jeudi 31 août 2023

Beauté fatale


Vous avez aimé "Belphégor"? Vous allez adorer "La Femme sans visage" de Dominique Faget. Même Agatha Christie a tenté une incursion dans l'Antiquité avec "La Mort n'est pas une fin", roman moins connu que ceux de la série avec Poirot mais qui mérite un détour par le rayon obscur de la bibliothèque. Un rayon que Dominique Faget affectionne et qui nous ramène au mélange des genres, fantastique et policier, très en vogue au siècle dernier.



Du 7ème Siècle avant JC du côté de Delphes, au Bordeaux contemporain en passant par les années Trente en Cyrénaïque, le lecteur est invité à se perdre dans cette intrigue où se combinent terrorisme, quête du Graal et meurtres en série. Ritualisés autour d'un effrayant désir de beauté éternelle, ces crimes mettent au premier plan un personnage féminin de médecin légiste lui-même nimbé de mystère. Pour frissonner avant l'hiver.





La femme sans visage – Dominique Faget – Cairn – 371 pages – 12€ - **
Lionel Germain 



Allez les bleus!



Ils aiment les bleus. Pas les porte maillots de l'équipe de France mais les belles ecchymoses échangées à l'issue des matches. L'anti-héros de cette Novella ressemble aux "épaves" que David Goodis scénarisait dans le roman noir américain des années cinquante. Supporter du stade brestois, ceux d'en face l'exaspèrent, et entre bas du front, la castagne est de rigueur. Yvon Coquil, ancien charpentier des chantiers navals, met en évidence les failles d'un personnage abimé par l'alcool et le manque d'horizon. Sur un champ social que les "extrêmes" labourent avec constance, on pressent sa glissade vers une fin de partie désespérée.


Dernier rempart – Yvon Coquil – Éditions In8 – 84 pages – 8,90€ - *** 
Lionel Germain


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mercredi 30 août 2023

Un rêve au carré


Andy Wahrol avait fait de Marilyn l’icône d’un pop art flirtant volontiers avec le marketing. Dans ce roman manifeste de l’"Avant Pop" italienne, une nébuleuse littéraire qui revendique un corps à corps critique avec la culture de masse, c’est tout naturellement qu’on en fait un produit de consommation déclinable en deux versions (la sulfureuse Marilyn Monroe aux lèvres miroirs, la trop sage Norma Jean); ce livre iconoclaste réserve à d’autres représentants en vue de la beat generation et d’une certaine Amérique, un traitement proche. 



Excusez du peu: un jour de 1956, Jack Kerouac devient vigile pour le compte de Coca-Cola dans une station orbitale publicitaire. Il tombe amoureux d’une libraire vamp, Marilyn en personne, qui se trouve être la femme d’Arthur Miller, son patron. Ici, réalité et fiction, un bref instant, coïncident – ou presque. Pendant ce temps, Neal Cassidy, autre beatnik égaré dans les plis du virtuel, perd la trace de Norma, qu’il aime éperdument, etc. 




On ne raconte pas ce livre complètement fou, cocasse et tendre et désespéré à la fois, dont certains chapitres se réduisent à quelques lignes, une photo noir et blanc ou une page vierge. Le titre italien, "Lo spazio finito", dans un jeu de mots difficilement traduisible, fait écho à un espace vidé de son sens par la domination des apparences. Le titre français renvoie à Pascal: la vanité, le silence éternel d’un monde traversé par une tristesse infinie où les personnages errent sans trouver leur salut ailleurs que dans un rêve au carré. 

Plus proche de Philip K. Dick que du jansénisme, cependant, l’auteur semble opter, en désespoir de cause, pour le seul divertissement, le réel n’ayant pas plus de consistance que les songes. Et Tommaso Pincio n’est-il pas un leurre lui-même, lui dont le nom sonne bizarrement comme celui de son presque homonyme américain Thomas Pynchon?

