vendredi 14 juin 2013

Hervé LeCorre en Série noire


Quand Hervé LeCorre publie son premier roman en 1990, "La douleur des morts", Bordeaux s’offrait sans masque pour toile de fond d’une intrigue dure dans laquelle un père désespéré coursait le fantôme de sa fille assassinée. Et surprise pour les amateurs de clichés, la ville aux senteurs "de vieille pierre" frissonnait d’un drame contemporain. C’était oublier que la puissance communicante de notre monde "a liquidé l’ailleurs", comme dit Baudrillard. Le roman noir, produit d’importation, élargissait le champ du rêve (américain), versant sombre d’une littérature d’évasion inoffensive.
  
En 1990, le sésame du cybermonde était le 3615. Le Béarn et l’Artois se connectaient avec la même frénésie  pour éponger les mêmes délires. A l'instant où vous reconnaissiez Bordeaux dans le roman d’Hervé Le Corre, sa singularité s’effaçait et la ville n’était plus que le lieu du crime. Une ville identique à toutes les autres, avec des ombres qui se poursuivent sans jamais s’atteindre, des salons de massage et des fêlés de messageries roses.
 
 
   


Promenant ses souvenirs de Bacalan au lycée Montaigne en passant par la Cité Lumineuse qui attend son heure, il publie en 1993 "Du sable dans la bouche". L’irruption de la tragédie dans une histoire de femme blessée qui vient régler ses comptes. 



Bordeaux, Bayonne, le Médoc, la géographie du drame est précise. Non sans raison puisque les protagonistes de l’affaire s’inscrivent dans la mouvance du terrorisme basque. Voilà enfin le lieu du crime assigné par l’Histoire. Sauf que l’Histoire n’est qu’un prétexte. Le vrai sujet, c’est Antigone et son martyre.
     
 
En 1996, il poursuit son exploration urbaine dans un troisième livre, "Les effarés". Sur les ruines désormais de cette Cité Lumineuse. Il n’y est pas né mais "il a vécu ici. (…) C’était rempli de pauvres pleins de problèmes. On a viré les pauvres, en les priant d’emporter leurs problèmes ailleurs." La rage est rimbaldienne, "l’ordre règne et la canicule tient la rue."
 
 
Alors, Bordeaux, Barcelone, Paris, San Francisco ou même la Lune (Copyright), l’exégèse peut se laisser distraire par des nocturnes de circonstance, mais l’auteur se tient au large avec ses créatures. Le roman noir n'a pas de patrie.
 
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Lionel Germain – d'après un article publié dans la revue du CRL