vendredi 22 septembre 2017

Une poupée chez les caves



Si on devait réduire un écrivain à sa douleur, Richard Morgiève serait muet comme une tombe. Orphelin à treize ans, il a survécu au chagrin définitif en "tuant ses parents", confidence épinglée sur France Culture en 2014 alors qu'on célébrait la sortie de "Boy", son vingt-cinquième roman d'une série commencée dans les années 1980 sous le signe du polar. 

Le monde est un souvenir qui s'épaissit comme les artères, crachant un réel plus obscur à mesure que le temps passe, imposant un désaccord entre l'addiction aux rêves et la cruauté lumineuse du présent. "Boy" est la fille de son père, une identité engluée dans le disque dur d'un romancier grabataire, comme Mietta est le fils d'un menteur charismatique dans "Un petit homme de dos", comme Cora sera la fille "choisie" par Mietek en quête d'une paternité improbable dans "Les hommes", évocation presque mythique de la société française du vingtième siècle.




"Depuis pas mal de temps, je me disais que c'était fini les hommes, que c'était vraiment une espèce en voie de disparition. (…) Mais dans toutes les histoires d'hommes, il y a une fille – sans fille pas d'homme. Et l'autre raison du livre m'est apparue, c'était elle – ma fille, Cora. C'était pas une histoire d'hommes que je voulais écrire, pas exactement, c'était une histoire de père et de fille."





Mietek est sorti de taule depuis un peu plus de deux ans. Il est l'héritier de Robert le Mort qu'il a connu sous les verrous. Un héritage matériel et moral. Mietek est un solitaire, il a un code d'honneur, des cauchemars d'ivrogne et les clés d'une DS21. La rumeur de guerre au Vietnam nous rappelle à l'ordre d'un monde où le téléphone avait un combiné qu'on retirait de sa fourche sur le comptoir, entre la caisse enregistreuse et le distributeur de cacahuètes.

Mietek est amoureux de Ming, une fille d'origine asiatique en ménage avec une gouine radicale. Les copines ont SCUM sur leur T-shirts, un sigle de très mauvais augure pour la partie virile de l'humanité. Malgré ce tirage défavorable, Mietek persiste et découvre surtout son désir de paternité pour Cora, la fille de Ming qu'il refuse d'abandonner aux amazones.

Avec sobriété, Richard Morgiève repeint le monde en noir et blanc, nous livre aux héros de "Touchez pas au grisbi", à la nostalgie des hommes perdus de Simonin, aux propos de Max-le-Menteur: "J'étais plus des leurs déjà; le monde des caves m'attendait là, dehors."

Les hommes – Richard Morgiève – Joelle Losfeld – 370 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 septembre 2017




jeudi 21 septembre 2017

Apocalypse soft






Un vieil astronome dans une base scientifique perdue en Arctique; dans l’espace, une jeune astronaute à bord d’une navette revient d’un périple alors que Houston ne répond plus. Entre eux deux, la Terre, mourante peut-être, et une mystérieuse petite fille… Un post-apo en mineur écrit comme un palimpseste du roman de Jean Rhys portant le même titre. 






Good Morning, Midnight - Lily Brooks-Dalton – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Schneiter - Presses de la Cité – 267 pages – 19,50€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 29 janvier 2017




mercredi 20 septembre 2017

Canaries nickel crime





Trempées de soleil au large du Maroc, les Canaries sont le terrain de jeu d'Alexis Ravelo. "La stratégie du pékinois" reprend la thématique des losers aventureux réunis dans un gang disparate pour tenter le gros coup, et le charme du roman, c'est ce cocktail de personnages: le truand, la putain désabusée, les héros border line et les forteresses corrompues dont les digues ne cèdent jamais totalement. 





La stratégie du pékinois – Alexis Ravelo – Traduit de l'espagnol par Amandine Py – Mirobole – 320 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 septembre 2017




mardi 19 septembre 2017

Zéro social




Le héros d'Arun Krishnan est un orphelin indien venu courtiser le "rêve" américain dans une agence de publicité new-yorkaise. C'est le portrait d'un jeune homme dérangé, accablé par un héritage culturel difficilement soluble dans la légèreté consumériste. En camouflant son premier meurtre dans une série impliquant "MyFace", un réseau social, il sombre dans une folie définitive. Impertinent choc des civilisations.