Le Silence de l’Espace - Tommaso Pincio - Traduit de l’italien par Éric Vial - Folio SF / Gallimard - 206 pages – 6,90€ - ****
François Rahier



mardi 29 août 2023

Quartier des perdants





Quand ils adoptent le point de vue du criminel, les romans promènent d'ordinaire un regard cynique sur une société vouée aux prédateurs. Doug Johnstone prend cette logique à contre-sens. Son jeune héros, Tyler, est consigné dans le quartier des perdants à Edimbourg. Sa mère est une junkie, son frère un truand, et la survie du clan se joue dans la préparation des cambriolages de maisons bourgeoises. 



La grande force du roman de Doug Johnstone, c'est de réussir à faire de son jeune héros un résistant magnifique au côté obscur du destin. En protégeant l'innocence de sa sœur, il est un peu comme le personnage du père dans "La vie est belle", celui qui maintient la beauté idéale du monde sur les ruines du réel.

Voyous – Doug Johnstone – Traduit de l'anglais (GB-Écosse) par Marc Amfreville – Métailié Noir, Bibliothèque écossaise – 304 pages – 22,50€ - **** 
Lionel Germain 




Amère défaite



Un homme seul est parfois très habité. C'est le cas de ce Kirby, parti de l'armée sans un pécule et contraint de réintégrer la maison de sa mère. Le portrait s'enrichit dès qu'on fréquente cette femme nimbée d'une aura de film noir des années cinquante: flambeuse, séductrice et mère à temps partiel. Thierry Brun fait de Kirby un héritier de son vide abyssal. Il lui reste à justifier son appétence pour la solitude en perdant la femme qu'il aime et en gagnant quelques tueurs à ses trousses. Pour le rêve, embarquons sur "American Airlines" en compagnie des spectres de l'enfance.



American Airlines – Thierry Brun – Kubik Éditions – 224 pages – 17,50€ - *** 
Lionel Germain



lundi 28 août 2023

Ombres chinoises



J.R. Santos, star du journalisme portugais, est un commentateur averti de l'actualité du monde. C'est d'ailleurs le sens même qu'il espère donner à son travail de romancier, et on peut le vérifier avec cette incursion chinoise. Son héros Tomas Noronha, cryptologue et professeur d'histoire habitué aux collaborations avec la CIA, croise ici le destin de Madina, jeune Ouïghoure martyrisée. De nos systèmes informatiques piégés par le régime totalitaire aux stérilisations forcées des femmes, le tableau est aussi apocalyptique que le roman est passionnant.



La femme au dragon rouge – J.R. Dos Santos – Traduit du portugais par Catherine Leterrier – Hervé Chopin - 624 pages – 22,50€ - *** 
Lionel Germain



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La mémoire qui flanche


Même si l'angoisse est l'un des ingrédients essentiels du suspense, Alafair Burke l'assigne à sa fonction littéraire: faire peur ici et maintenant en embarquant le lecteur dans un cauchemar dont la résolution est une promesse de l'écrivain. Avec "Sans Passé", le contrat s'engage sous les meilleurs auspices. La mystérieuse Hope Miller est un personnage dont la mémoire s'est effacée après un accident de voiture. Une jeune fille de vingt ans non-identifiée, retrouvée sur la route près d'un SUV renversé, victime d'une commotion cérébrale et d'une amnésie d'abord envisagée comme partielle mais qui quinze ans plus tard l'enferme toujours dans l'ignorance d'elle-même.



On est à Hopewell dans le New-Jersey, une petite bourgade de deux mille habitants à quelques encablures de New-York. La voiture était volée, les papiers disparus. La naufragée rebaptisée Hope Miller tente peu à peu de se reconstruire grâce à l'aide de son amie avocate Lindsay. Mais voilà que Hope disparaît après une escapade dans les Hamptons. Lindsay refuse de croire à une simple fugue et son obstination à la retrouver va désormais engager sa vie professionnelle et affective. 


Une série de meurtres dans le Kansas fait également surgir des liens avec cette disparition tandis qu'une enquête ancienne reprise par une détective de la police criminelle de New-York apporte de nouvelles pièces à ce puzzle identitaire.  

