mardi 31 mars 2015

Confidentiel Défense






 L'Unité 32 de la DCPJ qu'imagine Alain Claret n'est pas la police des polices mais plutôt un service de la dernière chance. Ils sont deux à faire équipe, Thais et Gauche. Gauche a même un prénom. Il s'appelle Jérémie, "comme le type qu'on met à l'écart parce qu'il annonce la chute de Jérusalem". A travers leur enquête, se profilent les secrets de la politique africaine de la France et le génocide perpétré au Rwanda. Une étude en noir très maîtrisée. 




Une étude en noir – Alain Claret – Robert Laffont – 396 pages – 20€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2015




lundi 30 mars 2015

Aïcha! Aïcha!





 C'est une petite musique qu'on imagine bien fredonner une fois qu'on s'est pris d'affection pour le personnage de commissaire de police Aïcha Sadia. Dure-à-cuire mais cœur tendre, on en pince assez vite pour elle, sans vouloir froisser l'amour propre de son légitime, le détective privé Sébastien Touraine. Le monstre qui fait commerce de la souffrance des enfants est un client à leur mesure. Parfum de "menthe séchée" et grosse chaleur près des calanques. 




Hyenae – Gilles Vincent – Jigal – 216 pages – 18,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2015




vendredi 27 mars 2015

Pool de neige




 Dans le monde des jeux, le pool est une cagnotte, et question cagnotte, la poudre blanche de perlimpinpin remplit généreusement celle des trafiquants. Aussi quand une neige miraculeuse se met à tomber sur Paris avec autant de constance que les averses girondines, l'événement ne réjouit pas les membres du cartel. Dans ce polar très enlevé du couple Kleinmann et Vinson, on croise des innocents aux narines pleines, des chirurgiens très plastiques, une chercheuse dont les serres bergeracoises font un tabac et même Carabosse, la fée d'hiver.



Substance – Kleinman et Vinson – Le Masque – 443 pages – 20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 mars 2015




jeudi 26 mars 2015

Tourisme textuel



 A la sortie de la fac, Otto et Alexandre s'empressent de vérifier les implacables lois du marché en créant leur entreprise, une agence de voyages culturels. Autant dire que les banques ne se bousculent pas pour financer l'affaire. Sauf à suivre peut-être les conseils d'un comptable dont les avis consistent à déployer l'argumentaire traditionnel sur l'offre et la demande.




Nous voilà donc en route "du Pays basque au pays des Ch'tis" pour découvrir "les relations franco-allemandes au XXème siècle à travers les œuvres de Mauriac, Giraudoux et Dany Boon". Embarqués avec douze retraités parfois atrabilaires parmi lesquels les lecteurs du "Front russe" reconnaîtront Michel Boutinot, colonel en retraite, Otto et Alexandre feront une halte à Malagar, l'occasion d'une comparaison élégante avec la maison de Philippe Bouvard. 




Atteinte d'Alzheimer, la prof de français demandera si Mauriac a écrit beaucoup de romans pendant que les collégiens confondront Yalta avec une marque de yaourt. Quant à la visite à Oradour-sur-Glane, elle sera perturbée par une libération de nains de jardins.


L'amour impossible d'Alexandre pour Otto complique tout et provoque un quiproquo permanent. Otto est lui-même le passager clandestin de ce "territoire", farci d'étrangetés culturelles. Malgré son répertoire d'expressions toutes faites, son origine allemande le rend incapable de comprendre celle-ci: "il va falloir se sortir les doigts", injonction du comptable inquiet. "Les doigts, oui, mais d'où fallait-il les sortir?"

Road-movie crépusculaire à bord d'un car Mercedes où l'on rejoue "la croisière s'amuse", le roman traverse un parc à thèmes désopilant qui ressemble à la France. La maladie d'Alzheimer nous renvoie sans doute l'image d'un monde de plus en plus absent à lui-même, mais la cruauté du constat est nuancée par la vigueur burlesque de l'entreprise et la confrontation réussie entre ces personnages, nimbés d'innocence et d'amour.

