jeudi 31 mars 2016

L'Obscur au-delà des étoiles



Ils s’appellent Moineau, Bécasse, Héron, mais également Tybalt, Mercutio ou Hamlet. L’emprunt à Shakespeare donne le ton. Et aussi ce mystérieux capitaine, sans doute immortel, qui, à la recherche d’incertaines formes de vie éparses dans l’univers, s’apprête à engager son vaisseau spatial dans la Nuit, une zone intergalactique vide de toute étoile, au risque de perdre, corps et biens, navire et équipage. Et là nous pensons au roman de Melville, à sa baleine blanche. D’abord scientiste, la SF s’était ouverte dans les années 60, avec Vance ou Herbert, à l’anthropologie, politique ou religieuse. 




À la toute fin du siècle dernier est apparu un questionnement métaphysique qui rapproche durablement ce sous-genre, comme ce fut le cas pour le polar – dixit Malraux, de la tragédie. Très âgé – il est né en 1926 –, auteur discret, Robinson a été rédacteur des discours d’Harvey Milk, premier conseiller municipal gay de San Francisco assassiné en 1978, et coscénariste de "La Tour infernale"; il est surtout connu pour son thriller "Le Pouvoir". 





Le thème classique du vaisseau-monde s’enrichit ici d’une méditation pascalienne sur le silence éternel des espaces infinis qui débouche sur une quête éperdue de Dieu ou du père: Hamlet se muera-t-il en Œdipe pour régner, malgré lui, sur son peuple de réprouvés? Publié il y a plus de vingt ans, ce chef d’œuvre du space opera vient d’être opportunément réédité. 

Destination ténèbres  - Frank M. Robinson – Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Daniel Brèque - Folio SF/Gallimard – 576 pages – 8,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 22 juin 2014




mercredi 30 mars 2016

Le réel, c'est l'affliction


Quand elle se retrouve concierge, Mémé Cornemuse n'a pas l'intention de faire reluire la rampe et l'escalier. Elle prépare le casse d'une bijouterie. Malheureusement dans l'immeuble, ça se complique. Ginette, technicienne de surface aux pompes funèbres, aurait espéré former le couple du siècle avec Marcel, ancien beau gosse reconverti en éponge de comptoir, mais Marcel est assassiné, son pénis planté dans un camembert au frigo.




Séparée de Michou, le flic travelo de "La petite fêlée", Mémé accompagne désormais un psychopathe qui débite les cadavres avec un sens inné de l'équarrissage. Mémé n'aime ni les animaux, ni les enfants, ni les fleurs. Elle fréquente les églises pour vérifier l'absence de Dieu, marmonne du Brel, fredonne avec Annie Cordy, ne sera "jamais vieille". "Les vieux sont ceux qui n'ont plus de rêves".  





La vieille qui voulait tuer le bon Dieu – Nadine Monfils – Pocket – 280 pages – 6,30€ - **
Lionel Germain






mardi 29 mars 2016

Flemme de ménage






Pas de Mémé Cornemuse ici mais une mémé découpée comme le reste de la famille par Homère, le mari de Rita. Rita, c'est la jeune femme que deux adolescents mal élevés, Ralph et Tony, ont kidnappée pour faire le ménage dans la maison dévastée par leurs soins. Histoire de faire plaisir aux parents de retour de vacances. Dommage pour les sales gosses, fallait pas embêter Homère. C'est burlesque et sombre comme un hiver flamand. 






Nickel blues – Nadine Monfils – Pocket – 210 pages – 6,30€ - ***
Lionel Germain




lundi 28 mars 2016

Perrault maqué



"Il peut être un très bon acteur si on lui donne des scénarios intéressants. Il est surréaliste comme la plupart des Belges. Et j'ai un grand respect pour son parcours. Ceux qui se moquent de lui sont des cons qui ne lui arrivent pas à la cheville."




