samedi 13 juillet 2019

Migraine, mi-blues



Peut-être que sans le blues, les femmes n'existeraient pas, contrairement à l'affirmation de John Lee Hooker reprise par Michel Embareck. En tout cas une certaine idée des femmes trimballée par les "série noire" du siècle dernier, des femmes aux lueurs de frigo dans les yeux, la poisse chevillée au corps des hommes qui les réchauffent. Ici c'est un père et sa fille que les concierges d'hôtel hésitent à qualifier d'escort. Ils se retrouvent après une longue séparation. La poisse du père s'épanouit comme une fleur vénéneuse sous son crâne. Une migraine qui accompagne l'auteur-narrateur dans cette croisade entre Memphis et la Nouvelle Orléans à la recherche d'une vérité sur la mort de Robert Johnson.




Les bémols donnent sa véritable couleur au bleu éraillé de la bande son. Le vieil homme est amer. Sa fille le lâche en route après avoir maudit Faulkner que le monde entier continue de préférer à Caldwell. Lui reste en mémoire la présence obstinée d'une maîtresse disparue, elle aussi. Et peut-être bien que sans les femmes, le blues n'existerait pas. Mélancolie indispensable comme un soir de pluie en bord de mer.  





Une flèche dans la tête – Michel Embareck – Joëlle Losfeld – 114 pages  - 13€ - **** 
Lionel Germain







Douleur en barre




Avec les enquêtes de Victor Dauterive, Jean-Christophe Portes nous téléportait en pleine révolution française. La série historique a obtenu le prix du polar Saint-Maur en Poche en 2018. C'est désormais l'époque contemporaine qu'il retrouve en créant un duo bien typé pour démêler le mystère de cette femme décapitée, plantée sur un piquet dans le jardin d'un manoir. Le petit fils de la propriétaire est un notaire un peu hors-sol. Grâce à une journaliste borderline, le voici à la recherche d'un trésor sulfureux.



Minuit dans le jardin du manoir – Jean-Christophe Portes – Le Masque – 384 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain



Réédition septembre 2020: Le Masque poche – 368 pages – 8,50€




vendredi 12 juillet 2019

Échange standard





L'échange de bébés à la maternité, c'est le genre d'événement tellement improbable que personne ne veut y croire. Sasha, l'héroïne de Susi Fox, est persuadée que le bébé qu'on lui présente n'est pas le sien. Son mari ne la soutient pas. Les infirmières la tiennent à distance des couveuses, et c'est finalement la psychiatre qui cherche à la convaincre de son erreur. En reprenant un thème éprouvé du suspense, l'auteure australienne interroge l'instinct maternel et propose une fin surprenante.





L'Erreur – Susi Fox – Traduit de l'anglais (Australie) par Héloïse Esquié - Fleuve noir – 360 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain




jeudi 11 juillet 2019

Ici Londres?






Londres nazifié, Churchill mort, George VI en prison, on finit par s’habituer à la manière dont l’uchronie revisite l’histoire. Alors, un livre de plus? Non. D’abord il est paru voici 40 ans. À l’époque on ne disait ni thriller ni uchro machin chose, mais roman d’espionnage. Ensuite l’auteur tenait son rang aux côtés de Ian Fleming ou d’un certain John Le Carré. Comme ses pairs il codait le réel pour mieux le rendre lisible.






SS-GB - Len Deighton - Traduit de l’anglais par Jean Rosenthal - Folio SF/Gallimard - 518 pages – 8,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10 juin  2018




mercredi 10 juillet 2019

Transport en commun







Troy voyage léger. Principalement avec les affaires des autres. Cet emprunteur sans ambition a quand même un projet: entraîner son frère dans un road-movie improbable pour récupérer l'argent volé par une belle sœur indélicate. Avec une invitée clandestine dans le coffre, une gamine à la recherche de son père, le voyage forme la jeunesse.






Presidio – Randy Kennedy – Traduit de l'américain par Éric Moreau – Delcourt – 346 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 7 juillet 2019



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mardi 9 juillet 2019

Saké de famille






Mettez-lui un feutre légèrement penché, écoutez claquer le capot du Ronson, et dans le halo bleuté de sa cigarette vous verrez la silhouette chandlérienne de Sawazaki au volant d'une Nissan Bluebird aux durites aussi épuisées que ses artères. Le privé des années 80 enquête sur l'enlèvement d'une môme à Tokyo. Embrouilles et secrets de famille.





La petite fille que j'ai tuée – Ryo Hara – Traduit du japonais par Dominique Sylvain et Frank Sylvain – Atelier akatombo – 376 pages – 18€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 7 juillet 2019



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lundi 8 juillet 2019

Papiers suisses






Des milliards de milliards de dollars. C'est la part des anges des paradis fiscaux dont certaines enseignes clignotent au cœur de l'Europe. Le roman de Cristina Alger a tous les défauts du mélange des genres, romance et investigation, mais c'est aussi sa force d'attraction principale. On y observe depuis Genève la corruption généralisée du monde de la finance. 





La Femme du banquier – Cristina Alger – Traduit de l'américain par Nathalie Cunnington – Albin Michel – 416 pages – 21,90€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 7 juillet 2019



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samedi 6 juillet 2019

Morgue pleine à Stockholm



Si le duo se labellise en littérature comme dans l'industrie, les "Jacob et Delafon" du polar suédois ont dû batailler pour convaincre les éditeurs de la pertinence de l'affiche.





