vendredi 29 janvier 2016

Ne nous couchons pas de bonne heure



 "Plus tard dans mon lit, ayant renoncé à m'endormir, je guettai, à travers les hululements du blizzard, les gémissements de la maison malmenée. Souvent il me semblait qu'un pauvre hère cognait aux volets à la recherche d'un refuge, mais ce n'était que les branches d'un sapin qui grattaient la façade. La toiture grinçait, les fenêtres s'entrechoquaient."



Le froid est une saison littéraire dont Élisa Vix maîtrise les codes à la perfection. Pour Estelle, sa jeune héroïne promenée de foyer en famille d'accueil, l'enfance aussi est une saison tragique. Elle espère avoir tourné la page en s'exilant à Val Plaisir. C'est une charmante station de montagne et Jérémy, le tenancier du bowling est charmant. A la fin du conte de fée, ils ont une petite fille, Lilas. Mais sous le charme sommeille l'enchantement, le sortilège qui inspire la frayeur et peut prendre le joli visage de Nadia, débarquée de nulle-part. 



Jérémy et Nadia sont des jumeaux en miroir. Comme en montagne où les deux versants opposent leur appétit d'ombre et de lumière, Nadia figure l'ubac, la minéralité faussement adoucie par la pâleur des neiges. Nadia n'aime vraiment pas Estelle et son enfant. Tandis qu'elle accumule les faux actes manqués, pour Jérémy, c'est Estelle qui devient la coupable. Mais qui pourrait croire l'enfant de la Ddass?

Et sur l'ubac, il manque encore  les loups pour que l'hiver se referme sur la noirceur du conte. Élisa Vix en laisse surgir le hurlement dans les lointains du texte. On devine alors que le dernier mot appartiendra à cette tradition séculaire dont nous nourrissons encore nos rêves. Avec bonheur.
  
Ubac – Élisa Vix – Rouergue – 192 pages – 18€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 17 janvier 2016




jeudi 28 janvier 2016

Indigné!






 Chantre de métropoles déjantées, souvent extraterrestres, Miéville nous revient avec cette promenade hallucinée dans le Londres bien réel des laundrettes et des squats, des tentes SDF, du racisme ordinaire et d’inégalités proches de celles de l’ère victorienne. Vision apocalyptique et vengeresse d’un auteur de SF qui a mal à sa ville. Inédit.






La chute de Londres  - China Miéville – Traduit de l’anglais par François Laurent  - Agora/Pocket – Édition illustrée de photos de l’auteur - 92 pages – 7,70€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er novembre 2015




mercredi 27 janvier 2016

Noir Marron




 La Guyane, c'est une terre d'aventures. Enfin, pour les touristes, les forces spéciales à l'entraînement et les "métropolitains" en mode expatriés. Parce que pour les Guyanais de "souche", les racines sont plutôt amères. Colin Niel en est à son troisième volet des enquêtes du capitaine Anato, personnage partageant les mystères des Noirs Marrons, les Ndjuka du Maroni. Une belle fresque historique sur fond de guerre du Suriname, de trafic de drogue et de drames de l'exil.




Obia – Colin Niel – Rouergue – 496 pages – 23€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 27 décembre 2015




mardi 26 janvier 2016

Famille d'accueil




 Un bon roman à suspense, c'est d'abord une affaire d'appât. Celui que nous lance Valentin Musso (attention, ne confondez pas avec Guillaume) fonctionne à merveille. Un jeune homme au passé suspect s'est égaré dans une famille d'accueil. C'est une vraie famille à laquelle il semble imposer peu à peu une loi perverse. Et puis, coup de force scénaristique, l'auteur nous entraîne des frissons prévisibles vers ceux plus inquiétants d'un renversement de perspective. Comme si la petite fabrique du malheur se nichait toujours dans le même cocon. 




