vendredi 15 décembre 2017

Photo de classe



Vingt-cinq ans après le meurtre de Marie commis en plein cours par un élèves du CM2, que peut-on espérer d'une photo de classe pour comprendre la logique du drame? C'est à cette question que le roman d'Elisa Vix tente d'apporter une réponse. Aujourd'hui médecin, Adèle est une enfant au moment de l'assassinat de sa mère, une institutrice dont elle n'a gardé que de vagues souvenirs.



Manuel, l'enquêteur auquel elle va faire appel est lui-même un ancien élève de Marie. Il est presque trop bien placé pour ce décryptage des invraisemblances et des omissions des procès-verbaux. Pourquoi les enfants ne désignent-ils jamais celui que la police a identifié comme coupable et qui est mort en s'enfuyant, victime d'une moto "qui passait par là comme par hasard"? Qu'est devenu cet "homme très grand" caché dans la classe selon l'affirmation d'un des élèves? Où sont passés les témoignages des collègues de Marie et celui d'une fillette voisine de Manuel? 



Flic et partie prenante des secrets de l'enfance, Manuel est aussi prisonnier de l'obsession de sa propre mère. Elle a forcé le maintien en réanimation de son deuxième fils dont Manuel ne peut satisfaire la supplique quotidienne pour abréger sa vie. La romance qui se noue procède par petites touches sans jamais dévorer le scénario initial, et en ménageant une chute inattendue, le polar d'Elisa Vix trace dans la nuit imbriquée de ses deux personnages, une réponse nécessairement tragique à la question  d'Adèle.

Assassins d'avant – Elisa Vix – Rouergue – 176 pages – 18€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 29 octobre 2017




Triple buse





Maya a fait la guerre. Elle a fait son devoir, comme on dit quand on soupçonne une grosse bavure dans les plis du CV. Harlan Coben la cueille au cimetière où l'on enterre son mari. Assassiné pratiquement dans les bras de sa femme. On est convié à douter de tout, à commencer par la réalité de cette mort. Un "double piège" auquel succombent des bataillons de triples buses. Pour lecteur averti et consentant. 






Double piège – Harlan Coben – Traduit de l'américain par Roxane Azimi – Belfond – 374 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 5 novembre 2017




jeudi 14 décembre 2017

Les enfants du souterrain



Dans la vraie vie, Lewis Caroll écrivait pour la jeune Alice Liddell et J. M. Barrie racontait "Peter Pan" aux enfants de l’une de ses amies. Quant à Kenneth Grahame, le moins connu des trois, c’est pour son garçon Alistair qu’il avait imaginé "Le Vent dans les saules". Ici, dans le roman, Esmeralda A. Jones a inventé "Le Pays imaginé" pour son fils Jerry.




C’était il y a des années. Le livre a fait le tour du monde et son auteur est devenu immensément célèbre. On vient même d’ouvrir un musée à sa gloire. Ruth Berry, une journaliste qui travaille pour une revue littéraire, se met en tête de retrouver le fils de l’auteur, un quinquagénaire étrangement mutique sur son enfance et qui paraît n’avoir plus de relations avec sa mère. 




Et si Jerry avait vraiment trouvé la porte dans l’arbre, et que sa mère lui ait volé son enfance? Il en a peut-être été de même pour Alice, les jeunes amis de J. M. Barrie et tous les autres d’ailleurs. Au début de son enquête, Ruth ne se doute pas qu’elle va devoir elle-même franchir le passage et descendre aux enfers pour retrouver sa propre fille, et la disputer aux étranges déités qui hantent les souterrains du monde où nous vivons. Dans le dédale des stations oubliées des métros de New York ou de Londres, elle rencontrera Seth et Osiris mais aussi des savants fous et un délire steampunk de machines tout aussi folles. 

Fantasy urbaine ancrée dans l’imaginaire victorien, ses orphelins et ses bas-fonds, ce roman complexe est moins une variation sur les ambiguïtés de la littérature jeunesse qu’une réflexion sur les âges de la vie, le deuil, la perte. On se souvient alors de Peter Pan: "Pourquoi est-ce qu’ils oublient le chemin? Parce qu’ils ne sont plus gais, innocents et sans cœur. Seuls ceux qui sont gais, innocents et sans cœur peuvent voler".