La trilogie publiée chez Mazarine met en évidence une pratique de la police suédoise aussi réelle que discutable. Roslund s'en explique dans la post-face du dernier volet. 

"La police durant de nombreuses années s'est servie d'infiltrés et d'informateurs – une collaboration longtemps niée (…) Quand un criminel était découvert, l'autorité policière qui l'avait recruté l'abandonnait, les chefs de la police protégeaient leurs postes, mais pas leurs employés".

Ainsi naquit l'autre duo, fictif celui-là, constitué de Piet Hoffman dans le rôle ingrat de l'infiltré et d'Ewert Grens le flic. Après avoir échappé à la mafia polonaise dans "3 secondes", Hoffmann se retrouve au cœur des cartels colombiens dans "3 minutes" et en Afrique pour une dernière escale dans un réseau d'exportation d'êtres humains, tandis qu'Ewert Grens enquête sur des cadavres non répertoriés dans la morgue de Stockholm. Les affaires sont liées bien-sûr. Hellström est mort des suites d'un cancer en 2017 mais Roslund, qui lui rend hommage dans le troisième épisode, ne s'interdit pas de poursuivre la série. Indispensable dans le sac de plage.    

La trilogie d'Anders Roslund et Börge Hellström – Traduit du suédois par Philippe Bouquet et Catherine Renaud Mazarine: "3 secondes" - 590 pages – 22,90€, "3 minutes" - 560 pages – 22,90€, "3 heures" – 450 pages – 22,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 23 juin 2019



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vendredi 5 juillet 2019

Terreau de terreur



"J'ai toujours entendu mes parents évoquer l'Algérie. J'ai très tôt compris que ce pays leur manquait, qu'ils y avaient leurs souvenirs mêlés aux nombreuses polémiques soulevées pas cette guerre. Mon père était dans les forces spéciales à Oran.






À l'intersection du roman et du documentaire, le récit d'un ancien flic de la B.R.I. en charge de l'intervention de l'Hyper Casher et du Bataclan raconte la genèse coloniale de nos rapports troublés avec l'Islam. De l'Algérie de 1961 au drame de 2015, petit inventaire du terrorisme.






Le chat d'Oran – Georges Salinas – Mareuil – 270 pages – 18€ - ***
Lionel Germain




jeudi 4 juillet 2019

Y a un truc?





Anton est magicien pro et cachetonne de maisons de retraite en centres commerciaux. Un soir, il percute sur la route un canapé Chesterfield, et cet accident l’amène à franchir la lisière d’un monde. Lui le raisonneur, qui sait qu’il ne fait pas de magie "pour de vrai", rencontre un elfe malfaisant et les vertus du gâteau roulé suédois dans la protection contre le mauvais sort. Un roman goûteux.






La vie est un millefeuille à la vanille - Lars Vasa Johansson - Traduit du suédois par Hélène Hervieu - Fleuve éditions - 411 pages – 19,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 7 janvier 2018




mercredi 3 juillet 2019

Grande Dépression


"Y m'a dit, t'en as plus que pour six mois. J'ai dit tant qu'à faire, autant les passer à boire, les six mois. Y m'a dit, fais comme tu veux, de toute façon tu y passes. Tu te fais la malle avec ton cancer. Ton estomac, c'est une vraie passoire, si tu vois ce que je veux dire. J'ai dit je voudrais bien tenir le coup jusqu'à mes cinquante berges. Le toubib m'a dit, tu tiendras pas jusque-là. J'ai dit, de toute manière, qu'est-ce que ça peut foutre?"



L'herbe de fer – William Kennedy – Traduit de l'américain par Marie-Claire Pasquier – Belfond Vintage – 288 pages – 18€ - **** 



Sur le site de l'éditeur




mardi 2 juillet 2019

Polar polaire



Dans l'avion qui l'amène à Copenhague, l'éditeur Delafeuille s'interroge sur les ruminations du narrateur invisible et omniscient en charge de sa présence au monde. 



La discordance majeure se laisse entendre dans le flux des obscénités qui ponctuent sa propre apparition, surchargeant celle-ci d'une parole indésirable opposant l'écrivain à sa créature. L'ironie domine la rencontre entre l'éditeur et l'auteur de "polar nordique". L'un est piégé au cœur même du roman de l'autre et bascule entre les lignes dans une intrigue qui se joue en miroir des prétentions réalistes de la fiction. Mais Luc Chomarat, exécuteur des basses œuvres de la littérature, est un bourreau au cœur tendre.



Le dernier thriller norvégien – Luc Chomarat – La Manufacture de livres – 208 pages – 16,90€ - **** 
Lionel Germain



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lundi 1 juillet 2019

Sous l'eau







Défigurée après une opération et plaquée par son mec, Noémie, une femme flic aux nerfs à vif est "délocalisée" par sa hiérarchie dans l'Aveyron. La construction d'un barrage a englouti les maisons et le souvenir des enfants mystérieusement disparus. Noémie refait surface au même rythme que les indices de cette enquête passionnante.






Surface – Olivier Norek – Michel Lafon – 430 pages – 19,95€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 23 juin 2019



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