La Campagne de France – Jean-Claude Lalumière – Livre de poche – 238 pages – 6,60€ - ***
Lionel Germain




mercredi 25 mars 2015

Drôles d'Affaires Étrangères



 Pince sans-rire et fin styliste, Jean-Claude Lalumière pourrait facilement être rangé dans la section des écrivains humoristiques. A tort, comme souvent. L'humour qui surplombe ce récit d'un rêve perdu ne devrait pas réduire son auteur au comique de service des salons littéraires. 



Jeune fonctionnaire du Quai d'Orsay, le narrateur est affecté au "front russe", lequel n'offre aucune perspective de voyages et d'aventures. Délocalisé dans le 13ème arrondissement de Paris, le "bureau des pays en voie de création/ section Europe de l'Est et Sibérie" se trouve au sixième étage d'un immeuble de l'avenue de France. Avec Michel Boutinot, chef de section qu'on reverra en retraité vindicatif dans "La Campagne de France" et Marc Germain, chef de la maintenance informatique en jean et T-shirt, "signe de distinction des informaticiens", l'initiation est un cauchemar bureaucratique.



On imagine alors que la véritable aventure se révèlera dans la rencontre amoureuse avec Aline et son chien Youki, "flaireur d'anus". Malheureusement, "l'expérience de l'amour, c'est aussi l'expérience du néant" et la conclusion de ce rêve d'envol, critique d'une nation empesée, immobile et frileuse, est loin d'être optimiste.  

Le front russe – Jean-Claude Lalumière – Livre de poche – 210 pages – 6,10€ - **
Lionel Germain




mardi 24 mars 2015

Cité Lumineuse




 Hervé LeCorre en avait fait la toile de fond des "Effarés" qu'on peut  retrouver dans l'excellente réédition "Trois de chutes" chez Pleine Page/Ours Polar. Jean-Claude Lalumière, lui, situe son intrigue en 1996 dans le quartier de Bacalan, au moment où l'on annonce la destruction de la Cité Lumineuse. Au "Comptoir des Chasseurs", bistrot militant des exclus, un ancien détective privé et son ami organise la rébellion contre les promoteurs. Trafics de drogue et manière forte donnent du fil à retordre à ce duo de papys éminemment sympathiques.



Blanche de Bordeaux - Jean-Claude Lalumière - Éditions du 28 août - 188 pages – 7€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – novembre 2007





lundi 23 mars 2015

Mafias





 Avec les auteurs de la revue, saluons d'abord la mémoire de Jean-François Vilar et Abdel Hafed Benotman, deux écrivains disparus récemment. Avec une pagination et une offre de rubriques en hausse, L'Indic gagne en maturité et propose un excellent panorama littéraire et cinématographique du phénomène mafieux. La Sicile, bien-sûr, mais l'Amérique aussi et les romans de Thomas Kelly, par exemple. Et un petit tour à la morgue de Nantes pour se divertir... .




L'Indic Noir Magazine N° 20 - Fondu Au Noir – 48 pages – 7€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 22 mars 2015





vendredi 20 mars 2015

Une inquiétante absence



 Dans tous les romans de Batya Gour, auteure disparue en 2005, le conflit israélo-palestinien était perceptible sous une forme ou sous une autre, il est au cœur de l'immense roman de Yishaï Sarid, "Le Poète de Gaza", on le retrouve dans "Terminus Tel-Aviv" de Liad Shoham. On le cherche dans les intrigues de Shoulamit Lapid et dans celles imaginées par son fils Yaïr, plus impliqués dans la dénonciation des réseaux de corruption.



Si la grande affaire du roman noir, c'est le dévoilement des angles morts, dès qu'on aborde le polar israélien, on est obsédé par l'arrière-plan géopolitique et les imbrications entre violence crapuleuse et insurrectionnelle. On imaginait donc enrichir la collection des vices cachés d'Israël en découvrant l'année dernière Dror Mishani et son héros, le commandant Avraham Avraham, policier en fonction à Tel-Aviv. "Une disparition inquiétante" est le récit d'une enquête loupée s'évertuant à contrer toutes les ficelles du polar. 




