jeudi 30 avril 2015

Les anciens et les modernes



 Il est pour le moins inhabituel de refermer un livre et de se dire: "que s'est-il passé au juste?" La scène inaugurale d'un roman à énigme ou d'un roman noir offre en général un cadavre en pâture au lecteur/enquêteur. Aux anciens et aux modernes, Charles Palliser répond qu'ils jouent avec des leurres. Ce n'est ni le désir de Vérité ni la Compassion qui animent l'écrivain et par procuration le lecteur. Mais alors que s'est-il passé au juste, dans ce livre que rien n'aurait pu nous faire lâcher avant la dernière page?




Des voyageurs, dans un train bloqué par le froid, se racontent des histoires, et la mort qui survient pour l'un d'eux n'est sans doute pas étrangère aux récits qu'ils se font. Ouvert sous le signe suranné du mystère, le roman explore ensuite une multitude de voies apparemment extravagantes pour interroger tous les grands mythes de la littérature criminelle. Au point qu'on finit par oublier les enjeux d'une narration farcie de chausse-trapes




Sherlock Holmes, Jack l'Eventreur, les séries policières télévisées, Kipling, Barthes et Lacan, le vrai et le faux, tout s'entremêle sans jamais nous décider à rompre avec le désir de savoir où Palliser veut en venir. A cela sans doute, emprunté à Barthes: "A chaque fois que le langage fait sens - par le biais du signifiant -, il tient sa promesse de vouloir dire, mais en la différant avec une exquise malice." Érudite et d'une habileté extrême, la malice est ici éblouissante.

Trahisons – Charles Palliser – Traduit de l'anglais par Éric Chédaille – Phébus – 400 pages – 23,05€ - ***
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche – avril 1996



Du même auteur lire: Le Quinconce




mercredi 29 avril 2015

Istanbul, dernière escale







 Ce ne pourrait être que la chronique désespérante du renoncement pour l'un des plus vieux quartiers d'Istanbul mais grâce à la coalition des destins contrariés par la dictature, Pinar Selek nous entraîne au-delà de la désertion des échoppes. Les dernières années du vingtième siècle, entre tremblement de terre, séisme politique et dérive des sentiments, toute une génération se partage le combat pour la liberté et la nécessité de l'exil.





La maison du Bosphore – Pinar Selek – Traduit du turc par Sibel Kerem – Piccolo Liana Levi – 320 pages – 11,50€ - ***
Lionel Germain


Sur le site de l'éditeur, Pinar Selek filmée pour la librairie Mollat de Bordeaux




mardi 28 avril 2015

La psy d'Ipanéma






 L'assassinat d'un SDF n'intéresse que le commissaire Espinosa. Sans doute parce que ses souvenirs d'enfance flânent dans les impasses de Copacabana où le meurtre a été commis. Mais quel lien entre la victime et la troublante Camila, une psychanalyste d'Ipanéma aux pratiques discutables, retrouvée assassinée dans son cabinet? L'enquête est une déambulation amoureuse et désabusée dans les méandres de l'âme humaine.





Nuit d'orage à Copacabana – Luiz Alfredo Garcia-Roza – Traduit du portugais par Sébastien Roy – Actes-Sud – 256 pages – 19,80€ - ***
Lionel Germain




lundi 27 avril 2015

Robe de deuil



 En 1856, la robe à crinoline est une architecture audacieuse mêlant l'étoffe aux cerceaux métalliques fabriqués par Peugeot. Pas moins de trois personnes sont mobilisées par la Comtesse de Castiglione pour enfiler l'engin de guerre. 



Car la comtesse, séduisante maîtresse de Napoléon III, est une guerrière de l'amour. Jean-Christophe Duchon-Doris restitue dans les moindres détails l'effervescence de cet intermède impérial où son héros, le jeune policier Dragan Vladeski, enquête sur les meurtres de femmes très ressemblantes à la comtesse. La rumeur de la ville, les froissements de tulle, les rêveries coupables des badauds parisiens, les élans amoureux de Dragan, tout est taillé sur mesure pour les amateurs de fresque historique. De la haute couture.




