mercredi 23 décembre 2015

Les jeux de la Cour





 Depuis un quart de siècle, Nicolas LeFloch sillonne la France en quête d'une justice que les institutions de la Monarchie absolue ont parfois bien du mal à lui garantir. En 1786, il démêle les affaires sordides d'un monde qui court les salles de jeux comme on court à sa perte. On déménage le cimetière des Innocents, devenu au fil du temps un cloaque insalubre, et Nicolas va découvrir enfin le secret de sa naissance. L'Histoire, telle qu'on l'aimerait sur le banc des collèges.





L'inconnu du pont Notre-Dame – Jean-François Parot – Lattès – 440 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 29 novembre 2015




mardi 22 décembre 2015

Prise de tête





L'auteur du très pessimiste "Un Petit boulot" fait un pas de coté sans qu'on sache si c'est encore de la science fiction ou déjà la face noire de nos jours ordinaires. Un flic télépathe est aux trousses d'un tueur télépathe oublié dans la nature par les services spéciaux. Les vrais méchants qui savent tout de vous sont planqués derrière les ordinateurs du FBI. Amateurs de fables cruelles, réjouissez-vous.




Ils savent tout de vous – Iain Levison – Traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez Battle – Liana Levi – 240 pages – 18€ - Réédition Piccolo janvier 2017 - 240 pages - 9,50€ ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015







lundi 21 décembre 2015

C'est encore du belge





 Nadine Monfils est belge, petite princesse sur laquelle le temps n'aurait pas prise. Le tricot est le dérivatif préféré de son héros, le commissaire Léon qu'on retrouve avec plaisir dans ses rééditions pour Pocket. Ce deuxième épisode évoque la mort accidentelle d'une petite fille par la négligence criminelle de trois amies en goguette. Quand un mystérieux vengeur présente l'addition, elle est forcément salée. 






La nuit des coquelicots – Nadine Monfils - Pocket - 220 pages - 6,20€ - ** 
Lionel Germain




vendredi 18 décembre 2015

D'une guerre civile à l'Aube dorée



 "Athènes la nuit est vide comme notre poche. Toutes deux sont comme des vases communicants percés d'où tout s'écoule. Rues vides, trottoirs vides, tavernes à moitié vides. Si dans la journée on voit la lassitude d'Athènes, la nuit on voit son deuil." 

Petros Markaris a écrit un peu moins d'une dizaine de romans avec le commissaire Charitos. Depuis la crise financière, c'est une trilogie qu'il consacre à son pays en deuil. Deuil des banquiers dans "Liquidation à la grecque", Prix du Polar européen en 2013, deuil des fraudeurs dans "Le Justicier d'Athènes", deuil des élites dans "Pain, éducation, liberté". 



Il fallait un épilogue, forcément meurtrier. D'un côté, les néo-nazis d'Aube dorée, de l'autre les membres d'un mystérieux groupe baptisé "les Grecs des années 50", tous les fondamentaux idéologiques de la Grèce contemporaine sont au rendez-vous. Les voyous d'Aube dorée s'en prennent à Katérina, la fille de Charitos, ceux qui se revendiquent de la Guerre civile assassinent les profiteurs. Quant à la police, elle est souvent corrompue et xénophobe. 





Charitos courtise le dictionnaire pour empêcher l'évasion lexicale, contraindre le monde à s'en tenir au sens des mots. Altération du jugement ou emploi de moyens condamnables, la corruption reste le noyau dur du vocabulaire de la crise et les effets secondaires de la cure berlinoise ne contredisent malheureusement pas la grille de lecture de Petros Markaris. 

Par exemple, ces Grecs des années 50 renvoient à une période où les Albanais très pauvres enviaient des Grecs qui n'étaient pas très riches. Plus d'un demi-siècle plus tard, les prédateurs ne sont plus les mêmes mais le système de prédation, lui, est à l'épreuve des balles.
  

Épilogue meurtrier – Petros Markaris – Traduit du grec par Michel Volkovitch – Seuil – 288 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 décembre 2015




jeudi 17 décembre 2015

Le vieil homme, l'enfant et l'éternité



 May va mourir, May est morte peut-être. Et le monde étrange – et familier pourtant – où elle coule des jours heureux en compagnie de son grand-père, vert paradis d’amours enfantines encore au bord du non-dit, n’est sans doute qu’un centre de soins palliatifs aménagé pour elle par des médecins, ou bien déjà l’éternité subjective des premiers romans de Jeury, qui multiplie à l’infini ou presque les ultimes secondes conscientes de ceux qui vont partir. 




