mardi 31 mars 2020

Passionnément





Karine Giébel n'aime pas les demi-mesures. Dans tous ses romans, il y a la recherche du paroxysme et des déflagrations qu'il provoque. Ici, ce sont les liens toxiques entre un patron des stups et sa subordonnée, une jeune lieutenant mère de famille fraîchement mutée dans son service. Quand le roman commence, le drame a déjà eu lieu. Et c'est l'enquête de l'IGPN qui analyse les fruits empoisonnés de la passion.




Ce que tu as fait de moi – Karine Giébel – Belfond – 550 pages – 20,90€ - ** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 mars 2020



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lundi 30 mars 2020

Résidence surveillée






L'"enfer blanc" de l'écrivain allemand Max Annas est un de ces complexes résidentiels sud-africains protégés par de hauts remparts. Les Noirs qui franchissent cette frontière ne sont que des accessoires domestiques. Quand un jeune étudiant tombe en panne à proximité, sa plus mauvaise idée consiste à sauter par-dessus le mur pour demander de l'aide. Éprouvante chasse à l'homme.





Enfer blanc – Max Annas – Traduit de l'allemand par Mathilde Sobottke – Belfond – 192 pages – 19€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 mars 2020



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samedi 21 mars 2020

Aux racines du mal


La victime, Lucie Blackman, est une jeune Anglaise, mystérieusement disparue en 2000 alors qu'elle exerçait la profession d'hôtesse dans un bar de Tokyo. Richard Lloyd Parry explore le quartier de Roppongi, monde à part, cosmopolite et très codifié autour des activités où se mêlent commerce licite, clubs de strip-tease et bars à hôtesse.  Si la jeune femme officiait dans un bar miteux, le "Casablanca", les hôtesses n'y sont pourtant pas comme en Europe assimilées à des prostituées. Lucie se contentait de faire la conversation à des hommes souvent très respectueux des étrangères "blondes aux yeux ronds".





Quand la police finit par arrêter un coupable d'origine coréenne, on découvre la xénophobie de la société nipponne et la rudesse de son système judiciaire. Bouc émissaire idéal, riche et pervers mais héritier d'une histoire familiale compliquée, il sera finalement condamné au terme d'un procès à rebondissements. 





Le travail du journaliste se lit comme un roman. Celui d'une jeune femme en perdition et d'une personnalité multiple, Seisho Hoshiyama, Coréen qui abandonne son identité en 1971 pour devenir Japonais et se rebaptiser Joji Obara. Dans cette "Enquête sur la disparue de Tokyo", sous-titre exact du livre, Richard Lloyd Parry abolit le voyeurisme devant la scène de crime pour interroger les racines du mal. Et c'est passionnant.

Dévorer les ténèbres – Richard Lloyd Parry – Traduit de l'anglais par Paul Simon Bouffartigue – Sonatine – 520 pages – 23€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 1er mars 2020



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vendredi 20 mars 2020

Flamme fatale





Bras droit d'un bandit pas vraiment manchot, Thomas Boral est un mauvais garçon en rupture de contrat dont les fréquentations calamiteuses n'arrangent pas le CV. La flamme fatale du héros pour l'épouse du garagiste complique encore la donne de cette histoire de cavale. La Montagne noire joue un second rôle inquiétant et Thierry Brun déroule son intrigue au bon tempo. Castagne et libido. 





Ce qui reste de candeur – Thierry Brun – Jigal – 192 pages – 17,50€  - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 15 mars 2020



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jeudi 19 mars 2020

Phobies postmodernes





Bien écrit, bien construit, ce thriller horrifique surfe sur les peurs réelles ou fantasmées de notre temps, immémoriales comme celle des araignées, ou contemporaines, la guerre nucléaire par exemple, qui revient au premier plan quand l’international surchauffe. L’irruption du genre chez un éditeur réputé exigeant manifeste son ancrage dans la culture postmoderne, ses questionnements et ses angoisses.




Éclosion - Ezekiel Boone - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jérôme Orsoni - Exofictions/Actes sud - 363 p., 22,50€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 8 avril 2018




mercredi 18 mars 2020

Enver est contre tous





Il suffit parfois d'un premier chapitre pour établir la singularité d'une œuvre. Dans l'Albanie d'Enver Hoxha, les héros sont négatifs, mais rien n'est mieux après la dictature. "La démocratie est une blague. Le communisme était peut-être une prison, mais le capitalisme ressemble au couloir de la mort." Arben, mauvaise graine par excellence, est un héros en cavale qui flirte avec le billot.