Universitaire spécialiste du roman policier, Dror Mishani doit prouver à son personnage que la fiction est parfois le reflet fidèle de la réalité. Mais paradoxalement, cette réalité vécue dans les faubourgs de Tel-Aviv serait "libre" de toute empreinte idéologique, simplement constituée d'individus dont les secrets sont parfois bien plus noirs que ceux de l'État d'Israël.

Dror Mishani réussit ce tour de force dans la deuxième enquête d'Avraham, de placer une bombe factice dans la cour d'une crèche et de ne jamais évoquer comme hypothèse celle d'un attentat terroriste. Cette disparition oulipienne est une contrainte assumée. Feignant d'enquêter sur la bombe, Avraham se passionne pour la femme absente d'un suspect, Haïm, petit vendeur de sandwiches qui élève seul désormais ses enfants. Encore une disparition inquiétante. Haïm est somnambule. De même qu'Avraham ne croit pas au roman policier, de même les personnages de Dror Mishani sont cousus d'incertitude, prisonniers d'une fiction brouillée par les indices d'un réel qui n'en finit pas de nous échapper.

On revit la première affaire à travers le rapport critique de sa supérieure qui révèle en creux la qualité "romanesque" du personnage. Parce que si Avraham est apparemment toujours à côté de la plaque, c'est pour mieux s'emparer de la périphérie du paysage, entraver la linéarité du récit par des ruptures de trajectoires, une lumière oblique indispensable à la maturation des ombres. Et bien-sûr, Dror Mishani met en évidence ce que nous pressentons. L'effet de réel ne doit rien à la rhétorique procédurière des enquêteurs. Il émane de ce regard erratique posé sur le monde, inquiet de trouver un sens aux plus petits manquements de notre humanité.

La violence en embuscade – Dror Mishani – Traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz – Seuil – 352 pages – 21€
Réédition Points Seuil mars 2017 - 384 pages - 7,70€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 mars 2015









jeudi 19 mars 2015

Purée de presse





 Après l'assassinat d'un patron de presse et quand l'enquête concerne "des élus, de l'immobilier, l'avenir du quotidien régional: au petit matin débutera la grande java des étouffoirs." Avec un phrasé à l'ancienne, souple et musical, Michel Embareck nous prouve que les bonnes soupes se font souvent dans les vieux pots. Son détective privé, Victor Boudreaux, a le Bayou dans le sang et ça "klaxonne" agréablement au-dessus des vapeurs faisandées de Saproville.





Avis d'obsèques – Michel Embareck – L'Archipel – 304 pages – 18,95€ - **
Lionel Germain





Dans cette intrigue, Victor Boudreaux est plus proche de Mike Hammer que de Philip Marlowe. Et Bénipurhain, la ville où vont s’exercer ses talents de “nettoyeur” n’est pas sans rappeler la Poisonville de Hammett. Les cadres supérieurs du banditisme ont mis la région en coupe réglée et fréquentent une certaine loge maçonnique dans laquelle on s’initie surtout entre crapules. 

Le rosaire de la douleur - Michel Embarek -  Série noire – 6€ environ sur les sites des librairies en ligne
Lionel Germain – d'après un article de Sud-Ouest-dimanche – 24 juin 2001



Le site de l'auteur




mercredi 18 mars 2015

Les Choix du Seigneur



 Fin du 19ème siècle dans une province reculée de Suède. Le secrétaire de la Société d'économie rurale ajoute une annexe à son rapport annuel. On y fait état d'une rumeur concernant la disparition d'un riche commerçant dans un glissement de terrain. "Les populations retardées de ces régions sauvages ont une fâcheuse propension à préférer les ouï-dire à la réalité vraie."




On peut parler de roman noir ou de roman policier puisque dès le début on devine qu'un meurtre a été commis. Mais passée cette introduction, le registre change. Seule une voix tragique s'adresse au seigneur pour tenter de comprendre la malédiction qui frappe les pauvres. Le système de la propriété privée instaure une loi d'airain sur les objets et sur les corps. Pour le paysan sans fortune, la femme et la fille sont soumises au troc. 





Cette longue prière interroge un Dieu absent et sans cesse invoqué pour légitimer le viol et la dépossession. Sombre chef d'œuvre.  

