mercredi 23 décembre 2015

Les jeux de la Cour





 Depuis un quart de siècle, Nicolas LeFloch sillonne la France en quête d'une justice que les institutions de la Monarchie absolue ont parfois bien du mal à lui garantir. En 1786, il démêle les affaires sordides d'un monde qui court les salles de jeux comme on court à sa perte. On déménage le cimetière des Innocents, devenu au fil du temps un cloaque insalubre, et Nicolas va découvrir enfin le secret de sa naissance. L'Histoire, telle qu'on l'aimerait sur le banc des collèges.





L'inconnu du pont Notre-Dame – Jean-François Parot – Lattès – 440 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 29 novembre 2015




mardi 22 décembre 2015

Prise de tête





L'auteur du très pessimiste "Un Petit boulot" fait un pas de coté sans qu'on sache si c'est encore de la science fiction ou déjà la face noire de nos jours ordinaires. Un flic télépathe est aux trousses d'un tueur télépathe oublié dans la nature par les services spéciaux. Les vrais méchants qui savent tout de vous sont planqués derrière les ordinateurs du FBI. Amateurs de fables cruelles, réjouissez-vous.




Ils savent tout de vous – Iain Levison – Traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez Battle – Liana Levi – 240 pages – 18€ - Réédition Piccolo janvier 2017 - 240 pages - 9,50€ ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015







lundi 21 décembre 2015

C'est encore du belge





 Nadine Monfils est belge, petite princesse sur laquelle le temps n'aurait pas prise. Le tricot est le dérivatif préféré de son héros, le commissaire Léon qu'on retrouve avec plaisir dans ses rééditions pour Pocket. Ce deuxième épisode évoque la mort accidentelle d'une petite fille par la négligence criminelle de trois amies en goguette. Quand un mystérieux vengeur présente l'addition, elle est forcément salée. 






La nuit des coquelicots – Nadine Monfils - Pocket - 220 pages - 6,20€ - ** 
Lionel Germain




vendredi 18 décembre 2015

D'une guerre civile à l'Aube dorée



 "Athènes la nuit est vide comme notre poche. Toutes deux sont comme des vases communicants percés d'où tout s'écoule. Rues vides, trottoirs vides, tavernes à moitié vides. Si dans la journée on voit la lassitude d'Athènes, la nuit on voit son deuil." 

Petros Markaris a écrit un peu moins d'une dizaine de romans avec le commissaire Charitos. Depuis la crise financière, c'est une trilogie qu'il consacre à son pays en deuil. Deuil des banquiers dans "Liquidation à la grecque", Prix du Polar européen en 2013, deuil des fraudeurs dans "Le Justicier d'Athènes", deuil des élites dans "Pain, éducation, liberté". 



Il fallait un épilogue, forcément meurtrier. D'un côté, les néo-nazis d'Aube dorée, de l'autre les membres d'un mystérieux groupe baptisé "les Grecs des années 50", tous les fondamentaux idéologiques de la Grèce contemporaine sont au rendez-vous. Les voyous d'Aube dorée s'en prennent à Katérina, la fille de Charitos, ceux qui se revendiquent de la Guerre civile assassinent les profiteurs. Quant à la police, elle est souvent corrompue et xénophobe. 





Charitos courtise le dictionnaire pour empêcher l'évasion lexicale, contraindre le monde à s'en tenir au sens des mots. Altération du jugement ou emploi de moyens condamnables, la corruption reste le noyau dur du vocabulaire de la crise et les effets secondaires de la cure berlinoise ne contredisent malheureusement pas la grille de lecture de Petros Markaris. 

Par exemple, ces Grecs des années 50 renvoient à une période où les Albanais très pauvres enviaient des Grecs qui n'étaient pas très riches. Plus d'un demi-siècle plus tard, les prédateurs ne sont plus les mêmes mais le système de prédation, lui, est à l'épreuve des balles.
  

Épilogue meurtrier – Petros Markaris – Traduit du grec par Michel Volkovitch – Seuil – 288 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 décembre 2015




jeudi 17 décembre 2015

Le vieil homme, l'enfant et l'éternité



 May va mourir, May est morte peut-être. Et le monde étrange – et familier pourtant – où elle coule des jours heureux en compagnie de son grand-père, vert paradis d’amours enfantines encore au bord du non-dit, n’est sans doute qu’un centre de soins palliatifs aménagé pour elle par des médecins, ou bien déjà l’éternité subjective des premiers romans de Jeury, qui multiplie à l’infini ou presque les ultimes secondes conscientes de ceux qui vont partir. 




