vendredi 27 octobre 2017

La dernière danse des libellules



"Que raconte le paysage?" Pascal Dessaint a ce pouvoir d'embarquement immédiat, pouvoir d’envoûtement, devrait-on ajouter aussitôt, tellement l'auteur maîtrise l'atmosphère des territoires où surgissent ses personnages, mêlant les splendeurs sauvages des dunes landaises au décor familier des cabanes ostréicoles.




La première voix que l'auteur nous donne à entendre appartient à un naturaliste, Boris, expert dans un cabinet chargé de préparer l'installation d'une zone de stockage de matières dangereuses. Le deuxième narrateur du roman est un exploitant des forêts domaniales du Nord. Il a quitté sa région à la demande d'un ami associé, propriétaire d'une villa "marine" dressée face à la mer sur une portion de dune arasée en dépit des règles de protection du littoral. 




Un troisième ami les rejoint, un escroc, amateur des pyramides de Ponzi. Autour de ces personnages, les passions humaines suffisent à tendre les ressorts de plusieurs intrigues criminelles, et le premier polar pourrait bien se jouer dans la cave de cette villa, tandis qu'un autre entraîne Boris dans la dérive d'un oncle marginal.

Mais le polar qui domine l'ensemble s'inscrit dans la réponse à cette question: "Que raconte le paysage?" Sans doute est-ce la scène de crime principale. Toutes les turpitudes singulières y laissent leurs empreintes à la recherche du profit maximum. Pascal Dessaint nous livre les indices du désastre: l'Europe a perdu 400 millions d'oiseaux en trente ans et un tiers des 70 000 espèces répertoriées sont en voie de disparition. Au bal des prédateurs, les libellules nous offrent une dernière danse.

Un homme doit mourir – Pascal Dessaint – Rivages – 240 pages – 19,50€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 octobre 2017




jeudi 26 octobre 2017

Saint Valentin posthume





Au temps de l'Angleterre victorienne, très à la mode aujourd'hui dans les dystopies steampunk, cette équipée spirite met en scène de jeunes médiums qui enquêtent sur des disparitions mystérieuses. Ils excellent en particulier dans l’art de réunir une fois l’an ceux qui s’aiment et que la mort a séparés. L’auteur, qui a déjà publié pour la jeunesse, livre ici un roman tous publics, à l’écriture bien travaillée.




Les Papillons géomètres - Christine Luce – Les Moutons électriques – 238 pages – 15€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 12 février 2017




mercredi 25 octobre 2017

Défaire le mal




Que le Bien et le Mal soient des catégories livrées à l'arbitraire des philosophes n'embarrasse guère les romanciers en quête d'un manichéisme accessible. Ici la science est invitée à la noce fictive entre la morale et le suspense. Sébastien Bohler, spécialiste de neurobiologie, a créé avec Franck, un personnage de psychopathe emblématique de cette figure du Mal que les chercheurs ambitionnent de modifier par l'opération du saint bistouri. Bon suspense sur la nature profonde de l'âme humaine.




L'homme qui haïssait le bien – Sébastien Bohler – Robert Laffont – 416 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain




mardi 24 octobre 2017

Expiation





Caryl Férey parraine l'auteur et qualifie le roman de "musical, drôle et trash". Trash, c'est une certitude. Drôle, ça reste à voir. Les jours et les nuits de Paolo, le guitariste, sont électriques. Son entourage se déglingue à vue d'œil. En cause, une nouvelle drogue apparue dans tous les lieux branchés. Birdy est une jeune femme perdue dans les angles morts de la nuit parisienne. On tue pour purifier le monde au nom du Christ. C'est sûr, en 2017, il y a urgence à dénoncer l'intégrisme chrétien qui menace la France… .




Je m'appelle Birdy – Franco Mannara – Calmann-Lévy – 412 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain




lundi 23 octobre 2017

Hommes de théâtre





Thierry Bourcy et François-Henry Soulié ont fait du capitaine Kassov un super flic européen du 17e siècle. Après une enquête sur la mort de Tycho Brahé pour le compte du prince de Habsbourg, le voilà convoqué à Londres en 1603 pour résoudre une tentative d'assassinat des émissaires danois Guildenstern et Rosencrantz. Les deux diplomates assistaient à la représentation de Shakespeare qui les mettait en scène dans Hamlet. Après Tom Stoppard qui en avait fait les héros d'une œuvre dramatique, revoilà les personnages shakespeariens au cœur d'une mise en abîme astucieuse. 



