vendredi 8 août 2014

Que la montagne est belle!



 Saint-Amand-La-Givray porte bien son nom. Entre l'étang et les pentes du Crêt du Fou, on se congèle les neurones dans le bar de l'Indiana où Otis prépare son doctorat de tatoueur. Otis doit beaucoup à sa mère, la patronne du bar, et très peu au prince du Rythm and blues. Il s'est fait quelques ennemis en massacrant les chiens du voisinage pour s'entraîner à ses gravures sur peau. Son seul ami s'appelle Marvin. 



Il est un peu plus décérébré que les autres pensionnaires de l'Indiana mais très fidèle. Difficile de contrarier son mètre quatre-vingt-dix de viande  et de contenir son impatience à exhiber le futur tatouage de son pote. Tandis que Marvin rêve d'un aigle imprimé sur sa couenne, Otis bave devant la plus belle fille du coin, Ella pour les intimes, Piggy pour les jaloux. Otis découvre l'ampleur de son cauchemar quand sa mère lui apprend au détour d'une gueule de bois qu'il a tué sa belle et que grâce à Marvin, elle a pu planquer le cadavre dans la cave. 




Assigné à résidence, il devient médium et découvre alors, en tatouant, le destin contraire de ses clients: pompier allumé, gendarme couché et désespérés anonymes.


Fermeture d'usine, chômage, ça pourrait être une chienne de vie à la Frank Bill, tellement on renifle le sud des États-Unis dans ce premier roman d'une Orléanaise qui a dû pas mal biberonner Faulkner dans sa jeunesse. Mais malgré des têtes de chapitre inspirées du juke-box anglo-saxon, elle nous assène avec vigueur le portrait d'une France sinistrée, condamnée au grattage sur un bout de comptoir.

Reste la question récurrente des polars de bonne facture: Que faire du corps? Dans un style très punchy, Alexandra Appers dissout la graisse et revitalise le genre.
   
Un mort de trop – Alexandra Appers – Ring – 263 pages – 19,95€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 3 août 2014




jeudi 7 août 2014

Aux Sources du Noir




 Trois escapades touristiques avec le père fondateur du roman dur américain. Trois nouvelles qui sonnent le glas sur la petite maison dans la prairie et les gros câlins sous un ciel clair. Trois villes pour arpenter les lieux du crime. Des patelins où rien ne ressemble au monde normal, à moins que le monde normal ne soit qu'un reflet "romanesque" du monde réel. Hammett laisse entendre que la cupidité instrumentalise les règles et qu'une société où les règles ne prévalent qu'en façade se condamne à la barbarie. Bienvenue dans l'Amérique des années vingt. 


Jungle urbaine – Dashiell Hammett – Bibliomnibus - 200 pages – 9€
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 3 août 2014




mercredi 6 août 2014

Disparitions




 Anselme Viloc, petit Savoyard, inspecteur de police en 1988 à Arcachon, est l'antithèse du héros intrépide. C'est un flic de papier, content de se noyer dans les procédures qu'on tape laborieusement à la machine. Il enquête sur la disparition d'un homme mais ce sont d'autres disparitions qui le minent, celles de sa compagne et de sa petite fille en lien avec une affaire ancienne du côté de Chambéry. Eloge des âmes simples et du temps patiemment retrouvé, il aurait été surprenant que le récit poétique et plein d'humour de Guy Rechenmann ne nous entraîne pas dans les coulisses du PMU.


Flic de papier – Guy Rechenmann – Vents salés – 280 pages – 19,50€ -
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 3 août 2014




mardi 5 août 2014

La Fête des fous



"La fête des Fous veut rappeler la présence écrasante du peuple. De leur côté, les convulsionnaires veulent par leur acte prouver la présence divine. Les uns comme les autres s'en prennent ce faisant au roi car celui-ci n'est ni le peuple ni Dieu."



Ballet diplomatique autour du mystérieux Chevalier d'Éon, convulsionnaires épris de leurs souffrances, peuple de fous qui s'impatientent, la France de Louis XV fomente sans le savoir encore son oraison funèbre. Ce que Volnay, le commissaire aux morts étranges n'aime pas chez Sartine, c'est sa volonté de contenir la colère des pauvres et de tout faire pour que rien ne change. Au passage, le moine hérétique découvre la singularité des empreintes digitales ce qui lui donne un bon siècle d'avance sur les méthodes de police scientifique. Toujours aussi passionnante, l'Histoire revisitée par Olivier Barde-Cabuçon. 



Tuez qui vous voulez – Olivier Barde-Cabuçon – Actes Sud – 384 pages – 22,90€ - **
Lionel Germain




lundi 4 août 2014

L'Espérance et la Chienlit



 En s'appuyant sur les parcours d'une jeune résistante gaulliste, Anne Laborde, d'un jeune homosexuel proche des communistes, Alain Véron, et d'un ancien collabo en rémission, Aimé Bacchelli, Gérard Delteil nous offre un panoramique sur les "Trente Glorieuses". À travers les balbutiements de l'informatique, on voit aussi se dessiner les enjeux économiques (en partie ratés en ce qui concerne la France) et se profiler les menaces sur les libertés individuelles.


Homosexuel et communiste, ce n'est pas vraiment tendance en 1946. Alain Véron doit s'apprêter à donner le change aux camarades un peu avant cette grande grève ouvrière chez Renault où la CGT et les gauchistes vont déjà s'affronter. En 1951, l'existentialisme réduit à un bal nègre, on espère apercevoir la silhouette de Sartre dans les lueurs du Vieux Colombier. Dix ans plus tard, l'Aronde joue les belles américaines et la Simca 1000 est un cercueil roulant avec son moteur à l'arrière. A la même période, les "blousons noirs" font la chasse aux pédés dans les rues de Cannes et le climat social se durcit avec l'apparition de la CFT, syndicat patronal.



Bull va renvoyer au musée les fiches perforées en révolutionnant le traitement de l'information grâce à ses machines. Le pouvoir, alors, ne tarde pas à en utiliser la puissance de calcul pour constituer ses propres bases de données dans un trou noir juridique bien commode.

Pas de génération spontanée, donc, dans la colère de Mai 68 mais le passif douloureux d'un après-guerre qui n'a jamais totalement soldé les comptes pendant la période de la reconstruction et les luttes anticolonialistes, laissant face à face les survivants de la collaboration et le melting-pot de la Résistance. 

Et quoi de plus efficace qu'une fiction pour revitaliser les mécomptes et les espérances de l'Histoire contemporaine. Depuis les années quatre-vingt, Gérard Delteil s'inscrit avec talent dans la grande tradition du roman populaire.
   
Les années rouge et noir – Gérard Delteil – Seuil – 464 pages – 22€ - **
Lionel Germain




vendredi 1 août 2014

Couleur menthe à l'eau


Tout commence dans un bar de Calais par un duo tragi-comique de durs-à-cuire. Karl et Fred, un pacte d'enfance davantage qu'une association de malfaiteurs, un frisson partagé pour le rêve inaccessible qui finit par s'actualiser dans la grisaille du réel: piquer le magot du caïd et tailler la route vers le sud.



Ils doivent leur présence au monde à une femme. Elle s'appelle Carole. Son rêve à elle, c'est le cirque. On pourrait croire qu'elle s'est laissé séduire par Karl et Fred alors qu'elle effeuille la marguerite et s'évanouit au dernier pétale, les abandonnant au bord de la route.

Mais le vrai briseur de rêve, c'est Nino Face. Il a d'abord été le protégé des deux costauds quand il chantait dans le bar du quartier. Voleur de la Super-cinq où les deux compères avaient planqué le magot, il devient la révélation de Ralph Mayerling, producteur mythique. 

Ralph a une palette de couleurs qui rythment ses rencontres, jaune criard pour Bowie, fuchsia pour Barry White et vert pastel pour Nino et sa bande. C'est pour ça que le groupe s'appellera Light Green. 

Et puis, il y a le caïd qui n'a rien oublié.

Deux gros durs, une souris, un chanteur et un méchant caïd, ça vous étoffe le casting d'un polar de l'été. En s'amusant à changer de focale, ce qu'Hervé Commère nous raconte, c'est la croisée des chemins, des brisures de parcours qui composent un patchwork étourdissant mais parfaitement construit.

Imagine le reste – Hervé Commère – Fleuve noir – 420 pages – 19,50€ -
Réédition Pocket septembre 2015 - 448 pages - 7,70€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 27 juillet 2014