L'amnésie est une aubaine pour les auteurs de polar. La virginité du personnage contraint à une reconstitution progressive où se combinent les hypothèses, les mauvaises surprises et les coups de théâtre.  Alafair Burke, fille de James Lee Burke, préfère le suspense au roman noir. Ses collaborations avec Mary Higgins Clark l'ont rôdée au truquage des apparences. Et dans ce dernier roman, les apparences font de Hope Miller une victime qui pourrait bien avoir de vilains secrets. 

Sans passé – Alafair Burke – Traduit de l'américain par Manon Malais – Presses de la Cité – 336 pages – 22€ - ***
Lionel Germain



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version papier





vendredi 25 août 2023

Horst en stock


Profitons de la parution du dernier roman de Jorn Lier Horst pour découvrir ou redécouvrir chez Folio quelques rééditions opportunistes de l'auteur norvégien. Ancien officier de police, il a créé le personnage de William Wisting, un flic de la criminelle de Larvik. Un héros qui se distingue des autres flics de série par un lien très fort avec sa fille, journaliste et souvent enquêtrice elle-même. 



On la retrouve d'ailleurs dans "Fermé pour l'hiver", au cœur de cette affaire de cambriolage qui paraît avoir mal tourné. Outre une pluie surréaliste d'oiseaux morts, Jorn Lier Horst nous livre un passionnant descriptif des techniques policières d'interrogatoire.

"Le code de Katharina" entraine Wisting dans un "cold case" qui met en jeu son rapport d'amitié avec le mari de la disparue, une femme entourée du mystère d'un message abandonné dans sa cuisine. 

Disparition encore avec "Le disparu de Larvik". Même si l'enquête de Wisting est menacée par les certitudes contraires de sa hiérarchie, la vérité est tapie derrière le côté obscur de l'âme humaine. La fille de l'inspecteur est là, moins comme journaliste que comme témoin. Et pour l'inspecteur, l'art d'être grand-père n'est plus en option. Le duo procure le premier plaisir du lecteur.

Enfin, dans cette nouvelle parution en Série noire, c'est bien le "mal en personne" auquel est confronté le héros de Jorn Lier Horst. Un tueur en série réussit à s'évader pendant une reconstitution. La traque va s'avérer périlleuse à cause d'un complice supposé appartenant sans doute à la sphère de l'enquête. Dans une postface inhabituelle, l'auteur raconte comment cette histoire s'est imposée à lui, et comment elle lui a apporté la confirmation tragique de l'existence du "mal". 

Fermé pour l'hiver, Le code Katharina, Le disparu de Larvik - Jorn Lier Horst – Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Folio policier – autour de 400 pages chaque épisode – 9,70€ le volume - ***

Le mal en personne - Jorn Lier Horst – Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Série noire Gallimard – 410 pages – 20€ - ***  
Lionel Germain






Retour de braises


Une histoire en miroir pour Éric, écrivain penché sur un héros qui lui ressemble et dont le parcours militant dédouble son propre itinéraire chahuté. Handicapé dans sa jeunesse après avoir joué les cascadeurs sur une mobylette trafiquée, il retrouve l'amour perdu et croise la route d'autres éclopés qui rêvent du Grand Soir avec un amateurisme désespérant. Mais si la violence se cherche une légitimité dans la menace d'une extrême-droite identitaire au pouvoir, les militants "radicaux" sont aussi les proies faciles des comploteurs. Pierre Hanot a beaucoup de tendresse pour ses soldats perdus de la révolution.


Danse du feu sur le trapèze – Pierre Hanot – Konfident noir – 174 pages – 16€ - ** 
Lionel Germain



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jeudi 24 août 2023

Jus de chagrin

 
"Les jours où elle cédait, le démon pouvait être calmé momentanément. Mais parfois Mo-Mow partait si loin dans la bouteille qu'elle devenait une tout autre femme, une tout autre créature. Le premier signe était sa peau qui se ramollissait, comme si son vrai visage glissait pour révéler cette femme étrange tapie en dessous. Mungo, Son frère et sa sœur appelaient cette version flasque Tattie-bogle: un piteux épouvantail sans cœur et sans retenue. Même si ses enfants essayaient de la remplir de leur amour ou de la redresser et de réunir les morceaux d'elle-même, elle aspirait tous leurs soins et leur attention et semblait aussi creuse que jamais."



