mercredi 12 juin 2024

Théorie quantique des filles disparues


On connait l’histoire du chat de Schrödinger enfermé dans son piège d’isotopes radioactifs et de cyanure et dont on ne peut décider s’il est mort ou vivant tant qu’on n’a pas ouvert sa cage. Cette expérience de pensée est un peu le point de départ de ce livre, inspiré par un fait divers authentique, la disparition de la jeune Paula Jean Welden le 1er décembre 1946. Elle aurait 95 ans aujourd’hui. Mais qu’est-elle devenue? Est-elle encore vivante, ou morte depuis longtemps? 



L’auteur de ce premier roman qui se lit comme un passionnant jeu de piste propose en liminaire, avec sérieux et humour à la fois, une "théorie quantique de la fille disparue": lorsqu’une jeune femme disparaît, elle devient tout ce que les gens ont imaginé d’elle; par le nombre incalculable de ses possibles destins, une fille disparue est plus réelle qu’une fille présente, qui dispose au mieux d’une seule vie. 




Entre polar et ghost story, ce roman raconte surtout l’histoire imaginaire de Mary Garett, une jeune médium déjà cabossée par la vie, venue se mettre parfois maladroitement au service des familles en deuil ou en quête des nouvelles d’un enfant disparu. 

Au fil de ses visions, c’est toute l’Amérique des années noires qui resurgit dans un puzzle angoissant, le maccarthysme, le Sud ségrégationniste d’avant les droits civiques, le racisme, l’homophobie et ses thérapies à l’électrochoc. Le sentiment de culpabilité de l’héroïne, son empathie grandissante pour les victimes, laisse augurer qu’elle a maille à partir avec certaines des histoires qui la hantent – et l’auteur se départit alors de l’apparent détachement du début, l’aventure de Mary Garett, on le sent, va basculer dans le tragique. 

"Une œuvre d’art, même lorsqu’elle se déroule dans le passé, est forcément un produit de son temps", écrit l’auteur, qui tient à préciser, à la fin de son livre, que la révision finale du manuscrit s’est déroulée à Minneapolis au moment des émeutes violentes du printemps 2020, quelques jours après la mort de George Floyd .

Quantum Girl - Erin Kate Ryan - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Perrony - Les Presses de la Cité - 347 pages - 23€ - ***
François Rahier