lundi 31 mai 2021

L'effeuilleur de Magritte


Toni Coppers est un Flamand multirécidiviste du polar notamment grâce à une série consacrée au commissaire Liese Meerhout, spécialisée dans les enquêtes sur le monde de l'art. "L'Affaire Magritte", première traduction française, n'a pas Liese Meerhout comme héros mais Alex Berger (Berger, c'est aussi le nom de jeune fille de Georgette que Magritte épousa en 1922).


 
Alex Berger appartient à la catégorie des dépressifs depuis la mort de sa femme dans les attentats de 2015 à Paris. Policier hors service, il est quand même réintégré officieusement pour enquêter sur les morts mystérieuses accompagnées de cet avertissement: "ceci n'est pas un suicide". Magritte qui avait fréquenté les surréalistes avait lu également Maurice Leblanc et Gaston Leroux. Quoi de plus proche du polar que cette "chose que nous voyons" et qui "en cache une autre" que nous désirons voir? 



On peut gloser à l'infini par exemple sur le tableau des "Amants" où deux personnages s'embrassent, le visage recouvert d'un drap. Toni Coppers écrit une histoire marquée par le mystère et l'incertitude mais dans laquelle domine surtout une étrange "saudade", "nostalgie de quelque chose qui n'a jamais existé."

L'affaire Magritte – Toni Coppers – Traduit du néerlandais (Belgique) par Charles de Trazegnies – Éditions Diagonale – 360 pages – 22€ - ***
Lionel Germain




vendredi 28 mai 2021

Folie furieuse


Après cinq romans noirs consacrés aux aventures du capitaine Mehrlicht, Nicolas Lebel recycle une vieille légende de série américaine. 


Mais Starski, avec un "i", est un flic du Bastion, le nouveau quartier général de la police parisienne délogée du 36 Quai des Orfèvres. Nicolas Lebel joue sur plusieurs tableaux: enquête policière, thriller et remous historiques pour appâter son lecteur derrière ce "gibier" au parfum d'Apartheid. On meurt entre les lignes d'un scénario programmé comme un jeu de rôles. Le flic auquel on s'attache n'est sans doute qu'un leurre et la machination s'offre un bouquet final sur la "danse des furies", modernes déesses de la vengeance.



Le Gibier – Nicolas Lebel – Le Masque – 394 pages – 20€ - **
Lionel Germain




mercredi 26 mai 2021

Il est d'ailleurs



Reflétant les idéaux scientifiques et techniques d’une époque travaillée par la crise, et aussi ses obsessions parfois déplaisantes, ce court roman paru à l’origine en 1938, met aux prises une expédition polaire américaine avec un extraterrestre belliqueux congelé depuis des millénaires. D’une rare maîtrise d’écriture, le texte sécrète l’horreur à l’état pur; là, nulle transcendance, le salut – mais pour combien de temps? – est dans l’élimination radicale de l’autre. Une œuvre qui inspira trois films, dont celui de  John Carpenter en 1982, et, bien sûr, la série des "Aliens".


La Chose - John W. Campbell - Traduit de l’américain par Pierre-Paul Durastanti - Une heure lumière/Le Bélial’ - 118 pages - 9,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 24 janvier 2021



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 21 mai 2021

Pour quelques bouffées de plus


Le "Mal" existe. Pour qui en doute, il suffit de suivre la mort dans son sillage, souvent masquée par des volutes sensuelles. Quelques bouffées encore et l'arrière-plan s'éclaire sur une scène de crime terrifiante, un désastre planétaire. Le coup de maître de Marin Ledun, c'est de fournir aux derniers sceptiques les preuves de l'existence du "mal", cette industrie qui tue patiemment ses clients et travestit son pouvoir de nuisance grâce à un trésor de guerre corrupteur. 




Ils sont deux flics à se mesurer à la pieuvre. Le premier, Simon Nora, enquête en 1986 comme inspecteur de la brigade financière sur un vol de camions d'ammoniac indispensable à la composition des cigarettes. Refusant d'être le pion commis d'office à l'enterrement du dossier, il va jusqu'en 2002 s'obstiner à dénouer les fils de l'affaire. 




Le deuxième, Patrick Brun, enquête sur la disparition d'Hélène Thomas, étudiante qui travaillait en alternance pour la société des camionneurs de l'ammoniac et jouait les informatrices pour les braqueurs. Son recyclage comme Escort-girl par "European G. Tobacco" établira le point de jonction entre les deux traques policières.

Mais dans un bon polar, les méchants doivent être à la hauteur et Marin Ledun ne rate pas la distribution des rôles. En première ligne, Bartels, ancien assistant parlementaire et conseiller ministériel de la "gauche de gouvernement" reconverti dans le privé en lobbyiste. "Mon métier consiste à falsifier, manipuler, abuser, tricher, corrompre pour vendre le plus de cigarettes possible et m'enrichir. Je ne sais faire que cela."

Dans ce thriller dégraissé qui tient toutes les promesses du genre, on regarde du côté d'Ellroy pour le rythme et la puissance documentaire. On est surtout bluffé par la palette du romancier dont chaque personnage est une aubaine pour le lecteur.

Leur âme au diable – Marin Ledun – Série noire Gallimard – 604 pages – 20€ - ****
Lionel Germain 



Lire aussi dans Sud-Ouest



 

mercredi 19 mai 2021

Hantises




Une île au large de l’Écosse, comme les autres, unique: Jura abrita Orwell quand il écrivait "1984"; l’île noire d’Arran et son whisky inspirèrent Hergé; et Scarba voit débarquer un jour le narrateur de ce livre, un nommé Stephen, invité à un étrange colloque autour des films de Kubrick. King et son best-seller "Shining" seront aussi de la partie. Ce roman-hommage du libraire connu de Talence, lecteur et cinéphile, est aujourd’hui opportunément réédité.




