jeudi 31 juillet 2014

Le Patient patient




"Je ne vais pas vous dire que je sais déjà exactement comment traiter votre cas. Mon diagnostic n'est pas complet, je m'en rends bien compte. Mais bien-sûr, et comme d'habitude, la guérison dépend du patient lui-même, hein?"








 L'homme qui parle n'est pas psychiatre. C'est Van der Valk, l'étrange flic hollandais inventé par un écrivain anglais dans les années soixante. Il est persuadé que Post, le neurologue, est coupable du meurtre d'un peintre. Adoptant la posture de l'analyste, le voilà en quête des liens impliquant les personnages et la victime, une ronde de causalités incertaines dont il faudra tamiser les scories. 





 Simenon reste la référence de cette immersion dans les abysses. Pour Freeling, la culpabilité n'a pas à être prouvée par un flic. Elle s'effondre quand une conscience blessée trouve enfin l'ami qui acceptera ses confidences. Il suffit d'être patient.


Psychanalyse d'un crime – Nicolas Freeling – Traduit de l'anglais par Paul Verguin – Bibliomnibus – 204 pages – 9€
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 27 juillet 2014



L'article de Gérard Guéguan de juillet 2013 dans SOD.




mercredi 30 juillet 2014

Le flingue et la plume


 On dit souvent que c'est l'alliance de la carpe et du lapin sans toutefois préciser qui est l'un et qui est l'autre du journaliste et du flic. Les porte-flingues sont souvent sans munitions face aux encriers sanglants des nouveaux médias.


Kent Harrington fait le portrait d'une île des Caraïbes sous influence américaine. Drogue, émeutes, musique et manipulation du FBI, le flic noir et le journaliste yankee vont devoir jouer collectif face à la disparition d'une jeune fille très cotée sur les réseaux sociaux.

L'intrigue ménage les rebondissements indispensables mais c'est comme souvent l'histoire d'une rédemption qui l'emporte. Celle de Stanley Jones, ancien du Times et poivrot accompli devenu le Saint-bernard d'une jolie femme encore plus acharnée que lui à sa propre perte. 


Tabloïd Circus – Kent Harrington – Traduit de l'américain par Nordine Haddad – Denoël – 414 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain





mardi 29 juillet 2014

Un parfum d'Arabie




 Pour qu'un roman d'aventures soit réussi, il faut savoir chorégraphier dans un espace plus généreux qu'à l'ordinaire, et saisir dans l'ordinaire des personnages les qualités qui font déborder le naze. Le naze de service, c'est un journaliste davantage préoccupé par la nécessité de boucler un reportage alimentaire que d'assurer la défense d'un vieil archéologue accusé de pédophilie. "Nos âmes sont comme ces pierres, elles savent être tendres". En cherchant le secret de Petra, le petit reporter se taillera son costard de héros. 



Tendre comme les pierres – Philippe Georget – Jigal – 344 pages – 19€ - **
Lionel Germain




lundi 28 juillet 2014

Une affaire de femmes





 "Sauvage, frondeuse, indépendante, indestructible, forte mentalement"

 c'est ainsi que se présente Nora Belhali, femme flic en grand danger après avoir réussi à franchir le cap mythique du Quai des Orfèvres. Elle est en fuite pour ne pas avoir à répondre du meurtre de son compagnon et d'une magistrate. Heureusement, elle a des potes sur lesquels elle peut compter. Hervé Jourdain, flic lui-même, se sort bien de cette affaire de femmes.




Psychose au 36 – Hervé Jourdain – Pocket – 430 pages – 7,70€ - **
Lionel Germain




vendredi 25 juillet 2014

Une enfance blessée



 Danielle Thiéry n'est pas tendre avec son héroïne, la commissaire Edwige Marion. Elle lui a collé une balle dans la tête au cours d'une de ses précédentes aventures comme si elle hésitait à en finir, angoissée par la récurrence d'un personnage dont elle n'avait sans doute pas prévu le succès. Apparue en 1996 dans "Le sang des bourreaux", Edwige Marion aura beaucoup donné d'elle-même et prouvé qu'elle avait la peau dure.






 La revoilà, ébranlée mais vivante, victime d'hallucinations et fragilisée dans sa vie sociale par les effets d'une sexualité incontrôlable. Alors que ses collègues enquêtent sur la disparition de Gabriel, un enfant de cinq ans, Marion, convalescente, explore les "cold cases" en attendant une hypothétique réintégration pleine et entière à la "crim".





