La nuit du croquemitaine

Les enfants de la guerre vieillissent mal en général. Le roman d'Éric Cherrière est d'abord une histoire de fils. Et l'histoire ensuite de ces conflits interminables dont la terre de France "abreuve ses sillons" depuis 1870. "Ceux de 14" ont parfois la gueule de travers, comme le frère aîné de l'enfant qu'on découvre en septembre 1918 en train de disparaître avec le mutilé au fond des bois au cœur de la Corrèze. Un mutilé qu'on avait rendu à une mère désespérée au point de préférer leur mort à une vie de souffrance.

Lucien Faure, leur grand-père, trop jeune pour celle de 1870, trop vieux pour les tranchées de 14, collectionne les chagrins. Son fils passé par les armes n'était pas un traître mais un homme en colère. Éric Cherrière raconte cette hérédité du malheur qui nous entraîne jusqu'à la lumière grise de l'hiver 1944. Le grand-père est désormais un vieillard qui vient à la rencontre de ces deux soldats allemands chargés avec leur unité en déroute d'une dernière besogne macabre. 

Mais qui est ce croquemitaine au fond des bois? Et qui est cet autre vieillard allemand en 2020 qui évoque Lucien Faure en français sur son lit de mort?  De ce très beau roman qui se penche sur le destin meurtri des personnages, on retiendra d'abord la force des portraits. Et enfin cette leçon à méditer sur la nature profonde du mal et des idéaux dont se pare la folie guerrière. La douleur, elle, n'a pas de patrie.

Mon cœur restera de glace – Éric Cherrière – Belfond – 192 pages – 18€ - ***  

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 9 février 2020



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Trou de mémoire

"Un vieux malade d'Alzheimer ne se souvient pas s'il a tué ou non une femme dont on n'a pas retrouvé le cadavre, tu parles d'un pitch." L'inspecteur Kornelius Jakobson de Reykjavík est un "troll" amateur de jolies femmes et de vodka. Après avoir apuré quelques dettes un peu troubles dans "Heimaey", il enquête ici sur un tapis de mousse millénaire pollué par une scène de crime sans cadavre. Une belle escapade islandaise. 

Askja – Ian Manook – Albin Michel – 428 pages – 21,90€  - **  

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 février 2020



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Exfiltration

Au moment où la mémoire de Ceauşescu fait l’objet d’un étrange retour dans son pays, ce livre aussi convoque l’histoire, à sa façon. Un président roumain nonagénaire tente de ruser avec le destin en utilisant un portail temporel. Loin de lui procurer une éternelle jeunesse, l’engin fait déferler les hordes de Vlad l’Empaleur, héros national du XVe siècle. Une fable cruelle et désopilante.

Le dictateur qui ne voulait pas mourir - Bogdan Teodorescu - Traduit du roumain par Jean-Louis Courriol – Agullo - 186 pages – 17,50€ - ***

François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 18 février 2018

Scarlett

"Elle s'est présentée en rougissant, à cause de son prénom, une folie de ma mère sur la table d'accouchement, parce qu'elle avait revu le film quelques heures avant de me mettre au monde. Et elle a enchaîné en m'adressant des excuses pour son intrusion forcée. Dans la salle d'attente mal éclairée, je n'avais pas été frappée par la beauté de cette fille, mais ici, dans ce bureau, je dois dire qu'elle m'en bouchait un coin. (…) C'était plutôt ce qu'elle dégageait qui séduisait. Elle était lumineuse malgré la lueur sombre dans son regard…"

  

Adieu Lola – Simone Gélin – Cairn – 450 pages – 12,50€  - **




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Dernière pénitence

Dernier épisode de la série des "quatre saisons", et dernière occasion de partager la bonhomie obstinée de l'inspecteur Gilles Sebag à Perpignan. Au cœur de la "Sanch", procession des pénitents du Vendredi Saint, un homme est assassiné pendant qu'un peu plus loin, une bijouterie se fait braquer. L'humanité de Sebag confirme l'aveu final: "La police a davantage besoin de psychologues que de tireurs d'élite".

Une ritournelle ne fait pas le printemps – Philippe Georget – Jigal – 264 pages – 19€ - ***    

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 février 2020



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Convoi funèbre

Les personnages de ce court roman sont des marqueurs du mauvais genre, "Vieux" et "Gros", calibrés à la juste épaisseur des "bad guys" de romans noirs. Deux figures de style au volant d'un camion bourré de cadavres. Les morgues sont pleines, les cimetières aussi, et le Gouverneur mexicain exige cette fuite des corps pour espérer sa réélection. A partir d'un fait divers de 2018, Sébastien Rutès scénarise avec style. 

Mictlan – Sébastien Rutès – Gallimard la Noire – 156 pages – 17€ - **  

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 9 février 2020



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L'expérience-Polar Express

L'Expérience – Alan Glynn – Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau – Sonatine – 336 pages – 21€ - ***

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Noir à tiroirs

L'œuvre autour de la détective privée Claire DeWitt sent la poudre des vieux 9mm et la naphtaline qui protège les "Pulps" des années vingt du siècle dernier. Comme en psychanalyse avec les freudiens "canal historique", les détectives privés de Sara Gran courtisent des maîtres titulaires de chapelles plus ou moins hostiles les unes envers les autres.

