Perdre le Nord

 Sofia Zetterlund et Jeanette Kihlberg, psychothérapeute et enquêtrice, sont sur la piste d'un tueur en série. Encore une affaire suédoise et on a envie de passer son chemin, fatigué de subir la pression affectueuse de l'air du temps qui vous promet du grand Nord à chaque rentrée éditoriale (il y en a une tous les trois mois avec des enjeux différents selon la couleur du ciel). Mais méfions nous du réflexe inverse, de l'effet de meute opposé. Premier volume de la trilogie "Les visages de Victoria Bergman", Persona est basé sur le trouble identitaire et ses personnages principaux ont vite fait de vous embobiner.

 Le mari de Jeanette est un homme au foyer, artiste velléitaire et peu désireux de trouver un travail salarié. Amusant de constater que le fantasme du modèle suédois ne paraît pas convaincre les Suédois eux-mêmes. Quant à Sofia, la psychologue, elle produit une analyse glaçante du comportement pédophile. Sa propre personnalité fait mystère et réserve bien des surprises. 

 Questionnant la souffrance et ses limites, Persona est une étude en noir sur l'âme humaine. 

Persona – Erik Axl Sund – Traduit du suédois par Rémi Cassaigne – Actes-Sud – 475 pages – 23€ - ***

Lionel Germain

lire aussi sur le site de l'éditeur Actes-Sud

La mer à boire

 Avec la mafia aux trousses, le héros ukrainien d'Emmanuel Grand est doté d'un karma plutôt sévère. Réfugié sur une île bretonne avec gnôle à tous les étages, il devra bientôt se méfier davantage encore des légendes alcoolisées et de la chaleur bourrue des pécheurs. L'ange de la mort invite  les imprudents sur le récif. Ce n'est peut-être pas la mer à boire mais ça vous met la rate au court-bouillon. Suspense irradié.

Terminus Belz – Emmanuel Grand – Liana Levi – 368 pages – 19€ - **

Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 26 janvier 2014

Un amour de coach

 Une équipe de pom-pom girls, ce n'est pas une joyeuse bande de copines qui font des cabrioles avant le match de basket pour les beaux yeux des supporters. Le roman de Megan Abbott nous invite à découvrir au-delà des plaies et des bosses bien réelles qu'elles s'infligent, les bleus à l'âme de ces gamines enfermées dans les rivalités et les luttes de pouvoir. Et quand la coach est amoureuse, les filles ont le cœur qui saigne.

Vilaines filles – Megan Abbott – traduit de l'américain par Jean Esch – Lattès – 350 pages – 20,90€ - **

Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 26 janvier 2014

Secrets posthumes

 Premier roman dont une adaptation cinématographique est en cours, nous dit l'éditeur, "Mourir, la belle affaire " est une œuvre de deuil, une flaque sombre d'où émergent les secrets des corps martyrisés. Dans la ville de Quito en Équateur, Arturo Fernandez est médecin légiste. Penché sur les victimes dont il déchiffre les viscères à la manière d'un haruspice, il pèse les âmes comme un comptable du destin.

Mourir, la belle affaire – Alfredo Noriega – Traduit de l'espagnol par Nathalie Lalisse-Delcourt – Ombres noires – 244 pages – 19€ - ***

Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 26 janvier 2014

Mauvais alcool

 Depuis Lawrence Block et James Lee Burke, on sait que l'alcool n'est pas un accessoire de beauté masculine destiné à doper l'imaginaire des lecteurs mais un poison qui vous prive de votre âme. C'est toujours le cas de Cody Hoyt, flic qui enquête sur la mort de son parrain aux Alcooliques anonymes. Les démons de cette drogue légale hantent ce héros solitaire dans le décor époustouflant de Yellowstone.

Piégés dans le Yellowstone – C.J. Box – Traduit de l'américain par Freddy Michalski – Seuil – 442 pages – 22,50€ - **

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 26 janvier 2014

Berlin l'Enchantée

 A Berlin, capitale constituée à partir des ruines d'un système totalitaire, les promoteurs font valser les milliards comme des joueurs de bonneteau. C'est sur la nature vertigineuse de ce projet que va déboucher l'enquête de Zollander, le héros du livre, un policier dont la carrière a commencé sous les auspices des autorités staliniennes, exhumant les zones d'ombre de l'intégration après la chute du mur et réveillant les fantômes de son propre passé.

 A travers Elin, la squatteuse de Berlin, Wolfram Fleischhauer brosse en creux le portrait de toute une jeunesse "alternative", impliquée dans un réseau d'échanges où le troc, la solidarité et la méfiance envers les institutions construisent le contre-modèle allemand dont on parle peu mais qui modifie en profondeur la géographie berlinoise.

photo LG-2012

Torso – Wolfram Fleischhauer – Traduit de l'allemand par Sabine El Sayegh – Jacqueline Chambon – 412 pages – 23,50€ - ***

Lionel Germain

Caméléon

 Manuel Carrapisque se souvient vaguement qu'il est journaliste et qu'il a eu un accident de voiture. Mais son voisin de chambre, un Indien Mapuche, attire les soupçons de la police et réveille sa conscience professionnelle. Identités multiples et vérités douteuses pour un récit vertigineux qui recoupe inévitablement l'histoire de la dictature argentine et la prodigieuse capacité du mal à déguiser ses apparitions.

