mercredi 26 août 2015

Une Enfance algérienne


 Les deux premiers romans de Barouk Salamé, s'inscrivaient avec brio dans la lignée du polar érudit. Que ce soit sur l'origine de l'Islam ou les liens entre les trois grandes religions monothéistes, les aventures du commissaire Sarfaty étaient ponctuées d'analyses passionnantes et parfois iconoclastes. 

"Une guerre de génies, de héros et de lâches" offre une pause au flic juif, le temps d'évoquer son enfance algérienne et de briser une fois de plus quelques uns des tabous qui empoisonnent la période de la guerre.




Comme en écho à "Rue Darwin", le roman de Boualem Sansal, une figure féminine s'impose au lecteur de Barouk Salamé, laissant entrevoir la puissance matriarcale à l'œuvre dans les deux communautés. Car si Djeda, la grand-mère de Yazid dominait son village grâce au bordel familial, celle de Serjoun, la belle juive Rebecca Ben Bajou, est elle une héroïne de la guerre d'indépendance, arrimée au sort de Messali Hadj, le mauvais cheval de la révolution algérienne.




La fracture entre le MNA et le FLN est tragique au sein même de la famille Ben Bajou. Elle oppose la grand-mère à son fils sans que la caution du FLN permette à celui-ci d'échapper au nettoyage "ethnique" imposé par les tenants d'une Algérie musulmane. Coincée entre les ultras de l'Algérie française et les intégristes du FLN, rebaptisée Sarfaty pour se soustraire aux balles de l'OAS, la tribu Ben Bajou sera finalement contrainte à l'exil.

Un excellent roman documentaire qui fait sauter les verrous de l'Histoire officielle.

Une guerre de génies, de héros et de lâches – Barouk Salamé – Rivages – 280 pages – 18,50€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 29 avril 2012





lundi 24 août 2015

Codex




 Alors qu'un supposé testament du Prophète menace la France de guerre civile, le commissaire Sarfaty, intellectuel juif "islamophile", enquête autant sur les réseaux soupçonnés vouloir s'approprier le codex que sur les liens qui irriguent les trois grandes religions monothéistes. Enquête savante au terme de laquelle l'évidence des hypothèses formulées à propos de l'origine de l'Islam offrent une vision érudite du monde musulman. Quand un spinoziste revendique sa filiation littéraire avec un genre aussi hybride que le polar, le roman atypique finit sur les plages. 



Le testament syriaque – Barouk Salamé – Rivages poche – 672 pages – 10,65€ - *** -
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche le 19 juillet 2009




mercredi 19 août 2015

Le Crime et le Divan


 Dans L'interprétation des meurtres, Jed Rubenfeld décrivait la rencontre entre Freud et un jeune psychiatre, Stratham Younger, chargé de favoriser la diffusion de la psychanalyse aux Etats-Unis. Frank Tallis, docteur en psychologie, consacre également une série au philosophe viennois chez 10/18, et l'on sait la complicité méthodique qui lie l'enquête à l'analyse, le rôle des symptômes que l'on peut comparer à celui des indices, le fait qu'une scène de crime au premier chapitre n'est jamais que l'épilogue d'une histoire à reconstruire. 

Ce qui retient à nouveau l'attention du lecteur dans "L'Origine du silence", c'est ce mélange astucieux entre roman feuilleton, dissertation parfois érudite sur la psychanalyse et reconstitution historique. 





Le premier épisode se situait en 1909, sur le chantier d'un siècle prometteur. C'est le fracas des armes qui va anéantir les rêves. En 1920, les protagonistes affrontent les conséquences de la Première guerre mondiale. Ils soignent un enfant mutique, enquêtent sur des attentats à Wall Street, combattent l'affairisme corrupteur et un trafic de radium dont Marie Curie fait les frais. 






Dans l'Europe en ruines, et plus précisément dans cette ville de Vienne où l'on mange les chiens en attendant de chasser les Juifs, Freud évoque pour la première fois un élément de sa théorie permettant d'interpréter le silence de l'enfant. Et comme dans tout bon polar, ce sont les mots de la fin qui éclairent la scène du crime.      

