vendredi 28 novembre 2014

Noir manoir





 Dans la clinique privée du docteur Chandler-Powell, chirurgien esthétique de renom, on a davantage le sentiment d'effectuer une retraite cinq étoiles que d'avoir à subir l'effroi du bistouri. P.D. James excelle dans la description des paysages figés où errent des personnages dont les secrets excitent la curiosité du lecteur. Quand une journaliste d'investigation venue se faire enlever une vilaine cicatrice est assassinée dans sa chambre, le roman d'atmosphère se transforme en roman à énigme. 




Une mort esthétique – P.D. James – Fayard – 440 pages – 22 euros - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 septembre 2009


P.D. James qui vient de s'éteindre avait publié en 2000 "Il serait temps d'être sérieuse" chez Fayard. Elle y racontait douze mois de sa vie, un an entre ses soixante-dix-sept et soixante-dix-huit ans. Par un artifice maîtrisé, on y découvrait une autobiographie passionnante dont elle démentait le titre en décrivant la mémoire comme une machine à réinventer sans cesse. "Dans cette mesure, toute autobiographie est une fiction..."

Elle évoque la guerre, son oeuvre bien-sûr et ses rapports avec la télévision, son goût pour la poésie, son travail comme directrice d'un laboratoire médico-légal de police criminelle, ses flâneries dans les garden-party royales, elle qui fut anoblie par la Reine et siégea à la Chambre des Lords. Elle était également membre de la Société Jane Austen.

"La jeunesse est le temps des certitudes. Parvenus à la vieillesse, nous nous rendons compte qu'il y a bien peu de choses dont nous soyons sûrs, bien peu de choses que nous ayons apprises; nous nous rendons compte peut-être que nous avons bien changé. Mais si je revois ma vie, je sais que j'ai reçu de grandes bénédictions."




Un amour de Swann



 Procéder par étapes: soumission, sidération, insoumission, insurrection. Quand on commence le roman d'Elsa Marpeau, on est comme son héroïne, Swann, dans les limbes de la conscience de soi. Une aubaine pour les théoriciens de la fin du monde, éructant dans le giron confortable des tribunes universitaires les promesses de grand soir ou préférant manipuler en secret les excès de testostérone de leurs étudiants.



Samuel, le compagnon prof de fac de Swann voit sa part de mystère s'épaissir quand il s'effondre, assassiné d'une balle dans le dos. La jeune fille sidérée découvre que les flics ne sont pas tous dans la police. Elle découvre aussi les camarades de combat de celui qu'elle aimait, la violence radicale, le désespoir et sa transmutation en nihilisme organisé. Autant d'oxymores qui s'accommodent de l'ancien monde et d'un nouveau désordre d'où semblent cruellement absentes l'empathie et la fraternité.




Au bout de la quête de Swann et de l'enquête des services de renseignements, il y a le Styx et ses eaux sombres. Si les plus vieux des lecteurs se souviennent du lyrisme bleuté des nuits de mai, ils n'ignorent rien de la grisaille maussade des aurores. Ils voudraient prendre la main de Swann et lui dire que le mal est fait "qu'il faut tenter de vivre". Illustrant la déréliction paradoxale des foules modernes, l'auteure en a décidé autrement. Excellent prélude à un débat sur l'ultra-gauche et la "transformation" impossible du monde. 

Black Blocs – Elsa Marpeau – Folio Gallimard – 320 pages – 7,90€ - ***
Lionel Germain





jeudi 27 novembre 2014

Armistice






 La guerre est finie. Célestin Louise, "flic et soldat dans la guerre de 14-18", rejoint les Brigades du Tigre où l'on s'interroge sur la mort d'un producteur de cinéma russe, poignardé dans les studios de l'Albatros. Le vétéran va devoir retourner sur les champs de bataille pour comprendre le passé militaire de la victime. Avec beaucoup de sensibilité, Thierry Bourcy raconte le désarroi d'un homme hanté par la violence du conflit.





Le crime de l'albatros – Thierry Bourcy – Folio policier – 274 pages – 7,90€ - **
Lionel Germain




mercredi 26 novembre 2014

Milieu hostile





 Le drame se joue au sein de l'espèce la plus redoutable des prédateurs. Collez une cinquantaine de mammifères à deux pattes autour d'un clocher et vous observerez assez vite que leur capacité de nuisance les uns envers les autres est stupéfiante. D'où il apparaît que sa survie en milieu hostile tient largement, pour l'échantillon observé, à la qualité de ses trois mamelles nourricières: vénalité, cupidité, voracité. Féroce et réjouissant.