Une vraie famille – Valentin Musso – Seuil – 378 pages – 19,90€ - 
Réédition Points Seuil - mai 2016 - 432 pages - 7,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 10 janvier 2016







lundi 25 janvier 2016

De Grace






 Peter James mêle habilement suspense et procédure. Ici, la partie thriller est construite autour de la personnalité menacée d'une actrice hollywoodienne débarquée à Brighton pour le tournage d'un film sur George IV. Le commissaire Roy Grace prend les commandes du roman policier à la McBain. Sandy, la femme disparue de Grace, est l'ombre qui plane sur son bonheur. On ne se lasse pas de cette délicieuse machine infernale.





Que ta chute soit lente – Peter James – Traduit de l'anglais par Raphaëlle Dedourge – Pocket – 576 pages – 7,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 décembre 2015




vendredi 22 janvier 2016

Les ogres de Staline



 François Claudius Simon, flic au Quai des Orfèvres, enquête sur l'assassinat d'un Russe soupçonné d'être un ancien espion du tsar. On est à Paris en 1920 et l'inspecteur retrouve les exilés que fréquentait aussi sa fiancée Elsa, quelques peintres aux noms évocateurs: Soutine, Modigliani, Picasso. Elsa quant à elle a rejoint le mouvement révolutionnaire d'octobre 17 et François courtise ses souvenirs.




À Paris, la guerre fait rage entre émigrés partisans de la nouvelle dictature et nostalgiques des fastes de l'ancienne, tandis qu'une poignée tente le juste milieu dans un mouvement baptisé "Russie intégrale". Mais déjà, derrière le duo Lénine-Trotski, à Moscou se profile la silhouette d'un certain Staline. La berceuse de "Sosso", alias Staline, fournie par l'Okhrana, sinistre police secrète de l'ancien régime, accréditerait la thèse d'un étrange double jeu du futur maître du Kremlin. Rythmé, documenté. Emballé, c'est pesé.  




La berceuse de Staline – Guillaume Prévost – 10/18 – 360 pages – 8,10€ - **
Lionel Germain




jeudi 21 janvier 2016

Lovecraft, la porte des rêves



 Quatre petits volumes constituent l’essentiel de l’œuvre de Lovecraft, si l’on en exclut les séquelles ou préquelles dont les éditeurs sont familiers. On rajoute parfois un roman prétendument inachevé, "Démons et merveilles". C’est cet ouvrage qui reparaît aujourd’hui, sous sa forme originale d’un recueil de textes courts, dans une traduction renouvelée qui donne l’impression de parcourir des inédits. 



Habitué aux horreurs sans nom auxquelles on réduit souvent l’œuvre du reclus de Providence qui disait avoir un jour visité Paris "with Poe, in a dream", le lecteur sera frappé par la quête désespérée d’une enfance perdue dont la pureté imprègne quelques très belles pages. Il découvrira aussi tout ce que le maître de la fantasy devait à Lord Dunsany et à ses contes fantastiques révélés il y a près de vingt ans par Julien Green. Au-delà des hantises déplaisantes qui sillonnent l’œuvre, l’écriture, ici, d’exorcisme devient résilience, et Randolph Carter, l’alter ego de l’auteur, retrouve un temps la clé de la porte des rêves.




Les Contrées du rêve  - H. P. Lovecraft – Nouvelle traduction par David Camus Mnémos – 296 pages – 21€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 28 octobre 2010




mercredi 20 janvier 2016

Mineur Swing






 Il aurait pu mourir comme Sherlock, mais John Harvey a préféré pour Resnick, un dernier tour de piste sur les cendres encore chaudes d'une tragédie sociale, la grève des mineurs de 1984. Resnick donne un coup de main après la découverte du cadavre d'une femme dont la disparition remonte à ces années noires. En vidant les placards, on rêve sur "Smoke gets in your eyes" interprété par Thelonius Monk. La grande classe.