L'origine du silence – Jed Rubenfeld – Traduit de l'américain par Carine Chichereau - Fleuve noir – 570 pages – 20,90€ - Pocket – 608 pages – 8,40€ - ** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – novembre 2011




lundi 17 août 2015

Le Détective des profondeurs


 Le narrateur, Straham Younger, personnage inventé par Rubenfeld, est un jeune médecin psychologue new-yorkais. Son admiration pour Freud est doublée d'une fascination obsédante pour l'interprétation que celui-ci a donné du Hamlet de Shakespeare. Mais le complexe d'Œdipe qui résout si parfaitement les incertitudes du héros shakespearien face à l'assassin de son père ne lui semble pas le dernier mot de l'histoire. Pour Younger, membre du comité chargé d'accueillir Sigmund Freud et Carl Jung aux Etats-Unis en août 1909, cette interprétation reste un défi à surmonter. 

Alors que la psychanalyse est une science nouvelle déjà fortement critiquée pour ses théories jugées inconvenantes, des réseaux de psychologues bien pensants se sont constitués pour interdire les conférences. Carl Jung, disciple dissident, paraît mûr pour une trahison. Ce Carl Jung dépeint par Rubenfeld est bien différent du sage que l'on peut deviner en relisant "Essai d'exploration de l'inconscient". Rubenfeld en fait un personnage pervers et manipulateur, très sensible aux charmes des jeunes femmes, au point de s'inscrire de façon diffuse dans l'intrigue criminelle comme un potentiel suspect.




Le crime, décrit d'un point de vue omniscient, est le meurtre d'une jeune fille victime d'un rituel sado-masochiste. L'enquête est menée par le jeune inspecteur Littlemore. Sollicité par Littlemore, Younger prendra conseil auprès de Freud pour tenter de cerner les mobiles. Littlemore traque les indices, Younger déchiffre les symptômes. A travers la complicité de ces deux personnages, l'enquête se fond peu à peu dans le travail analytique. 





Le flic s'inscrit dans l'instant avec bonheur, croyant au réel, interprétant les contradictions matérielles à la recherche d'un dispositif caché, Younger, lui, est penché sur la malédiction, le sens qui échappe au présent: "être ou ne pas être…".

Le va-et-vient entre le flegme analytique de Freud, la jeunesse de Younger, son appétit intellectuel qui le conduira à trouver une réponse nouvelle à l'énigme shakespearienne, la naissance d'une ville qu'on pressent fascinante et monstrueuse, font de "L'interprétation des meurtres" un très agréable moment de lecture.

L'interprétation des meurtres - Jed Rubenfeld - Traduit de 
l'américain par Carine Chichereau -  Pocket - 512 pages - 8,10€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - septembre 2007





lundi 10 août 2015

"Des munitions, Chérie"


 En prenant ses quartiers loin des guirlandes, le roman noir offre à la littérature un espace de vérité aussi indispensable qu'éphémère. 
Ken Bruen est un auteur de romans noirs. Pour paraphraser Ellroy, c'est à travers les yeux du "plus mauvais d'entre nous" qu'il construit sa vision du monde.




Un flic nommé Brant associé à un autre flic nommé Roberts. Roberts et Brant. R&B. La série a commencé en 1998 avec "Le Gros Coup" où l'intrigue cassait le mythe "policier" du redresseur de torts. Dans "Calibre", les personnages n'ont pas pris une ride. Ils étaient déjà vieux et corrompus. Le tueur en série, sociopathe obsédé par Le "Démon dans ma peau" de Thompson, a une nouvelle fois toutes ses chances. 




Tueur ou flic, d'ailleurs, on n'est jamais que du bon ou du mauvais côté d'un système qui mesure les rapports de force et calcule les profits selon la mise. De "Delirium tremens" à "Sur la tombe", Jack Taylor est le deuxième personnage, on pourrait dire la deuxième respiration cynique et tourmentée de Bruen, en charge d'explorer l'Irlande en crise et la perversité des lumières.




"Tower", écrit avec Reed Farrel Coleman, figure le pas de côté, une histoire d'amitié contrariée dans le décor de Brooklyn où Juifs et Irlandais ne sont pas les derniers à se chercher des poux. Nick est irlandais, Todd est juif et sollicité par les mafieux de la côte Est. Le père de Nick, flic irlandais, s'est reconverti en vigile. Bruen raconte en s'inscrivant dans la longue file des auteurs qui l'ont aidé à s'émanciper du réel.




