vendredi 23 décembre 2016

Sous la protection d'une étoile



C'est un couloir à tornades dans les grandes plaines centrales du Midwest, une région des États-Unis où les démocrates ne sont pas les bienvenus, où la population est blanche à plus de quatre-vingts pour cent, où la peine de mort mobilise encore assez de partisans pour qu'on la rétablisse un an à peine après son abolition. Dans ce coin du Nebraska, le décor est vite planté. La gare de triage, les deux autoroutes et les champs de maïs dessinent l'essentiel. Il y a encore le vent, pas la brise mais un souffle permanent "qui rendait cinglés les premiers colons". Il y a enfin les hommes. Des types épais, taillés dans le granit comme Earl Haack Junior et son étoile d'argent à cinq branches. Shérif pour un western dont on aurait brouillé les codes.



On en comprend la logique dans une séquence où Frank Wheeler, fils de prêcheur et professeur, prouve qu'il est aussi un scénariste hors pair. Pendant qu'au fond d'une salle de restaurant, Earl explique au maire et à ses adjoints qu'il est décidé à poursuivre l'action initiée par son père en tant que shérif de la ville, une série de plans s'intercalent pour nous montrer ce qu'il entend par là. Earl leur promet de maintenir la paix sur son territoire mais "sans ordre, il ne peut y avoir de paix, ni de justice ni quoi que ce soit qui puisse nous protéger". 



La violence du récit est démultipliée par le sens de l'ellipse avec lequel se poursuit l'entretien, par cet écart terrible entre la promesse et les moyens mis en œuvre pour la tenir.
Les retraités et les classes moyennes supérieures fournissent la population majoritaire de cette ville de 8 000 habitants. Ils aspirent au calme, ne veulent rien savoir des trafics en provenance de Chicago et comptent sur le shérif pour dormir sur leurs deux oreilles. Pour les élus, c'est une exigence qui autorise les manquements à la légalité commis par le shérif à condition de n'en rien savoir. Earl a commencé sa carrière de flic aux stups, à Denver. La guerre contre les trafiquants est une mascarade. On y apprend très vite à ne pas respecter les règles.
Écrit en 2014, le roman de Wheeler résonne étrangement dans l'Amérique de 2016. Ponctuée de scènes d'une violence extrême, l'intrigue s'organise autour de personnages sans autre conscience que celle de leur survie. Bandits et justiciers ne sont que des figures interchangeables, le rapport amoureux est un contrat sans cesse renégociable et seul le shérif est candidat à une rédemption improbable. The Good Life, son titre original, annonce le retour à la loi clanique, le repli communautaire, le peuple en armes dont la vision du monde feint de rêver le meilleur tout en s'accommodant du pire.

L'ordre des choses – Frank Wheeler Jr – Traduit de l'américain par Sébastien Raizer – Série noire Gallimard – 292 pages – 19,50€ - **** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 décembre 2016




jeudi 22 décembre 2016

Futur proche






L’Unité 731 a réellement existé. De 1936 à 1945 le Japon y perpétra sous prétexte d’expérimentation scientifique d’abominables atrocités. Pour dénoncer ce crime d’État couvert ensuite par l’occupant US, l’auteur, d’origine chinoise, choisit le prisme de la SF – un voyage dans le temps – et la forme impersonnelle du scénario de docu-fiction. Glaçant.






L’homme qui mit fin à l’histoire - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti - Ken Liu – Une heure lumière/Le Bélial’ – 106 pages – 8,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 28 août 2016




mercredi 21 décembre 2016

Mauvaise mémoire





Home jacking, Go-Fast, trafic de drogue et prostitution étudiante, avec Du Noir Au Sud, la collection des éditions Cairn, la capitale du Béarn devient une véritable foire aux crimes. L'enquête du lieutenant Yann Loubeyres sur l'assassinat d'une étudiante à la fac de Pau va réveiller les mauvais souvenirs enfouis dans le camp de Gurs. De 1939 à 1945, tous les réprouvés de l'Europe y trouvèrent un terminus pour l'enfer. Mémoire à vif. 




