vendredi 29 mai 2015

Sacré coeur







 Un chef d'œuvre se passe de commentaire. Un type en braque un autre sur un parking. La victime veut bien qu'on lui fasse les poches. Elle veut même vider son sac. Pasteur escroc, les flammes de l'enfer ont ravagé sa vie. Épargnons-nous les comparaisons avec les grands auteurs défunts du roman noir. Jake Hinkson est là, dans cette Amérique qui n'en finit pas de se consumer. Sanglante confession. 





L'enfer de Church Street – Jake Hinkson – Traduit de l'américain par Sophie Aslanides – Néo-noir-Gallmeister – 240 pages – 15€ - Réédition Totem Gallmeister août 2017 - 208 pages - 8€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 24 mai 2015






jeudi 28 mai 2015

Exfiltrations





 L'auteur des "Fantômes de Belfast", fin connaisseur de l'histoire secrète irlandaise, déplace les projecteurs, dans ce nouveau roman, sur la période de l'après-guerre. En 1963, Kennedy s'apprête à venir à Dublin où les criminels de guerre nazis ont bénéficié d'un accueil complaisant grâce à une filière d'exfiltration. La traque des agents du Mossad et l'enquête du lieutenant Ryan bousculent le scénario intéressé des collabos. Neville au mieux de sa forme.



Ratlines – Stuart Neville – Traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau – Rivages – 398 pages – 21€ - ***
Lionel Germain




mercredi 27 mai 2015

La belle équipe





 Ça sent peut-être le barbecue mais c'est celui du lecteur. Ces "Poulets grillés" ont la saveur des moments choisis de solitude sous les vérandas d'été. En inventant cette équipe de bras cassés confiée à une commissaire "la bavure" qu'on chérit dès les premières pages, l'auteure redonne un coup de jeune aux vieilles affaires non résolues. Des meurtres sans assassin et un mystérieux naufrage vont remettre en selle les damnés de la PJ. Une décontraction bienfaisante.




Poulets grillés – Sophie Hénaff – Albin Michel – 346 pages – 18,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 24 mai 2015




mardi 26 mai 2015

Effet secondaire





 Daniel Trokic, le héros d'Inger Wolf, est le fruit de sa double appartenance danoise et croate. Il a vécu les massacres de la guerre. Son père et son jeune frère ont été liquidés par les Serbes. Pour le reste, il entretient des rapports assez conventionnels avec sa collègue, l'inspecteur Lisa Kornelius. Dans cette nouvelle enquête, on s'intéresse de près aux conséquences fâcheuses d'une certaine recherche pharmaceutique. 




Noir septembre – Inger Wolf – Traduit du danois par Frédéric Fourreau – Mirobole éditions – 352 pages – 21€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 24 mai 2015




vendredi 22 mai 2015

Transe de vie




 A travers l'ivresse sensuelle de ses trois personnages, un économiste, sa femme, et la jeune fille invitée aux ébats du couple, Dominique Forma analyse la violence des rapports sociaux. Une violence mise-à-nu, trempée de sexe et d'une illusion libertaire rapidement condamnée à réinvestir le champ glacé des conventions sociales. Jeux de masques, jeux de pouvoir, le libertinage n'affranchit que les pulsions les moins recommandables. Rangez les violons.




Amor – Dominique Forma – Rivages – 298 pages – 18€ - **
Lionel Germain




jeudi 21 mai 2015

La Grâce et le Crime




 Il y a peu sur les ondes de France-Info, Michel Serres évoquait la grâce qui l'emportait selon lui sur le crime, accordant à l'humanité l'espoir d'une rédemption à un moment où la nuit l'emporterait plutôt sur le jour, et l'égoïsme des nations sur l'idéal européen. Et c'est un petit livre, que les libraires de chez Mollat à Bordeaux avaient justement repéré dans leur sélection d'octobre, qui nous ramène à ce mystère.






Acteur et scénariste à Berlin, Robert Seethaler remet en scène la Vienne de l'Anschluss. Pour nous raconter le vertige destructeur qui s'empare de l'indolence autrichienne, il imagine la rencontre improbable entre un jeune provincial venu chercher du travail auprès d'un buraliste unijambiste et l'un de ses plus fameux clients, le docteur Freud.