Comme Ed McBain, créateur du 87ème District. Il vient d'apprendre sa mort quand l'inspecteur Brant se fait canarder dans un bar en compagnie de son collègue homo Nash Porter. Brant a piqué les histoires de Porter et les a vendues à un agent littéraire. Le bouquin doit sortir prochainement. C'est à l'identique ce qu'a fait le pote de Carella, héros d'Ed McBain. 


"Munitions" démontre au lecteur que les liens entre les flics sont un peu comparables à l'équilibre de la terreur, une succession d'intérêts croisés où le chantage, la corruption et la menace constituent les valeurs essentielles de l'esprit de corps. La femme flic de l'histoire doit rhabiller ses rêves. "Pour la énième fois, elle se demanda ce qu'était devenue sa conception idéaliste de la police, cette idée imbécile de redresser les torts, de faire de son mieux, et toutes ces conneries de série télé. (…) Brant se tourna à nouveau vers elle.


- Des munitions, dit-il
Elle ne comprit pas.
- Je ne suis pas, dit-elle.
Il chanta presque:
- Je te montre le chemin… Des munitions, chérie. Voilà de quoi on a besoin… et, bien-sûr… d'amour."


1177 licenciements par jour et le retour d'une émigration massive comme dans les années 80. C'est en gros ce à quoi se résume l'Irlande de Jack Taylor, ex garda alcoolique et déprimé, "la déprime, c'est la tristesse qui prend le pouvoir", face aux senteurs de soufre qui l'emportent sur l'encens dans les rue de Galway. L'ambigüité irlandaise est tout entière dans cette aversion affichée pour l'église catholique, aversion inséparable de la nostalgie pour une époque où les gens se signaient dans la rue, comme le fait encore machinalement Jack en entendant l'angélus. 


Contrairement à cette flopée de "grands" auteurs qui ne lisent pas leurs contemporains, Ken Bruen ne se prive pas de dire le bien qu'il pense de certains écrivains, Cathy Unsworth et Seamus Smyth, entre autres. On lit "Le Démon" en cherchant l'avenue lumineuse où trône la cathédrale tout en sachant que "la vraie justice se rend au fond des ruelles obscures". 
Avec une intelligence inventive et un humour décapant, Bruen balance dans les cordes de la littérature ceux qui seraient tentés d'y voir autre chose que ces reflets de nuit. 

Calibre – Ken Bruen – Série noire – 218 pages – 17 euros – ***
Tower – Ken Bruen et R.F. Coleman – Rivages noir - 250 pages – 8,65€ -  
Munitions – Série noire Gallimard – 238 pages – 20€
Le Démon – Fayard – 355 pages – 20€
Lionel Germain - d'après des articles publiés dans Sud-Ouest-dimanche



Pour en savoir plus, Velda sur son blog  fait le tour de la question.




vendredi 7 août 2015

Sur le porte-bagages


 Pas vraiment des romans, plus denses que des nouvelles, les "novellas" prennent le temps d'installer décor et personnages. On en trouve plus d'une dizaine dans ce recueil de Didier Daeninckx qu'on parcourt comme un album de souvenirs, embarqué sur le porte-bagages d'un vieux vélo pour arpenter les chemins de la mémoire.





Des mines de Coltar aux zones de transit de l'aéroport, on y découvre aussi dans "Mortel smartphone", notre tragique indifférence de consommateurs, les figures crapuleuses des Négatifs de la Canebière ou l'histoire vraie de "Je tue il…". Un type s'était fait passer en 1990 pour Didier Daeninckx. Il dédicaçait ses bouquins, sillonnait la campagne et laissait des ardoises à l'hôtel. 




C'est en fin d'ouvrage, dans "L'Affranchie du périphérique", qu'on retrouve la puissance d'évocation la plus sensible, comme un signet emblématique de l'œuvre entière. Un livre d'images qui ressuscite la beauté des faubourgs, les parts d'ombre du siècle dernier, l'intelligence visionnaire des situationnistes, le Front populaire, le bleu matisse et l'odeur grasse des brochettes.