Lui, c'est JCVD, bien-sûr. Jean-Claude Van Damme auquel Nadine Monfils rend régulièrement hommage. Les mauvais esprits l'auront bien compris, l'admiration est au premier degré. Mémé Cornemuse, l'héroïne inoxydable de Pandore, revient de vacances pour se mêler des affaires de Nake, une jeune fille qui a de méchantes visions en craquant des allumettes. Les deux enquêteurs, Cooper et Michou, y voient une certaine ressemblance avec les contes de Perrault. Et même si les flics ont mauvais genre, Cornemuse en pince pour Michou.





La petite fêlée aux allumettes – Nadine Monfils – Pocket – 250 pages – 6,30€ - **
Lionel Germain




samedi 26 mars 2016

Voice of America



"Quand j'étais gamin, il y avait toujours ce genre de scène dans les livres et dans les films, avec l'Américain sans peur qui affrontait le tyran étranger dans son palais, et la façon dont ça se passait toujours, dans ces histoires, c'était que l'Américain sans peur lui disait ses quatre vérités en termes choisis, expédiait des coups de poing à trois ou quatre gardes et se promenait dans le palais un moment en se battant en duel contre divers gaillards ineptes portant l'uniforme, jusqu'à ce que le tyran étranger tombe d'un balcon placé fort à propos. 




Puis l'Américain sans peur déverrouillait la porte derrière laquelle l'héroïne était emprisonnée, il n'y avait pas de table d'autopsie, juste une cellule aux murs de pierre, et ils s'enlaçaient pendant que les citoyens désormais libres de la nation étrangère partaient en sautillant vers les bureaux de vote."

J'ai déjà donné – Donald Westlake – Traduit de l'américain par Nicolas Blondil – Rivages – 272 pages – 22,50€ - **
Lionel Germain



sur le site de l'éditeur




vendredi 25 mars 2016

Zola fera bien l'affaire



 De Roger Martin, on se souvient qu'il a débuté au milieu des années quatre-vingts avec une fiction sur le Klu-Klux-Klan. Il n'a cessé depuis de pointer les connivences d'une certaine bourgeoisie blanche avec l'idéologie raciste du sud des États-Unis et la fascination du "roman noir" français pour le Montana, par exemple, qu'il illustre dans sa BD "Les milices du Montana". Récemment, on lui a décerné trois prix pour "Jusqu'à ce que mort s'en suive" publié au Cherche-Midi. Une enquête passionnante sur l'apartheid américain au cœur des forces armées en 1944.




Toute aussi passionnante que cette nouvelle incursion mouvementée dans un Paris de "guerre civile" au début du siècle dernier. Avec Jérôme Leroy, Didier Daeninckx ou même Pierre Lemaître, Roger Martin considère l'Histoire comme un territoire à déchiffrer en renonçant parfois aux évidences trop complaisamment relayées. Se plonger dans les archives, retrouver les notes secrètes, n'inventer que le médiateur autorisé à endosser le sale boulot de briseur de mythes, voilà la méthode. 




L'invention se résume à quelques silhouettes et au personnage de Romain Delorme, flic infiltré dans les marécages de l'extrême-droite antisémite. De l'Affaire Dreyfus à la capitulation de Vichy, on assiste à la genèse de "la France aux Français", des cris de haine devant les synagogues. On découvre les persécutions et les menaces dont Zola fut victime et les conditions assez confuses de sa mort qui accréditent la thèse de l'assassinat maquillé en accident. Un sourire pourtant à la mort du Président Faure en 1899 dans les bras de sa maîtresse, le commentaire de Clémenceau: "Il voulait être César, il ne fut que Pompée". Où comment naissent les Pompes funèbres. 

Il est des morts qu'il faut qu'on tue – Roger Martin – Cherche-Midi – 544 pages – 21€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 13 mars 2016




jeudi 24 mars 2016

Nouveaux Mystères de Paris





 Manifeste du steampunk à la française bardé de références universitaires, entre autre une préface d’Étienne Barillier, ce roman-feuilleton nous plonge dans les bas-fonds du Paris de 1872 en proie à des meurtres en série: thriller, jeu littéraire lorgnant vers Hugo, Baudelaire ou le latiniste Gaffiot, et face à face avec le mal pour un enquêteur meurtri dans sa chair et dans son âme. Relecture fantasmatique du réel.