Le chemin du serpent – Torgny Lindgren – Traduit du suédois par Elisabeth Backlund - Actes Sud – 142 pages – 16€ - ****
Lionel Germain




mardi 17 mars 2015

De père inconnu






 La mère a succombé à une overdose, les deux gamines sont placées en foyer et le père jusque là inconnu rapplique subitement pour les récupérer. Dans cette cavale d'un père apparemment indigne qui enlève ses enfants du centre éducatif et les entraîne dans un road movie illégal et compliqué, Wiley Cash tient à distance le pathos grâce à la force mentale d'une des fillettes. Justement récompensé par le Gold Dagger Award 2014.






Les chemins de la rédemption – Wiley Cash – Belfond – 320 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 15 mars 2015




lundi 16 mars 2015

Nuque raide






 "Tout a commencé quand on a retrouvé le corps de Julian McBridge au fond de l'étang que les Jones avaient fait assécher pour compter les carpes." Non, ce ne sont pas les premières pages d'un roman de Steinbeck mais d'un polar français contemporain. Comme pour le conte où le temps et l'espace sont ancrés dans l'imaginaire du lecteur, Jacques Bablon installe son récit sur le substrat de la légende américaine, redneck, taiseux et gros calibres. Et ça marche.





Trait bleu – Jacques Bablon – Jigal – 152 pages – 17€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 15 mars 2015




vendredi 13 mars 2015

Le Catalogue de la Déroute



 "Dick Lapelouse, grand spécialiste de l'assassinat sur commande et des techniques d'intimidation, diplômé du milieu niçois, maintenant dans votre ville." Sébastien Gendron nous avait présenté dans "Le tri sélectif des ordures" (réédité en Pocket) ce petit auto entrepreneur rattrapé par son passé dans le business traditionnel où règne "la testostérone des gangsters". Il est installé Boulevard Wilson à Bordeaux, "parce que c'est encore le dernier endroit où ce genre d'activité se pratique sans flétrir sous les coups de boutoir de la mode". Son bureau voisine avec celui de son "ami" le Docteur Braun, psychiatre dont le rôle devient déterminant. Sa secrétaire, Camille, cinquante ans, 1m62, 86kg, est une inconditionnelle de Claude François.




Le voilà chargé d'éliminer un vieux fasciste espagnol infiltré dans les mouvements républicains. Accompagné d'une conscience blonde et des mânes de Montalban, affublé du pseudo de Dortmunder, la crapule calamiteuse imaginée par Donald Westlake, encore marqué par le divan du docteur Braun sur lequel il se soumet à une analyse sauvage, Dick Lapelouse traverse une crise existentielle. Entérinant les décrets victorieux de Warren Buffet, le tueur s'inscrit dans les lois du marché et traite au cas par cas. 




Pas de lutte finale mais une série de meurtres pour cautériser les plaies individuelles. Le problème de Dick, c'est bien-sûr le secret personnel qu'il va découvrir au terme de sa mission et de ses rendez-vous chez Braun. Outre sa conscience blonde qui figure la référence obligée au roman noir, le petit patron du crime est assailli par la puissance "négative" de la morale, ce bouclier en carton incapable d'endiguer les tumultes intérieurs. 

Avec une construction resserrée, Sébastien Gendron réduit la voilure burlesque des précédents épisodes. Le rire a parfois des éclats mortels, parce que ce type va mal. Au cœur du chaos social, soucieux de permettre à certains opprimés de se débarrasser de leurs oppresseurs, il s'avance vers les portes de Thèbes, le regard de moins en moins clair, énigme de plus en plus sombre, "Monsieur Lapelouse, vous êtes qui au juste?"

La revalorisation des déchets – Sébastien Gendron – Albin Michel – 380 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 mars 2015




jeudi 12 mars 2015

Polar à bascule


 Certains critiques prétendent que la littérature de gare n'existe plus, essentiellement pour deux raisons: les trajets en train sont trop courts et les polars sont désormais trop bien écrits pour être relégués au rayon ferroviaire. Pour Karine Giébel, on ne contestera pas la seconde hypothèse. Le style, c'est ce qui permet à l'auteur de se faire oublier. Karine Giébel veut nous émouvoir et nous faire peur. C'est une réussite totale que ce recueil de nouvelles consacre au prix d'un Bordeaux-Mérignac en tram, aller-retour.