La conspiration du globe – Thierry Bourcy et François-Henry Soulié – 10/18 – 264 pages – 7,10€ - **
Lionel Germain




Fantômes corses





L'auteur de "Nymphéas noirs" est devenu un maître du suspense français. Aller retour entre l'été 1989 et celui de 2016 pour Clotilde, une jeune femme qui a survécu enfant à un accident de voiture dans lequel sa famille a été décimée. Aller retour en Corse aussi, sur la presqu'île de la Revellata, lieu du drame initial. Un pèlerinage avec son mari et sa fille adolescente, et le début d'un revival où les résurrections ne sont pas à exclure. Excellent pour les longues soirées de vacances.




Le temps est assassin – Michel Bussi – Pocket – 624 pages – 8,20€ - **
Lionel Germain




vendredi 20 octobre 2017

Mauvais génie






Chronique des années noires, "L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski" poursuit l'évocation de la France collaborationniste entamée avec "L'Affaire Léon Sadorski". Inspiré par un personnage réel, le flic de Romain Slocombe est un héros négatif. Attentat, préparation de la rafle du Vel d'Hiv, à travers lui, c'est le mauvais génie de l'Histoire qui déroule son argumentaire. Une œuvre aussi déroutante qu'indispensable.





L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski – Romain Slocombe – Robert Laffont – 592 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 octobre 2017




jeudi 19 octobre 2017

Sa vie comme une fiction





Pionnier de la SF française, romancier, journaliste, éditeur, quand Curval se penche sur son passé à 87 ans, il ne le fait pas comme n’importe qui. Ni autofiction ni nombrilisme que cette histoire! Vincent, à qui sa mère lit Saint-Ex le soir pour l’endormir en lui mettant sur les yeux un masque de sommeil, rêve qu’il vole. Devenu ado, au bord de la délinquance, il va petit à petit prendre conscience de sa vocation d’écrivain. 




Les nuits de l’aviateur  - Philippe Curval – La Volte – 372 pages – 20€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 5 février 2017




mercredi 18 octobre 2017

Rupture d'anévrisme






Si le roman a un rôle dans la transformation sociale, c'est celui de symptôme. La poétique incandescente  de Sébastien Raizer consume les derniers lambeaux du rêve occidental. Roman de l'effacement du réel dans le bourdonnement numérisé du monde, "Minuit à contre jour" clôt la trilogie des "Équinoxes" et prolonge le cauchemar de Dantec sous la forme d'un divertissement ultime. 




Minuit à contre jour – Sébastien Raizer – Série noire Gallimard – 388 pages – 21€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 15 octobre 2017




mardi 17 octobre 2017

Sans Zen






L'auteur de "L'Alignement des équinoxes" nous invite à cette quête du Graal des samouraïs. Mais le "zen" nous échappe à mesure qu'on pense en découvrir le sens. Sébastien Raizer l'a traqué à travers l'Asie. C'est au Japon qu'on touche au but. Moins une affaire de sens qu'une affaire de souffle. Entre l'art de brandir le sabre sans jamais manquer d'air et la fulgurance du kata, dans le "zen", il y a du plaisir.






Petit éloge du zen – Sébastien Raizer – Folio Gallimard – 137 pages – 2€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 15 octobre 2017




lundi 16 octobre 2017

Vieux continent





Odette bénéficie d'une aide extérieure pour son dernier envol depuis le haut de l'escalier de la maison de retraite, et les enquêteurs s'intéressent assez vite à sa voisine de chambre. Des souvenirs en cinémascope qui nous éloignent du vieux continent pour redécouvrir l'Amérique des années soixante-dix avant un retour aux sources façon cavale. Vietnam et Simca 1000, les rêves de peace and love sont parfois meurtriers. 