La mort s'habille en crinoline – Jean-Christophe Duchon-Doris – 10/18 – 360 pages – 7,80€ - **
Lionel Germain




vendredi 24 avril 2015

Gueule d'ange, cœur de démon





 Si les histoires d'amour finissent mal en général, c'est souvent parce qu'elles démarrent de travers. Mathieu a une gueule d'ange et un cœur de démon. C'est dans les yeux du diable que Madeleine voit les plus belles preuves d'amour. Vieille fille martyrisée dans sa vie d'employée, elle s'abandonne à ce fils de substitution qui multiplie pourtant les "écarts" de conduite. Une réédition qui prouve le talent de Danielle Thiéry quand elle romance la réalité glaçante de ces vieilles dames qu'on assassine.




Mauvaise graine – Danielle Thiéry – Le Masque – 344 pages – 6,90€ - **
Lionel Germain




jeudi 23 avril 2015

Les préjugés de Dieu





 Voilà un polar où le flic ne l'est que par la volonté de son père. Luca Poldelmengo fracture nos attentes en mêlant le merveilleux nocturne à la lumière grise du quotidien. Pour se montrer enfin à la hauteur des rêves de Papa, Marco enquête sur la mort de sa sœur, directrice d'un hôtel de luxe à Rome. L'Homme noir surplombe le drame, et comme Nietsche le fait dire au serpent: "Bien et Mal sont les préjugés de Dieu."





L'Homme noir – Luca Poldelmengo – Traduit de l'italien par Patrick Vighetti – Rivages – 250 pages – 8€ - **
Lionel Germain




mercredi 22 avril 2015

"Les poings dans mes rêves crevés"


 "Je me contente du superflu. Le nihilisme romantique de mes vingt ans a viré au minéral. Il n'y a pas de guérison possible, et surtout je n'en veux pas. J'avance en rond, les poings dans mes rêves crevés."

Tel se présente Henri Davezac, le personnage central de "Nuit Apache". Ce court extrait donne également la tonalité du premier roman dans la Série noire de Patrick Mosconi. Lui qui avait découvert les meilleurs parmi les auteurs français de polars, n'avait jusqu'alors jamais rien publié chez Gallimard.




"Nuit Apache" nous raconte l'histoire d'une vengeance. Un retour de mémoire qui combine les "événements" d'Algérie à la vie privée tourmentée d'une jeune fille au sang mêlé, Salima Kader. Méprisant la mise en garde de Lew Archer, le privé de Ross McDonald, qui conseille de ne jamais coucher "avec une fille qui est dans de plus sales draps que vous", Henri Davezac, enseignant reconverti scénariste, va se transformer en assistant-réalisateur de son propre drame.





La voix-off en surplomb au-dessus de l'intrigue est celle de Patrick Mosconi. Le scénario à dormir debout sous la pleine lune puise sa substance dans les petites bouffées de rage froide que l'auteur diffuse avec élégance. Nostalgie d'une époque où "la Gauche apprenait le travail de la droite, où le sida n'était pas encore un fléau", où l'aventure de l'esprit n'avait pas sombré dans l'esprit d'aventure caporalisé par les groupuscules. Bref, daté, cent pour cent français, mais passionnant.




Nuit Apache – Patrick Mosconi – Série noire Gallimard N° 2241 (1990) – Folio – 240 pages – 6,40 - ***
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche




mardi 21 avril 2015

Rupture de contrat



 En 1988, Fleuve noir fait peau neuve en créant la "Collection noire". Patrick Mosconi porte le dossard N°1 avec "Nature morte" (il avait un temps créé un label Mosconi, dénichant les meilleurs écrivains pour l'éditeur qui lui confia officieusement un rôle de directeur de collection). Sur son rôle de "découvreur" voir sa fiche Wikipédia.