Dans la nouvelle, la chute est parfois un exercice contraint. Karine Giébel explore les variations suggérées par son titre "Post-Mortem" et nous fait basculer dans la dernière ligne droite. Un petit bijou de terreur distillée au compte-gouttes. "J'aime votre peur", portrait assez inattendu d'un tueur échappé d'une UMD, offre avec son titre une véritable déclaration d'intention, un programme qui annonce la couleur de l'œuvre entière. En voiture, Simone! 




Maîtres du jeu – Karine Giébel – Pocket – 126 pages – 2,90€ - ***
Lionel Germain




mercredi 11 mars 2015

Peur jumelle





 Éric Robinne a obtenu le Prix des lecteurs France Loisirs 2013 avec ce premier roman, une histoire de jumeaux appelés à se retrouver la cinquantaine venue. Après la découverte de trois cadavres dans une ferme isolée près de Chamonix, la réunion se fait sous le sceau du mélodrame où se mêlent sinistres expériences dans les camps de concentration, clonage, quête d'identité et menaces sectaires. Suspense. 





Le silence des loups – Éric Robinne – Pocket – 504 pages – 7,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 8 mars 2015




mardi 10 mars 2015

Âmes perdues





 Érotique mais pervers, c'est l'univers d'Arianna dont Camilleri tire le fil pour nous entraîner au cœur du labyrinthe. Tandis que son mari impuissant lui accorde les étreintes éphémères avec de jeunes amants, elle revisite son enfance tourmentée, matrice de ce monstre qu'elle héberge. Le lecteur est happé par la dérive sensuelle d'un personnage qui marie le feu et la glace avec l'innocence des âmes perdues.





Le Toutamoi – Andrea Camilleri – Traduit de l'italien par Serge Quadruppani – Métailié – 144 pages – 17€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 8 mars 2015




lundi 9 mars 2015

Grands espaces






 Ce premier roman salué par Ron Rash nous ramène à la fin du dix-neuvième siècle et renoue avec la tradition du roman initiatique. L'écriture généreuse adaptée aux descriptions d'une nature sauvage est au service d'un récit en mouvement, le récit d'une traque provoquée par le massacre inaugural d'une famille dans les paysages du Nord américain. Vengeance et méprise sur les mobiles du drame alimentent un excellent suspense autour des rapports entre une mère et son fils.






Retour à Watersbridge – James Scott – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Seuil – 448 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 8 mars 2015




vendredi 6 mars 2015

Au-delà du Bien et du Mal



 Dans les décombres sanglants de la gare de Bologne, le 2 août 1980, le groupe Gladio initiait la "stratégie de la tension" destinée à mobiliser les peurs contre le communisme. Jean-Paul Chaumeil en fait l'acte de naissance de son personnage, un tueur à l'identité protéiforme.





Chargé de mettre de l'huile dans les rouages de la machine à enfumer les peuples, W, Walter ou William, se glisse dans les ombres épaisses de l'état de droit. Soldat de "l'infralégal", il figure le petit personnel d'une officine de sous-traitants. Petit personnel interchangeable, chasseur ou cible en puissance. On a lu ça cent fois. Mais Jean-Paul Chaumeil nous harponne au moment où New-York se met à flotter vers un ailleurs improbable. Nine Eleven.



"New-York n'existe pas, c'est juste un rêve ou un cauchemar". Le récit est irrigué d'une bande son agressive comme si le monde contemporain affûtait ses couteaux sur des accords de rock, une mondialisation acide. Ce n'est que lorsque le jour et la nuit défont les lignes de partage que le jazz réapparaît sous la voix rugueuse d'une femme qui raconte "des histoires de mecs pendus aux arbres". 

Le final somptueux où l'on bascule de Coltrane à Santana pour un "Stormy Monday" dévastateur contribue à ruiner les dernières certitudes du lecteur. William astique ses flingues, il nous a raconté sa vie, le western qu'on nous a vendu en nous cachant le sort des Indiens, l'au-delà du Bien et du Mal, et soudain, Jean-Paul Chaumeil nous fige dans la sidération. Premier roman, très bonne pioche. 