Sombres cités souterraines - Lisa Goldstein – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Marcel - Les Moutons électriques – 249 pages – 19,90€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 28 mai 2017




Bonjour chez vous





Une courte série TV britannique des sixties a immortalisé le Numéro 6 clamant qu’il est un homme libre dans le décor truqué du Village. Quand Disch, vieux routard de la SF, novélise l’histoire, il la tire vers Shakespeare, Kafka ou Borges: la réalité que nous percevons, et dont nous conservons l’épaisseur temporelle par la mémoire, est peut-être illusoire. La prison où l’on vit est le monde.





Le Prisonnier  - Thomas Disch – Traduit de l’anglais (États-Unis)  par Jacqueline Huet - Mnémos – 272 pages – 19€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 19 mars 2017




mercredi 13 décembre 2017

Haute mer





On embarque sur le baleinier pour un huis-clos tourmenté avec l'ancien chirurgien militaire Patrick Sumner. Pour le héros de McGuire, l'ennemi, ce n'est pas la mer et sa puissance menaçante mais le harponneur Henry Drax, un véritable psychopathe et maître chanteur. Polar et grand roman d'aventures, "Dans les eaux du Grand Nord" nous raconte le passé des forçats de la mer, les territoires perdus dans la glace et les ténèbres.   




Dans les eaux du Grand Nord – Ian McGuire – Traduit de l'anglais par Laurent Bury – 10/18 Grand format – 306 pages – 17,90€ - ***
Lionel Germain




Confessions


Né en 1925, Jean-François Coatmeur est mort le 11 décembre 2017.
Grand Prix de Littérature policière en 1976 pour "Les Sirènes de minuit" publié dans la collection "Sueurs froides" de Denoël, il obtiendra en 1980 le Prix Mystère de la Critique pour "La Bavure" chez le même éditeur.


Art subtil qui s’apparente à celui du funambule pirouettant au-dessus du vide, la nouvelle est bien autre chose qu’un roman court. L’imagination féconde de Coatmeur ressemble à une longue nuit où les cauchemars se superposent. Tendresse meurtrière d’un père pour son fils irrécupérable, horreur criminelle d’une nuit de noces, coup de pouce halluciné du destin qui vous débarrasse d’un gêneur ou rébellion fatale du fils modèle contre un père tyrannique, les contours du bien et du mal sont brouillés. Parfois, comme dans “secret défense”, le lecteur s’installe au coin du feu pour un récit plus dense sur les tourments d’une confession. Un bonheur total.


Ballet noir - Jean-François Coatmeur – Albin Michel – 265 pages – 15€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – Novembre 1999



Voir aussi l'hommage rendu sur le site de L'Oncle Paul.




Grand huit et poupée russe





Les blessures de l'enfance nourrissent les plaies à venir, nous dit Gilda Piersanti. L'homme est une énigme à lui-même et la littérature la meilleure feinte pour décrypter cette "illusion tragique". Une femme écrivain raconte la vie d'un gamin de Rome témoin d'une scène compromettante. Mais le véritable auteur nous échappe jusqu'au dernier chapitre de ce "grand huit émotionnel" où les poupées russes s'emboitent comme des poupées d'amour.




Illusion tragique – Gilda Piersanti – Le Passage – 288 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 29 octobre 2017




mardi 12 décembre 2017

Rare et cher






Oppel avait déjà alerté les lecteurs sur les horreurs environnementales provoquées par les merveilles technologiques de la Silicon Valley. Dans nos téléphones se nichent les métaux qui empoisonnent les vallées africaines. "Cérium" est l'un des 17 métaux qui composent les "Terres rares". Filoche et Raynal en font l'enjeu d'un trafic contrôlé par la mafia chinoise. Inquiétant.