Feuillets de cuivre - Fabien Clavel – ActuSF – 338 pages – 20€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015




mercredi 23 mars 2016

La mélodie du malheur






 Ce n'est jamais l'amour qui mène au crime, c'est le crime qui désigne l'amour comme une cible idéale. Suprême gourmandise du diable, l'amour est innocent, et Arni Thorarinsson écrit le roman de la trahison la plus effroyable. Une femme, un homme, et leur fille, déchirés par la frontière entre le Bien et le Mal, se consument sous nos yeux. Non, ce n'est pas l'amour le coupable mais cet œil étranger plein de haine.






Le Crime – Arni Thorarinsson – Traduit de l'islandais par Éric Boury – Métailié – 144 pages – 17€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 mars 2016




mardi 22 mars 2016

Crime à la calabraise





 Souvent troublée par des crimes mafieux bien réels, Vigata est à Camilleri ce qu'Isola était à Ed McBain, une ville fictive où le crime est une aubaine pour la littérature. Dans ce jeu de miroirs, pour une fois, tout est imaginaire. La passion amoureuse s'accommode mal des trafics en tous genres et si la cuisine mafieuse est indigeste, Montalabano ne s'en prive pas moins de déguster son "sartu" de riz à la calabraise. Savoureux hommage à la dame de Shanghai.




Jeu de miroirs – Andrea Camilleri – Traduit de l'italien par Serge Quadruppani – Fleuve noir - 240 pages – 20€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 mars 2016




lundi 21 mars 2016

Grégaire agraire






 Benoît Minville touche à l'universel malgré les repères du cadastre et l'insistance champêtre du titre. L'enfance, l'amour, le deuil, la culpabilité et la recherche de rédemption pour deux frères qui se retrouvent dans une petite ville de la Nièvre. Avec un troisième homme et une jolie jeune femme, ils recomposent le "gang" de leur adolescence et rien, bien-sûr, n'est soldé des mensonges et des trahisons de l'enfance. L'auteur jeunesse est devenu grand. 




Rural noir – Benoît Minville – Série noire Gallimard – 250 pages – 18€ - Réédition Folio policier avril 2017 - 320 pages - 7,20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2016







vendredi 18 mars 2016

Les démons dans sa peau



 Le vieux monde sent la rouille. Le bruit et la fureur sont des rumeurs souterraines exhalées depuis ce siècle où la grandeur de l'Amérique se projetait déjà dans l'annonce de sa chute. Cette "corrosion" dont nous parle Jon Bassoff, se bricole avec les restes du festin littéraire mitonné par Faulkner ou Thompson.




Inauguré avec John Downs, un vétéran de la guerre d'Irak, gueule cassée percluse de douleurs et de drames intérieurs, le roman déconstruit sa logique narrative dans une deuxième partie sidérante où la voix désynchronisée du soldat valeureux se superpose au monologue de Benton Faulk. Benton Faulk chez Bassoff est le personnage charnière entre le réel et la fiction. Il est celui qui réinterprète le monde, pétrissant le réel pour lever sa propre légende. 




Un vétéran blessé et solitaire cherche donc à sauver la veuve et l'orphelin. On l'appellera John Downs. Il est sur les routes avec son vieux pick-up comme le cowboy sur son cheval. Il entre dans des saloons, corrige les hommes violents envers les femmes puis s'en va. Sauf que le monde réel est une folie bien plus meurtrière qu'un récit codé par Hollywood. Benton Faulk n'est pas le double de John Downs. Il est l'écho cinglé du mythe destiné à murmurer une version pastorale de l'enfer. 