Roman d'apprentissage, le jeune Franz assumant la séparation avec une mère aimante et découvrant à son tour le trouble auprès d'une jeune fille de Bohème, "Le tabac Tresniek" laisse deviner la montée des périls sans jamais se départir de cette innocence. Et si la Grâce devait l'emporter sur le Crime, elle se résumerait aux messages oniriques abandonnés chaque matin par Franz sur la vitrine de sa boutique. "Les croix gammées lancent des éclairs et la fille" sur "la Grande roue" qui écrase tout "crie hurrah, sa robe est légère et blanche comme un lambeau de nuage."

Quand la longue nuit prendra fin, à Vienne comme ailleurs, il restera les livres du vieux docteur, le journal d'une enfant, quelques rêves arrachés au cauchemar, comme un rayon de soleil sur la paille d'un cachot.

Le tabac Tresniek - Robert Seethaler - Traduit de l'allemand par Elisabeth Landes - Sabine Wespieser - 250 pages - 21€ - ***
Lionel Germain




mercredi 20 mai 2015

Sérieux, le dealer!



 "Lorsque la bombe explosa, Ismael, Sébastien, Florence et Oussama cessèrent d'exister.
A l'inverse de la dépêche d'agence, le roman met des visages, inscrit des destins, et installe l'horreur de l'attentat dans la singularité des corps. 




C'est sur cet arrière-plan tragique qu'on retrouve Fitz, le dealer frivole aux pulsions éthiques contradictoires. Association improbable avec son ex-femme commissaire de police, la psycho-rigide Jessica, pour se promener dans les coulisses de l'anti-terrorisme et du marché de l'art. Quand trois fourmis progressent en file indienne, les deux premières peuvent mourir écrasées, il en restera toujours une pour finir le boulot. Sérieux, le dealer!





Trois fourmis en file indienne – Olivier Gay – Le Masque – 268 pages – 16€ - **
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche – 17 mai 2015




mardi 19 mai 2015

Laissée pour compte






 Avec Frank Decker, nouveau héros de Don Winslow, on suit les traces d'une fillette disparue. Afro-américaine de mère alcoolique, elle ne mobilise pas les foules. Du Nebraska à New-York, voyage au cœur d'un monde où les passions tarifées ne font frémir que les dollars froissés dans la poche près du cœur. Les prostituées de 15 ans se perdent sur des talons aiguille et l'innocence est cousue d'or. 





Missing: New-York – Don Winslow – Traduit de l'américain par Philippe Loubat-Delranc – Seuil – 305 pages – 21,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 17 mai 2015




lundi 18 mai 2015

Noyer le poison






 En Bourgogne, on observe les mêmes rituels que dans le Pessac-Léognan pour déguster les crûs. Alfred Lenglet, commissaire divisionnaire à Lyon, nous prouve que les mobiles des criminels aussi se ressemblent. Cupidité, prédation, après l'empoisonnement d'un grand propriétaire, Léa Ribaucourt, 29 ans, cœur à prendre et flic à Mâcon, mène une enquête sur les travers d'une ambition. Un polar viticole à savourer sans modération.





Du poison dans les veines – Alfred Lenglet – Calmann-Lévy – 304 pages – 19,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 17 mai 2015




vendredi 15 mai 2015

Aller au charbon



 Crise des subprimes oblige, une jeune avocate se voit contrainte d'abandonner le luxe feutré des cabinets d'affaires pour un modeste centre d'aide juridique perdu dans les Appalaches. Deux mille habitants dans une poubelle à ciel ouvert. En défendant les plus démunis, Samantha va découvrir le revers de sa fortune. 



Le charbon reste un enjeu économique majeur aux États-Unis, au mépris de toutes les règles de protection de l'environnement, au mépris de la santé des hommes, victimes de la terrible maladie du poumon noir. Le Schlamm, cette boue toxique stockée par les sociétés minières, s'infiltre après fermentation, jusqu'aux nappes phréatiques qu'il contamine au point d'interdire l'usage de l'eau du robinet. Avec Grisham, le constat est sévère mais le droit finit toujours par l'emporter. On aimerait le croire. 




L'ombre de Gray Mountain – John Grisham – Traduit de l'américain par Dominique Defert – JC Lattès – 477 pages – 22,90€ - **
Lionel Germain




jeudi 14 mai 2015

Là-bas



 Là-bas, c'est d'abord pour Anne Plantagenet l'au-delà d'une frontière affective. Fille, petite-fille, arrière-petite-fille de pieds-noirs, elle n'a de l'Algérie que le témoignage d'une grand-mère qui glorifie la lumière d'Alger tout en détestant les Arabes, et les secrets d'un père que la rupture géographique semble avoir condamné au silence.