Mais nous sommes loin de l’univers chronolytique du "Temps incertain" où, réduits à lutter avec leurs rêves contre des technologies devenues furieuses, hommes et femmes s’entredéchiraient. Ici, pour ce passionnant retour à la SF après un quart de siècle d’exploration de territoires plus convenus, Jeury, pacifié, devenu grand-père, donne la parole à une enfant de dix ans, qui détient le secret du changement et surfe innocemment sur la théorie des cordes, passant d’une "brane" à l’autre. 




Dérouté par une écriture se jouant avec délectation de la syntaxe, un lexique aussi où les mots-valises voisinent avec d’obscurs néologismes qu’il finit peu ou prou par décrypter, le lecteur comprend vite en effet qu’il est sur une autre ligne d’univers, dont la faune, la flore, la physique parfois sont déroutantes. Sur cette Terre, May découvrira peut-être son "éternété"…

May le monde - Michel Jeury - Ailleurs & demain/Robert Laffont - 392 pages - 22€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 5 septembre 2010




mercredi 16 décembre 2015

Mauvais génie





 Les esquimaux, nous dit-on, abandonneraient leurs vieux sur la banquise pour leur épargner les souffrances de la sénilité. En se référant à cette coutume, Louis élimine les mémés à héritage dont ses amis ont parfois imprudemment émis le souhait qu'elles disparaissent. Mais Louis n'est que le héros de papier d'un roman que le narrateur achève en commentant sa propre vie. Pascal Garnier décale ces deux récits avec une fausse nonchalance. Le tout forme un cauchemar tranquille digne des meilleurs G.J.Arnaud publiés autrefois dans la même collection du Fleuve noir.



La solution esquimau – Pascal Garnier – Fleuve noir 1996 – 188 pages – 6,40€ -
Zulma – réédition 2006 – 160 pages – 16,80€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 13 octobre 1996








mardi 15 décembre 2015

En un clin d'oeil






 Une femme flic dépressive est sauvée du suicide par son collègue. Intuitive et brillante, elle est capable de reconstituer une scène de crime d'un simple clignement d'œil. Un don très utile pour comprendre le meurtre ritualisé d'une petite fille. L'intrigue a des atouts mais malgré son talent de conteur, le Norvégien Samuel Bjork est loin de la démesure de Jo Nesbo auquel il est comparé en quatrième de couverture.





Je voyage seule – Samuel Bjork – Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud – Lattès – 512 pages – 20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015




lundi 14 décembre 2015

Retour de pub





 Pour qui aime Edimbourg, l'Oxford Bar s'impose. Mais passée la première pinte, il faudra bien l'admettre, John Rebus ne traine pas au comptoir. On l'a rétrogradé sergent, on le soupçonne d'avoir trafiqué les preuves d'une vieille affaire, on compte ses  vrais amis sur les doigts d'une main, et pourtant, il a repris du service, toujours aussi bougon. Avec lui, une certaine idée de l'Écosse est éternelle. 





On ne réveille pas un chien endormi – Ian Rankin – Traduit de l'anglais par Freddy Michalski – 430 pages – 22,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 13 décembre 2015




vendredi 11 décembre 2015

Guerre au crime et crimes de guerre


 Pourquoi craindrait-on l'arrivée au pouvoir du parti nazi quand on est victime de l'hyperinflation de 1923, quand on préfère brûler les billets de banque plutôt que du charbon qui reviendrait plus cher? Comment assiste-t-on à la dilution de l'âme allemande dans les brumes "cosmopolites" de Berlin? Royaume des "Revues Nègres" soumis à la dépravation des cabarets de sodomites, la République de Weimar symbolise aux yeux d'une partie du peuple éreinté par la crise et les spoliations du Traité de Versailles la dernière marche vers l'anéantissement. 



