d'un innocent. Le faux coupable martyrisé en prison pour un crime sexuel qu'il n'a pas commis ne pardonnera rien à l'institution malgré la reconnaissance tardive de son erreur. Le personnage trempé de haine fabrique les monstres vengeurs dressés pour une opération de nettoyage industriel. Très méchants, les anges.




Dompteur d'anges – Claire Favan – Pocket – 448 pages – 7,80€ - **
Lionel Germain




mardi 5 juin 2018

Tout se transforme en colère





Prix Mystère de la Critique, Prix Dora Suarez et Prix Étudiant du polar 2016, ce qui semble aller de soi pour cette dernière récompense, le roman de Cloé Mehdi résonne comme un cri sur les barricades. "Rien ne se perd" est un long procès-verbal qui en déjoue heureusement les formes pour nous faire partager la détresse d'un enfant de onze ans, fils d'un éducateur spécialisé mort en hôpital psychiatrique après avoir été le témoin d'une bavure policière fatale à un autre jeune. L'innocence du narrateur jette une lumière crue sur le décor blafard d'une "cité" où tout se transforme en colère.



Rien ne se perd – Cloé Mehdi – J'ai Lu – 350 pages – 7,60€ - ***
Lionel Germain




lundi 4 juin 2018

Oppressant de l'indicatif





Le présent de l'indicatif, c'est parfois l'apnée du lecteur invité dans ce roman à traverser un paysage cruel, peuplé de pédophiles et d'industriels du dépeçage humain, en compagnie d'un jeune photographe et d'un ancien flic. De l'humour décapant évoqué en quatrième de couverture, on ressort "décapé", oui, mais sans avoir jamais eu franchement envie de rigoler. Le triomphe du réseau a-social.





Mother feeling – Michel Chevron – Serge Safran éditeur – 292 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 3 juin 2018



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vendredi 1 juin 2018

Au noir et à l'oeil




La complainte est de "Spoke Orkestra", le scénar de Caryl Férey, mais celui qui mène la danse, c'est ce bon vieux McCash, le héros borgne au désespoir cadencé par les accords de Clash. Depuis "La jambe gauche de Joe Strummer", Caryl Férey le maintient en vie par la grâce d'une fillette adoptée. À plus de cinquante ans, le voilà qui file en Grèce élucider la mort d'un vieux copain dont le voilier s'est brisé sur un cargo. L'œil vide, avec son "jus de mort" qui lui taraude le crâne, il affronte la pire de nos menaces contemporaines. Affligé mais rédempteur.



Plus jamais seul – Caryl Férey – Série noire Gallimard – 320 pages – 19€ - ***
Lionel Germain



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