samedi 31 mars 2018

Un village américain


Thomas H. Cook fait de Choctaw, petit comté bien réel d'un peu plus d'une dizaine de milliers d'habitants, le village imaginaire de son dernier roman. C'est une tribu indienne qui a donné son nom à ce comté de l'Alabama mais c'est dans l'art de la ségrégation envers les Afro-américains que l'Alabama s'est illustré à plusieurs reprises. En maniant les flashbacks entre la période contemporaine et les années soixante, son narrateur Ben Wade transforme le présent en receleur d'un passé inavouable. (Lire la suite de la chronique)




Sur les hauteurs du mont Crève-Cœur – Thomas H. Cook - réédition Points seuil août 2017 – 360 pages – 7,50€ - ****




samedi 24 mars 2018

Berlin noir






Vingt ans avant tout le monde, Philip Kerr avait prophétisé la dérive des fichiers de lutte contre la criminalité dans "Une enquête philosophique". Avec la trilogie berlinoise, il a mis en scène Bernie Gunther, un flic allemand dans le Berlin des années noires. En 1934, Bernie a quitté la police et travaille comme détective de l'hôtel Adlon. Intrigue amoureuse, antisémitisme et terreur nazie le feront s'exiler à La Havane où on le retrouvera en 1954 tentant d'échapper cette fois au FBI. 




Hôtel Adlon – Philip Kerr – traduit de l'anglais par Philippe Bonnet – Le Masque – 510 pages – 22,50 euros - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 mai 2012




Crime fiction



On est en 2013 quand le roman écrit en 1992 (et publié une première fois au Seuil en 1994) s'ouvre sur un rapport de l'inspectrice principale Jake Jakowicz intitulé "Recrudescence du meurtre hollywoodien" et destiné aux membres de la police criminelle européenne. 



Elle y met en évidence que le crime passionnel, s'il n'a pas complètement disparu, est largement supplanté par les séries homicides, signe d'une évolution qui caractérise désormais la violence "spectaculaire" de nos sociétés. En tant que femme, "Jake" insiste sur la nécessité d'une approche bidimensionnelle de la lutte contre le crime. On lui confie bientôt l'enquête sur une série de meurtres qui visent des individus fichés pour leur potentiel génétique susceptible de les transformer en tueurs en série. 




Le programme informatique baptisé "Lombroso" en mémoire du criminologue italien, a été piraté par un homme décidé à éliminer les "criminels en puissance". On voit tout ce que le cinéma et la littérature ont puisé dans cette thématique orwellienne.

En interrogeant tous ceux qui "cherchent une vérité au-delà des apparences", de Platon à Wittgenstein en passant par Nietzsche et Bertrand Russell, c'est une véritable "enquête philosophique" que nous propose le roman éblouissant de Philip Kerr.

Une enquête philosophique – Philip Kerr – Traduit de l'anglais par Claude Demanuelli – Livre de poche – 480 pages – 7,90€ - ***
Lionel Germain








vendredi 23 mars 2018

Zone humide et glande lacrymale


Ça n'a pas grand rapport avec "Ma ZAD" mais l'anticyclone des Açores est une calamité pour les chasseurs d'ouragans européens parce qu'il "nous condamne à une météo petit bras, petite bourgeoise, pusillanime en diable." Confidence au comptoir de Bixente, un demi Basque propriétaire d'une conserverie dans le Finistère. Avec Jean-Bernard Pouy, difficile d'échapper à l'escale sur le zinc.






Ses personnages sont souvent des "zéros" de roman. Des figures de stylo ancrées à la buvette comme ce Camille Destroit viré de son poste de responsable du rayon frais dans l'hyper. Chômeur héritier d'une ferme menacée par un projet de plateforme multimodale, le voilà combattant de sa "zone à défendre". "Ça s'était fait comme ça, en douceur, par immersion. J'avais l'impression d'être un peu mexicain, c'est vrai, le "za", ça faisait Zapata."




Mais enfin, un homme qui n'aime pas les films de Jacques Demy et la musique de Michel Legrand n'est pas totalement mauvais. Le zéro de Pouy a les bras maigres et les neurones bodybuildés. Depuis plus d'une trentaine d'années, il marmonne quelques obsessions poétiques et désabusées autour des vaches, du train, des pommes de terre et du transit intestinal. 

Cet ami de la grande famille du polar (non, on ne rit pas) peut se permettre de planter quelques aiguilles dans les fesses maigrichonnes du prêt-à-penser écolo-vegan et son roman où les jolies filles vous arrachent du sang et des larmes est dédié aux zones humides. Facétieux.