Nous n'irons plus au bois – Philippe Lescarret – Cairn – 288 pages – 12€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 27 novembre 2016




mardi 20 décembre 2016

Canaries en cage





Ils s'appellent Lola, le Sauvage, le Foncedé, le Marquis. Ce sont des branquignols dont les rêves dépassent forcément les compétences. En préparant l'enlèvement de la fille d'un mafieux dans le décor paradisiaque des Canaries, ils se hissent au niveau des personnages déjantés de l'Américain Tim Dorsey. Mais l'île est une cage où les vrais méchants se mettent parfois à table avec les flics. Impunément. 





Les fleurs ne saignent pas – Alexis Ravelo – Traduit de l'espagnol par Amandine Py – Mirobole éditions – 416 pages – 22€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 27 novembre 2016




lundi 19 décembre 2016

Trompe-l'oeil





Pour qui écrit-on un roman? Et pourquoi? Pour le peuple et par devoir, diront les hypocrites. Pour soi-même et une poignée de dollars, diront les autres. Le pari vertigineux et réussi de l'écrivain Adam langer, c'est de transformer ces deux questions en matrice d'un polar dont il est d'abord le narrateur incrédule, convoquant Pynchon et Mailer, avant d'en être la victime. Intelligent et malicieux.






Le contrat Salinger – Adam Langer – Traduit de l'américain par Émilie Didier – 10/18 – 288 pages – 7,80€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 27 novembre 2016




vendredi 16 décembre 2016

Noël noir au cœur de la lande


De la disparition d'une jeune femme et de son bébé à La Teste-de-Buch un peu avant Noël à l'implication d'un père iranien introuvable, "Tabous" installe un théâtre d'ombres où s'animent des seconds couteaux d'une vérité quasi documentaire. Danielle Thiéry s'émancipe peu à peu de son personnage récurrent, la commissaire Edwige Marion.



Tandis que Marion retourne à Paris, c'est Alix, psychologue et nyctalope, qui se délocalise sur le bassin d'Arcachon pour affronter le mystère d'une famille resserrée autour d'un fardeau noir et douloureux. Victime de l'hostilité et des préjugés d'une corporation toujours machiste malgré la féminisation des effectifs, la jeune femme cultive sa propre ambiguïté envers l'institution policière. Les odeurs "de vieilles chaussettes et testostérone" des commissariats la répugnent et l'attirent.


Au rayon des seconds couteaux, un personnage de jeune homme en rupture, rebaptisé "Truc" par une mère indigne, innerve le scénario en alliant bouffonnerie et maladresse dans son parcours de petit délinquant emprunté à un fait divers et débordé par l'horreur de ses crimes. Il y a enfin la puissance obscure de cette forêt girondine où les derniers tabous concernant les rapports entre une mère et ses enfants sont mis à mal. Voilà un roman dont la tonalité évoque les "célébrations" paradoxales de l'Angleterre par Elizabeth George. Diablement efficace.  

Tabous – Danielle Thiéry – Ombres Noires – 384 pages – 21€ - Réédition J'ai Lu - octobre 2017 - 416 pages - 8€ - **** 
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 27 novembre 2016








jeudi 15 décembre 2016

Le facteur humain






Mormon aux opinions controversées dont le manichéisme agace parfois, l’auteur a un talent reconnu dans le monde de la SF. Toute son œuvre est un gigantesque space opera sur fond de guerre des étoiles et d’hypertechnologie. Les enfants en sont souvent les héros, plus ou moins qu’humains, ou les victimes. L’œuvre décline aussi le vieil adage: "Science sans conscience…"






Les rejetons de l’ombre  - Orson Scott Card – Traduit de l’anglais (USA) par Arnaud Mousnier-Lompré - J’ai Lu – 246 pages – 6,70€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10 juillet 2016




mercredi 14 décembre 2016

Faim de chérie





Ne le dites à personne mais on peut encore lire le dernier roman d'Harlan Coben et n'éprouver aucun remord. On se laisse étourdir par l'atmosphère vénéneuse des couples défaillants. Adam et Corinne se racontent des histoires. Après la disparition mystérieuse de Corinne, le socle familial d'Adam s'effondre. Il y a les enfants qu'il faut protéger, les amis dont on devrait se méfier, et le secret. Le terrible secret…