 Roman après roman, Danielle Thiéry peaufine son talent d'écrivain. A l'arrêt sur image qui caractérise l'enquêteur fictif du polar, elle oppose la vérité du travail de police judiciaire et le sentiment implacable qu'une affaire en chasse une autre, transformant l'institution en tonneau des danaïdes. 

 L'enquête sur la disparition de Gabriel est aussi l'occasion d'un long flashback sur le personnage d'une femme, traumatisée par l'assassinat de ses parents et confiée ensuite aux services sociaux. Une histoire d'enfance blessée appréhendée avec justesse et qui n'est pas sans rappeler l'univers d'Elizabeth George.

Échanges – Danielle Thiéry – Versilio – 312 pages – 19€
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 20 juillet 2014




jeudi 24 juillet 2014

La messe est dite



"… la porte livra passage à un petit paquet d'homme qui paraissait aussi encombré de son chapeau et de son parapluie que s'il avait transporté une profusion de bagages. Le parapluie noir, informe, semblait à la dernière extrémité, quant au chapeau, noir aussi, (…) il était à l'évidence ecclésiastique."



 Omnibus avait déjà publié l'ensemble des enquêtes du Père Brown en 2008. On pouvait y lire sa défense du roman policier et comme le précise Francis Laccassin dans sa postface, cet éloge de "l'insignifiance sublimée". Dans ses nouvelles publiées en 1914, le rondouillard petit curé associé à son ami Flambeau, détective semi-officiel, détricote la raison raisonnante et remet l'humain au cœur du mystère. A une époque où la science affirme déjà sa prétention à gouverner les hommes, il préfère l'observation d'une jeune fille dans un pub à la froide recension des indices. Une poétique du regard.


La sagesse du Père Brown – G.K. Chesterton – Bibliomnibus – 208 pages – 9€ -
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 20 juillet 2014




mercredi 23 juillet 2014

Sévices compris





 Le héros de ce roman est le fondateur d'un cabinet spécialisé dans la traçabilité alimentaire. Autant prévenir tout de suite le lecteur, après avoir mis le nez dans ses dossiers, on n'est plus trop pressé de s'envoyer la pizza traditionnelle "Coupe du Monde" à base d'anabolisants, d'antibiotiques et d'œstrogènes. Les trafiquants asiatiques et la mafia ukrainienne l'attendent d'ailleurs pour un menu spécial, sévices compris.




Les fauves d'Odessa – Charles Haquet – Le Masque – 283 pages – 6,90€ - **
Lionel Germain




mardi 22 juillet 2014

Aux urnes, citoyens!





 Quelle chaleur! Et pourtant, c'est l'hiver. La centrale nucléaire a pété un boulon et les flocons de neige ont perdu leur innocence et leur pureté. Sur ce scénario catastrophe, Tito Topin, enchaîne sans temps morts les péripéties d'une société française au bord du chaos social. Avec une équipe de flics à la Chester Himes, on assiste au vol des cendres d'un ministre assassiné et à une demande de rançon surréaliste. Réjouissant et trépidant. 




Métamorphose des cendres – Tito Topin – Rivages – 265 pages – 8€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 juillet 2014



lundi 21 juillet 2014

Mon père, ce zéro.







 Ça ressemble à un mauvais pari de comptoir entre deux écrivains fatigués d'écumer les salons du livre. Bon, ce serait l'histoire d'une femme qui en recherchant sa mère biologique découvre que son père est un tueur en série en cavale. Éclats de rire, on remet la tournée du patron, mais pour la Canadienne Chevy Stevens, ce ne sera pas du sirop d'érable. Pari gagné, frissons tenus, et un polar pour la route, un! 





Il coule aussi dans tes veines – Chevy Stevens – Traduit de l'américain par Sebastian Dauchin – Pocket – 475 pages – 8,10€ - **
Lionel Germain




vendredi 18 juillet 2014

La main sur le coeur






 On parle de littérature d'évasion et l'échappée belle se fait parfois sur un détail narratif apparemment sans importance, un décor familier dans lequel on acclimate l'impossible étrangeté d'y vivre un drame comme celui de Clara, l'héroïne de Luc Bossi et Isabelle Polin. Transformer le périmètre quotidien entre le Grand-Théâtre de Bordeaux et la Place de la Victoire en territoire hostile.