Novellas – Didier Daeninckx – Cherche Midi – 446 pages – 18,90€ - ***
Lionel Germain




jeudi 6 août 2015

Repli sur soi





 Après la disparition de sa meilleure amie, la jeune Lucy est ramenée au souvenir de sa propre mère, disparue elle aussi dans des circonstances troubles. On est au cœur des montagnes Ozark dans l'état du Missouri, dans la petite ville fictive de Henbane. Au-delà des remparts de son église, Henbane n'a rien à offrir au monde que son repli sur soi. En disséquant les secrets de famille, Laura McHugh montre à quel point les liens communautaires protègent autant qu'ils excluent.




Du même sang – Laura McHugh – Traduit de l'américain par Marie Boudewyn – Calmann-Lévy – 336 pages – 20,50€ - **
Lionel Germain




mercredi 5 août 2015

Indépendance





 Au Tribune, on prépare le sommaire: les nationalistes écossais sont à la hausse dans les sondages, un type s'est fait flinguer sur un terrain de football. Pour Gerry Conway qui retrouve la rédaction après trois ans d'absence, c'est loin d'être une sinécure. Entre Twitter et la concurrence du web, la presse papier va aussi mal qu'à Barcelone et que partout ailleurs, hélas. Enquête sur la mort d'un journaliste et portrait d'un territoire dont le désir d'indépendance dissimule la transe des prédateurs. 




Là où vont les morts – Liam McIlvanney – Traduit de l'anglais par David Fauquemberg – Métailié – 352 pages – 20€ - Réédition Points Seuil mai 2017 - 408 pages - 7,80€ -  ***
Lionel Germain











mardi 4 août 2015

Ça presse


 Bouclage, c'est le mot de passe des salles de rédaction avant le rugissement des rotatives, et Xavier Bosch, lui-même journaliste, procède à un véritable état des lieux fictifs de la presse catalane. Elle est en crise, en phase terminale même pour certains journaux.




Pure marchandise ou instrument de contre pouvoir, l'information est surtout exposée aux manipulations. Dans ce polar un peu bâclé, Dani Santana, le héros de Xavier Bosch, perce pourtant les murailles spectaculaires de Barcelone pour approcher son intimité impudique et malsaine. Prostitution africaine, trafic des canettes de bière, promotion immobilière et menace terroriste projettent de jouer les premiers rôles sur les Ramblas.




Bouclage à Barcelone – Xavier Bosch – Traduit du catalan par Laurent Gallardo et François-Michel Durazzo – Liana Levi – 272 pages – 18€ - *
Lionel Germain




lundi 3 août 2015

Abus de confiance




 Un jour ou l'autre, on tombe sur cette personne de confiance à laquelle on abandonnerait ses propres enfants sans l'ombre d'un doute. Exactement ce que fait l'héroïne de "Ennemie intime". Appelée en urgence pour le décès de son père, elle n'hésite pas à laisser son fils à la sortie de l'école à une autre maman fort sympathique. Erreur fatale. La maman n'en est pas vraiment une et la voilà qui disparaît avec l'enfant. Début d'un bon suspense orchestré  au pas de charge par Christine Drews.




Ennemie intime – Christine Drews – Traduit de l'allemand par Dominique Autrand – Albin Michel – 294 pages – 19€ - **
Lionel Germain




samedi 1 août 2015

Un Homme de droit



 Élevé dans l'ouest du Montana, l'avocat Matt Riordan a fait le Vietnam avant d'être enquêteur auprès du Ministère de la Justice à Washington. Il a également été un temps procureur à Boston. Kate Warden, une jolie milliardaire lui demande d'enquêter sur la mort de son frère Stephen, assassiné par un mystérieux groupe terroriste. L'occasion pour Matt de découvrir un complot dont seraient victimes les membres d'un groupe de protestataires des années 60. Le roman n'apporte rien de bien neuf mais le personnage de Riordan, homme de droit aux méthodes peu orthodoxes donne du rythme et du piment à cette intrigue conventionnelle.



La cité des pluies de sang – Fredrick D. Huebner – Série noire Gallimard (1987) – 256 pages – à partir de 4,80€ sur les sites de librairies en ligne - *
Lionel Germain