Le bal des frelons – Pascal Dessaint – Rivages – 256 pages – 7,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 23 novembre 2014




mardi 25 novembre 2014

Rage de flic





On a la vision transversale du métier avec "Toilettes de flics" de Dominique Dayau (Elytis) mais c'est déjà l'aristocratie policière, la PJ comme on dit. Fred de Mai est un arpenteur, un prolo de la Grande Maison qui a écumé les nuits noires de nos villes. Un talent fou de conteur et une conscience aigüe du mépris qui nimbe les hommes en bleu. Beaucoup de rage dans ce livre et une grande tendresse pour les laissés-pour-compte.




Flic de rue – Fred de Mai – Rouge-sang-éditions – 220 pages – 9,80€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 23 novembre 2014



lundi 24 novembre 2014

Monsieur Pastrella






 Vous avez aimé John Fante, vous allez adorer Joseph Incardona. Pour ses excellents romans noirs et pour ce personnage d'André Pastrella qui n'est certes pas Arturo Bandini mais qui n'oublie jamais au fond de sa dèche d'écrivain en devenir que John Fante a "débarqué à Los Angeles avec sa valise attachée par de la ficelle". C'est léger, ironique et cruel parfois. Un diamant brut plein de promesses. 




Le cul entre deux chaises – Joseph Incardona – Fictio BSN Press – 205 pages – 18,80€ - ***
Lionel Germain




vendredi 21 novembre 2014

Retour d'enfer



 A chaque fois qu'on ouvre un nouveau livre de R.J. Ellory, on appréhende de découvrir les signes qui trahiraient la faiblesse de l'inspiration ou l'émergence d'un système, une fabrique dont la rumeur avait empoisonné les dernières années de James Hadley Chase, par exemple. Chase avait revisité Faulkner pour planter un décor livré aux femmes vénales et aux bad boys. Ellory ne réinvente pas l'Amérique. Il est hanté par les courants contraires qui battent ses flancs, par la prodigieuse profondeur de champ qui s'offre à lui, par les figures du mal acharnées à défaire le rêve des pionniers.




En enquêtant sur le meurtre de Nancy Denton, le shérif Gaines, vétéran du Vietnam, est confronté à son double en la personne de Michael Webster, vétéran d'une autre guerre, celle de 40, mais frère de ténèbres. L'arrière-plan envahissant de la guerre pour Gaines et Webster modifie leur vision d'un monde qu'une autre guerre dévore, masquée par les conventions sociales. Une guerre entre les faibles et les puissants, symbolisée par la famille Wade dont l'un des fils était aussi l'ami de Nancy.




L'Amérique puritaine des années 70 a la saveur amère des "étranges fruits" chantés par Billie Holiday, le parfum acide de la peur qui colle à la peau noire des gens du Sud. C'est paradoxalement dans Chandler que R.J. Ellory puise sa force. Le Chandler du Grand Sommeil et des familles fortunées en voie de décomposition. Paradoxal, parce que Chandler observe le monde se déconstruire dans l'intimité des Sternwood alors qu'Ellory explore les failles originelles du mythe. Et il nous bluffe une nouvelle fois.  

Les Neuf Cercles – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau – Sonatine – 450 pages – 22€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 16 novembre 2014




jeudi 20 novembre 2014

Gangrène municipale






 Corruption municipale et loi des gangs, on meurt beaucoup et prématurément dans cette petite ville de banlieue où les seniors servent de parking à came, moyennant finance et chantage. Dans un climat d'apocalypse sécuritaire, le capitaine Coste a l'art de mettre le feu aux poudres. Et la poudre, ce n'est pas ce qui manque dans cette jungle dirigée par des caïds au-dessus de tout soupçon.






Territoires – Olivier Norek – Michel Lafon – 395 pages – 18,95€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 16 novembre 2014




mercredi 19 novembre 2014

L'école du crime





 Si Marie Neuser ne nous apprend rien  sur les supplices d'une salle de classe et la vie périlleuse des profs, elle peaufine néanmoins le scénario catastrophe d'une rebelle décidée à affronter l'ennemi. Mais qui est l'ennemi? Les élèves décérébrés ou ces profs qui refusent d'admettre leur défaite et distribuent des coloriages aux ados de seize ans pour avoir la paix? Le "polar" autorise des solutions radicales mais politiquement très incorrectes.