 Mais Clara, étudiante en histoire de l'art a rencontré, François, son beau neurologue devant une toile de Hals, "L'Homme à la main sur le cœur", achetée par la ville de Bordeaux et visible au musée des Beaux-arts. C'est le deuxième détail qui nous met le frisson du roman à portée de regard.


L'homme à la main sur le coeur- Hals (1632)
Musée des Bx-Arts de Bordeaux
Cliché L.Gauthier

 Le modèle au visage fier inspire confiance avec son demi-sourire bienveillant et cette main aux articulations légèrement tourmentées qui semble accorder au spectateur une compassion sincère.

 Ces embardées paresseuses dans les marges de l'intrigue ne sont pas moins innocentes que la belle maison de François, isolée en pleine campagne. Deux meurtres ont été commis entre Chartres et Bordeaux. Et c'est de la bouche de son charmant fiancé que Clara apprend qu'elle n'est pas celle qu'elle croit être. On joue au chat et à la souris avec le mystérieux Lycaon, l'homme-loup qui a trouvé Clara. Peut-on manipuler la mémoire comme un programme informatique? Tout semble prévisible mais les scénaristes nous noient dans le regard clair du portrait de Hals.
   
Trouvée – Luc Bossi et Isabelle Polin – Fayard – 276 pages – 18€ 

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 13 juillet 2014




jeudi 17 juillet 2014

Un amour de fantôme



"Mark Tira sur sa pipe dont l'odeur rance et sucrée flottait dans la pièce. Roberto entra sans bruit pour remplir à nouveau les tasses à café. L'orchestre de la radio jouait une rumba."



 Jolie scène inaugurale, un interrogatoire mondain entre le lieutenant McPherson et l'écrivain Lydecker. Le lieutenant McPherson est amoureux de Laura qui est morte. La magie d'Otto Preminger a effacé le souvenir du livre mais avec ce roman, sa première incursion dans le genre, Vera Caspary en profite pour donner un manifeste. "Le roman policier est un excès de bruit et de fureur" qu'elle s'efforcera de tempérer en diffusant le murmure des consciences et l'écho d'un monde où la réalité est incertaine. 



 Laura n'est pas morte. Sa voix, celle de McPherson et du narrateur écrivain Waldo Lydecker achèvent de composer ce concerto poétique et sombre.

Laura – Vera Caspary – Traduit de l'américain par Jacques Papy – Bibliomnibus – 204 pages – 9€ - 
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 13 juillet 2014




mercredi 16 juillet 2014

Traque en série






 Le propre des héros modernes de "thrillers", c'est qu'ils sont parfois aussi cabossés que les criminels qu'ils poursuivent. Tony Hill, le profileur de McDermid possède un sacré dossier. Le psychopathe qui s'est évadé de prison aussi. En fait, c'est comme dans un feuilleton: le méchant a déjà une fiche dans nos bibliothèques et le voilà bien décidé à régler les comptes du précédent épisode. Coucou, fais-moi peur! 





Châtiments – Val McDermid – Traduit de l'anglais par Perrine Chambon et Arnaud Baignot – Flammarion – 415 pages – 21€ - **
Lionel Germain




mardi 15 juillet 2014

La Peau de l'ours







 C'est un formidable roman d'aventures auquel d'ailleurs, le cinéma s'intéresse déjà. En 1823, le trappeur Hugh Glass est attaqué par un grizzly dans le Missouri alors qu'il tentait un trajet inédit. Abandonné par des compagnons peu soucieux de lui laisser une chance, il va survivre à ses blessures et aux Indiens et retraverser la région avec une seule idée en tête, se venger de ceux qui l'ont trahi.




Le Revenant – Michael Punke – Traduit de l'américain par Jacques Martinache – Presses de la Cité – 352 pages – 22€ - 
Réédition février 2016 - Livre de poche - 378 pages - 7,60 - **
Lionel Germain








vendredi 11 juillet 2014

Privé du bac à sable



 Alper Kamu n'a pas écrit "L'étranger" ni "Le mythe de Sisyphe", et pour cause, c'est un môme des quartiers d'Istanbul. Pas tout à fait comme les autres, il faut le dire, puisque l'écrivain turc Alper Canigüz en a fait un surdoué en culottes courtes, teigneux et capable de se poser les bonnes questions sur la mort d'Hicabi Bey, un policier à la retraite.