Adepte du criminologue français Jacques Silette, un producteur d'aphorismes qui comblent son désarroi existentiel, Claire DeWitt appartient à une école dont les congrès attirent une foule de dix personnes. Sa vie commencée dans les faubourgs de Brooklyn est consacrée à "l'interprétation d'un cauchemar", avec ses phases résilientes qui masquent des rebonds de terreur. Dans un cauchemar, on ne se reconnaît pas. On est comme une entité impalpable en mouvement sur un territoire que le rêveur semble avoir dessiné lui-même.

Dans le troisième épisode de ses divagations, Sara Gran mêle habilement les ingrédients du roman noir violent et les déductions hilarantes sur trois périodes de la vie de Claire: le présent où elle survit en dure-à-cuire à une tentative de meurtre, le retour sur la disparition mystérieuse de son amie d'enfance et la parenthèse californienne pour valider son affiliation à l'ordre des détectives. Une multitude de flash-back pour une carrière recomposée avec ce soupçon de folie qui caractérise le monde imaginaire des héros de papier.

Du sang sur l'asphalte – Sara Gran – Traduit de l'américain par Claire Breton – Le Masque – 288 pages – 21,50€ - *** 

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 26 janvier 2020



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Un trou dans l'agenda

Superbe dérive aux frontières du fantastique pour un homme cloué au lit après avoir perdu sa femme dans un accident de voiture. Un dernier face à face avec une belle mère qui creuse un trou dans le jardin. Se souvenir de ses erreurs, de sa vie tout simplement. Savoir que les larmes viendront un jour ou l'autre. Que personne n'est jamais consolable. Le jardin nous attend… . Magique et inquiétant.

Le Jardin – Hye-Young Pyun – Traduit du coréen par Lim Yeong-Hee et Lucie Modde – Rivages noir – 156 pages – 19€ - ****

Lionel Germain

Épiphanies

Un camp de réfugiés quelque part en Tunisie. La misère ordinaire de jeunes gens déracinés, des Irakiens, un Érythréen, et, au milieu d’eux, un adolescent encore plus paumé, sans mémoire et doté de pouvoirs étranges. Dans ce monde, le nôtre, en proie aux affres d’une crise planétaire et peut-être métaphysique, tout devient signe. Est-ce un ange, Dieu revenu sur Terre, un extraterrestre? Au terme d’un récit tout en pudeur, le lecteur engrange plus de questions que de réponses…

Issa Elohim - Laurent Kloetzer - Le Bélial’ - 124 pages – 8,90€ - ***

François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 18 février 2018

Fuite des capitaux

Le trésor prend l'eau assez vite parce que le marin aux commandes du voilier n'a rien du loup de mer. En train de sombrer, Neal Nathanson chargé de récupérer 10 millions de dollars avant leur évaporation définitive dans les paradis fiscaux, est sauvé du naufrage par une navigatrice en solitaire que le magot ne laisse pas indifférente. Mark Haskell Smith nous régale avec une galerie de personnages au sens moral fortement ébranlé par l'appel du gain et du large.

Coup de vent – Mark Haskell Smith – Traduit de l'américain par Julien Guérif – Gallmeister – 256 pages – 22€ - ***

Lionel Germain

L'arbitraire du signe

Qui mieux que Sherlock peut se moquer de Sherlock? Certainement pas ce cher Watson qui découvre dans la première nouvelle de ce recueil à quel point la méthode holmésienne est élémentaire. Son brusque sursaut d'indépendance déductive est mis à mal par l'ironie cinglante de son ami.  On retiendra au passage que le "signe" est arbitraire quand on le choisit pour démontrer ce qu'on sait déjà. Conan Doyle est ici en compagnie de quelques pasticheurs de talent.

Élémentaire, mon cher Conan Doyle – Collectif – Préface de Thierry Saint-Joanis, président fondateur de la Société Sherlock Holmes de France – Rivages noir – 192 pages – 7,50€ - ***

Lionel Germain

Cauchemar stalinien

Dernier épisode d'une trilogie conçue autour du personnage de Sarah Geringen, inspectrice norvégienne au cuir durci sous les épreuves. Incarcérée sur malentendu, elle sort de prison pour apprendre la mort de son père, assassiné dans des conditions atroces. Nicolas Beuglet aime les grosses productions qui vous font voyager. Ici, l'Île du Diable ravive le cauchemar stalinien et Sarah est dans de sales draps.

L'île du diable – Nicolas Beuglet – XO – 320 pages – 19,90€ - **

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 3 février 2020



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Début de la fin

Un peu comme le héros de son dernier roman, Adam Chapman, qui est certes capable de réhabiliter un immeuble ancien mais dont la vie s'effondre après la nouvelle de l'assassinat de sa femme, Vincent Musso est un bâtisseur sans scrupule. Il mine  la raison de son lecteur avec une histoire basée sur les effets trompeurs de la mémoire et la sensation de "déjà-vu". Surprenant final.  

Un autre jour – Valentin Musso – Seuil -  312 pages – 19€ - ***

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 26 janvier 2020



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