La corrosion du rêve, c'est le repli sur un territoire désolé qui n'appartient qu'aux écrivains. "Bienvenue à Thompsonville, 1372 sympathiques habitants". Il y fait déjà nuit.
   
Corrosion – Jon Bassoff – Traduit de l'américain par Anatole Pons – Gallmeister - 240 pages – 17,20€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2016




jeudi 17 mars 2016

Iain M. Banks: Une forme de transcendance



 Disparu en juin 2013, l’écrivain écossais Iain Banks aura marqué la SF des trente dernières années avec son "cycle de la Culture", une vision libertaire du futur. Humains, extraterrestres, drones (robots intelligents) ou mentaux (intelligences artificielles), ils forment un club très sélect de 18 trillions de "personnes". 




Ils sont apparus depuis si longtemps dans la Galaxie qu’ils sont presque des dieux. Du moins le croient-ils. Ils connaissent l’abondance, ont oublié le labeur quotidien qui forgea les hommes, goûtent le pur savoir, et le plaisir subtil de changer de sexe un peu à leur gré. Hédonistes, tolérants, anarchistes, ils se sont faits les gardiens bienveillants de myriades de mondes qui progressent chacun à leur rythme. 





Ainsi dans ce dernier roman, une civilisation, une fois atteint un très haut niveau de développement, choisit-elle de disparaître: c’est la Sublimation, l’accès collectif à une stase supérieure de l’être, dont nul n’est revenu pour en dire quelque chose d’intelligible. Est-ce en rapport avec l’infinité de possibles qu’ouvre la théorie des cordes, ou bien une forme de transcendance? Qui sait? 

L’auteur relève encore une fois le défi des formes de vie les plus déconcertantes, en même temps qu’il propose une méditation ironique sur ce clash des civilisations qui tourmente notre postmodernité, et rêve d’une virtuose alien jouant avec ses quatre bras d’un étrange instrument. Auteur aussi de polars, de récits réalistes, engagé politiquement, Banks militait pour l’indépendance de l’Écosse.


La Sonate hydrogène  - Iain M. Banks – Traduit de l’anglais par Patrick Dusoulier - Ailleurs & Demain, Robert Laffont – 537 pages – 24€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 10novembre 2013




mercredi 16 mars 2016

Plus de porcs que de mâles





 Ici, c'est le duo Chet Baker Miles Davis dans "Round midnight" qui donne le tempo de Mistral, un flic inventé par un autre flic. Un dernier sursaut du "36" avant le repli sur "Batignolles". Une enquête sombre au cœur du plus répugnant des trafics, celui des jeunes filles importées du Nigéria après un maraboutage en règle pour les asservir. Autour de minuit, les sirènes pleurent et meurent sur nos boulevards.





Les sirènes noires – Jean-Marc Souvira – Fleuve noir – 448 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2016




Chet Baker sans Miles




mardi 15 mars 2016

Métal ardent





 Les hauts fourneaux de la métallurgie ont cessé de rugir mais de la jungle indochinoise aux friches industrielles de Wollaing, petite ville imaginaire du Nord de la France, c'est sans doute la même guerre qui n'en finit pas d'élaguer les branches mortes. Quand on retrouve une jeune fille assassinée, le commandant Buchmeyer, "ni procédurier, ni expéditif", doit faire la part entre vengeance recuite et drame social. Noir sans sucre.  





Les salauds devront payer – Emmanuel Grand – Liana-Levi – 380 pages – 19€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2016




lundi 14 mars 2016

Atmosphère






 Pour ses vingt-sept ans, le détective privé Jérôme Dracéna a beaucoup de chance. Son papa lui offre un Ausweiss. Le sésame indispensable pour circuler dans Paris en 1941. C'est un bon gars, Dracéna. Il est embauché par Arletty menacée par lettres pour sa liaison dangereuse avec un officier allemand. "C'est pas d'ma faute si j'suis sentimentale, mais faudrait pas me prendre pour une poule." Atmosphère!