Cérium – Gérard Filoche et Patrick Raynal – Cherche Midi – 270 pages – 19,80€ - ** 
Lionel Germain




L'espace d'un chagrin






Elle s'appelait Rose. Plus longue qu'un matin, sa vie est quand même raccourcie par le tranchant d'une lame. Dans une Bavière frigorifiée, c'est le premier épisode consacré au commissaire Waechter. Enquête sur la présence d'un adolescent mutique et couvert de sang près de la victime, l'intrigue offre en prime le portrait réussi d'un équipier de Waechter pris dans une tourmente familiale.  






Sous son toit – Nicole Neubauer – Traduit de l'allemand par Pierre Malherbet – Robert Laffont La Bête noire – 432 pages – 20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 12 novembre 2017




lundi 11 décembre 2017

Le choix du deuil





Romancier, poète, nouvelliste mais surtout amoureux de ce monde bruissant qui échappe à la domestication, Ron Rash raconte l'affrontement autour des enjeux environnementaux. Doit-on construire un barrage pour délivrer le corps d'une fillette prisonnier des rochers sous la rivière? Le Wild and Scenic Rivers Act protège la fougue parfois meurtrière de la Tamassee en Caroline du Sud. À travers le regard de Maggie, photographe reporter, Ron Rash rend un hommage à la nature sauvage des Appalaches.




Le chant de la Tamassee – Ron Rash – Traduit de l'américain par Isabelle Reinharez – Points Seuil – 264 pages – 6,90€ - ***
Lionel Germain




Rude movie





Un trio magique, celui de l'enfance, se condamne au destin d'un trio infernal. On l'ignore au début du voyage mais l'enfance n'est qu'une gare de triage. Trois amis d'un petit bled de l'Utah, deux garçons, une fille. Trois promesses de vie inséparable rompues par l'avidité des ogres et le fracas du monde réel. En forme de road-movie mémoriel, voilà un roman magnifique sur l'effritement des rêves.





Retour à Duncan's Creek – Nicolas Zeimet – Jigal – 296 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 29 octobre 2017




vendredi 8 décembre 2017

Courroie de transmission






Pour ce premier roman sur les rapports compliqués d'un trio de sœurs, on est plus proche de Daphné du Maurier que du "Baby Jane" d'Henry Farrell. Qu'est-il arrivé à la petite Emily en 1935? Justine hérite d'une vieille maison sur les rives du lac du Minnesota et c'est dans le journal intime de sa grand-tante Lucy qu'elle trouvera la réponse. Un bon suspense sur les secrets de famille. 






Un été près du lac – Heather Young – Traduit de l'américain par Carla Lavaste – Belfond – 384 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 19 novembre 2017




Stars déchues





C'est parce qu'il était dans le pétrin avec sa femme malade qu'Henry Farrell a écrit ce roman. Comme quoi le succès parfois peut se décider sur ordonnance. Robert Aldrich en a fait l'adaptation et a donné l'occasion à deux monstres sacrés de se haïr ouvertement. Joan Crawford et Bette Davis ne s'aimaient pas. Elles ont incarné à merveille ces deux sœurs, actrices déchues confinées dans leur tombe résidentielle.






Qu'est-il arrivé à Baby Jane? – Henry Farrell – traduit de l'américain par Charles B. Mertens et Sebastian Danchin – L'Archipel – 352 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 19 novembre 2017




jeudi 7 décembre 2017

Pavane pour une Europe fantôme



2369: l’Europe est réduite à un réseau plus ou moins fédéré de noyaux urbains reliés entre eux par des voies hypersécurisées, son territoire recouvert d’une Friche saturée de pollution létale hantée par des parias. Un mal mystérieux attaque les cordes vocales des hommes, retardé plus ou moins par les drogues que trafiquent des maffias toutes puissantes, ou des implants hightech intégrant des traducteurs multilingues automatiques – clin d’œil à une SF cyberpunk à laquelle le livre semble étranger par ailleurs. 






Dans ce monde en proie aux affres d’une fin annoncée, Ida, jeune femme flic rompue aux techniques de combat, mène l’enquête sur d’étranges cas de combustion spontanée. Empruntant à l’anticipation et au thriller, le roman, par l’intrication de ses sous-textes, nous parle aussi d’autre chose, du sexe, de la mort, de la beauté. 