Intimidation – Harlan Coben – Traduit de l'américain par Roxane Azimi – Belfond – 396 pages – 21,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 27 novembre 2016




mardi 13 décembre 2016

Légende antisémite




Ceux qui ont encore du mal à se persuader que l'antisémitisme n'est pas réductible à un racisme "ordinaire", voire à la xénophobie, devraient se plonger dans ce document d'Edmund Levin. Dans cette Ukraine, partie prenante de la Russie tsariste, un enfant défavorisé est assassiné en 1911. Ce crime va permettre de ranimer la légende moyenâgeuse selon laquelle les juifs commettraient des meurtres rituels pour s'abreuver du sang chrétien. Mendel Beilis, pauvre bougre juif, va faire les frais de cette accusation portée par l'extrême-droite. Une affaire Dreyfus dans les faubourgs de Kiev.




Un enfant de sang chrétien – Edmund Levin – Traduit de l'américain par Anne-Sylvie Homassel – Belfond – 448 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 20 novembre 2016




lundi 12 décembre 2016

Grain de folie





Dernier point d'un triangle familial obscur où la schizophrénie règne en maître, l'inspecteur Milo Malart invite ses bouffées délirantes dans une enquête sur l'assassinat d'une étudiante. Mais le grain de folie du flic est partagé par une société barcelonaise parfois indignée, souvent à bout de souffle. Et si Milo se réfugie dans les polars, c'est parce que "les assassins les lisent aussi". Incisif et vigoureux.



Les muselés – Aro Sainz de la Maza – Traduit de l'espagnol par Serge Mestre – Actes Sud – 378 pages – 22,80€ - **** 
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 20 novembre 2016




vendredi 9 décembre 2016

Le cœur chagrin de Barbara



Deux ans! Deux ans qu'Elizabeth George nous avait laissés en plan avec ce couple mythique de la littérature policière que forment l'aristocrate Linley et la roturière Barbara. Avec une crainte majeure: qu'elle abandonne définitivement son duo de flics de Scotland Yard pour les aventures de Becca King, une jeune héroïne dont les pouvoirs fantastiques séduisent davantage les adolescents que les amateurs de romans policiers.



Il y a deux ans, on s'était un peu perdu en Toscane dans une intrigue visiblement destinée à clore le chapitre des relations sans avenir entre Barbara Havers et son voisin pakistanais. Fâchée avec la procédure et les bonnes manières, Barbara a le cœur chagrin et des ennuis avec ses supérieurs quand elle entre en scène dans ce nouvel épisode. Will, un jeune paysagiste victime de coprolalie s'est suicidé en se jetant du haut d'une falaise. Sa mère, Caroline Goldacre, est l'assistante de Clare Abbott, un auteur féministe dont la mort "suspecte" va déclencher l'enquête de Barbara. 



Mais Barbara est le vilain petit canard de la Met, la police de Londres. Menacée par une mutation dans le nord de l'Angleterre, elle ne doit son sursis qu'à Linley qui a plaidé sa cause auprès de la commissaire. Elle ne comprend rien aux codes de ses contemporains. "Les seules fois où elle se regardait dans une glace, c'était quand elle mangeait des épinards. Là, elle vérifiait qu'elle n'avait pas un bout de feuille coincé entre les dents." Quand elle fait malgré tout l'effort vestimentaire indispensable à son maintien, c'est l'absence de vie sexuelle que lui reproche une autre collègue.

Barbara a le cœur chagrin mais Elizabeth George n'en fait pas un drame. Le mystère de cette Caroline Goldacre réanime sa fonction d'enquêtrice et le véritable drame se joue sur l'avant-scène, dans le pourrissement des liens familiaux, les rapports compliqués entre une mère et ses fils, les zones grises de l'âme. C'est l'essence même du roman et de cette comédie humaine à laquelle elle se consacre désormais, passant du roman à énigme de ses débuts à une exploration sociologique de l'Angleterre.