Occupe-toi d'Arletty – Jean-Pierre de Lucovich – 10/18 – 264 pages – 7,10€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 14 février 2016




vendredi 11 mars 2016

En première ligne






 Shannon Burke a réellement été ambulancier à New-York. Voici Harlem et ses nuées de toxicos, de gamins farcis de rage, prêts à en découdre avec les fantassins de première ligne, les patrouilles de flics ou les ambulanciers. Ollie Cross est un gentil garçon. Il veut devenir médecin mais il ne lui faut que six mois pour se napper d'indifférence et mourir à ses propres yeux. Percutant comme l'était déjà "Manhattan nocturne". 





911 – Shannon Burke – Traduit de l'américain par Diniz Galhos – 10/18 – 216 pages – 7,10€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 28 février 2016




jeudi 10 mars 2016

Polar Peplum





 Jean-Philippe Lasser n’est pas un privé comme les autres. Il côtoie les dieux, égyptiens de préférence, et voyage dans le temps. Cette 4e aventure commence dans une ambiance vintage, Italie des années 30, voyage à bord d’un Caudron Simoun – l’avion de Saint-Ex, mais les fils de l’histoire s’emmêlent vite. Attention: sérieux, s’abstenir. On rit beaucoup dans ce pastiche de roman noir.





Dans les arènes du temps  - Sylvie Miller et Philippe Ward – Critic – 481 pages – 22€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015




mercredi 9 mars 2016

Ragtime






 Tout sonne juste, l'"Alexander's ragtime" avec lequel le pianiste américain Jeremy Nelson se fait remarquer dans les cabarets parisiens, le soleil rond "comme une pièce de cinq francs", les romans d'Arnould Galopin que personne ne lira plus au XXIème siècle. On est en 1921 et Claude Izner tente de nous faire croire avec ce nouveau cycle qu'elle en a fini avec Victor Legris, précédent héros d'une douzaine d'aventures. Rien n'est moins sûr… .



Le pas du renard – Claude Izner – 10/18 – 336 pages – 16,90€ - numérique – 12/21 – 11,90€ - 
Réédition juin 2017 10/18 Grands détectives - 384 pages - 8,10€

Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2016











mardi 8 mars 2016

Secrète offense





 En matière de viol, le crime est caractérisé par des preuves dont le temps brouille l'évidence. Arbitrée par un enquêteur de l'armée israélienne, c'est la confrontation entre deux personnages, un officier et une jeune soldate, cette dernière accusant le premier d'agression sexuelle. Rigueur militaire et intransigeance religieuse dessinent les frontières d'un pays dont l'état d'urgence est permanent.  





Une proie trop facile – Yishaï Sarid – Traduit de l'israélien par Laurence Sendrowicz – Actes-Sud – 352 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 7 février 2016




lundi 7 mars 2016

Bâtisseurs d'empire





 De la fin de la guerre aux années soixante-dix, Martyn Waites raconte l'énergie bâtisseuse des sociaux-démocrates, entraînant Newcastle dans la brutalité, la corruption et la spéculation immobilière. On découvre les parcours chahutés des hommes et des femmes du peuple, des femmes surtout, comme cette prostituée promise dès l'enfance à la violence des adultes. Portraits sans concession.





La chambre blanche – Martyn Waites – Traduit de l'anglais par Alexis Nolent – Rivages – 430 pages – 22€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 7 février 2016




samedi 5 mars 2016

Une belle paire





 Les histoires de jumeaux ont toujours fasciné les romanciers pour cette part de mystère encore non résolu. Jacques Expert nous raconte le meurtre d'une femme assassinée par l'un des deux frères qui se renvoient la balle. En repassant le film de leur enfance, perte d'une petite sœur, rivalité fusionnelle et sentiment de toute puissance, on comprend qu'ils vont donner beaucoup de fil à retordre aux enquêteurs. Manque ce zeste d'empathie que l'auteur refuse d'accorder à ses personnages.