Les aigles endormis – Danü Danquigny – Série noire Gallimard – 216 pages  - 18€  -  ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 mars 2020



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mardi 17 mars 2020

La nuit du sacrifice



"Un écrivain est quelqu'un qui, même s'il existe à peine aux yeux du monde, sait entendre au cœur de celui-ci la beauté en même temps que le crime, et qui porte en lui, avec humour ou désolation, à travers les pensées les plus révolutionnaires ou les plus dépressives, un certain destin de l'être."




Le monde sensible est-il autre chose que l'écho des paroles qui le disent? Dans toute son œuvre, Yannick Haenel semble le consigner à la confluence du verbe et de l'image, dans une alliance parfois contrainte entre la littérature et le cinéma, illusion suprême qui nous protège d'une rumeur insensée.





En retrouvant Jean Deichel, le narrateur de deux précédents romans, il renoue avec cette fonction subversive du langage qui fait du réel une fiction "dangereuse", au sens où l'on qualifiait la classe ouvrière au 19ème siècle. Il s'agit de raconter une histoire certes, celle d'un scénariste un peu fêlé qui a écrit "The Great Melville" et tente de fourguer son scénario invendable au cinéaste américain Michael Cimino. 

Mais la bouffonnerie est une arme de déconstruction massive, et surtout rien n'est moins raisonnable que la folie obstinée de l'écrivain. Le trait de cette obstination, c'est le "daim" et la puissance symbolique de son épiphanie chez les grands réalisateurs. En compagnie de Pointel, un producteur improbable, à la table d'un restaurant parisien où Macron officie en maître d'hôtel, la métaphore du "daim" pour expliquer le sacrifice dont chaque nation a marqué ses origines, jette une lumière noire sur la légende heureuse du rêve américain. Melville en littérature, Cimino au cinéma, nous rappellent au contraire "l'immense flaque de sang" qui en fonde l'histoire. Yannick Haenel tourne avec les Indiens autour du dernier chariot mais on ne refait pas le film. 

Après ce repas surveillé par Macron, la rencontre avec Isabelle Huppert évoquant le bordel des "Portes du Paradis", et une dernière escapade au musée de la chasse pour l'apothéose sexuelle dans les bras de Léna, la maîtresse des lieux, le retour au réel se fait par un décapage du goudron nocturne à l'Efferalgan. Le retour au réel ressemble à un mauvais rêve. On ne dira rien au lecteur de cette théophanie macabre. Proust avait les "Noms de pays", Haenel s'installe dans le Pays des Noms. Reliant Paris à cette "logique du sacrifice" qui se déploie dès le prologue, Deichel récite les noms: ceux inscrits dans la pierre, Rabelais, Rousseau et La Fontaine, ceux de son Panthéon personnel. Le monde ne tient que par le miracle du verbe.     

Tiens ferme ta couronne – Yannick Haenel – Gallimard – L'Infini – 332 pages – 20€ - **** 
Lionel Germain 




lundi 16 mars 2020

Femme de tête





Robin Lyons est virée de Scotland Yard pour insubordination. En repli avec sa fille à Birmingham, chez ses parents, elle retrouve un statut de dépendance et une inaction très provisoire après l'assassinat de sa meilleure amie d'enfance. Lucie Whitehouse dresse un portrait peu flatteur de Birmingham, théâtre d'un suspense de bonne facture.





Faute grave – Lucie Whitehouse – Traduit de l'anglais par Marie Chabin – Presses de la Cité – 478 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 1er mars 2020



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samedi 14 mars 2020

L'homme qui pleure


Sandrine a toutes les raisons du monde de se haïr. Depuis sa plus tendre enfance, on lui a répété qu'elle était grosse et moche. C'est avec ce statut qu'elle va tomber sous l'emprise d'un père de famille affligé par la disparition de sa femme. La rencontre amoureuse opère après une marche blanche, exercice de consolation désormais incontournable. 


Devenue la deuxième femme de "l'homme qui pleure", elle accepte et se soumet à la véritable nature du pervers narcissique qu'il dissimule à son entourage.