Mais nous sommes loin de l’univers chronolytique du "Temps incertain" où, réduits à lutter avec leurs rêves contre des technologies devenues furieuses, hommes et femmes s’entredéchiraient. Ici, pour ce passionnant retour à la SF après un quart de siècle d’exploration de territoires plus convenus, Jeury, pacifié, devenu grand-père, donne la parole à une enfant de dix ans, qui détient le secret du changement et surfe innocemment sur la théorie des cordes, passant d’une "brane" à l’autre. 




Dérouté par une écriture se jouant avec délectation de la syntaxe, un lexique aussi où les mots-valises voisinent avec d’obscurs néologismes qu’il finit peu ou prou par décrypter, le lecteur comprend vite en effet qu’il est sur une autre ligne d’univers, dont la faune, la flore, la physique parfois sont déroutantes. Sur cette Terre, May découvrira peut-être son "éternété"…

May le monde - Michel Jeury - Ailleurs & demain/Robert Laffont - 392 pages - 22€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 5 septembre 2010




mercredi 16 décembre 2015

Mauvais génie





 Les esquimaux, nous dit-on, abandonneraient leurs vieux sur la banquise pour leur épargner les souffrances de la sénilité. En se référant à cette coutume, Louis élimine les mémés à héritage dont ses amis ont parfois imprudemment émis le souhait qu'elles disparaissent. Mais Louis n'est que le héros de papier d'un roman que le narrateur achève en commentant sa propre vie. Pascal Garnier décale ces deux récits avec une fausse nonchalance. Le tout forme un cauchemar tranquille digne des meilleurs G.J.Arnaud publiés autrefois dans la même collection du Fleuve noir.



La solution esquimau – Pascal Garnier – Fleuve noir 1996 – 188 pages – 6,40€ -
Zulma – réédition 2006 – 160 pages – 16,80€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 13 octobre 1996








mardi 15 décembre 2015

En un clin d'oeil






 Une femme flic dépressive est sauvée du suicide par son collègue. Intuitive et brillante, elle est capable de reconstituer une scène de crime d'un simple clignement d'œil. Un don très utile pour comprendre le meurtre ritualisé d'une petite fille. L'intrigue a des atouts mais malgré son talent de conteur, le Norvégien Samuel Bjork est loin de la démesure de Jo Nesbo auquel il est comparé en quatrième de couverture.





Je voyage seule – Samuel Bjork – Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud – Lattès – 512 pages – 20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015




lundi 14 décembre 2015

Retour de pub





 Pour qui aime Edimbourg, l'Oxford Bar s'impose. Mais passée la première pinte, il faudra bien l'admettre, John Rebus ne traine pas au comptoir. On l'a rétrogradé sergent, on le soupçonne d'avoir trafiqué les preuves d'une vieille affaire, on compte ses  vrais amis sur les doigts d'une main, et pourtant, il a repris du service, toujours aussi bougon. Avec lui, une certaine idée de l'Écosse est éternelle. 





On ne réveille pas un chien endormi – Ian Rankin – Traduit de l'anglais par Freddy Michalski – 430 pages – 22,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 13 décembre 2015




vendredi 11 décembre 2015

Guerre au crime et crimes de guerre


 Pourquoi craindrait-on l'arrivée au pouvoir du parti nazi quand on est victime de l'hyperinflation de 1923, quand on préfère brûler les billets de banque plutôt que du charbon qui reviendrait plus cher? Comment assiste-t-on à la dilution de l'âme allemande dans les brumes "cosmopolites" de Berlin? Royaume des "Revues Nègres" soumis à la dépravation des cabarets de sodomites, la République de Weimar symbolise aux yeux d'une partie du peuple éreinté par la crise et les spoliations du Traité de Versailles la dernière marche vers l'anéantissement. 



C'est donc un décor paré pour une remise en ordre définitive que nous propose David Thomas au départ de "Ostland". C'est aussi un éclairage indirect sur l'argumentaire des criminels. Georg Heuser, le héros tragique de ce roman est un personnage réel. Ses crimes, hélas, le sont tout autant. Dans les années soixante, les enquêteurs chargés de le ramener devant les tribunaux n'étaient pas très populaires. Quant à George Heuser, flic ambitieux et prudent, il n'avait pas de sympathie pour les nazis en 1941. Mais son accession au grade d'enquêteur l'incorpore de fait dans la SS et sa vie va changer. 