Une séparation amoureuse et la mort de cette grand-mère offriront en septembre 2005 l'occasion d'embarquer pour Oran avec son père. Elle veut retourner où elle n'est jamais allée comme ses parents sont "rentrés" en France sans en être jamais partis. Rien n'est simple. Longtemps on a parlé des "événements" oubliant de reconnaître qu'il s'agissait d'une guerre. On a transformé tous les Français d'Algérie en exploiteurs au mépris des petits "colons" pauvres, des artisans modestes des villes dont Camus porte témoignage.




La première surprise, c'est Amin, le jeune Algérien qui leur sert de guide. Il n'a pas connu la guerre d'indépendance et ne cultive aucun complexe de "colonisé". "A Oran, les noms de rue ont changé mais tout le monde continue de dire "Place Foch", Place Clémenceau". Deuxième surprise, si eux se réjouissent d'être là, le jeune Algérien, lui, rêve de partir.

Mais le voyage est d'abord un travail de deuil. La mémoire de la grand-mère ne délivrait que des mirages. Le "bel" appartement d'Oran n'était qu'un réduit minuscule, l'église du village n'a plus de clocher, les murs de la ferme sont décatis, il n'ya plus de verger et l'accueil des hommes est rugueux.

Après un détour obligé au cimetière en ruine, Anna laisse transparaître le but caché de ce périple: si l'âge d'or du souvenir est un leurre, elle peut enfin retrouver le chemin qui la mène à son père.

Anne Plantagenet- Wikipédia - CC

  
Trois jours à Oran – Anne Plantagenet – Stock – 176 pages – 17€ - **
Lionel Germain




mercredi 13 mai 2015

Mauvaises cartes





 Dans les années 80, Jason Starr plante le décor du piège à rat qui va croquer les rêves du jeune Mickey. Brooklyn est un enclos. On s'y englue dans les odeurs de poissons, les embruns vous lessivent. Le disco règne sur le monde, un bruit pétaradant et joyeux qui allume des promesses d'envol. Mais l'Alzheimer de son père et les vautours des salles de jeu suffisent à combler le chagrin d'un personnage enraciné dans la débine. Jason Starr est un bon pourvoyeur de larmes. 




Petit joueur – Jason Starr – Traduit de l'américain par Frédéric Brument – Denoël – 247 pages – 21,50€ - **
Lionel Germain




mardi 12 mai 2015

Autour de minuit






 "Caser Mingus ou Monk entre un ris de veau et un filet de saint pierre", c'est le job de Julien, pianiste dans un restaurant fréquenté par une vieille dame. A chaque fois, elle demande à Julien de jouer Lili Marleen. Puis un jour, elle disparaît. Les pianistes de jazz ont de mauvaises fréquentations, même les concertistes contrariés, comme Julien qui finira par retrouver la vieille dame et son passé maudit. Autour des fantômes, autour de minuit. 




Adieu Lili Marleen – Christian Roux – Rivages – 270 pages – 18€ - 
Réédition avril 2017 Rivages noir  - 310 pages - 7,90€ - Trophéé 813 du meilleur roman noir francophone 2016 - ***
Lionel Germain









lundi 11 mai 2015

Évaporation







Le monde va mal. Mais c'est le petit monde d'Emily. Sans le moindre signe apparent de détresse, en dépit d'un mari adorable, elle s'échappe un matin pour devenir une autre femme au destin précaire. Tina Seskis nous enferme alors avec obstination dans le scénario absurde de cette vie minuscule. Et elle jette les clés.







Partir – Tina Seskis – Traduit de l'anglais par Florianne Vidal – Cherche-Midi – 416 pages – 20€ - **
Réédition Pocket mars 2016 - 432 pages - 7,80€ - 
Lionel Germain






jeudi 7 mai 2015

Force obscure






 Commencée avec "Tout ce qui meurt…", la saga de Charlie Parker, détective privé à Portland, trouve une fin très provisoire dans ce roman qui élucide le mystère de ses origines. Toujours accompagné des fantômes de sa femme et de sa fille assassinées, le fils enquête sur son père et voit surgir d'autres menaces aux frontières du réel. Une alchimie subtile entre fantastique et roman noir.






L'empreinte des amants - John Connolly – Traduit de l'anglais par Jacques Martinache – Pocket – 448 pages – 7,70€ - ** –
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche – mai 2010




mercredi 6 mai 2015

L'absolue solitude







 Il s'appelle Charlie Parker mais si sa partition est parfois aussi ténébreuse que celle du Bird, sa musique est moins destinée aux salles de concert qu'aux ruelles sombres où se règlent des comptes définitifs. Connolly excelle à brouiller les repères entre le bien et le mal. Quand un tueur est pourchassé par d'autres tueurs, Parker, détective de l'absolue solitude des hommes, s'affranchit des conventions pour aider ceux qui croisent sa route. 