"Nature morte", c'est l'histoire d'un tueur à gages mélancolique. La cible de son énième contrat est le fils du capitaine sous les ordres duquel il a servi en Algérie. Il ne peut pas honorer son contrat à cause des liens qui l'unissent à cet homme. L'un est un soldat perdu, l'autre un fils perdu, un type sans idéal. Une écriture nerveuse pour une intrigue habile. Jusqu'à la dernière page plane un doute sur le mobile de ce fameux contrat.






Nature morte – Patrick Mosconi – Fleuve noir (juin 1988)
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche


LE GANG DE MOSCONI

Victime d'une machination, Antoine Sorel se retrouve accusé du meurtre de Nathalie, une jeune femme avec laquelle il avait eu une brève liaison. Après avoir eu le temps de méditer sa vengeance en prison, il s'évadera grâce à la complicité de J.B. Pouy, un vieux copain. Il faussera compagnie à Thierry Jonquet et Dagory, les deux gendarmes de l'escorte. Pierrot le Vosgien, autre complice, a planqué un flingue dans les toilettes du train. C'est l'heure du règlement de comptes et les frères Vernon, un étrange couple de jumeaux, l'attendent de pied ferme. Un premier roman clin d'œil pour retrouver tous les membres du gang "Sanguine", l'ancienne collection policière d'Albin Michel que Mosconi dirigeait jusqu'à la fin des années 70.




Sanguine comédie – Patrick Mosconi – Engrenage (avril 1986) 
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche




lundi 20 avril 2015

D'amour et de hasard





 Le lieutenant de police Martin Condé a magouillé pour être affecté à la surveillance de Michael Turner, un homme d'affaires qui use de son pouvoir pour humilier les femmes. Condé est le trou de la serrure par lequel on observe les petits jeux malsains, "expression métaphorique de l'humiliation" contemporaine, et répliques du grand jeu de rôles auquel chacun de nous participe.





On ne joue pas avec le diable – Patrick Mosconi – Calmann-Levy - 261 pages – 17,50€ - **
Lionel Germain – Sud-ouest-dimanche – 19 avril 2015




vendredi 17 avril 2015

Le Cantique des Quantiques



 De "La Môme vert-de-gris" de Peter Cheyney à "La Dame du Lac" de Raymond Chandler, les huit premiers numéros de la Série Noire furent brochés sous une couverture noire et jaune qui deviendra cartonnée par la suite. En 1958, José Giovanni inaugure avec "Le deuxième souffle" une nouvelle présentation. On revient à la forme brochée en convertissant le jaune en liseré blanc sur fond noir. C'est grosso modo  cette formule du "deuxième souffle" qu'avaient choisi les nouveaux stratèges de la collection en 1991 avec l'arrivée de Patrick Raynal. Mais attention, un souffle dévastateur anime les deux cent cinquante pages de ce numéro 2288. 

Dans la lignée du "Londres-Express" de Peter Loughran ou de "La bouffe est chouette à Fatchakulla!" de Ned Crabb, "Cosmix banditos" est un roman inqualifiable. Son auteur, A.C.Weisbecker nous prévient en dernière page qu'on ne sait pas grand chose de lui et qu'il souhaite en rester là. L'ouvrage traduit de l'américain aurait été écrit en 1986 mais l'édition française ne comporte aucune référence de l'éditeur original. Le traducteur, Richard Matas, est aussi un écrivain qui avait délivré ses propres "Folies douces" chez Actes-Sud, (ouvrage réédité en Série noire en 1993). Sachant que Patrick Raynal n'était pas ennemi des canulars, le doute était permis. Avec Internet, les mystères se dissipent et aujourd'hui on sait que Weisbecker est un véritable écrivain scénariste et surfeur.




"Cosmix banditos" est une virée orgiaque à travers la théorie des quanta élaborée par Planck au début du siècle. Un gringo halluciné poursuivi par tous les flics du monde pour une multitude de trafics, un chien victime d'aérophagie et un bandito sonné par l'abus de mescal s'approprient une interprétation de la Réalité Sous-Jacente (les majuscules sont de rigueur) qui les pousse à retrouver la trace d'un astrophysicien et de sa fille précédemment arnaqués par le bandito. 