Ténèbres, ténèbres – John Harvey – Traduit de l'anglais par Karine Lalechere – Rivages – 336 pages – 22€ - Réédition Rivages poche avril 2017 - 394 pages - 8,70€ - *** 
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 10 janvier 2016














mardi 19 janvier 2016

Ville rose, humeur noire





 La Nouvelle Calédonie est ce rêve lointain qui donne à Renato Donatelli, flic de base et kanak, l'énergie nécessaire pour accomplir sa mission dans la brigade des stups toulousaine. Dans un nid de ripoux, l'exigence morale du policier est mise à rude épreuve. L'auteur, lui-même capitaine de police et Prix du Quai des Orfèvres en 2009, réussit son portrait d'un flic ordinaire aux prises avec les séquelles terrifiantes de la guerre du Rwanda.






Abattez les grands arbres – Christophe Guillaumot – Cairn – 376 pages – 13,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 3 janvier 2016




lundi 18 janvier 2016

Animal lecteur




 La parution de l'Indic fait désormais partie des attentes du lecteur de polar. Rappelons utilement avec Émeric Cloche que "le Noir est un polar comme les autres" pour clore le débat juridique cher aux animateurs de chapelles. Ce très bon numéro 23 propose une visite guidée de l'animalerie littéraire. Entre le chien poivrot de Crumley  et le lézard de Moore, il ne manque que le "Fou de coudre" de Philippe Setbon. Mais c'est vraiment chercher la petite bête.





L'Indic N°23 – Collectif – Association Fondu au Noir – 48 pages – 7€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 17 janvier 2016



le site de la revue: Fondu Au Noir




vendredi 15 janvier 2016

Salades grecques à l'ancienne



 Turquie avec Alper Canigüz, Pologne avec Zygmunt Miloszewski, Moldavie avec Vladimir Lortchenkov, la réputation littéraire des espaces mal famés coïncide rarement avec le catalogue des éditions Mirobole. Quand les amateurs de frissons ont tendance à lorgner le nord de l'Europe et l'univers anglo-saxon, l'offre éditoriale de la petite maison bordelaise fait voisiner le suspense de la danoise Inger Wolf et le burlesque provocateur de Lortchenkov.


"Psychiko" de Paul Nirvanas pourrait suggérer une escapade sanglante à la mode de Bret Easton Ellis. Funeste méprise, Psychiko n'est qu'un quartier d'Athènes et Paul Nirvanas, le pseudonyme d'un auteur grec disparu en 1937. On doit à la postface de Loïc Marcou d'en savoir plus sur ce Petros K. Apostolidis qui fut médecin de la marine de guerre avant de se consacrer à la littérature sous une douzaine de noms d'emprunt, de rejoindre l'académie d'Athènes, d'écrire dans les années trente le scénario de deux films et de diffuser la philosophie nietzschéenne en Grèce.



Le roman publié en 1928 met en scène un jeune homme qui s'érige en "bourreau de lui-même" pour échapper à la monotonie de l'existence. En se déclarant coupable d'un crime qu'il n'a pas commis, il déclenche la répression judiciaire espérée. La menace de la guillotine fait bientôt basculer la comédie dans le mélodrame et un honorable suspense nous tient en éveil jusqu'au dénouement attendu. On peut lire cet agréable feuilleton sans se soucier des références philosophiques ou littéraires. C'est à la fois moderne dans le procédé, désuet dans la rêverie sentimentale qui préserve le "héros" d'une folie véritable, et très révélateur quand même de la société athénienne des années vingt.

Psychiko – Paul Nirvanas – Traduit du grec par Loïc Marcou – Mirobole – 224 pages – 19,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 janvier 2015




jeudi 14 janvier 2016

Voyage d'automne






 L’automne est la saison du poète. Et Bradbury était le poète de la SF. Il n’a jamais été autant lui-même que dans ces évocations entre chien et loup du pays d’octobre où le temps s’éternise, du côté d’Halloween. Ici, un garçon se déguise en squelette pour parcourir la ville, quêtant des friandises. Un autre disparaît. Une porte s’ouvre alors sur un ailleurs mystérieux.






