vendredi 3 avril 2015

Argent sale et lessiveuse



 A la fin des années 90, on découvre le commissaire Daquin dans trois romans publiés au Seuil et chez Rivages. Dominique Manotti, agrégée d'histoire, militante politique et syndicale, n'a pas inventé son flic pour nous distraire avec de charmantes énigmes mais pour délivrer les parts d'ombre du monde contemporain. Visite guidée des ateliers de confection dans "Sombre Sentier", du monde des courses sur fond de manipulation politique dans "A nos chevaux" et du football professionnel dans "Kop". 

Quand la série s'arrête, l'auteure poursuit son travail de décryptage en dénonçant l'affairisme "des années fric" ou la logique perverse des délocalisations en Lorraine. Les lecteurs ont pu rencontrer d'autres personnages, comme Noria Ghozali, la femme flic du remarquable "Bien connu des services de police". Un polar sur la corruption d'un commissariat qui résonne étrangement aujourd'hui.


Et revoilà Daquin, plus jeune que jamais dans ce "préquel" marseillais où le commissaire de 27 ans tout juste sorti de l'école va faire ses premières armes. Physique de troisième ligne, gueule assez passe partout, homosexuel, il emménage quai du Port dans l'appartement d'un ami absent. On est en mars 1973. C'est l'époque des règlements de comptes à Marseille et à Nice. Zampa, les Guérini, les noms du grand banditisme de la fin des années Pompidou surgissent à la une des journaux avec en point de mire, la guerre des casinos sur la Promenade.


Pieri, la victime dont s'occupe Daquin, est un Corse. Il a participé à la libération de Marseille avant d'être décoré "Croix de guerre" en 1945. Après un passage occulté dans les marges du système, il devient l'honorable dirigeant d'une société, la Somar, disposant d'un service d'affrètement pour les pétroliers. 

La question à 10000 dollars, c'est la nature des activités qui ont permis à Pieri de devenir ce patron respecté à Marseille. Respecté et protégé par le procureur, instigateur d'une enquête en flagrance offerte au jeune Daquin dans l'espoir d'enterrer l'affaire. La réponse à cette question prend racine dans les rapports noués par Deferre et le clan Guérini. Main basse sur la ville. Une certaine idée du contrat municipal, ancré sur le trafic de cigarettes, la répression des dockers et la mise en place d'une grande lessiveuse pour l'argent de la drogue.

Au moment de sa mort, Pieri était au bras d'une femme. A  partir d'elle, l'enquête met en évidence les liens de la Somar et d'une entreprise de trading de minerai basée en Afrique du Sud. Avec le titre de son roman, Dominique Manotti soulève le rideau derrière lequel se dessinent les grands enjeux internationaux. Le paysage de crise du dernier quart de siècle a la couleur sombre et grasse de cet or noir dont les tankers fantômes irriguent le marché clandestin. Services secrets, French Connection, Israël, Grande Loge, tout est en place pour la parade des ombres. C'est notre histoire. C'est du roman.

Or noir – Dominique Manotti – Série noire Gallimard – 332 pages – 17,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2015