C'est donc un décor paré pour une remise en ordre définitive que nous propose David Thomas au départ de "Ostland". C'est aussi un éclairage indirect sur l'argumentaire des criminels. Georg Heuser, le héros tragique de ce roman est un personnage réel. Ses crimes, hélas, le sont tout autant. Dans les années soixante, les enquêteurs chargés de le ramener devant les tribunaux n'étaient pas très populaires. Quant à George Heuser, flic ambitieux et prudent, il n'avait pas de sympathie pour les nazis en 1941. Mais son accession au grade d'enquêteur l'incorpore de fait dans la SS et sa vie va changer. 


De la police criminelle aux crimes de la police, toutes les étapes de la déchéance sont franchies à Minsk où se planifie la déportation des Juifs. Hanna, la jeune femme juive qu'il a sauvée au prix d'un viol, est la seule à pouvoir estimer que son bourreau est autant victime qu'elle de la violence qu'il leur a infligée. 

Pendant la rédaction de ce roman-documentaire, un ami juif a tenté de remonter le moral de l'auteur inquiet de cette banalité du mal. Chacun de nous est-il capable du pire? "C'est de cette crainte" qu'il est question ici.   

Ostland – David Thomas – Traduit de l'anglais par Brigitte Hébert – Presses de la Cité – 350 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 novembre 2015




jeudi 10 décembre 2015

Stephen King inédit





 Tout sur King, ou presque, dans un format modeste, l’essentiel donc. Parmi une dizaine d’essais, citons l’analyse pertinente de "La Tour sombre" - cycle méconnu, une étude sur King et la forme courte, un guide de lecture, une biblio, et, cerise sur le gâteau, deux textes inédits, dont "Mauvaise herbe" qui inspira Romero pour Creepshow, un film dans lequel King jouait en 1982. Cultissime.





Stephen King : la part des ténèbres  - revue Bifrost n° 80 – Éditions Le Bélial’ – 191 pages – 11€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er novembre 2015




mercredi 9 décembre 2015

Résidence surveillée




 Que se passe-t-il quand on propose aux retraités fortunés l’enfermement volontaire dans une résidence de rêve? Ils peuvent mourir d’ennui ou se suicider comme dans un ″serpent au paradis″ de Robert Bloch. Pascal Garnier a choisi de les confronter à l'inquiétude. Dans leur pavillon saboté par un promoteur dans la débine, deux couples et une femme seule s'observent d'abord avant de sombrer dans la folie sécuritaire d'un lieu censé les protéger. Un roman ténébreux qui se lit d'une traite.




Lune captive dans un œil mort – Pascal Garnier – Zulma – 157 pages – 16,80€
Points Seuil – 152 pages – 6,10€  - ** -
Lionel Germain







mardi 8 décembre 2015

Meurtres à Hambourg





 Simone Buchholz nous promet un polar sur l'affreuse banalité littéraire des meurtres en série. Mais le vrai cadeau, c'est Chastity Riley et Hambourg. Chastity, procureur imbibée, n'est pas insensible au charme d'un ex-braqueur. Quant à Hambourg, elle est caractérisée par la ferveur populaire du Football Club de Sankt Pauli. Loin de Berlin, l'Allemagne a d'autres séductions pour combler l'attente du lecteur.





Quartier rouge – Simone Buchholz – Traduit de l'allemand par Joël Falcoz – Piranha – 204 pages – 16,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015





lundi 7 décembre 2015

C'est du belge





 Première apparition du commissaire Léon dans ce Montmartre où se croisent Irma, le travelo, les peintres du Faubourg et un psychopathe amoureux des cimetières. Si le commissaire Léon tricote, c'est avant tout pour le confort supposé de son chien Babelutte. La Belge Nadine Monfils invente un univers dont elle a réussi l'adaptation pour le cinéma avec Michel Blanc, Josiane Balasko, Dominique Lavanant et Annie Cordy. 






Madame Édouard – Nadine Monfils - Pocket - 249 pages - 6,20€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 22 novembre 2015




vendredi 4 décembre 2015

Les Loups sont dans Paris



 On éprouve un malaise légitime à évoquer les effets d'une terreur bien réelle, celle qui s'est invitée au cœur même de Paris, et son glissement dans l'enclos sécurisé d'une fiction. Depuis l'enfance, on partage le plaisir du conte où se dessinent les figures du mal dans la mélodie apaisante des mères. Le thriller n'est qu'un des avatars de ce frisson, davantage destiné à libérer nos peurs qu'à nous renvoyer au cauchemar éveillé du monde.