Mungo – Douglas Stuart – Traduit de l'anglais (GB) par Charles Bonnot – Globe – 480 pages – 24€ - ***






Dépression, soleil couchant


Un pays en finit-il jamais de solder les comptes de son Histoire? La France de "Vichy", l'Italie fasciste, chaque nation cultive des arrière-pensées qui exhalent des fumerolles sur le débat contemporain. Valerio Varesi est la grande découverte des éditions Agullo. Si on observe l'ensemble des titres publiés depuis "Le Fleuve des brumes" en 2016 jusqu'à ce dernier roman paru en mai 2023, on est frappé par la mélancolie qui imprègne l'œuvre, pas le "langoureux vertige" baudelairien, mais la face médicale d'un signifiant plein d'un jus de bile noire. Le commissaire Soneri, héros récurrent attaché aux faubourgs de Parme est un hypocondriaque malade de sa ville et de son pays dont la partition idéologique semble inguérissable. 




Ici, on s'interroge sur le mystérieux suicide d'un jeune homme et sur l'assassinat à l'arme blanche d'un ancien militant d'un mouvement d'extrême-gauche parmesan. Soneri se défend d'être dépressif sous cette pluie qui menace pourtant de submerger la ville. Quittant le brouillard consubstantiel à son humeur, le commissaire va s'exiler pour les besoins de l'enquête au bord de la mer de Ligurie. 




Malgré la présence affectueuse de sa compagne, la station balnéaire de Levanto lui inspire "un sentiment de décomposition" et ses habitants "l'image d'une humanité mise de côté, comme les déchets que la mer déposait contre les roches en contrebas.

Tempérée par des pauses gastronomiques, cette déprime bien réelle se résout au principe de réalité qui dissipe peu à peu les rêves adolescents de transformation sociale. Soneri n'est pas dupe. Il est flic. Condamné donc à ramasser les morts de cette guerre des mémoires. "Ici, dans la limpidité propre aux matins d'hiver où le regard plongeait jusqu'à ce que le ciel et la mer se touchent, il n'entrevoyait rien derrière les apparences." Magnifique éloge de l'ombre et du brouillard. 

Ce n'est qu'un début, commissaire Soneri - Valerio Varesi – Traduit de l'italien par Florence Rigollet – Agullo – 320 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain


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mercredi 23 août 2023

Des Dieux, des Hommes, des Chats



Auteur phare de la SF des années 70, Zelazny est connu pour la manière très personnelle dont il a revisité la mythologie celtique avec la saga des "Neuf princes d’Ambre". Bien avant Bilal et sa "Foire aux immortels", il avait aussi mis en scène les dieux du panthéon égyptien, ainsi que ceux de l’hindouisme, dans deux romans flamboyants réédités ici dans de nouvelles traductions révisées et complétées. Un troisième titre, moins connu, nous amènera à regarder d’un œil nouveau nos amis les chats: des dieux, ou des extraterrestres ? 



Seigneurs de Lumière - Roger Zelazny - Romans traduits de l’américain par Claude Saunier, Mélusine Claudel et Luc Carissimo - Lunes d’encre / Denoël - 815 pages – 29,40€ - ****
François Rahier





mardi 22 août 2023

Poison des îles

 



Sans doute parce qu'il vit en Guadeloupe où il a même créé un aquarium en 1987, Philippe Godoc s'est senti en mesure d'approfondir le dossier du chlordécone qui empoisonne au sens propre les relations entre les îles et la métropole. Képone, c'est l'autre nom du poison. Répandu entre 1972 et 1995, il a contribué à la pollution et à la multiplication des cancers. 




Philippe Godoc met en scène un journaliste métis dont le père a été victime du pesticide. Enquête guadeloupéenne à hauts risques sur la structure coloniale et prédatrice des Antilles françaises.

Kepone – Philippe Godoc – Viviane Hamy – 432 pages – 21,60€ - ***
Lionel Germain