Ton avant dernier nom de guerre – Raùl Argemi – Traduit de l'espagnol par Alexandra Carrasco-Rahal – Rivages – 159 pages – 7,65€ - ***
Lionel Germain

Décès en CDD

 Les tueurs sont des travailleurs comme les autres même si leurs contrats sont plus facilement révocables. Ce roman sur la passation de pouvoirs chez les truands démontre de façon accablante que l'économie légale n'est qu'un versant édulcoré de l'activité criminelle. Mêmes enjeux, mêmes ambitions, avec une différence qui explique le succès des vitrines officielles: la mort physique sanctionne plus rarement les mauvais investisseurs.

Comment tirer sa révérence – Malcolm Mackay – Traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez Battle – Liana Levi – 288 pages – 18€ - ***
Lionel Germain

Village postiche

 Louis Denfert, le journaliste du "Petit Éclaireur", qui ne rêve pourtant que de buildings et de lumière électrique sur les façades du Nouveau Monde, va faire connaissance avec l'Afrique coloniale. Comme toujours, Brigitte Aubert réussit à effacer son travail de documentation pour nous laisser voyager dans cette France de 1898 où l'on importe en toute innocence les villages dahoméens au Jardin d'Acclimatation. Meurtres ritualisés, magie noire et racisme ordinaire.

Le royaume disparu – Brigitte Aubert – 10/18 – 384 pages – 8,40€ - **

Lionel Germain

Anti-stress

 Pour les gros consommateurs de polars, Olivier Gay a imaginé une ligne éditoriale qui donne de la couleur au noir. Fitz, personnage politiquement incorrect, est un rempart contre la sinistrose. Les raisons de vouloir se débarrasser de son corps ne manquent pas même si les filles lui tombent facilement dans les bras. Il se pose parfois des questions sur la morale de son parcours. Personne n'est dupe mais c'est calibré au gramme près et on en redemande.

Mais je fais quoi du corps? – Olivier Gay – Le Masque – 301 pages – 16€ - **

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 19 janvier 2014

"Ça, c'est Los Angeles!"

 On a vu lundi que plus de 20 ans après sa première apparition, le privé de Robert Crais a encore du répondant. Il avait 35 ans en 1987 et exerçait depuis sept ans. Payé 2000 dollars au forfait, il faisait déjà équipe avec l'ancien baroudeur du Vietnam, Joe Pike. Le succès, c'est d'avoir aujourd'hui sa fiche sur Wikipédia. Elle rappelle le Dan Wesson glissé dans l'étui, la "corvette décapotable jaune jamaïque de 1966", les longues rasades de Glenlivet, le bureau sur Santa Monica et la maison sur Woodrow Wilson mais elle ne nous dit pas tout.

 De son vrai nom Phillip James Cole, sa mère décida de le changer légalement en "Elvis" après avoir assisté à un concert du King. Lui pense ressembler à John Cassavetes ou Tony Dow mais une gamine derrière un comptoir lui trouve un air d'Andy Summers, ce qui ne devrait pas rajeunir les amateurs du groupe Police.

 Sa maison avec terrasse est bien perchée sur les hauteurs, au sud de Laurel Canyon, ce qui lui permet le soir d'admirer les lumières d'Hollywood, comme "des milliers de diamants blancs éparpillés sur la terre". Dans cette première aventure, quand il aura sauvé la veuve et l'orphelin victimes d'un gros trafiquant amateur de tauromachie, il pourra se reposer sur son balcon en mangeant un sandwich au corned-beef avec de la moutarde chinoise.

"Une légère brume vers le sud et vers l'ouest, et, au nord, très haut au-dessus des montagnes de Santa Monica, une mince bande de cirrus. L'air était transparent et humide. Il ne faisait pas encore très chaud mais c'était pour bientôt. Ça, c'est los Angeles."

Prends garde au toréador – Série noire Gallimard – 316 pages – 38€ sur Price Minister - **

Lionel Germain

Une femme en colère

 A partir d'une intrigue somme toute assez banale dans le polar contemporain (l'enlèvement de deux fillettes martyrisées et assassinées par les membres d'un réseau de pédophiles), Cristina Fallaras crache le lamento désespéré d'une féministe marginale. Avec un portrait au vitriol d'une femme qui concentre tout ce qui alimente la rage de l'auteure: l'écologie de salon, l'humanisme de principe et l'absence de chair. Une écriture ciselée pour la révolte et le dégoût du monde. Prix Dashiell Hammett 2012. 