Indian psycho – Arun Krishnan – Traduit de l'américain par Marthe Picard – Asphalte – 304 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 septembre 2017




lundi 18 septembre 2017

Du feu de Dieu





Nicolas Lebel réussit le partage des genres avec des personnages d'enquêteurs contrastés, un flic à l'humeur massacrante et sa stagiaire en recherche de légitimité. Le tueur pyromane qui focalise leur attention nous replonge dans la confusion idéologique de la guerre civile irlandaise. Qui sème le feu de Dieu, récoltera les cendres. Un bon thriller idéal pour mêler divertissement et rapport intelligent au monde. 





De cauchemar et de feu – Nicolas Lebel – Marabout – 414 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 17 septembre 2017




vendredi 15 septembre 2017

Culs de sac


Ann Petry est morte en 1997. Mais nul souvenir d'un quelconque hommage dans la presse lors de cette disparition. Femme de la classe moyenne noire américaine, elle avait épousé un auteur de polars et avait abandonné le rayon médical pour se consacrer elle aussi à la littérature. Des articles dans les journaux, des nouvelles, et ce roman enfin qui retranscrit son expérience de la vie dans un quartier emblématique de la condition des Noirs à New-York: Harlem.





"En été, la rue était étouffante et poussiéreuse, le soleil donnait en plein sur ses trottoirs en ciment et ses immeubles de brique. Dans les maisons transformées en bain de vapeur, les petits vestibules sombres cuisaient comme des fours."







En faisant le portrait de Lutie, jeune mère célibataire contrainte de venir s'enterrer dans un taudis de la 116ème Rue, elle trace le portrait de toute une génération de femmes noires de cette première moitié du vingtième siècle, courageuses mais désemparées face à la démission des hommes et au système de prédation qui les menace en permanence. Lutie cultive l'espoir de s'en sortir grâce aux bobards de Boots, un musicien qui lui promet monts et merveilles en projetant de la culbuter. Mais Boots n'est qu'un pion dans la main  du propriétaire blanc, et la fin de l'esclavage semble n'avoir mené qu'à ce cul de sac de l'exploitation légale et "librement acceptée". 

On retrouve cette impuissance des Nègres chez Boots, déjà "dépossédé" d'une compagne par un Blanc. Ce qui rend tragique la relation des hommes noirs avec les femmes noires, c'est leur statut d'hommes de seconde zone. Chester Himes avait cru retrouver un semblant de parité dans la compagnie des femmes blanches. Parité illusoire évidemment. Ann Petry n'a aucune de ces faiblesses idéologiques. Au bout de la 116ème rue, les Noirs ne découvrent que le mépris et la haine de classe. Un roman implacable sur le destin tragique des femmes de Harlem.

La rue – Ann Petry – Traduit de l'américain par Martine Monod, Nicole et Philippe Soupault – Belfond Vintage noir – 384 pages – 18€ - ****
Lionel Germain




jeudi 14 septembre 2017

Furax dans l'espace






En 1957, l’année du Spoutnik, le célèbre duo d’amuseurs publics qui faisait rimer insolence et résistance lance son affreux Furax dans les espaces intersidéraux. Ce désopilant feuilleton radiophonique aborde alors la SF, pour rire, avec savant fou, arme ultime et planète perdue dans l’infini… Planète baptisée Astérix, un an avant qu’Uderzo et Goscinny ne créent le leur. Anticipation, quand tu nous tiens! 





La lumière qui éteint - Pierre Dac et Francis Blanche – Omnibus – 960 pages – 28€ - **
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 29 janvier 2017




mercredi 13 septembre 2017

Chercheurs d'or





Pourquoi le polar espagnol ressemble-t-il au polar grec? Pourquoi le roman de Juana Salabert a-t-il un petit air de famille avec ceux de Petros Markaris? La différence d'âge entre le jeune inspecteur Alarde de Madrid et le vieux commissaire Charitos d'Athènes ne les empêche pas d'être les témoins engagés de cette crise économique fatale à l'Europe du sud. La règle de l'or, c'est avant tout la règle de la cupidité rendue meurtrière par l'état sinistré du système.




La règle de l'or – Juana Salabert – Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse – Métailié – 288 pages – 18€ - ***
Lionel Germain




mardi 12 septembre 2017

Avocat sauce poivre






Il en va du polar comme du cassoulet, ce n'est pas la somme des ingrédients qui fait le succès de la recette mais le coup de patte du chef. Mike McCrary nous promet une tambouille traditionnelle à base d'avocat indélicat avec ses clients derrière les barreaux. On devine qu'il méconnaît les règles du genre et peut s'attendre au pire des représailles. Ça ne manque pas. Suspense mitonné avec humour, un régal. 