Ground Zero – Jean-Paul Chaumeil – Rouergue noir – 224 pages – 20€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 1er mars 2015







jeudi 5 mars 2015

Le vent en Poulpe



 Nick Carter apparut aux Etats-Unis il y a plus d'un siècle, dans les "dime-novels", ces revues populaires qui diffusaient auparavant des histoires de cow-boys. Après Sherlock Holmes qui symbolise dans la littérature policière la vision du monde  de l'ère victorienne, Nick Carter, dont la figure évoluera de l'enquêteur à l'agent secret, annonce un nouvel ordre mondial plus turbulent et moins raffiné.



Une transition qui s'accompagne d'un déplacement géographique: le roman anglais perd son leadership au profit du roman noir américain (même si ce schéma ignore les foyers de résistance dont Agatha Christie demeure l'emblème). Nick Carter aura des successeurs illustres, Sam Spade et Philip Marlowe, deux personnages que l'on doit aux auteurs, désormais classiques, du roman américain, Hammett et Chandler (avec la reconnaissance de la Littérature universelle, l'étiquette "noir" devient caduque).



Les aventures de Nick Carter, qui n'auront d'autre reconnaissance que celle des collectionneurs obsessionnels, étaient centrées sur l'action et les péripéties, et avaient encore ceci de particulier qu'elles n'étaient pas le fruit d'une seule imagination mais d'un véritable pool d'écrivains. En quoi d'ailleurs illustraient-elles l'avènement d'une société industrielle où les producteurs sont interchangeables et les produits standardisés. Constat banal aujourd'hui mais tabou dans l'édition (française) où l'on veille à garder à l'écrit la valeur ajoutée que lui confère aux yeux du public la solitude de l'écrivain. On tolère qu'une série télé consomme plusieurs scénaristes mais le livre reste un objet unique.





Pour rompre avec cette coutume narcissique, en 1995, Jean-Bernard Pouy et les éditions Baleine ont eu l'idée de confier un personnage récurrent à de nombreux auteurs, confirmés ou débutants. Davantage qu'un clin d'œil à Nick Carter, il s'agissait plutôt d'un détournement de procédure qui prouve que l'invention n'opère pas sur la structure narrative mais sur le traitement de l'information.





Quel est le point commun entre les Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja, Du côté de l'Enfer de Joachim Dachmann et les poèmes de Jean Genet? En dehors du fait que Jean Genet est le seul qui vous soit sans doute familier, il s'agit en l'occurrence des lectures préférées de Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe. C'est le surnom de ce héros, présenté comme "un personnage libre, curieux, contemporain (il aurait dû avoir quarante ans en l'an 2000). Ce n'est ni un vengeur, ni le représentant d'une loi ou d'une morale, c'est un enquêteur un peu plus libertaire que d'habitude."





Jean-Bernard Pouy inaugure la série en promenant son héros sur les traces sanglantes d'un couple maudit suicidé sous les boggies de l'automoteur 89931 Rouen Dieppe. Enquête coup de poing dans la bourgeoisie faisandée des bords de Manche. Amateur de haïku le temps d'un épisode, le Poulpe reprendra sa vie d'électron libre sous la plume cette fois de Serge Quadruppani pour une virée à la Seyne-sur-mer où les magouilles municipales se défont au 11,43.




Les auteurs sont invités à raconter une des aventures du personnage dont le profil est tracé dans une bible d'une dizaine de pages. Anar aux poings d'acier, Gabriel Lecouvreur est incapable de résister au désir de clarifier le mystère évoqué dans la colonne des faits divers de son journal. Chaque titre est l'objet d'un jeu de mots qui rappelle la Série noire des années cinquante. Dans "Un trou dans la zo­ne", par exemple, Franck Pavloff plonge le Poulpe dans une sombre his­toire de toxicos pourchassés par les croisés de l'ordre moral tandis que Patrick Raynal dans "Arrêtez le carrelage" l'expédie en Bretagne pour élucider le complot qui menace la tranquillité d'un petit village. Une organisation fascisante de la police est au cœur de "Un travelo nommé désir" de Noël Simsolo et "Nazis dans le métro" de Didier Daeninckx nous dévoile quelques liaisons dangereuses entre le rouge et le "brun".