 Lucide sur les bouffons qui perdent leur temps en maternelle, il boit de la bière, lit de gros bouquins mais n'a qu'un flingue en plastique pour affronter les vrais méchants. Les adultes sont évidemment effarés par l'à-plomb d'un gamin de cinq ans "qui raconte autant de salades" seulement deux semaines après avoir appris que les filles ne pissaient pas par les fesses.




 Voilà une vraie découverte, une de plus devrait-on dire, que l'on doit aux éditions Mirobole, jeune enseigne bordelaise qui s'est signalée par son flair en proposant dans son catalogue le Polonais Zygmunt Miloszewski ou la Danoise Inger Wolf dont on réédite en Folio le premier polar, "Nid de Guêpes".

 Associant psychanalyse, érudition littéraire et sagesse philosophique, Alper est un super-héros doté d'un double fictif particulièrement efficace pour échapper à la médiocrité du bac à sable. Ses prouesses déductives auraient pu en faire un monstre froid, ce qu'Alper Canigüz a su éviter en lui conservant l'impertinence de son âge face à la curiosité du monde. Réjouissant.

L'assassin d'Hicabi Bey – Alper Canigüz – Traduit du turc par Celin Vuraker – Mirobole éditions – 256 pages – 20€ - ***
Lionel Germain




jeudi 10 juillet 2014

Sorbet de glands





 Le Wyoming est une terre d'accueil toute relative dont l'aridité est une source d'inspiration pour les romanciers comme C.J. Box. Deux glands analphabètes prennent en otage l'avocat d'un vieux nazi organisateur d'un trafic de faons en zeppelin pour le zoo de Berlin. Dans ce récit passionnant et en partie véridique, la tempête de neige va jouer les premiers rôles. 





Le convoyeur du IIIe Reich – C.J. Box – Traduit de l'américain par Aline Weill – Ombres noires – 96 pages – 8€ - **
Lionel Germain




mercredi 9 juillet 2014

Sang dessus dessous





 Deuxième enquête du commissaire danois Daniel Trokic publiée en français par les éditions bordelaises Mirobole, "Mauvaises eaux" reprend les éléments classiques du suspense contemporain. Beaucoup d'hémoglobine autour de ces deux cadavres de femmes découpées en morceaux et trimballées dans des valises mais toujours la bonne distance pour un héros qu'on adopte avec plaisir. Prochain épisode en octobre.





Mauvaises eaux – Inger Wolf – Traduit du danois par Alex Fouillet – Mirobole éditions – 352 pages – 21€ - **
Lionel Germain




mardi 8 juillet 2014

Gay des Orfèvres





 Après l’assassinat d’une jeune fille toxicomane, le commissaire Daquin va vite comprendre que les commanditaires sont liés au milieu d’un club de foot qui vise le titre de champion de France. Analyse au scalpel du sport business et des ambitions politiques qui s’y greffent, cette réédition permet de redécouvrir un personnage de flic homosexuel attachant et obstiné. 
 Affairisme, magouilles politiciennes, dopage et corruption de joueurs: attention au gay des orfèvres! 




Kop - Dominique Manotti - Rivages noir – 208 pages – 8,15€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - avril 2001




lundi 7 juillet 2014

C'est loin, l'Amérique?






 Peut-on réveiller les Demoiselles de Rochefort avec ce drame inscrit au cœur de la petite ville portuaire? On assassine les ouvriers de l'Arsenal où l'Hermione, la frégate de Lafayette est reconstruite à l'identique. L'intrigue et les personnages ne séduiront certainement pas les amateurs de durs-à-cuire mais les deux journalistes maîtrisent l'arrière-plan historique d'une région qu'on découvre ou redécouvre avec plaisir.





Sinon… L'Hermione coulera – Marie-Claude Aristégui, Arnaud Develde – Caïman – 250 pages – 12€ - **
Lionel Germain




vendredi 4 juillet 2014

Show Effroi



 Avec "EFFROI", les éditions Rivages ont tenté de faire vivre de 1995 à 1997 une collection destinée à satisfaire les amateurs de frissons.