DOA, l'auteur de "Pukhtu", nous révélait dans un entretien récent le projet d'un scénario point par point identique à celui qu'on vient de vivre à Paris. Julien Suaudeau dans "Le Français" nous offre une description saisissante des mécanismes qui conduisent à la radicalisation d'une partie de la jeunesse. 

En ouvrant avec "Les Fauves", la nouvelle collection des éditions Robert Laffont, Ingrid Desjours ignorait qu'on le lirait à la lumière si sale de nos chagrins, que les échos du Bataclan se mêleraient à la bande-son d'une histoire offerte aux insomniaques.




On y retrouve essentiellement deux personnages, Lars le vétéran d'Afghanistan et Haiko, une jeune femme menacée de mort pour son action visant à sauver les enfants tentés par DAESH. Lars est victime du syndrome post traumatique depuis son retour de guerre. C'est lui qui est chargé de protéger la jeune femme mais leurs secrets à l'un et à l'autre font le sel d'un roman âpre et utile pour comprendre les racines du mal.  





"Le vieux monde se meurt. Le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres." Ingrid Desjours a bien choisi sa citation d'Antonio Gramsci. Le problème, sans doute, c'est que le vieux monde n'en finit pas de mourir. Du coup les monstres s'organisent et leur drapeau noir annonce des nuits plus sombres encore que celles de Barcelone en 1936.

Les Fauves – Ingrid Desjours – La Bête Noire, Robert Laffont – 440 pages – 20,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015




jeudi 3 décembre 2015

Des Gentilshommes de fortune






 Dans sa postface, l’auteur situe ses personnages entre Conan et D’Artagnan. Si l’on trouve bien ici des clins d’œil à la SF ou à la fantasy (la dédicace à Moorcock, deux héros qui ressemblent à Fafhrd et au Souricier Gris du "Cycle des épées" de Leiber, et des illustrations de qualité dues au pinceau de Gary Gianni, qui prit la suite de Foster sur la BD "Prince Valiant"), les bonheurs d’écriture du livre tirent davantage vers Dumas. 




Howard avait une plume efficace, mais sans grâce et totalement dénuée d’humour; ici la virtuosité domine, et la truculence des situations et des dialogues, même dans les moments où l’intensité dramatique est à son comble, tient le lecteur en haleine, au fil d’une intrigue parfois fort complexe. 

Deux filous fort sympathiques, un géant africain expert dans le maniement de la hache d’arme et un échalas franc, natif de Ratisbonne, médecin et philosophe, complices tous deux en truanderie et toujours prompts à se quereller, s’encombrent d’un  jouvenceau mal embouché qu’il s’agit de replacer sur le trône. 

Mais les choses ne sont pas si simples: nous sommes en Khazarie, au milieu du Xe siècle, les drakkars Rous’ (qu’on n’appelle pas encore Varègues) descendent la Volga en semant mort et destruction, et dans ce caravansérail de langues et de mœurs d’un monde en gésine où la Russie est en train de naître et qui voit chrétiens et mahométans se soumettre à un empereur juif, il n’est pas toujours facile de savoir qui est qui, d’autant plus quand les éléphants s’en mêlent! 

Chabon a réussi son pari : écrire une histoire de juifs de cape et d’épées qui rompe avec les clichés dont se joue toujours avec talent un Woody Allen par exemple.

Les Princes Vagabonds  - Michael Chabon – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle D. Philippe - Pavillons / Robert Laffont – 230 pages – 18€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 23 mai 2010




mercredi 2 décembre 2015

Sortie de route




 De livre en livre, Pascal Garnier s'est employé à soulever le tapis des pavillons de banlieue où chaque chose est assignée à résidence, l'odeur de l'encaustique, les bibelots sur les meubles et les amis du dimanche. Ses personnages se dissolvent dans les replis morbides d'un récit excluant toute exégèse des causes et des conséquences de leurs actes. A charge pour le lecteur d'imaginer l'implicite monstrueux qui les anime. Comme dans ce roman où un père est entraîné par sa fille dans un road-movie meurtrier. 