Je tue les enfants français dans les jardins – Marie Neuser – Pocket – 151 pages – 5,30€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 16 novembre 2014




mardi 18 novembre 2014

Berlin noir




 Louise Welsh est britannique et vit à Glasgow. Son Berlin n'a rien de la ville colorée chère  à la jeunesse européenne. On se croirait plutôt dans le château hanté des fêtes foraines. Jane, son héroïne, est une jeune femme enceinte. Elle partage la vie de sa compagne berlinoise sans vraiment comprendre ce qui lui arrive. L'appartement, l'immeuble, la ville, sont bientôt des lieux de terreur peuplés de figures malveillantes ou en souffrance mais dont la réalité nous échappe. Comme Patricia Highsmith avant elle, Louise Welsh raconte l’ambiguïté d'un personnage que l'exil intérieur condamne à l'incertitude du monde. 



La fille dans l'escalier – Louise Welsh – Traduit de l'anglais par Céline Schwaller – Métailié – 256 pages – 18€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 16 novembre 2014




lundi 17 novembre 2014

La sueur et les crampes



 Les Cinq Nazes sont les personnages dont Arthur Keelt pensait dans Die Amsel (Le Merle – L'Atalante, traducteur et mystificateur, Jean-Bernard Pouy) qu'ils étaient les seuls à pouvoir relever le niveau ici-bas: un coureur cycliste, un curé en rupture de paroisse, un couple d'adolescents fugueurs et une fondue de rock-n'roll. Ils se retrouveront au terme de leur dérive sur les berges d'un bassin à flots, prisonniers de ce rêve du large qui vaut tous les départs.




"Faut voyager interne", dit Jean-Bernard Pouy. Aucun des personnages n'est dupe de la finalité de la course. Elle n'est qu'une exigence formelle pour échapper aux "ovaricités triomphantes et molles", aux fausses amours bunkérisées, au Dieu muré dans le tabernacle, pour s'échapper tout simplement, se retrouver seul en tête, comme dans une classique, avec sa sueur et ses crampes, "l'âme vidée".





Cinq Nazes – Jean-Bernard Pouy – l'Atalante – 176 pages – 10,50€ - **
Lionel Germain




vendredi 14 novembre 2014

Mourir au paradis



Iris, maillon faible de l'appétit glouton des moteurs de recherche s'est laissé ensorceler par une annonce publicitaire pour une île où le réel est en suspens. Avec son mari, Paul, sa fille Lou, et son fils Stanislas, ils ont "cent ans à eux tous", un siècle de modernité largué sur la magie intemporelle d'un monde "qui a gardé la trace de ce qu'il fut au premier jour."



Sauf qu'à peine arrivé au paradis, Paul a une lueur de conscience qui le fait s'interroger sur les conditions du retour. "Quel retour?", dans cette réponse esquissée en forme de question par le contact bodybuildé de l'accueil se profile enfin la véritable promesse d'un cauchemar aseptisé. 
Faux roman fantastique que les quinze dernières lignes renvoient à l'absurdité ordinaire du monde, cet "Aller simple pour Nomad Island" en restitue l'inquiétante atmosphère proche souvent du climat qui faisait le charme de la série culte "Le Prisonnier". 



Prisonniers, les touristes le sont bel et bien. Paul et sa famille découvrent des résidents qui n'ont même plus le souvenir du jour de leur arrivée. Planqué derrière des lunettes noires, le personnel indigène est mutique et Paul et son fils vont devoir se poser en résistants dans un univers programmé pour annihiler toute volonté singulière.

Joseph Inacardona pratique habilement le contre-pied littéraire dans cette fable sur le déterminisme social. Il nous présente le miroir de ce point ultime où nous logeons l'insignifiance de nos désirs. Au paradis, si toute demande est vaine, c'est bien parce que nous y sommes déjà morts.

Aller simple pour Nomad Island – Joseph Incardona – Seuil – 208 pages – 19€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 9 novembre 2014




jeudi 13 novembre 2014

Ogres de barbarie






 On découvre Dan Smith en France avec ce roman certes moins puissant et ravageur que "L'évangile du bourreau" des frères Vaïner mais tout aussi efficace dans la description du cauchemar stalinien. A travers le portrait d'un aventurier, déçu de l'Armée rouge, Dan Smith raconte la monstruosité de la Guépéou, la dérive sanguinaire des rabatteurs du régime à la recherche de travailleurs forcés et le combat d'un homme libre pour sauver sa famille.




Le Village – Dan Smith – Cherche Midi – 464 pages – 19,50€ - 
Réédition 10/18 septembre 2015 - 480 pages - 8,40€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 9 novembre 2014








mercredi 12 novembre 2014

Les faubourgs de Tel-Aviv






 Universitaire israélien, Dror Mishani étonne avec ce premier roman d'une série consacrée au personnage d'Avraham Avraham. Commandant de police aussi tourmenté que l'exigent les canons du polar contemporains, il feint  pourtant de ne pas croire à la crédibilité de cette littérature et enquête à reculons sur la disparition d'un adolescent. Une immersion très instructive dans les faubourgs populaires de Tel-Aviv.  




Une disparition inquiétante – Dror Mishani – Traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz – Seuil – 336 pages – 22€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 9 novembre 2014




lundi 10 novembre 2014

L'Assassin de Maman





 Tombstone en Arizona a été le théâtre d'un des plus fameux règlements de comptes de l'histoire américaine. C'est avec l'écho des aventures de Wyatt Earp que Justin St. Germain décrypte le drame qui a coûté la vie à sa mère. Contrairement à Ellroy, il cherche moins un coupable qu'un mobile à ce tueur, l'un des nombreux maris de cette femme que le destin a condamnée à l'errance et au désamour. Un récit autobiographique et passionnant.





Son of a gun – Justin St. Germain – Presses de la Cité – 320 pages – 20€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 9 novembre 2014




vendredi 7 novembre 2014

Barbara et Lynley



 Le dernier roman d'Elizabeth George raconte une histoire tristement banale d'enlèvement d'enfant. Le père est pakistanais, la mère anglaise, et la facilité nous pousse à voir un coupable dans la couleur du temps, musulman si possible. L'intrigue délocalisée en Toscane est d'une paresse impardonnable. L'arrière plan explosif du sujet est exploré sans conviction. Rien de bien grave pourtant aux yeux des inconditionnels de Barbara Havers la roturière et de Lynley l'aristocrate, deux flics que tout oppose depuis plus d'une vingtaine d'années.




On les retrouve au fil du temps avec un bonheur qui doit moins à leur prouesse déductive qu'aux projets de vie qui les font évoluer. Barbara a les cheveux en pétard et la confiance qu'elle place en Azhar le Pakistanais pourrait bien lui coûter sa carrière. Quant à Lynley, dans une exposition d'une grande subtilité, Elizabeth George décrit ses retrouvailles avec Dairdre, la vétérinaire croisée dans "Le rouge du pêché". 





A l'opposé du personnage d'Helen, la femme qu'il a perdue dans des circonstances terribles, elle pratique le derby roller dans ces temples du mauvais goût où l'on mange avec ses doigts une nourriture aussi colorée qu'indéfinissable. Barbara tourne une page et Lynley frise parfois le ridicule mais on les aime. Et dans l'amour, n'est-ce pas, il y a des hauts et des bas.

Juste une mauvaise action – Elizabeth George – Traduit de l'américain par Isabelle Chapman – Presses de la Cité – 697 pages – 23,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 2 novembre 2014




jeudi 6 novembre 2014

Traque de synthèse





 Que se passe-t-il quand on massacre une famille de colons israéliens en Cisjordanie? Après une enquête sommaire, on va casser du "terroriste" avec les services spéciaux. Dans une affaire de drogue impliquant la mafia russe, Pierre Pouchairet réussit l'intrigue parfaite où un flic français, une enquêtrice palestinenne et deux Israéliens cherchent la synthèse impossible. Une vision qui laisse poindre la part maudite des frères ennemis.  




Une terre pas si sainte – Pierre Pouchairet – Jigal – 296 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 2 novembre 2014




mercredi 5 novembre 2014

Hammett: Version Originale







 Le Sac de Couffignal de Dashiell Hammett raconte la mise en coupe réglée d'une ville par des émigrés russes. Ce n'est pas Sam Spade le héros mais le Continental Op, un détective chargé de surveiller les bijoux d'un mariage. La présence du texte original en page de gauche permet de comparer avec la version Omnibus de 2010.







Le sac de Couffignal – Dashiell Hammett – Traduit de l'américain par Janine Hérisson et Henri Robillot, traduction révisée, préface et notes de Natalie Beunat – Folio bilingue - 208 pages – 8,40€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 2 novembre 2014



Le 12 janvier 1961, à l'angle de Madison Avenue et de la Quatre-vingt-unième rue, la petite chapelle du salon mortuaire est pleine. Les obsèques de Dashiell Hammett réunissent Leonard Bernstein, Dorothy Parker et une poignée d'écrivains emmenés par Lillian Hellman, scénariste et auteur de théâtre à succès. Elle a vécu à ses côtés les bons et les mauvais moments, l'euphorie hollywoodienne, la dèche du maccarthysme. C'est elle qui prononce l'éloge funèbre. Elle raconte l'histoire de cet autodidacte, féru de sciences, de poésie et de littérature, capable de courir les bois pendant des journées avec un appareil auditif pour écouter le chant des oiseaux. Et elle conclut par ces mots inévitables: "c'était un type bien".



Oui, c'était un type bien. En 1951, il n'a rien lâché devant les juges de la commission qui voulaient le nom de ses copains communistes, à la fin des années trente, il s'est fortement impliqué dans la lutte contre le franquisme, à 48 ans, il s'est porté volontaire pour rejoindre les armées et participer à la lutte contre les nazis. C'était un type bien, mais sûrement pas un brave type. Véritable exercice de style, sa vie est incompréhensible sans un petit retour en arrière, sans une immersion dans l'Amérique ahurissante des années vingt. 



Les soldats démobilisés découvrent le chômage, les Noirs renouent avec les discriminations que la guerre auraient dû abolir et, suprême coup de génie, le 1er janvier 1920 est promulgué le Volstead Act qui prohibe la fabrication et la vente de l'alcool sur tout le territoire des États-Unis.

A vingt ans, en 1915, Dashiell Hammett est déjà un joueur de poker et un buveur impénitent. Embauché par Pinkerton, une agence de détectives privés, il assiste au lynchage d'un "wobbly", le nom qu'on donnait aux agitateurs, dans les mines du cuivre du Montana. Il rejoint ensuite l'armée dont il ne fréquentera guère que les hôpitaux puisqu'il est déclaré définitivement inapte en 1919 pour cause de tuberculose. Sa maladie et sa rencontre avec une infirmière vont le contraindre à l'immobilité dans la ville de San-Francisco. 

Entre deux quintes de toux, une bouffée et trois verres, il effectuera quelques boulots pour Pinkerton avant de comprendre, lui qui n'avait jamais cessé de lire, qu'il pouvait convertir ses rapports en nouvelles pour les pulps. Plus de 65 qu'on retrouve dans un volume copieux où se côtoient les aventures de l'Op, le privé rondouillard de la Continentale, quelques petits joyaux comme "Le paria" qui évoque la ségrégation raciale de manière très elliptique et trois enquêtes un peu paresseuses de Sam Spade, le privé mythique du Faucon de Malte.

Pour Hammett, c'est avec ce roman que débute la reconnaissance littéraire. En pleine prohibition, il noiera les années trente dans un océan d'alcool. A Hollywood où il a désormais pignon sur rue, même les libraires sont des poivrots, il se permet d'humilier Nathanël West, de se mesurer à Faulkner, on le compare à Hemingway. Foutaises. Être sobre, c'est constater la vanité du rêve américain et se retrouver nu au cœur de Poisonville au moment de la mitraille.  
Coups de feu dans la nuit – Dashiell Hammett – Omnibus – 1291 pages – 29 euros - ***

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 30 janvier 2011




mardi 4 novembre 2014

Broyer du noir





 "L"Indic réveille le fou qui est en vous" pour ce numéro 19 d'une revue qui s'annonce désormais comme le complément alimentaire indispensable des intoxiqués du polar. Asile, prison, amour fou et folles à tuer, on décline le thème en convoquant Thompson, Nisbet ou Harry Crews grâce aux chroniqueurs experts autour de Caroline de Benedetti. Une lecture critique mais bienveillante et en bonus une nouvelle de George Arion.




L'indic 19: Polar et folie – Association Fondu Au Noir – 40 pages – 6€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 2 novembre 2014




lundi 3 novembre 2014

Mondovision





 "Le cinéma de papa" nous offre un double voyage, comme toujours chez Jean-Bernard Pouy, du Brésil à la Bretagne en passant par la Corse et du poète Biga à Stevenson en passant par Musil. La mère de Bertrand a été assassinée. Son père collectionnait les films des années trente. Bertrand va chercher à savoir qui a tué sa mère et à comprendre pourquoi les tueurs ont dérobé un film de la collection de son père. Il va se réapproprier son enfance, réapprendre sa vie en saignant du nez et en maigrissant. Le réel est une fiction. 




Le cinéma de papa – Jean-Bernard Pouy – Série noire Gallimard – 192 pages – disponible d'occasion sur les sites de librairie en ligne autour de 3€ - **
Lionel Germain