Peace and Death – Patrick Cargnelutti – Jigal – 344 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 15 octobre 2017




vendredi 13 octobre 2017

La femme de Jean



Jean Mourrat a vu sa femme disparaître un soir d'orage au volant de sa méhari. Un coup de fil paniqué comme dernier message et la voiture retrouvée près de la rivière témoignent d'une disparition qui refuse de livrer la matérialité d'un corps. Si Liz, sa femme, constitue le premier mystère de l'intrigue, le personnage de Jean concentre assez vite toutes les interrogations du lecteur. Ce maçon a réussi dans son village à devenir  un notable en multipliant les opérations immobilières. Il est amoureux de sa femme, il a deux enfants, de véritables amis. Mais progressivement la façade se fissure.




Éric Maneval nous laisse à l'extérieur pour observer la rationalité du drame, une banale disparition comme il s'en produit des dizaines chaque jour. On analyse les causes probables sans jamais acquérir de certitude. Et bientôt, c'est de l'intimité de Jean que surgissent les réfutations du réel. Des rêves, où Liz l'appelle au secours comme si elle se noyait, légitiment le caractère fantastique du lieu de sa disparition, le gué des goules. 




Le personnage de Jean, maçon sans histoire, abrite un esprit tourmenté, un "fort intérieur" où se défont les vérités solaires travaillées par le vent mauvais des légendes. Éric Maneval joue de la folie comme d'un soupçon replié dans la zone obscure de la conscience. Les voisins, le couple d'amis et le Révérend qui règle cette chorégraphie des ombres, dépossèdent le narrateur d'une vision du monde initiale rassurante et ordonnée. 

Inflammation – Éric Maneval – La Manufacture des Livres – 182 pages – 16,90€ - ***
Lionel Germain




jeudi 12 octobre 2017

Les derniers temps






Au Ve siècle, en Aquitaine, les êtres de la forêt, adorateurs des anciens dieux, refluent devant l’avancée des Romains christianisés qui déboisent et combattent la superstition. Un faune et une dryade sont les protagonistes de cette curieuse et attachante fiction où l’on voit aussi une jeune Romaine dotée de pouvoirs paranormaux et poursuivie par des Barbares, chercher refuge au fin fond de ce qui reste du pays de nos ancêtres les Gaulois.





Thya - Estelle Faye – Folio SF/Gallimard – 362 pages – 8,30€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 5 février 2017




mercredi 11 octobre 2017

Sous le mur





Si on flâne aujourd'hui sur Karl Marx Allee, les bruits de bottes, le souvenir obsédant de la dictature et les secrets de la Stasi n'en finissent pas pourtant de rappeler le destin schizophrénique de la capitale allemande. En suivant les étapes de la construction d'un tunnel sous le mur, le roman de la polonaise Magdalena Parys nous offre une traversée passionnante de l'histoire contemporaine.





188 mètres sous Berlin – Magdalena Parys – Traduit du polonais par Margot Carlier et Caroline Razska – Agullo – 416 pages – 23€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 septembre 2017




mardi 10 octobre 2017

Afrique et à sang






Disaster Zondi est un flic à la marge dans une Afrique du Sud qui n'a rien gardé du panache de Mandela. Roger Smith n'épargne personne, du président zoulou ivre de sa toute puissance qui plante sa lance dans le corps de sa femme et sacrifie un de ses sbires pour s'innocenter, au guerrier blanc perdu dans son projet raciste. Le pays est un champ de mines et Zondi s'appelle bien Disaster.





Au milieu de nulle part – Roger Smith – Traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Estelle Roudet – Calmann-Lévy – 360 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 octobre 2017




lundi 9 octobre 2017

Un tueur et la Torah





La quatrième de couverture fait songer à l'humour des Série-noire de la période Vian-Duhamel. "Gangsterland", c'est l'histoire d'un tueur de la "famille", obligé de se reconvertir en rabbin après une bavure professionnelle qui a coûté la vie à trois agents du FBI. Calibré dans un polar qui tient la route, l'humour de Tod Goldberg n'en est pas moins efficace. Rions un peu, on essaiera de mourir plus tard.