Cobb tourne mal – Mike McCrary – Traduit de l'américain par Christophe Cuq – Gallmeister - 208 pages - 19,90€ -***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 septembre 2017




lundi 11 septembre 2017

L'écrit qui tue






Un étudiant, stagiaire chez un éditeur, écarte un manuscrit dont le titre ressurgit quelques semaines plus tard dans toutes les librairies avec son nom sur la couverture. On utilise ici toutes les ficelles du roman judiciaire avec effets de manche et surprise à l'audience. Bientôt soupçonné de vrais crimes identiques à ceux de son pseudo roman, l'étudiant est un bon client. Pour l'avocat, pour les psys, et pour le lecteur.





Le manuel du serial killer – Frédéric Mars – Pocket – 464 pages – 8€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 septembre 2017




vendredi 8 septembre 2017

Noir de l'Est





Après le Polonais Zygmunt Miloszewski que les éditions Mirobole de Bordeaux nous ont fait découvrir il y a quelques années, c'est Wojciech Chmielarz qu'Agullo, autre maison bordelaise, présente à ses lecteurs. Un inspecteur enquête à Varsovie sur une série d'incendies criminels. Au détour d'une intrigue classique et bien menée, on croise un procureur nostalgique d'une époque où l'état de droit était une blague.





Pyromane – Wojciech Chmielarz – Traduit du polonais par Erik Veaux – Agullo noir – 410 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 3 septembre 2017




jeudi 7 septembre 2017

Le must du space opera






La galaxie était une diaspora de consciences perdues dans le temps et l’espace. Un jour la découverte de l’effet Churten permit le voyage instantané et l’humanité dispersée se rassembla, chacun retrouvant un peu de soi dans l’étranger. Une introduction au "Cycle de l’Ekumen", l’œuvre majeure d’une des grandes dames de la SF, avec une postface éclairante de Bernard Henninger.






L’Effet Churten - Ursula Le Guin – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Judith Descombey - Hélios/ActuSF – 200 pages – 7,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 22 janvier 2017




mercredi 6 septembre 2017

Tango barjot






S'il est absolument nécessaire de mesurer le talent de chaque nouveau venu dans le polar à l'aune d'Ellroy, alors on peut se résoudre à dire que Maggiori lorgne ouvertement du côté du royaume californien. Du sperme, du sang, de la drogue, et des hommes "entre eux" pour peaufiner le naufrage d'une société portègne corrompue jusqu'à la dernière travée de son parlement, voilà le tableau brossé sans ménagement par l'auteur argentin.





Entre hommes – German Maggiori – traduit de l'espagnol (Argentine) par Nelly Guichard – Folio policier – 416 pages – 8,20€ - ****
Lionel Germain




mardi 5 septembre 2017

Maya la belle





La Floride peut faire rêver les amateurs de "Miami Vice" mais franchement, y-a-t-il un autre sud que la Géorgie aux États-Unis? Coincé entre l'Alabama et la Caroline, c'est l'état qui cumule tous les péchés de l'Amérique. Ce territoire, où le "diable en personne" a sa niche, Peter Farris nous en livre le fumet pestilentiel. Prostitution et corruption transforment la jeune et jolie Maya en salaire des malfaisants.





Le diable en personne – Peter Farris – Traduit de l'américain par Anatole Pons – Gallmeister – 272 pages – 20,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 3 septembre 2017




lundi 4 septembre 2017

Icône primaire





Pocket procède à un nouveau tirage de toute la série des San Antonio avec une mise en perspective de Raymond Milesi. Du début des années cinquante au dernier épisode un demi siècle plus tard, la barque du commissaire s'est chargée d'un second rôle de poids, l'énorme Bérurier. On a tout dit sur l'humour et l'invraisemblance des intrigues, retrouvons ces feux d'artifice dans un roman où Béru est un instituteur d'anthologie.






San Antonio chez les Gones – San Antonio – Pocket – 216 pages – 6,30€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 3 septembre 2017




vendredi 1 septembre 2017

Papa où t'es?





La langue est maternelle mais c'est dans la poche du père qu'on trouve la clé du coffre. Luc Chomarat joue encore sur les mots, à distance égale des "esprits éclairés" qui prétendent épuiser les zones d'ombre de la littérature et des esprits obtus qui la réduisent à un divertissement. Derrière la facétie d'un auteur de polar en quête de martingale, se glissent de savoureuses critiques du monde littéraire.





Le polar de l'été – Luc Chomarat – La Manufacture de livres – 208 pages – 16,90€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 27 août 2017