Redrum - Jean-Pierre Ohl - Folio SF/Gallimard - 227 pages – 7,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10 mars 2019



Lire aussi dans Sud-Ouest





lundi 17 mai 2021

Call me Dash

 
Du beau monde pour honorer la mémoire d'un père fondateur. On n'en finit pas de rappeler le premier hommage de Chandler lui-même à Dashiell Hammett, l'écrivain qui a sorti le crime "de son vase vénitien" pour arpenter les ombres du monde réel. 


Dans cette réédition d'un recueil de 2015, François Guérif répertorie les héritiers et nous invite à retrouver Hammett détective, comme Wenders l'a fait pour le cinéma. Encadrant les frères Guérif, Jérôme Leroy, Marcus Malte, Oppel, Benoît Séverac et Marc Villard, ce sont Stéphanie Benson et Tim Willocks qui ouvrent et ferment le bal des Pinkerton. "L'âge légal pour mourir" de Stéphanie Benson dessine le portrait d'un privé débutant dans la célèbre agence tandis que Willocks emprunte le regard d'une adolescente effrontée fille d'un syndicaliste assassiné. La rencontre avec Hammett au service des briseurs de grève est savoureuse.


Hammett détective – Collectif – Nouvelles - Préface inédite de François Guérif – Points – 216 pages – 6,60€ - **** 
Lionel Germain 



Lire aussi dans Sud-Ouest




mercredi 12 mai 2021

Dans la zone crépusculaire



L’ange du bizarre revient planer sur la SF française. Entre autobiographie fantasmée lorgnant vers X-files et influence revendiquée des surréalistes, ce recueil de nouvelles et de courts romans fait la part belle, avec humour, à la cryptozoologie ou aux aberrations quantiques, qu’il s’agisse de pliages inopportuns de l’espace-temps au beau milieu du déjeuner annuel des écrivains de SF au restaurant des Trois canettes à Paris, ou d’apparitions monstrueuses dans la Pologne de l’ère Walesa, prodromes de machinations illibérales qui ne sont pas un simple clin d’œil au complotisme ambiant. Le réel n’est jamais loin. 


Espion de l’étrange - Serge Lehman - Hélios/Les moutons électriques - 469 pages – 11,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 31 janvier 2021



Lire aussi dans Sud-Ouest





lundi 10 mai 2021

A l'Ombre jaune


Changez d'ère avec Jean-Luc Aubarbier. Pierre et Marjolaine sont deux héros inoxydables, archéologues et bourlingueurs. Dans ce nouvel épisode en hommage à Henri Vernes, on retrouve le parfum des aventures de Bob Morane et les maléfices de l'Ombre jaune.


L'invitation au mystère est lancée par un ami de Pierre, assassiné peu après en Inde. Comme toujours avec Jean-Luc Aubarbier, le voyage très documenté nous entraîne dans les années noires du Vingtième Siècle quand le nazisme tissait sa toile à l'aide des grandes mythologies païennes. On y apprend aussi que Henri Vernes s'était inspiré de Sax Rohmer, créateur de Fu Manchu et membre d'une secte de "francs-maçons dévoyés que l'on nommait l'Aube dorée." Du Tibet au camp de Struthof en Alsace, la mémoire est meurtrie et on frissonne dangereusement.



Les sept tours du diable – Jean-Luc Aubarbier – City Éditions – 320 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain 



Lire aussi dans Sud-Ouest




vendredi 7 mai 2021

Comme un ouragan


Dolores Redondo a créé le personnage d'Amaia Salazar dans une trilogie dont on peut retrouver l'adaptation cinématographique sur Netflix. Détachée de la police de Navarre, elle rejoint ici le siège du FBI où elle se forme au métier de profileuse. 




Mais l'ouragan Katrina va la propulser en première ligne aux côtés d'un agent qui l'intègre dans son équipe pour traquer la piste d'un prédateur. Et tandis que la Nouvelle-Orléans se transforme en zone de guerre, dissimulée dans les effets déjà meurtriers de la catastrophe, la perversité du criminel donne un caractère apocalyptique à l'excellente reconstitution de Dolores Redondo.




La face nord du cœur – Dolores Redondo – Traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet – Série noire Gallimard - 688 pages – 20€ - ***
Lionel Germain 



Lire aussi dans Sud-Ouest




mercredi 5 mai 2021

Roman noir sur fond d'étoiles





Un bureau de privé banal, avec feutre, trench-coat, pin-up et même le calendrier mural de 1939, l’année du Grand sommeil. C’est pour faire style, car nous ne sommes pas sur la Terre de Chandler, mais sur Luna, après la Grande panne. Un émule de Philip Marlowe, assisté d’un chien cyber augmenté, démêle une embrouille dans le plus sordide quartier du satellite. Dépaysement et humour assurés.




Blues pour Irontown - John Varley - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Marcel - Lunes d’encre/Denoël - 261 pages – 21,90€ - ***
François Rahier



Lire aussi dans Sud-Ouest



 

lundi 3 mai 2021

En liquide


Heine Bakkeid a déplacé au plus haut point le curseur du héros borderline avec Thorkild Aske, ancien enquêteur de la police des polices. 



Il sort de prison, il a raté son suicide, il est farci d'antidouleurs comme un junkie, rayé des cadres bien sûr et convié par son psy à retrouver un statut social de détective privé officieux. La mer est un tombeau accueillant pour cette enquête au pays des tempêtes norvégiennes à la recherche d'un jeune homme disparu.  Malgré le roulis et le vertige des profondeurs, le lecteur, lui, n'en perd pas une goutte. Polar fluide glacial.




Tu me manqueras demain – Heine Bakkeid – Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Equinox Les Arènes – 464 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain