vendredi 30 janvier 2015

Il pleut des gnons!



 Le crime est son affaire. Toujours aussi chandlérien, avec "un humour caustique, un sens aigu du ridicule" et un décor pluvieux soudain rendu caniculaire pour éponger la dette californienne, voici Karl Kane, détective privé à Belfast. 




C'est sans doute parce qu'il n'est guère qu'une figure de style qu'aucun personnage réel ne peut rivaliser avec sa constitution chaotique et sa mauvaise humeur de dur-à-cuire. Malgré ses hémorroïdes, son compte en banque à sec et son instinct foireux de parieur, il lui a fallu moins d'une semaine pour séduire Naomi, sa secrétaire. Son ex lui a laissé une fille et un beau frère vraiment moche, flic à la criminelle. Un privé, un vrai, donc, une dégaine à la James Garner et des manuscrits dans le tiroir de son bureau. 




Sam Millar a tout lu. Il irrigue chaque chapitre avec des citations plaisantes. Il a beaucoup vécu aussi. Du coup, on s'y croirait.

La jeune fille qui réclame l'aide de Karl Kane pour retrouver sa sœur disparue a déniché ses coordonnées dans une cabine téléphonique, punaisées au cœur d'un lot d'adresses de filles nues. Dans un pays qui a longtemps confondu les pensionnats avec des maisons de passe, les dingos sont légions. Quelque part dans Belfast, un type découpe ses victimes et prélève le foie et les reins. Karl Kane se pommade les fesses en serrant les dents. Paré pour encaisser les gnons et affronter, comme dirait Conan Doyle, le nuage noir où se cache tout ce qu'il y a "de monstrueux et d'incroyablement méchant dans l'univers".

Le cannibale de Crumlin Road – Sam Millar – traduit de l'anglais par Patrick Raynal – Seuil - 288 pages – 22,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 11 janvier 2015



jeudi 29 janvier 2015

Aube dorique





 Un juge de Marseille part en vacances en Grèce au moment où un jeune homme est retrouvé noyé dans les calanques. Avec un titre en référence au roman de Jacques Lacarrière, André Fortin va tisser son intrigue autour des suppliciés de la dictature des colonels en 1967. On devine rapidement que la première affaire n'est pas sans rapport avec cette escapade familiale. Peu à peu, le récit imbriqué de la révolte des étudiants d'Athènes impose sa noirceur au carnet de voyage. Un beau roman sur la mémoire blessée des résistants.





Un été grec – André Fortin – Editions Jigal – 271 pages – 17€ - *** -
Lionel Germain





mercredi 28 janvier 2015

Brebis galeuse





 Elle s'appelle Rachel, brebis en hébreu, mais c'est une brebis galeuse du monde moderne où l'on pratique encore honteusement des pêches moyenâgeuses. Militante écologiste, elle réchappe par miracle d'un attentat aux îles Féroé et affronte le corps médical qui soigne son fils atteint de spina bifida. Beaucoup pour une seule femme. Elena Sender livre un portrait très dynamique et aborde de façon très convaincante le thème du transhumanisme.  





Le sang des dauphins noirs – Elena Sender – Pocket – 528 pages – 7,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 18 janvier 2015




mardi 27 janvier 2015

L'heure du laitier





 L'heure du laitier, ça évoque une aube sale un peu crêmeuse. Le laitier, dans ce roman, c'est aussi un auteur de BD malchanceux, victime d'un chantage au meurtre. Un gamin amateur de BD a tué son beau père en imitant son super héros. Malgré les vrais méchants, les faux gentils et le courant d'air froid persistant, ce nocturne des années cinquante se focalise avec tendresse sur un flic toxico amoureux d'une call-girl.  






Le dernier lendemain – Ryan David Jahn – Traduit de l'américain par Vincent Hugon - Actes sud – 416 pages – 23€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 18 janvier 2015




lundi 26 janvier 2015

Coup de dés






 Dans ce road-movie, chaque personnage court après le temps perdu. Un petit paquet de dollars oublié sur une table de nuit et Jodie, la femme de ménage, jette une première fois les dés en s'emparant du magot. On comprend vite que ses problèmes ne datent pas d'hier, qu'elle s'est déjà condamnée à la fuite à cause d'une trahison amoureuse et qu'un fils abandonné l'attend quelque part, mais la roue de la fortune est grippée.





Longue division – Derek Nikitas – Traduit de l'américain par Liliane Messika – 10/18 – 408 pages – 8,40€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 11 janvier 2015




vendredi 23 janvier 2015

Bonnes nouvelles de Simenon



 C'est Jean-Baptiste Baronian qui préface les deux tomes de cette intégrale des nouvelles de Simenon, hors Maigret. L'épaisseur de chaque volume, plus de 1200 pages par livre, donne une idée de la corpulence de l'œuvre. Dans le premier opus, Simenon avance le plus souvent masqué, "gâchant du plâtre", comme il le dit lui-même. Loin de l'empathie légendaire de Maigret, ses premiers héros comme le détective amateur Joseph Leborgne, sont dans l'air d'un temps où l'énigme est reine.



Parenthèse à ne jamais oublier, il y-a cette faille tenue au large par les biographes, même si Assouline est plus explicite que Baronian dans son excellent Simenon (Folio), les collaborations à des journaux antisémites dès son plus jeune âge et plus tard encore, en France, certains propos et une neutralité plus que bienveillante avec les autorités allemandes. Baronian pardonne Gringoire en évoquant des contributions à des journaux de gauche. Fin de la parenthèse.





La deuxième fournée écrite alors que Maigret semble en mesure de dévorer l'homme à la pipe et au chapeau, confirme sa capacité d'invention et de renouvellement. Après une petite balade pour renifler l'humeur du siècle, il était en mesure, à la fin des années 30, d'écrire chaque matin une nouvelle de cinquante pages. A côté de la série divertissante consacrée aux "dossiers de l'Agence O", on découvrira dans les textes suivants une thématique plus sombre à l'image des romans "durs" qu'il écrit alors.



Avec cet hommage au Paris interlope dans "la chanteuse de Pigalle". Un vieux flic au rebut dont les journées sont rythmées par la jeune Lili qui lui fait son ménage et par la visite d'un commissaire encore en exercice, suit de près l'enquête sur l'assassinat d'une chanteuse. On est en 1952, il y a les concierges qui vous saluent, cette vue imprenable sur le Quai de la Tournelle et les bouquinistes qui s'installent le matin. Simenon n'a pas son pareil pour capter les ambiances en quelques phrases. 




On est loin de la sécheresse stylistique des premières énigmes. Les criminels ne sont pas des gens futés et les crimes ne sont pas des problèmes destinés à défier le génie déductif des enquêteurs. Pour le vieux flic en chaise roulante, "si les assassins étaient intelligents, ils ne tueraient pas.
  
Nouvelles secrètes et policières – Simenon – Deux volumes couvrant la période 1929-1953 – Omnibus – 1200 et 1280 pages – 29€ chaque volume - ***
Lionel Germain




jeudi 22 janvier 2015

Repas froid





 C'est ce qu'on dit de la vengeance, un plat qui secrète ses conservateurs naturels. Lisette, ancienne petite fille de Pieds-noirs, à jamais traumatisée par la scène de viol et de pillage qui l'accompagne depuis son arrivée en métropole dans les années soixante, prépare le repas froid pour le bourreau de ses parents. Une sombre histoire dans laquelle le FLN n'est pas l'auteur des crimes qu'on lui a imputés. La mémoire est un trésor acide.





Trabadja – Jean-Paul Nozière – Rivages – 368 pages – 8,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 11 janvier 2015




mercredi 21 janvier 2015

Homard m'a tué





 Qui n'a jamais vu Bruges ne peut pas comprendre pourquoi le Nord et le Sud ne s'épousent-ils pas. Le Commissaire Van In est un mélange du Brunetti vénitien de la très Américaine Donna Leon et d'un héros flamand à la Van de Wetering. Dans un nuage de vapeur intégriste, il cherche à percer les mystères d'un tatouage sur la fesse gauche d'une femme découverte au fond d'un vivier à homards.  





La femme tatouée – Pieter Aspe – Traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron – Albin Michel – 295 pages – 18€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 11 janvier 2015




mardi 20 janvier 2015

A la hussarde



 Pour présenter son roman sur une chaîne de radio, Jérôme Leroy a utilisé le mot "dystopie", qui est à l'utopie ce que le cauchemar est au rêve. Nous voilà donc averti par l'auteur lui-même que ce récit de la conquête du pouvoir par le Bloc Patriotique, un parti d'extrême droite plus vrai que nature, n'engage que sa vision désespérée du monde. 




La précision n'est pas inutile pour le lecteur peu à peu happé dans le piège d'une écriture au premier degré, où la violence et la rage des deux narrateurs (l'un, Antoine, écrivain, intellectuel du parti et compagnon d'Agnès, la fille du Président, l'autre, Stanko, homme des basses œuvres et ami fidèle) se déploient le temps d'une nuit, celle où leur avenir se joue. 






Condamnation à mort pour Stanko qui représente tout ce que le Bloc cherche à oublier pour réussir sa reconversion en parti de gouvernement, reniement pour Antoine qui analyse son parcours et s'avoue condamné "au fascisme à cause d'un sexe de fille."

A la différence de la journaliste Anne Tristan en immersion au Front National à la fin des années quatre-vingt pour mieux comprendre les phénomènes d'adhésion à l'extrême droite, Jérôme Leroy travaille l'imaginaire et ne propose aucun réquisitoire. Le "Je" terrifiant de Stanko nous enchaîne à sa perte tandis qu'Antoine tutoie son double et nous renvoie à la porosité tragique des idéologies. Finalement, le roman ne fait jamais courir aucun risque au lecteur. Son plaisir secret niche au détour d'un refrain du Big Bazar qu'on peut redécouvrir sur le blog de Jérôme Leroy:
"Pour qui t'as de l'antipathie,
Les gentils.
Pour qui t'as un gros penchant,
Les méchants."

Le Bloc – Jérôme Leroy – Folio policier Gallimard – 336 pages – 7,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 novembre 2011




lundi 19 janvier 2015

Descente d'organes



 Jérôme Leroy poursuit sa chronique d'une fin de système, celui qui s'est constitué sur les décombres de la Deuxième Guerre mondiale: un régime fort protégé par les institutions gaullistes. On connaît les officines comme le SAC, Service d'Action Civique dont le rapport avec la morale républicaine était plutôt distendu, voilà l'Unité fictive de Jérôme Leroy, beaucoup plus terrifiante, et dont "l'État profond" dissimule une organisation secrète désormais indépendante du pouvoir politique élu.




Avec une partie du personnel imaginé dans "Le Bloc", on assiste aux dernières cabrioles d'un tueur et à la chorégraphie macabre à laquelle il est condamné pour échapper à son propre "effacement". Un écrivain va lui servir de caution en recueillant les abominations commises par ses persécuteurs. 

Dans ce marigot crépusculaire, Jérôme Leroy s'attache à décrire un beau personnage de femme, d'origine africaine et issue des "quartiers". 



Symbole des vertus de l'intégration à la française, elle est devenue ministre, et c'est bien-sûr le sens de ce destin exemplaire que l'auteur interroge tandis que l'extrême-droite se rapproche de plus en plus de la réalité du pouvoir.

La crainte de lire un remake du Bloc se dissipe assez vite. Jérôme Leroy réussit son portrait de "tueur-ange-gardien", le portrait d'un homme dévoré par ses propres crimes, incapable de compassion, et que seul un vertige sensuel maintient provisoirement en apesanteur au-dessus du vide.

L'ange gardien – Jérôme Leroy – Série noire Gallimard – 332 pages – 18,90€ - ***
Lionel Germain




vendredi 16 janvier 2015

Comme un vol de gerfauts




 C'est James Sallis qui le dit: "Les intrigues de Manchette (…) sont dépouillées, essentielles, archétypales". La place de son personnage, George Gerfaut, "il faut la chercher surtout (…) dans les rapports de production". C'est dans cette "production" littéraire que Manchette a cherché vainement l'issue de secours. Le malaise de Pivot recevant Manchette renvoie à la fausse décontraction de Manchette secouant la cendre de sa cigarette dans les olives. Il n'y avait pas d'olives à "Apostrophes". Avec Gerfaut, les idées de gauche tournent en rond autour de Paris. Hors du charnier natal et nulle part ailleurs, la littérature est une impasse.


Le petit bleu de la Côte Ouest – Jean-Patrick Manchette – Présenté par James Sallis - Folio policier – 192 pages – 6,20€ - **
Lionel Germain




jeudi 15 janvier 2015

Fureur de livre


Un premier chapitre à l'arraché. François Médéline joue aux osselets avec les scories du cauchemar concentrationnaire. Il y dans toute idée un peu de bave collée à la semelle des mots. C'est ce qui est réjouissant dans la poésie. Ce coup de chalumeau sur la bave. Une déjection brûlante. Les idées se défont et il reste une béance sur l'intranquillité du monde.





François Médéline est un poète. La fureur du livre est là, dans cette défaite insupportable du langage. Les idées au pied de la lettre qui voudrait leur botter le cul. L'idéologie, paix armée entre le réel et sa représentation. Ils sont très nombreux, souvent très jeunes, des auteurs pleins de rage impuissante à la recherche d'une illumination qui renverserait le ciel. Ils sont rares ceux qui réussissent à vous embarquer au large. 



Avec malgré tout des attelages encombrants, la cohorte des inspirateurs "artificiels" et donc pétaradants, parce qu'un écrivain se réduit à la somme de ses lectures multipliée par la racine carrée de ses névroses. La Maman est parfois la putain qui vous prive de sommeil. Ellroy se regarde en train de pleurer sa mère et François Médéline, comme dans "La Politique du tumulte", a du monde sur les épaules, Ellroy entre autres, qu'on renifle par exemple dans la description d'une cage à flics où infusent toutes les mauvaises vibrations de la littérature policière, celle qui condense les odeurs de pieds et de tabac froid. On développera sur Ellroy un autre jour.

François Médéline écrit un polar. Une histoire de Maman, de putain et de camps de la mort. Écrite avec des mots qui nous ramènent à l'introduction de cet article. Seule la poésie s'émancipe de la "constitution historique du langage". François Médéline évoque Rimbaud. Dans une vieille édition préfacée par René Char, on trouve cet avertissement du poète Hölderlin: "C'est par des chants que les peuples quittent le ciel de leur enfance pour entrer dans la vie active, dans le règne de la civilisation. C'est par des chants qu'ils retournent à la vie primitive. L'art est la transition de la nature à la civilisation, et de la civilisation à la nature." Cette poésie d'un âge d'or où le ciel et la terre confondaient leurs eaux a disparu. Les idéologues qui écrivent des romans ne changeront pas le monde même si l'impuissance de la littérature est encore l'objet de débats interminables. De Proust à Guy des Cars, le divertissement est à l'œuvre. L'œuvre est un divertissement. 

Comme dirait Manchette, la place du lecteur comme celle de son personnage, "il faut la chercher dans les rapports de  production". Écrire cette phrase dans un roman (Le petit bleu de la Côte ouest), ça gâche peut-être le plaisir du lecteur ou ça fait frémir d'aise l'intellectuel qui s'en veut de lire des polars, mais ça ne change rien au "divertissement", et c'est bien le problème avec lequel Manchette se débat jusqu'au bout. Mais on parlera de Manchette un autre jour.

François Médéline écrit un polar. Un flic tourmenté, des mafieux, des politiciens pourris, les rives du Lac Léman, les fantômes de Mauthausen, la Maman et la Putain. Il occupe avec habileté les lieux communs sans jamais jouer les propriétaires, avec juste assez de distance pour qu'on reconnaisse "sa place dans les rapports de production". Celle d'un écrivain.

Les rêves de guerre – François Médéline – La Manufacture de Livres – 328 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain




mercredi 14 janvier 2015

Liberté provisoire






 Karine Giébel confie qu'elle est moins obsédée par l'idée de l'enfermement que par celle de la liberté à conquérir. Pour le personnage de son dernier roman, la liberté qu'il découvre en fuyant le domicile familial a un prix fort. C'est la liberté provisoire d'un malade en phase terminale qui rencontre un autre homme, ange du mal en quête lui aussi d'une rédemption. Un bon suspense avec la mort aux trousses. 





Satan était un ange – Karine Giébel – Fleuve noir – 336 pages – 18,90€ - 
Réédition Pocket (novembre 2015) - 384 pages - 7,30€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 janvier 2015







mardi 13 janvier 2015

Palsambleu






 "Comment en sommes-nous arrivés là?", en pleine guerre fratricide de Sécession, c'est sur cette question qu'apparaît le personnage qui fermait "Les vestiges de l'aube" sur une promesse menaçante. Elle était adressée à Werner, le vampire ange-gardien du flic new-yorkais Barry Donovan. C'est décidément dans la rencontre entre ses deux personnages, un vampire "aristocrate et cultivé" et un flic dépressif que la série de David Khara fait la différence. 



Une nuit éternelle – David Khara – Fleuve noir – 311 pages – 18,90€ - **
Réédité en novembre 2015 - 10/18 - 360 pages - 8,10€
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 janvier 2015






lundi 12 janvier 2015

Fluide glacial



 Un flic désespéré peut-il trouver son salut grâce à la fraternité crépusculaire d'un vampire? Et d'abord peut-on croire aux vampires quand on a cessé de courtiser le Père-Noël? Ne répondez à ces questions qu'après avoir lu l'étrange roman de David Khara.



Barry Donovan a perdu sa femme dans les "attentats du 11 septembre", c'est un policier new-yorkais guère plus typé que les héros de série B habituels. Il enquête sur une épidémie de meurtres qui frappe des notables fortunés. Werner Von Wolinsky est un rescapé de la Guerre de Sécession. C'est lui le vampire. Un résidu brumeux d'humanité dont la nuit glaciale va se réchauffer peu à peu au contact de Donovan. La rencontre par Internet est une réminiscence des épisodes téléphoniques de SOS-Amitiés au cours desquels les suicidaires tentaient d'échapper à un destin funeste en trouvant une oreille secourable.


Et c'est son roman que David Khara sauve avec cette trouvaille. Un mélange de fluides tout à fait convenable où Donovan prête son souffle à la vapeur froide de Werner, où Werner condense la fièvre douloureuse de Donovan. Rien de spectaculaire dans la mise-en-scène du personnage fantastique hormis de discrètes évaporations sur les scènes de crime. Werner aide Donovan et Donovan ranime Werner. On peut trouver quelque faiblesse à l'argument, qu'on croie ou non au Père-Noël, mais le sujet du roman est là, quand le malheur dresse une muraille autour de nous, sommes-nous capables d'accueillir une autre âme glacée pour nous sauver nous-mêmes? 

Les vestiges de l'aube – David Khara – 10/18 – 262 pages – 7,50€ - **
Lionel Germain




vendredi 9 janvier 2015

La Machine à penser



 C'est déjà demain et ça ressemble à aujourd'hui. Big Data et Big Brother ont conjugué leurs talents dans le secret bruyant et tropical de cette salle des machines, quelque part dans un sous-sol fortifié de Palo Alto. Ce n'est plus une affaire de mémoire mais de pouvoir. Laurent Alexandre et David Angevin nous présentent Sergey Brin patron du Googleplex comme un valet privilégié mais provisoire de l'I.A., l'Intelligence Artificielle qui le laisse avec bienveillance diriger son business, ne manifestant qu'une lubie apparemment anodine, celle d'enquêter sur la mort suspecte d'Alan Turing, le père fondateur.



Le roman noir avec Robert Harris dans "Enigma" (Plon) s'était déjà intéressé en 1996 à l'extraordinaire mission de décryptage des messages codés pendant la Seconde Guerre mondiale, l'acteur "holmésien" Benedict Cumberbacht a incarné récemment Alan Turing au cinéma, mais le projet des deux auteurs français inscrit la biographie du chercheur dans le questionnement des conséquences. La "machine à penser" qu'avait imaginée Turing n'est plus un calculateur enchaîné à ses algorithmes, c'est une machine à vivre. "Elle grince, perd de l'huile et on entend son cœur qui bat". 



Au détour du biopic, le roman délivre une vision "houellebecquienne" de l'Europe, étourdie par des décennies de crises économiques. Les idéologies du XXème siècle se sont effacées au profit d'une domination sans partage du Big Data. Le transhumanisme est une réalité, les enfants sont des produits sans défaut, et Sergey Brin est persuadé que le monde est meilleur. Seul ce prodigieux cerveau peut désormais exiger qu'on lui dise la vérité sur ses origines: son père Alan Turing, homosexuel martyrisé et admirateur de Blanche Neige s'est-il réellement suicidé en croquant une pomme au cyanure?
     
L'Homme qui en savait trop – Laurent Alexandre et David Angevin – Robert Laffont – 333 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 janvier 2015




jeudi 8 janvier 2015

Gangsta flic






 Ellroy a touillé dans l'histoire de Los Angeles, mélangeant le vrai et le faux pour scénariser le crime, la corruption et l'hypocrisie puritaine de l'Amérique mais le journaliste Randall Sullivan s'est contenté de coller aux basques d'un vrai flic, Russell Poole, et le résultat renvoie L.A Confidential au rayon des bluettes. En Californie, ce sont des gangs entiers de flics noirs qui s'allument avec les rappeurs. Chaud devant. 




L.A.Byrinthe – Randall Sullivan – Traduit de l'américain par Benjamin et Julien Guérif – Rivages – 434 pages – 11€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 janvier 2015




mercredi 7 janvier 2015

Pandore s'éveille






 Nadine Monfils est une des femmes les plus charmantes de la terre ce qui ne l'empêche pas de flirter avec le diable en littérature. La série avec le commissaire Léon nimbe d'une tendresse trompeuse une galerie de portraits fracassés. "Babylone Dream" met en scène les inspecteurs Barn et Lynch aidés de la profileuse Nicki pour des meurtres en série de jeunes mariés. Dans cette ville de Pandore, les rêves d'enfants se transforment rapidement en cauchemar. 





Babylone Dream – Nadine Monfils – Pocket – 299 pages – 6,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 28 décembre 2014




mardi 6 janvier 2015

Comme un ouragan






 Dans la Louisiane dévastée, l'ouragan a mis en liberté plus d'un millier de délinquants sexuels. Une journaliste d'origine cubaine traque les violeurs en série. C'est une jeune femme qui dissimule une blessure profonde derrière un féroce appétit de jouissance. Fidèle à la Vierge et aux esprits de son île mais incapable de résister au charme d'un footballeur, elle nous entraîne dans un tourbillon salvateur. 




Après le déluge – Joy Castro – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Série noire Gallimard – 395 pages – 23€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 21 décembre 2014




lundi 5 janvier 2015

Aller simple






 Premier roman qui ressemble davantage à une incartade fiévreuse qu'à un polar, "Hors la nuit" nous projette dans un festin de cendres. Aucun résumé ne pourrait rendre justice à cette flambée éphémère et brutale. Le narrateur a disjoncté. Avec en point de mire un amour forcément déraisonnable, un amour fou, il s'enfonce dans sa nuit paranoïaque pour un aller-simple. Une très violente affaire de style. Cent pages sans rémission.   





Hors la nuit – Sylvain Kermici – Série noire Gallimard – 101 pages – 9,90€ - **
Lionel Germain


L'article de Gérard Guéguan dans SOD