Cette quête du Graal ponctuée de tirs de mitrailleuses et d'explosions de grenade n'est farfelue qu'en apparence. Pareils aux électrons dont on peut seulement évaluer la probabilité qu'ils ont d'être ici plutôt que là, les banditos n'obéissent pas au déterminisme absolu de la physique classique. Leur escapade est un pied de nez continuel à la logique romanesque. Le principal, c'est que bombardé de particules sub-atomiques plus réjouissantes les unes que les autres, le lecteur, lui, est ravi.

Cosmix Banditos – A.C. Weisbecker – Traduit de l'américain par Richard Matas – Série noire 2288 – Folio policier – 304 pages – 8€ - ** 
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche - mars 1992




jeudi 16 avril 2015

Bande son




 Deux hommes se cherchent. L'un se terre dans un hôtel minable de Madrid et l'autre a purgé une peine de prison pour avoir provoqué la mort d'une femme au volant de sa voiture. Mais est-ce lui le véritable responsable de cette mort? Richard Matas supprime l'illusion du point de vue objectif de l'enquêteur. L'artifice prend la forme d'un enregistrement sur cassettes dont le destinataire est un producteur de cinéma intéressé par leur histoire. Nous n'avons que le récit de Mendel, l'ex-taulard, et celui de Vagey, l'exilé, pour tenter de résoudre l'énigme de leur rapport.



Que l'un soit sourd et l'autre en passe de perdre la parole nous renseigne assez sur les intentions de l'auteur. "Ce qui est écrit ne veut rien dire." Méfions nous donc des scénaristes acharnés à donner le pourquoi de tout, l'avant et l'après de chacun. Il ne reste des personnages qu'une vérité forcément fragmentaire et tourmentée comme si l'énonciation visait moins à réduire l'inexplicable à l'expliqué qu'à nous contraindre à l'inquiétude.




Folies douces – Richard Matas – Actes-Sud – 160 pages – 12,30€ (septembre 1990) – Série noire Gallimard N°2318 (1993) – 160 pages – 5,55€ (librairies en ligne)- **
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche - 1993




mercredi 15 avril 2015

Coupeurs de canne






 D'un côté, Cruz, personnage antipathique et suffisant accusé à tort de l'assassinat d'un syndicaliste, de l'autre, la puissance du clan Carvalho, seigneur des plantations brésiliennes où, pour produire de l'éthanol, on fait trimer les coupeurs de canne dans la grande tradition négrière. Tramée sur le désastre intime de cette famille, la tragédie sociale croise habilement les influences de Hammet, Chandler et Ross McDonald.  





L'or de Quipapà – Hubert Tézenas – Métailié - 244 pages – 10€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 12 avril 2015




mardi 14 avril 2015

Mauvaise mine






 Pour les membres de la communauté inupiat, l'Alaska n'est plus un territoire ancestral mais le terminus d'une civilisation qui les a parqués dans un désœuvrement indigne. Nathan Active est un state trooper métis, flic local fatigué des bagarres de poivrots. Il rêve d'Anchorage jusqu'au jour ou deux suicides le contraignent à s'intéresser à l'exploitation du sous-sol. L'idée est bonne mais la mine est mauvaise.





L'Homme qui tue les gens – Stan Jones – Traduit de l'américain par Frédéric Grellier – Le Masque – 252 pages – 20,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 12 avril 2015




lundi 13 avril 2015

Un sacré flair





 Pirio Kasparov intrigue les militaires. Après une collision en mer, il faut une sacrée constitution pour survivre quatre heures dans une eau à neuf degrés. Mais la jeune femme préfère s'intéresser aux raisons du naufrage. Dotée d'un nez de parfumeur capable de détecter les intrus aux effluves qu'ils abandonnent, elle dévoile le scandale d'une pêche en eaux profondes au mépris de toutes les règles.  