Le Grand Loin – Pascal Garnier – Zulma – 157 pages – 16,80€ - ***
Lionel Germain




mardi 1 décembre 2015

Reprises macabres





 Au City Herald de New-York, John Costello, un mystérieux archiviste, s'intéresse à une série de quatre meurtres commis à l'identique et à la date anniversaire de meurtres passés. Sans bouleverser nos connaissances sur le monde des tueurs en série, Ellory propose une nouvelle fois un suspense indiscutable. Grâce en partie à ce John Costello que les secrets intimes transforment en coupable idéal et nous contraignent à ne pas le lâcher jusqu'au dénouement. 





Les Assassins – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Clément Baude – Sonatine – 528 pages – 22€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015




lundi 30 novembre 2015

Évaporé





 Patrick Pécherot nous a souvent invités à revisiter l'histoire mais dans ce voyage au cœur de l'insurrection parisienne de 1870, en compagnie des poètes et des artistes enivrés d'absinthe, on est d'abord subjugué par le détour américain. Un privé en 1905 recherche Dana, traître ou communard enrôlé dans le grand barnum de Buffalo-Bill. Paraphrasant Gérard de Nerval, c'est une image qu'il poursuit, rien de plus. Le texte brille de l'éclat noir d'un Modiano.




Une plaie ouverte – Patrick Pécherot – Série noire Gallimard – 272 pages – 16,90€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015




vendredi 27 novembre 2015

Protéger la muraille de Chine



 Le roman noir américain s'est constitué sur les rapports violents d'une société en train de chercher son point d'équilibre. C'est ce qui nous vaut en littérature des intrigues aux muscles apparents. Il serait abusif de mettre en parallèle "L'Enfer des codes" du Chinois Jia Mai (ou doit-on dire Mai Jia), un roman dont la noirceur ne tient qu'à l'épaisseur du secret entourant le personnage principal, avec le rythme des polars anglo-saxons.

Contrairement à Qiu Xiaolong, l'auteur de "Dragon bleu, tigre blanc", exilé aux États-Unis, Jia Mai a passé 17 ans dans l'Armée Populaire et est le représentant très officiel de l'Association des écrivains. Il a obtenu pour un autre livre le prix Mao Dun, distinction prestigieuse et néanmoins contestée pour les conditions dans lesquelles elle est attribuée.



"L'Enfer des codes" c'est d'abord la généalogie de la famille Rong, une dynastie de marchands de sel, à l'origine d'une lignée de mathématiciens dont ce Rong Jinzhen, recruté en pleine guerre froide. Au sein de l'Unité 701, spécialisée dans le contre-espionnage, il doit casser "Purple", le code ennemi. Sa biographie nous est livrée par un narrateur qui sillonne la Chine à la recherche de témoignages. Plus on avance, plus le désert affectif du héros se peuple d'une armée de chiffres avec laquelle il doit défaire la muraille de "Purple", Graal inaccessible. 



Si "L'Enfer des codes" est en apparence un roman conforme aux exigences idéologiques de la Chine contemporaine, il dissimule un étrange pouvoir de subversion par la qualité insaisissable de son héros.   

L'Enfer des codes – Jia Mai – Traduit du chinois par Claude Payen – Robert Laffont – 334 pages – 21€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015




jeudi 26 novembre 2015

Litanies pour un millénaire






 15 auteurs de SF, et non des moindres (Andrevon, Stolze ou Trudel) se penchent sur le Moyen-âge. Entre histoire et imaginaire, ce recueil explore les différentes facettes du merveilleux médiéval: on ne s’étonnera pas d’y rencontrer le philosophe Roger Bacon – qui fut le héros d’un roman de SF, déjà – et le souvenir obsédant des croisades qui torture encore nos mémoires. Merveilleux, vous avez dit merveilleux?





Dimension Moyen-Âge - présentée par Meddy Ligner – Rivière blanche - 248 pages - 17€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 18 octobre 2015




mercredi 25 novembre 2015

Dévouement



 Le roman de gare avait mauvaise réputation jusqu'au débarquement dans les années 80 du vingtième siècle d'un groupuscule de poètes dont Jean-Bernard Pouy reste aujourd'hui encore l'emblème et la référence pour de nombreux jeunes auteurs. Du roman de gare, on est alors passé à la machine à rêve ou au cauchemar de première classe. Comme Pouy auquel il rend hommage, Pascal Garnier, mort en 2010, attendait beaucoup de son lecteur.