Ma ZAD – Jean-Bernard Pouy – Série noire Gallimard – 200 pages – 18€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 25 février 2018



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jeudi 22 mars 2018

Il est une légende





Auteur du "Journal d’un monstre", de "L’Homme qui rétrécit" et surtout de "Je suis une légende",  best-seller décliné en blockbusters qui ont vu Charlton Eston puis Will Smith incarner le dernier homme sur la Terre, Matheson s’illustra tant dans le roman que dans la nouvelle, la SF ou le fantastique. Un dossier très complet rend hommage à cet écrivain majeur  sans qui Stephen King n’aurait peut-être pas été Stephen King.




Richard Matheson - revue Bifrost n° 86 - Édition Le Bélial’ - 191 pages - 11€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 30 avril 2017




mercredi 21 mars 2018

Trou blanc





Erskine Caldwell, c'est la brutalité du matériau humain coincé dans les ornières desséchées de la Grande dépression. On revisite régulièrement ce sud où les Blancs ne le disputent aux Noirs qu'au prix d'un statut mensonger lié à la couleur de la peau. Lov et Jeeter, abrutis par la faim, nous donnent la mesure de la détresse humaine et de l'asservissement des femmes. Au fond du trou. Sans espoir d'en sortir.





La route du tabac – Erskine Caldwell – Traduit de l'américain par Maurice Coindreau – Belfond Vintage – 224 pages – 17€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 4 mars 2018




mardi 20 mars 2018

Bon pain, bon oeil





Ne cherchez pas Niederkaltenkirchen sur une carte. Bien que située en Bavière dans les environs de Landshut, la bourgade du commissaire Franz Eberhofer est totalement imaginaire. Dans cette deuxième enquête publiée par Mirobole, c'est le directeur du collège qui fait les frais de l'intrigue mais la "Grand-Mère" de Franz rassure nos papilles avec ses délicieux petits pains à la vapeur.  





Bretzel blues – Rita Falk – Traduit de l'allemand par Brigitte Lethrosne et Nicole Patilloux – Mirobole – 256 pages – 19,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 25 février 2018



Une recette du Dampfnudle




lundi 19 mars 2018

Les os du Potomac





L'esclavage a donné les pages les plus honteuses de l'histoire américaine. À Washington aussi, de part et d'autre du fleuve Potomac, de sinistres enclos aux esclaves ont contribué à la constitution des grandes fortunes. C'est un peu les conséquences de cette tragédie qu'on découvre dans l'enquête menée par Sully Carter, ancien correspondant de guerre en Bosnie, alcoolique repenti et dur-à-cuire confirmé.





À l'ombre du pouvoir – Neely Tucker – Traduit de l'américain par Alexandra Maillard – Série noire Gallimard – 358 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 25 février 2018




vendredi 16 mars 2018

Sa vie, son oeuvre...



"Longtemps je me suis couché le matin de bonne heure". C'est la phrase par laquelle Jean-Gabriel Lesparres, le narrateur du dernier roman de Jean Contrucci, se débarrasse du chroniqueur venu lui extorquer des confidences sur le "vol" de son manuscrit qui alimente l'actualité littéraire de l'été.




Jean Contrucci met en scène des personnages antipathiques englués dans le "marigot parisien" de l'édition. On parle du "petit monde", mais c'est une machine infernale au pouvoir économique exorbitant et un milieu enclin à surjouer son importance intellectuelle pour justifier des tirages dont la nécessité reste une énigme. Écrivain à succès vieillissant, Jean-Gabriel Lesparres est en couple avec une très jeune femme. Il est riche, admiré, et sans illusion sur la qualité de sa dernière "œuvre". 




Alors que son nom suffirait à maintenir les piles en première ligne chez les libraires, la certitude de ne plus pouvoir échapper à l'insignifiance le persuade d'organiser le "braquage" de son manuscrit. Et surprise, le roman "volé" réapparaît soudain signé d'une jeune auteure mystérieuse.

Même si le héros manipulateur renfloue peu à peu son sens moral, Jean Contrucci ne lâche rien sur le suspense et la critique de l'industrie du livre. Rentrée littéraire, copinage, prix bidouillés, rédacteurs de l'armée des ombres au service des  personnalités dont la destinée rassure le tiroir caisse, loin du festin promis, la littérature est parfois un brouet amer.