En eaux profondes – Elisabeth Elo – Traduit de l'américain par Carla Lavaste – Belfond – 416pages – 21,50€ - 
Réédition Pocket - Février 2016 - 576 pages - 7,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 12 avril 2015







vendredi 10 avril 2015

Dans l'objectif




 Frank Verbeckas est un infirmier de nuit basé à Manhattan. C'est aussi un photographe amateur, en quête de toutes les failles d'une humanité vacillante. Ses clichés intéressent un marché glauque où se mêlent cynisme et voyeurisme mais sa rencontre avec une jeune escrimeuse séropositive va donner un sens inattendu à cette obsession morbide. Immersion dans les dérives et la marginalité new-yorkaise, ce premier roman très singulier est imprégné de l'expérience de l'auteur qui fut un temps auxiliaire médical à Harlem.




Manhattan Grand-Angle - Shannon Burke - Série noire Gallimard - 225 pages - 17,15€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - Avril 2007




jeudi 9 avril 2015

Les habits neufs de la SN



 Aurélien Masson a pris en charge en 2005 le département polar de Gallimard. Série noire grand format sur papier glacé au recto, titre en jaune, et quatrième de couverture habillée d'un gris très chic. Pour inaugurer son nouveau costume, l'éditeur a publié deux Américains.





Le roman de Thomas Sanchez, publié sous l'étiquette de thriller historique, ne décevra pas les amateurs de grande fresque. Plongé dans la moiteur du Cuba de 1957, on assiste au naufrage du rêve colonial américain avec King Bongo, un métis qui danse entre les bombes et incarne la fusion de l'iceberg et du volcan. Chauds les glaçons.








Norman Green était un parfait inconnu en 2005 (la Série noire a ensuite publié "L'Ange de Montague Street" en 2007). Il est né en 1954 et vit dans le New Jersey. Dr Jack est son premier roman. Il décrit la saga de Troutman Street, nébuleuse dans l'univers aseptisé de Brooklyn. Des junkies, des putes et des clodos, des mafieux qui ont une âme et un ado portoricain qui rêve de s'en sortir. Au final, un bouquin rudement bien ficelé avec un petit quelque chose d'intemporel, un peu comme l'odeur du fumier dans une cour de ferme.  




King Bongo - Thomas Sanchez - Série noire Gallimard - 383 pages – 20,20€ -                Folio – 464 pages – 9€ - ***
Dr Jack - Norman Green - Série noire Gallimard - 313 pages – 18,30€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – d'après un article publié en novembre 2005




mercredi 8 avril 2015

Exercices de pacification






 Présenté comme le grand retour à la science-fiction de Serge Brussolo, "Frontière barbare" est une escapade réjouissante en compagnie d'un exovétérinaire chargé de mission par l'Organisation des planètes unies pour "pacifier et réhabiliter les exomorphes belliqueux". En ménage avec une furie métissée d'extraterrestre, il se retrouve sur Mémoriana, planète peuplée d'exomorphes rebelles. Le délire et l'absurde ne sont bien-sûr qu'une manière détournée de décrire la férocité bien réelle de notre monde.





Frontière barbare – Serge Brussolo – Folio SF Gallimard 2013 – 430 pages – 8,50€ - **
Lionel Germain




mardi 7 avril 2015

Crime réalité






 Les Sixties londoniennes étaient très mélodieuses mais elles charrient encore les scories d'une décomposition malodorante et nous laissent la fâcheuse impression que la brutalité sociale est une invention britannique. Dernier volet de la fresque criminelle imaginée par Jake Arnott, True Crime reprend, sous les années Blair, la description d'une faune perdue dans le spectacle de sa propre reddition. 





True crime – Jake Arnott – Traduit de l'anglais par Colette Carrière – 10/18 – 384 pages – 8,40€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 5 avril 2015




vendredi 3 avril 2015

Argent sale et lessiveuse



 A la fin des années 90, on découvre le commissaire Daquin dans trois romans publiés au Seuil et chez Rivages. Dominique Manotti, agrégée d'histoire, militante politique et syndicale, n'a pas inventé son flic pour nous distraire avec de charmantes énigmes mais pour délivrer les parts d'ombre du monde contemporain. Visite guidée des ateliers de confection dans "Sombre Sentier", du monde des courses sur fond de manipulation politique dans "A nos chevaux" et du football professionnel dans "Kop". 