Une écriture travaillée, au baroquisme parfois précieux incrusté de trivialités, une narration distancée, des dialogues tirant vers l’opéra parlé, et des têtes de chapitre qui déroulent dans une demi-douzaine de langues la violence ou les obscénités des tags de la rue ou des lieux d’aisance, c’est à un somptueux naufrage que l’auteur nous invite, en compagnie d’Ida, d’un ténor surnommé Tue-Tête, du majordome d’un palace hors du temps, et de son frère-sœur transgenre qu’elle retrouve au cours de l’enquête. 

Fable héroï-comique sur les pouvoirs du bel canto, ce livre est le deuxième roman d’un universitaire toulousain féru de littérature et de musique. 

Tue-tête  - Frédéric Sounac – Éditions Pierre-Guillaume de Roux – 427 pages – 24€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 12 novembre 2017




Dieu, les Extraterrestres et nous





Historien des sciences, théologien et expert en éthique au Centre national d’études spatiales, l’auteur fait le point sur les avancées de l’astrobiologie, passant en revue la longue histoire de la controverse sur la pluralité des mondes habités âprement discutée par la philosophie du Moyen-âge, qui opposait souvent croyants et non-croyants. Sa réflexion ouvre un questionnement passionnant sur le sens de notre monde.




Turbulences dans l’univers - Jacques Arnould – Albin Michel – 281 pages – 19,50€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – le 19 mars 2017




mercredi 6 décembre 2017

Pourriture noble







Après un épisode sur la face sombre de la vie étudiante qui convoquait la mémoire du camp de Gurs, Philippe Lescarret dévoile les vilains secrets planqués dans les chais des viticulteurs du Jurançon. La jeunesse est encore au centre de l'enquête menée par le lieutenant Yann Loubeyres. Moins spectaculaire que dans les grandes métropoles, l'enchaînement des addictions, du shit à la cocaïne, gangrène la France "périphérique".





Blanc sec et série noire – Philippe Lescarret – Cairn – 280 pages – 11,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 22 octobre 2017




Sucre de came






Candyland, c'est le paradis des douceurs et l'enfer de la "meth", cette drogue qui vous repeint les neurones avant le feu d'artifice. Quelque part en Pennsylvanie, là où les Amish s'exilent hors du temps, Sadie, amoureuse d'un étranger à sa communauté, va payer son désir de liberté au prix d'un cauchemar définitif. C'est l'histoire d'une rencontre impossible, un roman hallucinant, cruel et malgré tout superbe.




Candyland – Jax Miller – Traduit de l'américain par Claire-Marie Clévy – Ombres noires – 576 pages – 21€ - *****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 29 octobre 2017




mardi 5 décembre 2017

Mise au parfum





Après Leoni, Elena Piacentini propose un nouveau personnage à ses lecteurs, la capitaine Mathilde Sénéchal de la PJ lilloise. L'enquête revisite un fait divers de février 2000. Un homme découvre le meurtre de sa femme et constate en même temps la disparition de son bébé. La prose élégante d'Elena Piacentini fouille les ressorts complexes d'une affaire qui révèle une belle héroïne phobique aux odeurs de menthe.





Comme de longs échos – Elena Piacentini – Fleuve noir – 288 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 3 décembre 2017




Sous la peau de l'ours






Sur le plan littéraire, c'est un peu paresseux. Le plan littéraire, c'est celui qui nous saute aux oreilles quand on décroche. Asa Larsson réussit à éviter le crash. Son héroïne, la procureure Rebecka Martinsson, n'est pas étrangère au plaisir que donne cette histoire de meurtres familiaux. Ça commence comme un conte dans le ventre d'un ours et ça nous entraîne aux confins du Grand Nord Suédois.




En sacrifice à Moloch – Asa Larsson – Traduit du suédois par Caroline Berg – Albin Michel – 446 pages – 21,90€ - ** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 26 novembre 2017




lundi 4 décembre 2017

Vox Populi






Le Parti du Peuple est aux portes du pouvoir. Pour avoir tenté de mettre en garde les électeurs, le journaliste imaginé par Denis Jeambar est victime d'une agression. Le roman nous entraîne sur les traces de ce jeune Américain qui est mort en lui sauvant la vie, sur celles d'un tueur, sur le passé de William, une histoire juive dont la "vox populi" contemporaine refuse d'entendre l'écho dans les harangues de l'extrême droite.  