De la police criminelle aux crimes de la police, toutes les étapes de la déchéance sont franchies à Minsk où se planifie la déportation des Juifs. Hanna, la jeune femme juive qu'il a sauvée au prix d'un viol, est la seule à pouvoir estimer que son bourreau est autant victime qu'elle de la violence qu'il leur a infligée. 

Pendant la rédaction de ce roman-documentaire, un ami juif a tenté de remonter le moral de l'auteur inquiet de cette banalité du mal. Chacun de nous est-il capable du pire? "C'est de cette crainte" qu'il est question ici.   

Ostland – David Thomas – Traduit de l'anglais par Brigitte Hébert – Presses de la Cité – 350 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 novembre 2015




jeudi 10 décembre 2015

Stephen King inédit





 Tout sur King, ou presque, dans un format modeste, l’essentiel donc. Parmi une dizaine d’essais, citons l’analyse pertinente de "La Tour sombre" - cycle méconnu, une étude sur King et la forme courte, un guide de lecture, une biblio, et, cerise sur le gâteau, deux textes inédits, dont "Mauvaise herbe" qui inspira Romero pour Creepshow, un film dans lequel King jouait en 1982. Cultissime.





Stephen King : la part des ténèbres  - revue Bifrost n° 80 – Éditions Le Bélial’ – 191 pages – 11€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 1er novembre 2015




mercredi 9 décembre 2015

Résidence surveillée




 Que se passe-t-il quand on propose aux retraités fortunés l’enfermement volontaire dans une résidence de rêve? Ils peuvent mourir d’ennui ou se suicider comme dans un ″serpent au paradis″ de Robert Bloch. Pascal Garnier a choisi de les confronter à l'inquiétude. Dans leur pavillon saboté par un promoteur dans la débine, deux couples et une femme seule s'observent d'abord avant de sombrer dans la folie sécuritaire d'un lieu censé les protéger. Un roman ténébreux qui se lit d'une traite.




Lune captive dans un œil mort – Pascal Garnier – Zulma – 157 pages – 16,80€
Points Seuil – 152 pages – 6,10€  - ** -
Lionel Germain







mardi 8 décembre 2015

Meurtres à Hambourg





 Simone Buchholz nous promet un polar sur l'affreuse banalité littéraire des meurtres en série. Mais le vrai cadeau, c'est Chastity Riley et Hambourg. Chastity, procureur imbibée, n'est pas insensible au charme d'un ex-braqueur. Quant à Hambourg, elle est caractérisée par la ferveur populaire du Football Club de Sankt Pauli. Loin de Berlin, l'Allemagne a d'autres séductions pour combler l'attente du lecteur.





Quartier rouge – Simone Buchholz – Traduit de l'allemand par Joël Falcoz – Piranha – 204 pages – 16,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015





lundi 7 décembre 2015

C'est du belge





 Première apparition du commissaire Léon dans ce Montmartre où se croisent Irma, le travelo, les peintres du Faubourg et un psychopathe amoureux des cimetières. Si le commissaire Léon tricote, c'est avant tout pour le confort supposé de son chien Babelutte. La Belge Nadine Monfils invente un univers dont elle a réussi l'adaptation pour le cinéma avec Michel Blanc, Josiane Balasko, Dominique Lavanant et Annie Cordy. 






Madame Édouard – Nadine Monfils - Pocket - 249 pages - 6,20€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 22 novembre 2015




vendredi 4 décembre 2015

Les Loups sont dans Paris



 On éprouve un malaise légitime à évoquer les effets d'une terreur bien réelle, celle qui s'est invitée au cœur même de Paris, et son glissement dans l'enclos sécurisé d'une fiction. Depuis l'enfance, on partage le plaisir du conte où se dessinent les figures du mal dans la mélodie apaisante des mères. Le thriller n'est qu'un des avatars de ce frisson, davantage destiné à libérer nos peurs qu'à nous renvoyer au cauchemar éveillé du monde.

DOA, l'auteur de "Pukhtu", nous révélait dans un entretien récent le projet d'un scénario point par point identique à celui qu'on vient de vivre à Paris. Julien Suaudeau dans "Le Français" nous offre une description saisissante des mécanismes qui conduisent à la radicalisation d'une partie de la jeunesse. 