Quand la série s'arrête, l'auteure poursuit son travail de décryptage en dénonçant l'affairisme "des années fric" ou la logique perverse des délocalisations en Lorraine. Les lecteurs ont pu rencontrer d'autres personnages, comme Noria Ghozali, la femme flic du remarquable "Bien connu des services de police". Un polar sur la corruption d'un commissariat qui résonne étrangement aujourd'hui.


Et revoilà Daquin, plus jeune que jamais dans ce "préquel" marseillais où le commissaire de 27 ans tout juste sorti de l'école va faire ses premières armes. Physique de troisième ligne, gueule assez passe partout, homosexuel, il emménage quai du Port dans l'appartement d'un ami absent. On est en mars 1973. C'est l'époque des règlements de comptes à Marseille et à Nice. Zampa, les Guérini, les noms du grand banditisme de la fin des années Pompidou surgissent à la une des journaux avec en point de mire, la guerre des casinos sur la Promenade.


Pieri, la victime dont s'occupe Daquin, est un Corse. Il a participé à la libération de Marseille avant d'être décoré "Croix de guerre" en 1945. Après un passage occulté dans les marges du système, il devient l'honorable dirigeant d'une société, la Somar, disposant d'un service d'affrètement pour les pétroliers. 

La question à 10000 dollars, c'est la nature des activités qui ont permis à Pieri de devenir ce patron respecté à Marseille. Respecté et protégé par le procureur, instigateur d'une enquête en flagrance offerte au jeune Daquin dans l'espoir d'enterrer l'affaire. La réponse à cette question prend racine dans les rapports noués par Deferre et le clan Guérini. Main basse sur la ville. Une certaine idée du contrat municipal, ancré sur le trafic de cigarettes, la répression des dockers et la mise en place d'une grande lessiveuse pour l'argent de la drogue.

Au moment de sa mort, Pieri était au bras d'une femme. A  partir d'elle, l'enquête met en évidence les liens de la Somar et d'une entreprise de trading de minerai basée en Afrique du Sud. Avec le titre de son roman, Dominique Manotti soulève le rideau derrière lequel se dessinent les grands enjeux internationaux. Le paysage de crise du dernier quart de siècle a la couleur sombre et grasse de cet or noir dont les tankers fantômes irriguent le marché clandestin. Services secrets, French Connection, Israël, Grande Loge, tout est en place pour la parade des ombres. C'est notre histoire. C'est du roman.

Or noir – Dominique Manotti – Série noire Gallimard – 332 pages – 17,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2015




jeudi 2 avril 2015

Bière fiction






 Ne croyez pas que c'est sérieux, Poe doit son nom à son prof de journalisme qui lui assurait qu'il était à moitié poète. Il cherche à sauver de l'enfer les fesses de Dieu Jr., accusé d'assassiner les stars de téléréalité. On s'en serait douté, Poe est également Queca Osman Dendeiro, un auteur courtisé par Hollywood. "Que Os Den", "Allez vous faire…". C'est du Carlos Salem pur jus, fortement dosé en houblon.   





Le plus jeune fils de Dieu – Carlos Salem – Traduit de l'espagnol par Amandine Py – Actes-Sud – 416 pages – 23€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2015




mercredi 1 avril 2015

Duo des Nems






 Parfaitement dégurgité entre le festival de Cannes et les Rencontres d'Arles, ce road-movie retrace le parcours d'un couple de tueurs amateurs d'ombres chinoises obsédés par les photographes à poil long. Rebaptisés avec beaucoup d'humour le "duo des nems", les assassins finalement neutralisés par un commissaire Lucas Dawreski, toujours aussi veuf et dépressif, chercheront vainement à noyer le poisson dans un bocal de la PJ. Addictif, jubilatoire et récurrent. 





Cannes-Arles A Quai – Bill Boulay – Éditions du Trident - 321 pages – 18,50€ - ** 
Lionel Germain


La couverture est une reproduction d'un tableau de Thige intitulé "Nuit".