Où cours-tu William… - Denis Jeambar – Calmann-Lévy – 376 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain




La route du Rom






La route des Roms croise celle d'autres nomades dont les projets n'ont rien à envier aux gangs de détrousseurs et de mendiants professionnels. Face aux réseaux mafieux russes et maghrébins, ils constituent parfois le maillon faible dans la chaîne du crime. Une exploration quasi documentaire des marges du "rêve français" dans un premier roman où pointe un savoir-faire de vieux briscard.






Il ne faut jamais faire le mal à demi – Lionel Fintoni – L'Aube noire – 336 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 19 novembre 2017




vendredi 1 décembre 2017

Le coup de la foudre



Il sentait la foudre. Il sentait encore le café et le velours côtelé. Il n'est que ça. Un parfum qui hante la mémoire de Rachel, l'héroïne du dernier roman de Dennis Lehane. Sa mère Elizabeth est morte après avoir pratiqué la rétention d'une information capitale, l'identité du père masquée par ce patchwork d'indices. La collection de parfums se révèle un substitut honorable mais provisoire. Comment se résoudre à n'être que la fille d'une odeur persistante quand on est par ailleurs une journaliste ambitieuse? C'est le premier leurre que Dennis Lehane dispose sur le parcours de son personnage. 



Rachel ne résiste pas à cette tension intérieure. Son aptitude professionnelle non plus. En plein reportage sur les conséquences de l'ouragan en Haïti, un tsunami émotionnel la submerge et provoque un clash à l'antenne. Son licenciement la sépare de son compagnon et lui laisse enfin le temps de flairer la bonne piste. L'homme qui sentait la foudre a bien existé. Mais ce père, barman séducteur, est mort, privant Rachel des réponses aux questions qu'elle aurait voulu lui poser, et l'abandonnant encore du "mauvais côté du miroir."




Désormais, on la reconnaît dans la rue comme la femme soûle de la télé, et le deuxième leurre se manifeste au moment où la panique la cloue chez elle. Il s'appelle Brian. Il a le visage d'un homme providentiel. Brian est d'abord le détective privé qui l'aide dans ses premières recherches, puis la voix amicale qui l'encourage à repartir en reportage, l'homme d'affaires ensuite qui la protège de ses phobies, le mari enfin qui la rassure et la délivre de ses crises de panique.

Hélas, le lecteur a lu les premières pages, ce fameux prologue par lequel l'auteur de thriller nous ferre pour les centaines de pages à venir. On a donc vu Rachel faire face à ce mari et lui tirer une balle en pleine poitrine. On a lu les confidences de sa mère sur la nature de l'homme qui "n'est jamais que la somme des histoires qu'il raconte sur lui-même, dont la plupart sont des mensonges". 
C'est là que Dennis Lehane nous prend de court. Parce qu'on a encore en mémoire la saga des Coughlin ou la série des Kenzie et Genarro, le climat presque gothique de Shutter Island, la critique sociale qui affleure dans Mystic River. Ce que Rachel découvre de ce mari merveilleux assassiné en ouverture, nous ramène aux intrigues machiavéliques tramées par le Douglas Kennedy des premiers romans, à l'emprise du destin dont l'œuvre de Thomas H. Cook explore les facettes maudites.

Les remerciements en fin d'ouvrage évoquent de manière elliptique ce virage narratif et plutôt que de se condamner à une lecture déceptive de Lehane, saluons l'efficacité logistique du thriller. L'habileté du conteur est intacte. Elle maintient la cohérence autour du personnage central de Rachel. Une femme à la recherche d'un père fantôme qui hérite d'un mari mystérieux. Deux hommes, deux odeurs. De foudre et d'orage.
   
Après la chute – Dennis Lehane – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Rivages – 450 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 5 novembre 2017