vendredi 28 juin 2013

La douleur des morts


Un homme, un garçon. Et deux absences: l'enfant de l'un, la mère de l'autre, ou comment parfois la mort saisit le vif. Pour Pierre Vilar, flic au commissariat de Bordeaux, ce fut ce jour de la fin de l'hiver 2000 où son fils ne revint pas de l'école. Disparu. Enlevé. Pour Victor, collégien à Bacalan, quand, de retour chez lui, il trouve le cadavre massacré de sa mère. De profundis. Il n'y a pas d'âge pour la douleur, pas d'âge pour que le monde soit à jamais désert, pas d'âge pour l'expérience du mal. 

Et pendant que Victor, de foyer en famille d'accueil, avec pour seul viatique l'urne contenant les cendres maternelles sous le bras, dérive dans un "après" périlleux et incertain, Vilar mène l'enquête et, de Bordeaux au Médoc, de Mérignace à Castillon, croisera en chemin les échos de sa propre histoire et de son chagrin. "Passé le pont de pierre, les fantômes vinrent à sa rencontre" en quelque sorte…
  
Tant de douleur… Tant de morts… Et ces "Cœurs déchiquetés", impressionnant nouveau roman d'Hervé LeCorre, aurait aussi pu s'intituler "La Douleur des morts", si ce n'était déjà le titre de sa première œuvre, parue voici près de vingt ans. Après une incursion particulièrement réussie ("L'Homme aux lèvres de saphir") du côté du XIXème siècle, de Lautréamont, de Paris et de son petit peuple, LeCorre est de retour parmi les siens, dans cette "principauté noire", quelque part entre la rue Blanqui et la rue Achard, où il s'est solidement installé comme l'un des maîtres de ce que l'on appelait encore voici peu le "néo-polar".
 
 
Au fond, il écrit peu ou prou toujours le même livre; et cela serait plutôt pour nous rassurer tant l'obsession est trop constitutive de ses personnages (la nuit, la perte, la ville comme "capitale de la douleur") pour ne l'être pas aussi de son auteur. Et de Modiano à Marìas, il n'est de grand roman que dans le ressassement. La terrifiante noirceur de celui-ci l'apparente en effet, comme s'en prévaut son éditeur, à l'univers du grand Robin Cook, mais aussi au maître-étalon du polar à la française, Jean-Patrick Manchette, ainsi sans doute qu'au tristement perdu de vue Hugues Pagan et son funèbre "Mort dans une voiture solitaire". 

Mais ici, le nihilisme désespéré se teinte des couleurs de la profonde humanité avec laquelle LeCorre décrit les réprouvés de l'histoire: femmes battues et oubliées, orphelins comme autant d'anges aux figures sales. Et il n'y a pas de nuit qui ne soit aussi une promesse de l'aube comme en ces pages splendides (et très "Nuit du chasseur") où, au cœur du Médoc, un enfant perdu, traqué par un homme qui pourrait être son père, se laisse dériver au fond d'une barque, au fil de l'eau et du fleuve. Après? Après, cela s'appelle l'aurore.
 
Les cœurs déchiquetés – Hervé LeCorre – Rivages – 381 pages – 20€ -
éditions poche Rivages – 480 pages – 9,65€ -
Olivier Mony – Sud-Ouest-dimanche – Juin 2009
 
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