Jamais il ne trahit ce personnage venu de nulle-part et totalement dévoué à ses semblables. Dans les replis pluvieux d'une Bretagne où se concentre l'ordinaire universel de notre humanité, on ignore parfois que le charme, la séduction et la disponibilité sont aussi des vertus de destruction massive. Le vertige qui s'empare peu à peu du voyageur insomniaque est d'autant plus saisissant.





La théorie du panda - Pascal Garnier - Zulma - 175 pages – 16,80€ -
Points Seuil – 181 pages – 6,50€ - ***
Lionel Germain








mardi 24 novembre 2015

Enfants de Parrains





 Giulia, petite fille du parrain Don Alfredo, et Lorenzo, jeune journaliste qui enquête sur la mafia, ont peu de chance de vieillir ensemble. Les pseudos crimes d'honneur sont accessoires et si cette partie de l'intrigue est aussi prévisible qu'un remake shakespearien, Gilda Piersanti approfondit son analyse de la corruption généralisée du secteur privé et de la fonction publique italienne. Voilà ce qui aiguise réellement les appétits rivaux des groupes mafieux.





Les liens du silence – Gilda Piersanti – Le Passage – 288 pages – 19€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 8 novembre 2015




lundi 23 novembre 2015

Avis de recherche



 
 Edwige Marion, la commissaire de Danielle Thiéry, soigne comme elle peut les pulsions sexuelles héritées d'une précédente blessure. Sa propre fille, agressée dans l'Eurostar, est au centre d'une enquête autour de l'identité mystérieuse d'une femme à laquelle on a enlevé l'enfant. Pour avoir une chance de le récupérer, elle doit promettre de s'occuper d'un petit monstre que les ravisseurs lui ont laissé en échange. À partir des menaces et des enjeux d'une recherche dévoyée, Danielle Thiéry propose un nouveau sac de nœuds à la sagacité de Marion. Du rythme et du fond. Passionnant.  



Dérapages – Danielle Thiéry – Versilio – 340 pages – 19€ - ***
Lionel Germain



vendredi 20 novembre 2015

Vaccins mortels



 Diplômée de biologie à l'université de Copenhague, Sissel-Jo Gazan a passé deux ans avec les chercheurs danois en Guinée-Bissau pour découvrir les effets secondaires dévastateurs de certains vaccins. Mais "Le Graphique de l'hirondelle" est avant tout un roman passionnant pour décrypter la réalité sociale danoise à travers deux personnages.



Soren, jeune superintendant de la division criminelle, vit une relation complexe avec sa compagne. Il est sous le charme de Lily, la petite fille de cinq ans dont il jalouse le père biologique. Avec son sens du "détricotage", une méthode qu'on enseigne désormais dans les écoles de police, il va chercher à comprendre l'étrange "suicide" du professeur Storm, survenu après ses observations sur un doublement de la mortalité des enfants vaccinés au DTP (Diphtérie, tétanos, poliomyélite).




Marie, collaboratrice du professeur Storm, est convaincue comme lui que la mort d'un enfant danois après une vaccination ferait la une de tous les journaux alors que l'OMS refuse de réagir au décès en nombre des enfants de Guinée-Bissau. La jeune femme appartient aux classes moyennes, traversées par la peur permanente de disparaître dans le maelstrom communautaire. 

Cette peur est physiquement représentée par le déclin du père et de la mère, par l'effacement du mari dans un conformisme sans âme, et par la survenue d'une tumeur, cette menace qu'on pense étrangère à soi et qui vous dévore de l'intérieur. Soren et Marie se retrouveront pour mener une réflexion et un combat dont les enjeux dépassent largement les frontières du Danemark. Un très bon roman noir.
  