Une avalanche de conséquences – Elizabeth George – Traduit de l'américain par Isabelle Chapman – Presses de la Cité – 610 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 novembre 2016




jeudi 8 décembre 2016

L'envers du Mythe





Surfant sur les théories conspirationnistes en vogue à propos de Marilyn et des Kennedy, ce thriller haut de gamme s’enrichit d’un sous-texte passionnant: les vétérans américains, héros surmédiatisés de la guerre d’Irak puis laissés pour compte, mutilés et parfois SDF du métro de New York jouent ici le rôle d’auxiliaires de premier plan d’une héroïne bodybuildée, elle aussi vétéran, elle aussi sur la touche.






Manhattan Marilyn  - Philippe Laguerre – Éditions Critic – 333 pages – 19€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10 juillet 2016




mercredi 7 décembre 2016

Petite mule





Les romans de Bill James se distinguent en entretenant une ambiguïté pleine d'humour sur les frontières entre le bien et le mal. Colin Harpur est ici confronté à la mort d'une gamine de 13 ans utilisée comme mule par les gangs londoniens. Personnage à la Queneau qui aurait perdu trop vite son innocence, elle est aussi l'enjeu des rivalités incessantes entre responsables policiers dont la probité n'est jamais une certitude. 





Le big boss – Bill James – Traduit de l'anglais par Danièle Bondil – Rivages – 334 pages – 10€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 20 novembre 2016




mardi 6 décembre 2016

Travail de Romains






"Vingt pour cent aux politiques, dix aux Calabrais et aux Napolitains à décharger sur la sous-traitance, cinq aux structures techniques de la commune et du ministère, deux pour cent aux œuvres de charité et de miséricorde…" Le Pape François a invité des millions de pèlerins et les travaux sont une aubaine pour la mafia. Immigration, chasse aux Gitans, Rome brûle et c'est toute l'Europe qui transpire.






Rome brûle – C. Bonini et G. de Cataldo – Traduit de l'italien par Serge Quadruppani – Métailié – 304 pages – 19€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 13 novembre 2016




lundi 5 décembre 2016

Forêt profonde





Bondrée, c'est la frontière. Le nom d'un lac du Québec dont les eaux séparent le monde rassurant des hommes, de la forêt où se fécondent les peurs et les légendes, les histoires d'ogres et de jeunes filles piégées par un trappeur invisible. Pour la narratrice en vacances avec ses parents lors de cet été 1967, les frissons du conte s'incarnent douloureusement dans le décor de son enfance. Une voix onirique et puissante.  





Bondrée – Andrée A. Michaud – Rivages – 366 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 novembre 2016




vendredi 2 décembre 2016

Parfum de bûcher





En 1601, le capitaine Kassov et son neveu Mattheus sont au service du prince Rodolphe II de Habsbourg. On cherche à savoir si le soleil tourne autour de la Terre et les bûchers de l'Inquisition parfument encore les débats coperniciens. Tycho Brahé, protégé de Rodolphe, avait opté pour un compromis. C'est sa mort qu'interrogent les deux auteurs en privilégiant la thèse de l'empoisonnement. Un polar historique passionnant.






Le songe de l'astronome – Thierry Bourcy et François Soulié – 10/18 – 264 pages – 7,50€ - *** 
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 novembre 2016




jeudi 1 décembre 2016

Après la Guerre des Mondes





La Terre prend sa revanche. Cet ancêtre du space opera paru en 1898 imagine une suite au roman de Wells: une escouade terrienne attaque préventivement la planète rouge. À sa tête d’authentiques savants, Edison, Lord Kelvin, et un futur prix Nobel de chimie français. Antigravitation, désintégrateurs, tout l’arsenal SF est déjà là, mais aussi celui du roman d’aventures, mondes perdus, princesse lointaine…





Edison à la conquête de Mars - Garrett P. Serviss – Encrage Édition – 160 pages – 16€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10 juillet 2016