 Mais des frissons très différents de ceux que provoque le thriller, où l'irruption de l'irrationnel est, comme chez Robert Bloch dans "Psychose", la confrontation entre la pathologie d'un personnage et la normalité supposée des autres. Ici, dans cette littérature qu'on peut qualifier aussi de fantastique, l'irrationnel représente une donnée de l'univers réel, du moins celui que l'écrivain soumet à ses lecteurs. 





 Avec soit le risque d'utiliser cet irrationnel en "deus ex-machina", soit la chance de retrouver une poésie de "l'horreur", variante aboutie de l'effroi quand le grand guignol distancie ses propres contraintes.







 Dans les nouvelles policières de Poe, le sentiment fantastique qui domine est la conséquence d'une infirmité de lecture que la logique éblouissante de Dupin permettra d'effacer. On ne trouve plus trace de cette euphorie positiviste dans la littérature contemporaine qui semble même procéder à l'inverse: du raisonnable vers le chaos sensible.






 Ainsi, quoi de plus raisonnable que le départ de "Cauchemar cathodique", où l'on découvre un jeune scénariste, Alan White, prêt à tout pour décrocher le jack-pot dans l'enfer des usines à rêves hollywoodiennes. Rien n'est exagéré dans la peinture de ce milieu: tout le monde sait qu'il faut aller plus vite et plus loin que les autres pour avoir une chance d'exister. Le sexe et la violence fonctionnent comme une drogue dont il faut augmenter les doses entre les pauses publicitaires, et Alan White a concentré tous ces ingrédients dans une nouvelle série baptisée le Mercenaire.





 A partir du moment où la série va lui procurer la fortune, elle va également retourner sa brutalité et sa violence contre le monde réel qui l'a imaginée. La fable est évidente et s'éclaire encore à l'épilogue avec cette sentence de Fritz Perls: "Rien ne change, sauf à devenir ce qu'il est." A noter que l'auteur à de qui tenir puisqu'il est le fils de Richard Matheson, auteur de science-fiction et de fantastique disparu en 2013.





 Donc, la télé tue. Elle augmente sa dose de violence pour continuer à fournir l'excitation indispensable et elle modélise des spectateurs pour les apocalypses futures. Comme dit Matheson, "L.A. n'avait pas besoin d'un maire. Mais d'un réalisateur." Et c'est finalement la thèse hallucinante que développe Lary Beinhart dans "Reality Show".




 Si la nature du pouvoir aujourd'hui, c'est de maintenir le spectateur en dépendance, alors le Q.G. qui garantit le succès de l'entreprise, c'est l'Underworld médiatique. Un Q.G. bien réel qui projette l'irréalité du monde sur nos écrans. Quand George Bush s'effondre dans les sondages, le scénariste s'avance et le bunker hollywoodien s'apprête à fabriquer la légende homérique du Prince. La guerre, coproduite par le Pentagone et CNN, sera la première scénarisation de cette ampleur, avec un casting d'enfer. 




 "Ce ne sont pas les critiques qui ont tué le Viet-Nam. C'était un film ennuyeux. Trop long." Le bouquin de Beinhart est génial. Rien de ce qu'on lit ne semble farfelu et tout prouve pourtant que le monde est à l'envers.




 David Ambrose est également scénariste. Il signait en 1995 avec "L'homme qui se prenait pour lui-même" son premier roman qui fut réédité en 1999. Un type se réveille à l'hôpital après un accident de voiture et demande des nouvelles de son fils à sa femme. Celle-ci lui apprend qu'il n'a jamais eu d'enfant. Beaucoup d'habileté chez Ambrose pour nous faire partager toutes les trajectoires possibles de l'existence.




Psychose – Robert Bloch – traduit de l'américain par Emmanuel Pailler – Préface de Stéphane Bourgoin – Alvik-Moisson Rouge – 187 pages – 15,21€ - ***
Nouvelles extraordinaires – Edgar Poe – traduit de l'américain par Charles Baudelaire – Préface de Tzvetan Todorov – Folio classique – 384 pages – 5,60€ - ***
Cauchemar cathodique - Richard Christian Matheson - traduit de l'américain par Frank Reichert - Rivages "Effroi" – 359 pages – 19,67€ - **
Reality show - Larry Beinhart - traduit de l'américain par Francis Kerline – 560 pages - Folio Gallimard – 9,40€ - ***
L'homme qui se prenait pour lui-meme - David Ambrose - traduit de l'anglais par Philippe Rouard - J'ai Lu – 316 pages - 6,70€ - **
Lionel Germain – d'après un article de Sud-Ouest-dimanche – juin 1995