Dans des romans qui se veulent en prise directe avec la réalité contemporaine, un personnage aussi peu crédible que le Poulpe est un sacré handicap pour l'écrivain. La "bible" permet d'éviter certaines extravagances dans les intrigues mais elle réduit aussi le personnage à un stéréotype esquissé en quatrième de couverture. Le héros est un médiateur, et si le médiateur est foireux, même une intrigue en béton ne pourra pas accrocher le lecteur à tous les épisodes. Disons le franchement, on se croirait parfois revenu au néo-polar de la fin des années soixante-dix.




Après bien des déboires dont on peut trouver le résumé sur le site de l'éditeur, Baleine a repris l'aventure avec de nouveaux auteurs comme Hervé Sard. A cinquante-cinq ans bien sonnés, Le Poulpe n'est pas décidé à prendre sa retraite.

Du côté de chez nous:




Les R.I.B. ici ne sont pas des relevés d'identité bancaire mais des rappeurs indépendantistes basques qui se font assassiner. Le Poulpe devra donc enquêter entre Capbreton et Biarritz pour s'apercevoir que les eaux du Golfe de Gascogne ne sont pas aussi limpides qu'il y paraît. 

Les gens bons bâillonnés - Jean-Christophe Pinpin - Baleine – 8€ - ** 






Tout le monde sait que les Ignobles n'endommagent que les intérêts du showbiz et François Darnaudet les passe en sourdine tout en réhabilitant très sérieusement l'honneur des Malvy. Tonique et bienveillant.
Les Ignobles du bordelais – Darnaudet-Malvy – Baleine – 152 pages – 8€ - *




Lionel Germain  - d'après des articles publiés dans Sud-Ouest-dimanche




mercredi 4 mars 2015

Peur blanche





 Oubliez les "Dix petits nègres", les "Six Fourmis blanches" de Sandrine Collette ne sont pas l'enjeu d'une énigme policière. Il y a Mathias, sacrificateur de chèvres dans la montagne albanaise et une équipe de touristes en promenade. A travers les voix de Mathias et de Lou dont les destins vont tragiquement se rencontrer, on découvre le milieu hostile et glacé qui transforme le Trek en cauchemar. Entre magie noire et peur blanche, le suspense est garanti. 




Six fourmis blanches – Sandrine Collette – Denoël – 275 pages – 19,90€ - 
Réédition Livre de poche janvier 2016 - 310 pages - 7,30€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 1er mars 2015







mardi 3 mars 2015

Bon à tirer







 Des tueurs à gages, quoi de plus normal dans le polar. Sauf quand c'est le monde littéraire qui paie le "bon à tirer". Poisson clown et comparses farfelus pimentent une intrigue bien rythmée dans laquelle Candy et Karl, les deux méchants, ont pris pour cible un agent littéraire peu scrupuleux. Martha Grimes s'offre un divertissement très codé, réjouissant et parfois cruel sur les coups bas et la férocité des ambitions.




Un gros poisson – Martha Grimes – Traduit de l'américain par Nathalie Serval – Presses de la Cité – 426 pages – 21€ - 
Réédition Pocket janvier 2016 - 480 pages - 7,70€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 1er mars 2015








lundi 2 mars 2015

Sauvé des eaux





 Le Privé Makana vit sur un rafiot du Caire amarré aux berges boueuses du Nil. C'est déjà une bonne raison de s'intéresser à son parcours de réfugié politique soudanais. Il a perdu sa femme et sa fille dans un conflit qui résonne encore à nos portes et le patron d'un club de foot lui demande de retrouver son champion disparu. Son enquête va le mener sur les traces d'une autre disparition 15 ans plus tôt. Famille hautement toxique.  






Les écailles d'or – Parker Bilal – Traduit de l'anglais par Gérard Chergé – 432 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 1er mars 2015