Le graphique de l'hirondelle – Sissel-Jo Gazan – Traduit du danois par Nils C. Ahl – Mercure noir – 540 pages – 25€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 novembre 2015




jeudi 19 novembre 2015

L'infernale comédie de Clive Barker




 Terrains vagues infestés de vermine, taudis suant le salpêtre et la haine, corps livrés à d’immondes bourreaux, c’est l’environnement familier du jeune Jakabok. Chez les démons, la vie s’apprend en ayant mal. Maître du fantastique postmoderne, auteur aussi de films ou de bandes dessinées, Barker n’adopte pas dans ses récits le prisme convenu de la bonne conscience anglo-saxonne, illustré par tant de livres banalisant l’horreur où l’on se retrouve toujours du bon côté du mal (comme souvent chez Stephen King).




De livre en livre, il s’est fait le cartographe de l’indicible, et son enfer tient la route. Mais, semblables à ces figures du peintre Bacon, avec lequel il partage la même fascination-répulsion pour l’Église et pour l’Irlande – dont ils ont sucé le lait chacun à leur manière, trognes défigurée aux lèvres absentes ouvertes sur un cri silencieux, ses démons ressassent inlassablement une désespérance tout humaine. "Science avec patience, le supplice est sûr", comme l’écrivait Rimbaud dans "L’Éternité". Non, décidément, Dante n’avait rien vu.




Jakabok : le démon de Gutenberg - Clive Barker - Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Pugi – Lunes d’encre/Denoël - 218 pages - 19€ - ***
Du même auteur, vient de reparaître: Le royaume des Devins - Traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque - Folio/SF - 927 pages - 10,20€
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 7 février 2010




mercredi 18 novembre 2015

Blanc sec






 Après la chronique des petits Blancs du Kansas au milieu du vingtième siècle, c'est Detroit en 1958 qui sert de cadre au nouveau roman de Lori Roy. Un portrait de groupe, des femmes blanches du milieu ouvrier qu'elle observe avec une alchimie parfaite entre distance et empathie. Malgré la ségrégation, la peur du déclassement s'insinue quand débarquent les premières familles noires.  






De si parfaites épouses – Lori Roy – Traduit de l'américain par Valérie Bourgeois – Le Masque – 314 pages – 20€ - *** –
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 8 novembre 2015




lundi 16 novembre 2015

vendredi 13 novembre 2015

Quartier Nord



 L'Islande, ce gros glaçon à la frontière du Groenland, peut aussi figurer la dernière banlieue nord de l'Europe. A la lecture d'Indridason ou de Thorarinsson, le pays paraît concentrer tous les attributs négatifs de la modernité. A peine plus de 300 000 habitants et un système bancaire qui faillit terrasser cette terre de fjords et de volcans aux noms imprononçables.



Suicide assisté par ordinateur, mariage homosexuel, harcèlement téléphonique, à son habitude, Arni Thorarinsson explore dans "L'ombre des chats" plusieurs pistes autour d'une intrigue principale consacrée aux problèmes graves de la presse écrite. Einar le journaliste est tiraillé entre les appétits des politiciens et des banquiers pour le "Journal du Soir". Le charme du roman doit beaucoup aux personnages secondaires, l'ex-femme d'Einar, sa fille Gunnsa qui rêve d'être photographe, son patron parfois détestable, sa maîtresse volcanique, sa collègue plus secrète. 



Le rapport au temps, enfin, à la vieillesse de son père ou de sa voisine avec laquelle Einar a tissé des liens précieux, éloigne paradoxalement le lecteur de cette rigueur procédurière qu'il est censé trouver dans un polar. Thorarinsson emprunte au meilleur de la littérature de genre avec humour. Mais c'est quand même pour nous parler d'un monde où "le progrès technique est une hache dans la main d'un meurtrier dément."   

L'ombre des chats – Arni Thorarinsson – Traduit de l'islandais par Éric Boury – Points Seuil – 380 pages – 7,70€ - ***
Lionel Germain - Sud-ouest-dimanche – 1er novembre 2015




jeudi 12 novembre 2015

Percées vers l'Ailleurs






 Y-a-t-il une différence entre fantasy et merveilleux? Un rapport entre Charles Perrault et G. R. R. Martin, l’auteur de "Game of Thrones"? Et qui étaient Arthur Rackham et Mervyn Peake? Une trentaine de spécialistes proposent autant d’essais souvent pointus sur un phénomène éminemment postmoderne: le retour de la magie. "The" Bible!





Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux - sous la direction d’André-François Ruaud - Les Moutons électriques, relié, illustré - 640 pages - 59€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 11 octobre 2015




mercredi 11 novembre 2015

L'armée des ombres de James Ellroy



 James Ellroy. Provocateur, arrogant, homophobe, réactionnaire, obsédé sexuel, imbu de lui-même et passionnant autant qu'insupportable. En pleine tourmente personnelle, il se sort du trou avec de petites histoires de flics longtemps ignorées des éditeurs. Difficile, dans l'univers formaté du thriller américain, d'apprivoiser cette rage et cette puissance de l'écriture. 

Pourtant, le voilà vite promu "meilleur auteur de polars". La célébration et la reconnaissance le sauvent d'une overdose. Hollywood lui fait la révérence. Le quatuor sur Los Angeles, avec entre autres, "Le Dahlia noir" ou "L.A. Confidential", offrent des scénarios ciselés pour la lumière vénéneuse des multiplex. Ellroy veut davantage. Des bataillons de figurants se bousculent dans ses notes.  Il s'est mis à boire du petit lait et à fumer la Bible.



A l'heure du story-telling, il raconte l'autre histoire de l'Amérique, les "pédés" honteux, les traqueurs de "pédés" et de communistes, les complots minables qui ont changé le monde. "American tabloïd", "American Death trip", "Underworld USA", entre chaque pavé, il reprend une goulée d'air pur, parce que la faille est à portée de regard. Les angoisses du sale môme de neuf ans qui souhaitait voir mourir sa mère, la belle et dangereuse Genova Hilliker Ellroy, lui restent en travers de la gorge. 




Il a parcouru les soixante dernières années en reniflant les dessous du pêché. Dieu aime Ellroy. Dieu lui envoie des femmes. Des rédemptrices. Ellroy n'aime pas les hommes. Il cauchemarde sur des prédateurs avec des sexes énormes. Pour se délivrer du parfum de la morte, il s'est transformé en flic. Il a traqué la sueur et les mauvais désirs de l'assassin de sa mère. Le 22 juin 1958, Genova Hilliker Ellroy a été assassinée et son fils désirait sa mort. 


Depuis, il joue au chien fou, terrorisé à l'idée de n'être que ce fantôme effleurant d'un peu trop près le cou des femmes. Entre les pavés sur l'Amérique, il nous raconte l'autre histoire de lui-même, celle d'un écrivain hanté par le pouvoir hypnotique de son œuvre, en permanent divorce avec le monde. Et toutes ces mères qui lui caressent le front, qui le remettent debout, qui le tancent puis qui s'éloignent pour rejoindre l'armée des ombres, celles de la Malédiction Hilliker. 

La Malédiction Hilliker – James Ellroy – Rivages poche – 320 pages – 8,65€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 mars 2011




mardi 10 novembre 2015

Potions mortelles





 Anne-Morata poursuit son évocation d'un règne dont la flamboyance dissimule des vapeurs toxiques. On est en 1679 et l'affaire qui intéresse Le lieutenant général Gabriel Nicolas de La Reynie concerne le réseau criminel en lien avec la Montespan et les empoisonneuses. Au terme d'une aventure qui menace le roi lui-même, on découvre le vieux monarque en 1709, perclus de douleur. Le Soleil ne semble plus qu'un feu de paille.





Sa Majesté des poisons – Anne-Laure Morata – Le Masque – 200 pages – 6,90€ - **
Lionel Germain - Sud-ouest-dimanche – 1er novembre 2015




lundi 9 novembre 2015

Drapeau noir





 Est-ce qu'on peut lire ce livre comme on lit un roman noir, avec ce frisson du lecteur satisfait d'arpenter le bon versant de nos désordres? De la désespérance d'une jeunesse clouée au sol à l'ivresse sanguinaire des camps syriens, le "Français" nous interdit le rêve d'une rédemption par la littérature. Comme si les faubourgs de l'Occident ne généraient plus que des guerriers aux yeux vides, sans foi ni loi, et s'emparant de Dieu dans un dernier sursaut pour les mener en enfer.





Le Français – Julien Suaudeau – Robert Laffont – 216 pages – 18€ - ****
Lionel Germain - Sud-ouest-dimanche – 1er novembre 2015