jeudi 3 juillet 2014

Tokyo dans les décombres


 Empruntant sa structure au Rashomon de Kurosawa, le deuxième volet du triptyque de David Peace consacré au Tokyo de l'après-guerre s'organise autour de douze points de vue symbolisés par douze chandelles qui vont s'éteindre l'une après l'autre, prenant à rebours le principe d'éclaircissement pour livrer le récit aux ténèbres. 



 Quand le crime reprend les chemins convenus du fait divers, comme ce 26 janvier 1948 où un homme prétendant soumettre les membres du personnel de la Banque Impériale à une vaccination obligatoire en empoisonne une douzaine avant de disparaître, la recherche d'un coupable ne peut pas coïncider avec l'émergence de la Vérité. Ce crime consubstantiel aux hommes qui errent dans les décombres, terrassés par la faim et par la rage de la dissolution, en dissimule un autre plus terrible commis en Chine au nom de l'Histoire.




 Le phrasé d'Ellroy a bousculé les amateurs de suspense mais David Peace prend d'autres risques. Dans un ouvrage publié aux Presses Universitaires de Rennes ("Manières de noir"), Stéphanie Benson évoque pour "GB 84" une proximité avec Joyce, un rapport commun à l'exil et une interrogation problématique sur ce qui fonde le désir d'écrire. Il est intéressant de noter les fréquents allers-retours entre terre native et terre d'accueil chez un auteur dont la puissance poétique s'incarne à ce point dans l'apparente dépossession du narrateur. C'est à lui pourtant qu'appartient cette voix, bombe à fragmentation qui détruit la toute puissance mensongère du récit et abandonne l'écrivain au chevet d'un encrier de larmes. Un livre majeur.

Tokyo ville occupée – David Peace – Rivages noir (février 2012) – 416 pages – 10,65€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 14 novembre 2010




mercredi 2 juillet 2014

Mauvais nuage


 Qu'est-ce qui fait courir David Peace? A-t-il réellement cru à une époque que le tueur du Yorkshire était son père? Si oui, cela pourrait expliquer cette proximité revendiquée avec James Ellroy. Après sa tétralogie sur le Yorkshire qu'on a comparée au travail de l'Américain sur Los Angeles, David Peace a réglé encore quelques comptes avec l'Angleterre Thatchérienne dans "G.B.84" (Rivages) avant de s'attaquer à un nouveau cycle sur le Japon, pays où il vit depuis plus d'une dizaine d'années.



 Tokyo Année zéro, c'est la chronique hallucinée d'un clap de fin. Un mauvais nuage sur Hiroshima, la fin du monde, des survivants qui s'interrogent sur les raisons d'être encore là, hébétés dans les décombres d'une splendeur impériale. Une musique obsessionnelle, répétitive, qui bourdonne dans les tuyaux bouchés d'un orgue de barbarie. Au cœur de ce crépuscule jonché de cadavres, un flic enquête sur une série de meurtres de jeunes filles. L'homme n'est lui-même qu'un sursitaire, il titube à la recherche d'un assassin, l'âme encombrée de ses propres reniements. 



 Cette écriture paroxystique ne faiblit pas de la première à la dernière page. C'est la force et la faiblesse d'un roman tendu à l'extrême, avec un tempo qui menace non pas l'auteur mais le lecteur de manquer de souffle.

Tokyo Année zéro - David Peace - Rivages-noir - 512 pages – 10,65€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – mars 2008




mardi 1 juillet 2014

Nocturne marseillais






Gilles Vincent reprend les figures esquissées dans la presse, celle du djihadiste, de la gosse de banlieue, du bourreau pédophile et de sa complice. Il s'empare de l'air vicié du temps sans jamais verser dans l'outrance, avec la complicité de sa femme flic, Aïcha Sadia, dont le nom provoque sans doute quelques grimaces anonymes sur le web. Il faut une certaine grâce pour habiter les cœurs meurtris et s'inviter dans la douleur du siècle.



Trois heures avant l'aube – Gilles Vincent – Jigal – 224 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 29 juin 2014