Gangsterland – Tod Goldberg – Traduit de l'américain par Zigor – 10/18 – 456 pages – 8,80€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 8 octobre 2017




vendredi 6 octobre 2017

Terre des femmes



Le titre du nouveau roman de Franck Bouysse annonce la couleur et la matière argileuse dans laquelle il enracine son histoire, cette terre du Cantal brûlée par les deniers feux de l'été 1914. L'aube, après une nuit d'orage, réunit dans une cour de ferme une famille de paysans: Victor, le père, Mathilde, sa femme, Joseph, son fils adolescent, et Marie, sa mère. La lumière grise éclaire une scène de western grotesque où le père n'est qu'un héros involontaire enfourchant César, son percheron réquisitionné pour participer au premier carnage du vingtième siècle.



Pourtant, ce n'est pas la guerre le sujet du livre. On dirait que le mouvement littéraire des "nature writers" américains colonise avec bonheur les dernières friches du polar français. Pascal Dessaint, Hervé LeCorre, Elisa Vix et quelques autres comme Pierre Guittaut en Série noire, retrouvent chacun à sa manière, l'attraction des grands espaces, la fusion enivrante ou mortifère avec la nature. Depuis "Grossir le ciel", prix du Polar Sud-Ouest/Lire en Poche, Franck Bouysse engage son travail dans la confrontation des hommes avec la terre. 



Et pour cet été 1914, ce sont désormais les femmes qui "occupent" le paysage. Joseph n'est qu'un adolescent, les hommes qui restent sont des vieillards ou des infirmes. Les passions s'attisent dans le manque, l'ordre établi des sentiments est bousculé par l'absence des maris, le désir s'émancipe dans la culpabilité du déshonneur. En restituant toutes les nuances du gris, les éclats de soleil éphémères entre deux trempées, les vertiges amoureux du jeune Joseph et les échos lointains d'une guerre inexpliquée, c'est le terreau d'une brutalité domestique que le roman fertilise avec un art indiscutable.  

Glaise – Franck Bouysse – Manufacture des livres – 424 pages – 20€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 septembre 2017




jeudi 5 octobre 2017

Réalité augmentée






Constamment réédité depuis près de cinquante ans, ici avec une postface inédite de l’auteur, ce classique de la SF censuré voire interdit à l’époque, met en scène un animateur de talk-show cynique, le pouvoir des médias et sa résultante populiste. Sa lecture procure chaque fois plaisir et frayeur renouvelés. Prémonition?  L’auteur a choisi de s’exiler à Paris depuis 1988. 




Jack Barron et l’éternité - Norman Spinrad – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Guy Abadia - J’ai lu/Nouveaux millénaires – 380 pages – 15€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 5 février 2017




mercredi 4 octobre 2017

Chute des corps






Giacometti et Ravenne sont deux frères en écriture. Ce nouvel épisode consacré au commissaire franc-maçon Antoine Marcas leur permet des raccourcis réjouissants entre la période de la Révolution et le chaos contemporain. Trente personnes se suicident avec le sourire en se jetant du haut d'un immeuble au cours d'une scène inaugurale qui ouvre l'appétit des amateurs de suspense. Du grand roman populaire.





Conspiration – Giacometti-Ravenne – J.C. Lattès – 530 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain




mardi 3 octobre 2017

Noir et Vert




En attendant le prochain numéro sur le journalisme (ça va siffler dans les "open space"), l'Indic n° 30 fait le point sur les rapports entre écologie et roman noir. L'occasion de rendre un hommage mérité à Pascal Dessaint. Dans l'écho des polars, David Patsouris est adoubé pour "Ainsi débute la chasse". Un oubli dans la liste des festivals: Thrillers à Gujan, dernier weekend de septembre.




L'Indic n°30 – Association Fondu Au Noir – 48 pages – 7€ en librairie ou en ligne - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 24 septembre 2017




lundi 2 octobre 2017

Danois croate





L'assassinat d'une jeune femme, la disparition d'une fillette dans un club hippique, c'est le paquet d'embrouilles conformes à l'ordinaire du polar contemporain. Celui qui sort un peu de l'ordinaire, c'est le personnage de Daniel Trokic, flic danois d'origine croate, héros d'une série publiée chez Mirobole. Les fantômes de la défunte Yougoslavie s'invitent dans l'enquête parallèle sur la disparition de sa cousine.




Le souffle du diable – Inger Wolf – Traduit du danois par Laila Flink Thullesen et Christine Berlioz – Mirobole – 320 pages – 21€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 1er octobre 2017