Le vol du gerfaut – Jean Contrucci – HC – 240 pages – 19€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 11 février 2018




jeudi 15 mars 2018

Chanson de geste





Relisant Morris aujourd’hui, il est tentant de voir en lui un précurseur de Tolkien. C’est aller vite en besogne. Cet activiste qui faisait feu de tout bois avec talent, poésie, peinture, architecture, est surtout le dernier représentant de l’utopie socialiste du XIXe siècle, un contemporain de Paul Lafargue. La lecture de ce roman de chevalerie décalé plein de femmes-fées et de jeunes gens téméraires n’en est que plus attrayante. 





La Source au bout du monde - William Morris - Traduit de l’anglais par Maxime Shelledy et Souad Degachi - Libretto, 2 volumes - 798 pages – 21,80€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 22 octobre 2017




mercredi 14 mars 2018

L'or noir de Tirana






Petite excursion en 1924 en Albanie. Tirana est l'enjeu d'un étrange ballet diplomatique après le meurtre de deux Américains. Inspiré d'un fait réel, le roman d'Ana Wilms mêle parfum d'aventure et enquête policière sur un territoire dont la dictature d'Enver Hoxha a occulté jusqu'à l'existence à partir de 1944. En 1924, les appétits s'aiguisent autour d'un hypothétique eldorado pétrolier.




Les assassins de la route du nord – Anila Wilms – Traduit de l'allemand par Carole Fily – Actes Sud – 208 pages – 19,80€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 25 février 2018




mardi 13 mars 2018

Étranges étrangers





Eva Dolan réinvestit le parcours balisé de ces migrations douloureuses qui enrichissent le terreau criminel en Grande-Bretagne. Zigic et Fereira forment un couple de flics dépareillés que seules des origines lointaines rassemblent sur les dossiers liés aux violences contre les étrangers. Estoniens, Bulgares, on ne meurt pas toujours de vieillesse dans cette ville dont la loi majeure est celle du marché aux esclaves.





Les chemins de la haine – Eva Dolan – Traduit de l'anglais par Lise Garoud – Liana Levi – 480 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 11 février 2018




lundi 12 mars 2018

Géant de brume






Détroit, ville fantomatique et dangereuse, est une aubaine pour réinscrire l'inquiétante étrangeté du conte dans le réel. Pour son "Géant de brume", Jérôme Loubry revendique une proximité avec les légendes du moyen-âge. Mais l'ogre cueilli dès le premier chapitre renverse les règles du genre en implorant l'aide de l'inspectrice Sarah Berkhamp. Les secrets oubliés de l'enfance sont parfois des bombes à retardement.





Les chiens de Détroit – Jérôme Loubry – Calmann-Lévy – 306 pages – 18,90€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 18 février 2018




vendredi 9 mars 2018

La mer à boire





En fait, comme dirait Jean-Bernard Pouy, journaliste de voyages, ce n'est pas la mer à boire. Plutôt l'occasion de profiter des croisières de luxe moyennant quelques articles de complaisance. Une traversée du suspense pendant laquelle l'envoyée spéciale de Ruth Ware est le seul témoin d'un meurtre. Tangage, roulis et rebondissements pour lecteur en manque d'adrénaline.





La disparue de la cabine N°10 – Ruth Ware – Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié – Fleuve noir – 432 pages – 20,90€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 18 février 2018




jeudi 8 mars 2018

Prémices d'avenir





Avec la reprise de cette trilogie, accompagnée d’une nouvelle appartenant au même univers, nous redécouvrons un auteur souvent classé jeunesse mais dont l’imaginaire égale celui des plus grands dans le genre, Ursula Le Guin ou Frank Herbert: un livre-monde humaniste où le vieux space opera retrouve un second souffle grâce à l’écologie. Malgré toutes ses avanies, l’homme a survécu: et demain sera promesse d’étoiles.





Les Abîmes d’Autremer - Danielle Martinigol - Naos/ActuSF - 495 pages – 14,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 30 avril 2017




mercredi 7 mars 2018

Paris mortels





Avec le "Kanak", un flic de Nouvelle Calédonie affecté au SRPJ de Toulouse, Christophe Guillaumot donne à entendre une voix originale au polar français. Après un passage mouvementé aux stups, le voilà à la brigade des courses et jeux. Un suicide pour le moins inhabituel dans un compacteur à déchets ouvre une intrigue où s'imbriquent la bonhomie rugueuse du Kanak et l'univers désespérant du jeu, entre addiction et combines criminelles.




La chance du perdant – Christophe Guillaumot – Liana Levi – 360 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 11 février 2018