Deux gouttes d'eau – Jacques Expert – Sonatine – 332 pages – 19€ - **
Lionel Germain




vendredi 4 mars 2016

Abcès de l'âme





 Une partie des auteurs de polars contemporains s'intéresse davantage à la souffrance qu'au crime. "Comment va la douleur?" aurait dit Pascal Garnier. Paola Barbato raconte l'histoire d'un enfant victime devenu lui-même assassin. Le fil rouge n'est pas ce qui relie les crimes entre eux. Il emmaillote les pulsions meurtrières et se détricote sur la plaie béante du narrateur. Écrire, c'est aussi percer les abcès de l'âme.





Le fil rouge – Paola Barbato – Traduit de l'italien par Anais Bouteille-Bokobza – Denoël – 355 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 31 janvier 2016




jeudi 3 mars 2016

Le Trône de Fer: une Fantasy majeure



 La grande saga de fantasy de notre temps, peut-être est-elle en train de s’écrire sous nos yeux. Tolkien et Lewis n’ont trouvé un public que sur le tard – et encore Le Seigneur des anneaux ou Les mondes de Narnia n’étaient-ils pas conçus d’abord pour des adolescents…  


George R. R. Martin écrit pour ses contemporains. Même si son propos semble décalé – il invoque le patronage des Rois maudits de Maurice Druon ou la guerre des deux roses magnifiée par Shakespeare, mais il doit beaucoup aussi au space-opera baroque de Jack Vance – c’est un peu d’aujourd’hui qu’il nous parle: son univers médiéval qui vit sous la menace d’un changement climatique radical connaît à sa manière une embellie sur le plan des arts et des sciences, et le paganisme diffus et sceptique qui y prévaut nous renvoie à notre monde sécularisé où le religieux est banalisé avec condescendance; on ne croit plus aux dragons, et les légendes qui courent encore sur les horreurs sans nom dont le Nord serait le théâtre, par-delà l’immense Mur de glace censé protéger la civilisation, en font rire plus d’un. 





Mais l’hiver vient, et l’ennemi n’a pas le visage qu’on attend de ce côté-ci des choses. Avec cette véritable épopée riche maintenant de plusieurs milliers de pages, entreprise voici 15 ans, Martin compose une "fantasy" majeure, à hauteur d’homme et non plus d’elfe, sans manichéisme aucun, sans trop d’espérance non plus: comme un écho fantasmé de nos hantises?





Les Dragons de Meereen (Le Trône de fer 14)  - George R. R. Martin – Traduit de l’américain par Patrick Marcel - Pygmalion – 450 pages – 19,90€ - 
Le Trône de Fer 1 est réédité chez le même éditeur - 980 pages – 22,90 €  (26 septembre 2012) - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 16 septembre 2012




mercredi 2 mars 2016

Papilles de la Nation





 Historienne de la gastronomie, Michèle Barrière nous raconte les aventures de Quentin du Mesnil, maître d'hôtel de François Ier, avec en prime une collection de recettes  destinées à mettre en bouche les saveurs du seizième siècle. Pour lever les doutes sur l'empoisonnement supposé du Dauphin, on convoque Rabelais. Beaucoup de pensées rabelaisiennes échappent à la constipation intellectuelle et célèbrent les fondements de notre humanité. Un régal.





Innocent breuvage – Michèle Barrière – Lattès – 250 pages – 18€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 31 janvier 2016




mardi 1 mars 2016

Kripo





 Avec une troublante mise en perspective des naufrages du vingtième siècle depuis le rivage des incertitudes contemporaines, Luke MacCallin interroge le mystère d'un crime singulier dans la tourmente nazie, ici l'assassinat en 1943 d'une journaliste bosniaque et d'un officier allemand. Au cœur d'un système où le crime de masse efface la responsabilité individuelle, le flic de la Kripo a bien du mal à garder l'estime de soi. 






L'Homme de Berlin – Luke McCallin – Traduit de l'anglais par Laurent Bury – Toucan – 576 pages – 23€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 31 janvier 2016