L’Arbre d’Halloween - Ray Bradbury – Traduit de l’américain par Alain Dorémieux - Folio SF – 176 pages – 6,40€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er novembre 2015




mercredi 13 janvier 2016

Buffet froid



 "Le 8 octobre 2012, une gardienne de la paix s'est donné la mort dans le Loiret. Le 18 novembre, une de ses collègues du Calvados a décidé d'en finir. Le 20 décembre, c'est un policier du Vaucluse qui s'est suicidé. Le 11 janvier 2013, c'est dans la Sarthe qu'un autre met fin à ses jours. Il sera suivi par un fonctionnaire de la PAF (police aux frontières) le 24 février."




En 2014, ils sont 55 gardiens de la paix et  23 gendarmes à avoir mis fin à leurs jours. Mais si François Hollande affiche un triste bilan, Nicolas Sarkozy aura été le principal fossoyeur d'une gestion apaisée des R.H.: humiliation des flics de proximité à Toulouse, mise au pas des gendarmes, réduction des effectifs, police du chiffre. C'est malgré tout traditionnellement quand la gauche est au pouvoir que les flics sont dans la rue. L'idéologie efface le réel.




L'état d'urgence risque évidemment de ne rien arranger à l'épuisement des forces de l'ordre. CRS, gardes-mobiles, commissariats de quartier ou brigades départementales, les hommes et les femmes au statut spécial sont démunis face aux incohérences de leur hiérarchie. Dans ce livre de témoignages, Alain Hamon, grand reporter spécialisé police-justice tente de cerner les causes du mal. Le constat est terrible.

Le jour où j'ai mangé mon flingue – Alain Hamon -  Hugo-Doc – 264 pages – 16,50€ - **
Lionel Germain




mardi 12 janvier 2016

Augmentation






 Elena Sender nous présente un couple parfait, une violoncelliste et un chercheur. Alors que son travail sur les neurones suscite jalousie et convoitise, le suicide de cet homme en apparence heureux le jour de ses quarante ans, ne convainc personne. Au-delà du rapport de couple, le roman explore l'univers complexe des militants de l'évolution anthropique prêts à se faire greffer tous les implants possibles imaginables pour atteindre leur idéal d'homme augmenté. 





Surtout ne mens pas – Elena Sender – XO – 352 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 3 janvier 2016




lundi 11 janvier 2016

Cherchez l'infâme




 Peut-on dire d'un polar scandinave qu'il est sympa sans rebuter le lecteur soumis à la pression inflationniste de l'édition? Oui, Asa Larsson écrit des polars sympas dans lesquels comme souvent, il suffit de chercher le méchant pour boucler l'enquête. Les corrompus sont de sortie, les familles sont détestables et l'héroïne est folle à lier. C'est ce procureur, Rebecka Martinsson, qui suffit à notre bonheur. Sympa, vraiment.





La piste noire – Asa Larsson – traduit du suédois par Caroline Berg – Albin Michel – 460 pages – 22€ - ** 
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 décembre 2015




vendredi 8 janvier 2016

Police des moeurs






 La toute fin du Quatorzième Siècle à Florence n'est pas une période de grand calme. C'est surtout Savonarole, prédicateur dominicain du monastère de San Marco, qui effraie le pape Borgia. Sa rigueur morale s'accommode mal de la corruption vaticane. Gérard Delteil invente un personnage de novice missionné par le pape et converti à son tour aux idées nouvelles. Une fiction documentée et passionnante.






La conjuration florentine – Gérard Delteil – Points Seuil – 476 pages – 7,90€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 décembre 2015




jeudi 7 janvier 2016

Nom de code Hamlet






 En 1949, l’Angleterre alliée des nazis reçoit en grande pompe le chancelier Hitler. Un complot visant le führer mêlerait IRA et agents russes, et la mise en scène relookée et délirante du chef d’œuvre de Shakespeare servirait de couverture à l’attentat. Intox? fuites? Imperturbable, l’inspecteur Carmichael mène l’enquête: Un polar uchronique tirant vers le steampunk. So british.






Hamlet au paradis - Jo Walton - Traduit de l’anglais par Florence Dolisi - Lunes d’encre/Denoël - 300 pages - 21 € - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 25 octobre 2015