En ouvrant avec "Les Fauves", la nouvelle collection des éditions Robert Laffont, Ingrid Desjours ignorait qu'on le lirait à la lumière si sale de nos chagrins, que les échos du Bataclan se mêleraient à la bande-son d'une histoire offerte aux insomniaques.




On y retrouve essentiellement deux personnages, Lars le vétéran d'Afghanistan et Haiko, une jeune femme menacée de mort pour son action visant à sauver les enfants tentés par DAESH. Lars est victime du syndrome post traumatique depuis son retour de guerre. C'est lui qui est chargé de protéger la jeune femme mais leurs secrets à l'un et à l'autre font le sel d'un roman âpre et utile pour comprendre les racines du mal.  





"Le vieux monde se meurt. Le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres." Ingrid Desjours a bien choisi sa citation d'Antonio Gramsci. Le problème, sans doute, c'est que le vieux monde n'en finit pas de mourir. Du coup les monstres s'organisent et leur drapeau noir annonce des nuits plus sombres encore que celles de Barcelone en 1936.

Les Fauves – Ingrid Desjours – La Bête Noire, Robert Laffont – 440 pages – 20,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015




jeudi 3 décembre 2015

Des Gentilshommes de fortune






 Dans sa postface, l’auteur situe ses personnages entre Conan et D’Artagnan. Si l’on trouve bien ici des clins d’œil à la SF ou à la fantasy (la dédicace à Moorcock, deux héros qui ressemblent à Fafhrd et au Souricier Gris du "Cycle des épées" de Leiber, et des illustrations de qualité dues au pinceau de Gary Gianni, qui prit la suite de Foster sur la BD "Prince Valiant"), les bonheurs d’écriture du livre tirent davantage vers Dumas. 




Howard avait une plume efficace, mais sans grâce et totalement dénuée d’humour; ici la virtuosité domine, et la truculence des situations et des dialogues, même dans les moments où l’intensité dramatique est à son comble, tient le lecteur en haleine, au fil d’une intrigue parfois fort complexe. 

Deux filous fort sympathiques, un géant africain expert dans le maniement de la hache d’arme et un échalas franc, natif de Ratisbonne, médecin et philosophe, complices tous deux en truanderie et toujours prompts à se quereller, s’encombrent d’un  jouvenceau mal embouché qu’il s’agit de replacer sur le trône. 

Mais les choses ne sont pas si simples: nous sommes en Khazarie, au milieu du Xe siècle, les drakkars Rous’ (qu’on n’appelle pas encore Varègues) descendent la Volga en semant mort et destruction, et dans ce caravansérail de langues et de mœurs d’un monde en gésine où la Russie est en train de naître et qui voit chrétiens et mahométans se soumettre à un empereur juif, il n’est pas toujours facile de savoir qui est qui, d’autant plus quand les éléphants s’en mêlent! 

Chabon a réussi son pari : écrire une histoire de juifs de cape et d’épées qui rompe avec les clichés dont se joue toujours avec talent un Woody Allen par exemple.

Les Princes Vagabonds  - Michael Chabon – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle D. Philippe - Pavillons / Robert Laffont – 230 pages – 18€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 23 mai 2010




mercredi 2 décembre 2015

Sortie de route




 De livre en livre, Pascal Garnier s'est employé à soulever le tapis des pavillons de banlieue où chaque chose est assignée à résidence, l'odeur de l'encaustique, les bibelots sur les meubles et les amis du dimanche. Ses personnages se dissolvent dans les replis morbides d'un récit excluant toute exégèse des causes et des conséquences de leurs actes. A charge pour le lecteur d'imaginer l'implicite monstrueux qui les anime. Comme dans ce roman où un père est entraîné par sa fille dans un road-movie meurtrier. 




Le Grand Loin – Pascal Garnier – Zulma – 157 pages – 16,80€ - ***
Lionel Germain




mardi 1 décembre 2015

Reprises macabres





 Au City Herald de New-York, John Costello, un mystérieux archiviste, s'intéresse à une série de quatre meurtres commis à l'identique et à la date anniversaire de meurtres passés. Sans bouleverser nos connaissances sur le monde des tueurs en série, Ellory propose une nouvelle fois un suspense indiscutable. Grâce en partie à ce John Costello que les secrets intimes transforment en coupable idéal et nous contraignent à ne pas le lâcher jusqu'au dénouement. 





Les Assassins – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Clément Baude – Sonatine – 528 pages – 22€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 novembre 2015