Les anges de la nuit – John Connolly – Traduit de l'anglais par Jacques Martinache - Pocket – 467 pages – 7,70€ - ** - 
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche – avril 2009




mardi 5 mai 2015

Les Fantômes du Maine







 Se mesurer aux parts maudites de l'âme humaine ne provoque qu'un vertige inoffensif chez le lecteur, et Connolly s'est engagé dans un travail de décryptage plus audacieux du crime. La traque d'un tueur pédophile lui permet par exemple d'énoncer au passage quelques vérités utiles sur l'expérience américaine de répression des délinquants mineurs. Mais le roman ne sombre jamais dans le réquisitoire et les personnages confèrent une poésie troublante aux faubourgs de Portland. 





La proie des ombres - John Connolly – Traduit de l'anglais par Jacques Martinache - Pocket - 576 pages – 8,10€ - **
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche – juillet 2008




lundi 4 mai 2015

On l'appelle Mélancolie



 Il y a une frontière ténue chez John Connolly entre le réel et le surnaturel. Charlie Parker n'est lui-même dans ce roman qu'un fantôme à peine entr'aperçu alors que d'autres aventuriers affrontent la violence souterraine du monde.




Ogre, ou démon trop bien nommé, Moloch vient chercher sa ration de fureur sur une île hantée par ses propres séismes. Une femme effrayée par les retrouvailles avec son bourreau, des enfants solitaires, un peintre étourdi d'alcool et ce flic géant, Joe Dupree, héritier de la sauvagerie fondatrice et dernier rempart contre la prochaine vague. Un géant au regard si triste "qu'on l'appelait Melancholy Joe". Noir poème.






Les âmes perdues de Dutch Island – John Connolly - Traduit de l'anglais par Santiago Artozqui – Pocket – 512 pages – 7,70€ - **
Lionel Germain




dimanche 3 mai 2015

Ruth Rendell: Suspense et tradition









 Même si Ruth Rendell n’aimait pas l’expression “reine du crime”, le titre lui allait bien. Que ce soit dans des romans à suspense comme Regent’s Park ou dans la série plus classique des Wexford, elle faisait preuve d’une maîtrise sans pareille. Comme dans "Sans dommage apparent" qui aborde les problèmes des femmes battues et des croisades anti-pédophiles dans la petite ville imaginaire de Kingsmarkham.




En général, dans les polars, aussi détestable que soit la victime, elle ne pèse généralement que du poids de l'absence, ne générant que des souvenirs, et aussi aimable que soit l'assassin, il éprouve d'ordinaire peu de compassion pour cette victime qu'il avait toutes les raisons d'éliminer. Mais Ruth Rendell nous a habitués à une combinatoire plus subtile. 




Dans "Une mort obsédante", le meurtre apparaît en gestation dans une bonne moitié du livre et c'est enfin l'horreur et la compassion du criminel qui vont avoir le premier rôle. Les amours de Tim, alors jeune étudiant, et d'Ivo, le séduisant paléontologue, ne sont pas condamnées parce qu'elles sont homosexuelles mais parce que Tim se lasse de ce compagnon plus âgé. Ruth Rendell ne nous raconte pas une machination criminelle, elle dissèque le piège psychologique qui se referme sur l'assassin une fois son forfait accompli. Le mort saisit le vif. Et ne le lâche plus.




En fait, Ruth Rendell a utilisé le suspense comme un moyen d'emprise sur le lecteur auquel elle soumet une authentique vision du monde, pleine de respect pour la nature et pour les hommes mais terriblement méfiante envers les idéologies et les manipulateurs de foule. C'est Reg Wexford, l'inspecteur créé en 1964, qui reprend du service dans "Espèces protégées" pour déjouer des preneurs d'otages réclamant la suppression d'un projet d'autoroute. Sa propre femme figure parmi les victimes et les écolos du coin sont de vrais fêlés.







Sans dommage apparent – Ruth Rendell - Traduit de l'anglais par Aline Weil – Livre de poche – 510 pages – 7,10€
Une mort obsédante – Ruth Rendell - traduit de l'anglais par Pierre Ménard – Livre de Poche – 416 pages – 6,60€ -
Espèces protégées - Ruth Rendell - Traduit de l'anglais par Aline Weil – Livre de poche – 416 pages – 6,10€ 
Lionel Germain


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