Le compliment le plus ambigu qu'on pourrait adresser à Louise Mey, saluerait son style d'une efficacité redoutable. Son travail d'écriture est tellement ajusté à la douleur secrète de Sandrine qu'on partage son calvaire jusqu'à la réapparition mystérieuse de la première femme. 


Ça tient à peu de choses, surtout pas aux effets spéciaux, plutôt à une condensation qui puise sa légitimité dans l'évidence, par exemple celle d'une rencontre salvatrice avec la gynécologue, une femme "aux tresses larges" qui "divisent son crâne en rangées sombres (…)Avec quelque chose dedans. De la vie. De la volonté."

Au fil de cette histoire à peine mise à distance par la troisième personne, Louise Mey décrit la force de l'emprise, la réalité du mal et la terreur engourdie d'une victime que l'autrice refuse de nous livrer vaincue. L'homme qui pleure ne pleure que "parce qu'elle est vivante. Et libre."

La deuxième femme – Louise Mey – Le Masque – 336 pages – 20€ - **** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 23 février 2020



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vendredi 13 mars 2020

Péché mortel





Cora Bender a beau ressembler à une femme de la classe moyenne avec un gentil mari un peu mou, un petit garçon intelligent et des beaux-parents détestables, elle a visiblement une case en moins. Petra Hammesfahr  laisse peu à peu entrevoir les contours terrifiants de cette banalité. Marqué du sceau de l'imprécation religieuses, le personnage horrifié par l'idée du péché de chair se condamne au péché mortel pour échapper à son enfer.




The Sinner – Petra Hammesfahr – Traduit de l’allemand par Jacqueline Chambon – Éditions Jacqueline Chambon – 368 pages – 23€ - ****



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jeudi 12 mars 2020

Montréal en chamaille




La révolution dans la Belle Province, la Commune à Montréal, qui pourrait imaginer ça, hormis Calvo, né en France et résident canadien, romancier, dessinateur de bd et concepteur de jeux vidéo? Immersion assurée dans un futur incertain très branché cyberpunk. L’héroïne, une petite privée qui enquête sur d’énigmatiques sacrifices de rongeurs, travaille en même temps dans un vidéoclub fourguant de vieux VHS, ce qui nous vaut  un savoureux sous-texte cinématographique…



Toxoplasma - David Calvo - La Volte - 373 pages - 19€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 25 février 2018




mercredi 11 mars 2020

L'un dans l'autre





En 1989, le monde entier a les yeux rivés sur le Mur de Berlin. Mais dans un petit village du Vaucluse, un couple est anéanti par la disparition de deux jumeaux de onze ans. La fille est retrouvée morte dans une robe de princesse et le garçon reste introuvable. Affaire classée jusqu'en 2018 où la même tragédie se produit au même endroit. Suspense sur l'inquiétante gémellité.





Les jumeaux de Piolenc – Sandrine Destombes – Pocket – 408 pages – 7,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 23 février 2020



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mardi 10 mars 2020

Mécanique des fluides


La libido comme les flux financiers génèrent des turbulences dont les plus belles vagues se sont dissipées à la fin des années 80 sur les eaux du Lac de Genève. Joseph Incardona connaît bien cette Suisse où l'on lessive l'argent sale. Svetlana, jeune financière, et Aldo, professeur de tennis, symbolisent les deux faces d'un obscur désir de puissance. 



Le roman maîtrise tous les paramètres du drame et on "se fait réellement un film" avec la certitude que la littérature nous en donne plus. Comme Matt Mauser, le personnage du détective, loin de sa gloire hollywoodienne, rendu à la grisaille des adultères et à ce "Private Eye" braqué sur les étreintes sordides. Indispensable à ceux qui veulent tout savoir sur la "grande comptabilité cosmique" et la mécanique des fluides.




La soustraction des possibles – Joseph Incardona – Finitude – 390 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain




lundi 9 mars 2020

Pays mormon






Ça sent la poussière, le goudron, les grands espaces et la montagne aussi qui frange le paysage. Les nuits de glace le cèdent au soleil de plomb. On est dans l'Utah avec Ben et son camion qui héberge une gamine en passager clandestin. James Anderson raconte une histoire de survie dans la fureur des trafics d'enfants. Onirique, noir et puissant.





La Route 117 – James Anderson – Traduit de l'américain par Clément Baude – Belfond – 352 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 1er mars 2020



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