Deux petites filles – Cristina Fallaras – Traduit de l'espagnol par René Solis – Métailié – 214 pages – 17€ - ***
Lionel Germain

Fustigation

 On peut retrouver chez 10/18 la série consacrée au personnage d'Adélaïde Lenormand, la cartomancienne de la Révolution française aux rêves prémonitoires. Dans cet épisode, Nicolas Bouchard raconte les mésaventures du marquis de Sade, escroc dans la débine, contraint de pondre un opéra obscène pour survivre. Frappée par la mise-en-scène qui entoure les meurtres de certains hommes politiques, Adélaïde va croiser le chemin du marquis. Une vision très coquine de l'Histoire.

La Sibylle et le marquis – Nicolas Bouchard – 10/18 – 336 pages – 8,40€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche pour l'édition originale chez Belfond – 10 juin 2012

Sans tambour ni trompette

 Désormais la guerre est tellement installée dans la mentalité américaine que le retour d'un vétéran au pays passe aussi inaperçu qu'une fusillade dans la cour d'un collège. Quinn Colson revient pour enterrer son oncle. Il pleut sur le Mississippi et pendant que l'Empire livre ses derniers assauts loin de ses côtes, la corruption ordinaire continue au village. Semblable aux durs-à-cuire de la légende, Colson ferait un bon shérif.

Retour à Jericho – Ace Atkins – Traduit de l'américain par Jean Esch – Le Masque – 316 pages – 22€ - **

Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 12 janvier 2014

Rats du désert

 Elvis Cole n'a pas pris une ride depuis plus d'une vingtaine d'années et le voilà sacré "meilleur détective du monde" par les journaux. Il y gagne une nouvelle cliente, une femme dont la fille a été victime d'une prise d'otage crapuleuse. Entre le Mexique et la Californie, la zone frontière appartient aux mafias qui se partagent le trafic des clandestins. Le désert n'est souvent qu'une sépulture à ciel ouvert. 

Coyotes – Robert Crais – Traduit de l'américain par Hubert Tézenas – Belfond – 371 pages – 22€ - **

Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 12 janvier 2014

Faim d'immonde

 Boxeur s'administrant la punition, colosse aux pieds d'argile, femme boulimique perdue dans un concours de beauté, ploucs moches et méchants, les personnages d'Harry Crews ont tous quelque chose de démesuré qui nous renvoie l'image d'un monde en perdition. Dans ce roman écrit à la fin des années soixante, on trouve la quintessence de cette exubérance féroce  avec laquelle l'auteur disparu en 2012 a fécondé toute son œuvre.

 Sur une terre épuisée par l'exploitation minière ne reste qu'une douzaine de familles unies autour de Fat Man, un obèse de 300 kilos pour 1m65, montagne de graisse impotente, épaulée par Jester, hypothétique jockey d'un mètre vingt deux pour 45 kilos. Tous ces cabossés de l'Amérique profonde s'accrochent à la chimère infusée par Fat Man, propriétaire des lieux après un subterfuge de l'exploitant parti avec ses pelleteuses sans espoir de retour. 

 Le tas de sable ne produit plus que des taxes foncières mais il est pourtant convoité par Dolly, une ex-reine de beauté. Elle défie l'espoir d'un "revival" industriel en installant ses télescopes sur les collines pour permettre aux touristes de contempler les monstres de son "parc". 

 Et tandis que Jester ne monte plus qu'un cheval à bascule pour un public de voyeurs, que Dolly prépare l'avenir, celui d'un monde affairé au spectacle de sa propre mort, Fat Man, baudruche affamée qui enfle au sommet de la colline, réserve au lecteur un final absolument grandiose. 

Nu dans le jardin d'Éden – Harry Crews – Traduit de l'américain par Patrick Raynal – Sonatine – 236 pages – 19€ - ****

Lionel Germain

Frisson d'hiver

 Si on se met à assassiner les profs de prépa, que va devenir la France? Bernard Minier n'hésite pourtant pas une seconde. On tremble autour du lycée de Marsac, cette petite ville du Sud-Ouest inventée par l'auteur. Il y a la figure inquiétante du psychopathe de "Glacé" qui accompagne le commandant Servaz mais le jeune amant de la prof ferait aussi un coupable idéal. Un bon gros frisson pour l'hiver.

Le Cercle – Bernard Minier – Pocket – 790 pages – 8,40€ - **

Lionel Germain

Du nouveau à l'Est

 Dernier volet de la trilogie de Belfast, les âmes volées de ce roman sont celles des filles de l'Est sous la coupe d'une mafia lituanienne en cheville avec un groupe de Loyalistes. Après avoir tué son protecteur, Galya, prostituée ukrainienne trouve protection auprès d'un ange gardien, psychopathe animé d'une foi exigeante et mortelle. Un beau combat pour le policier chevalier Jack Lennon à la veille de Noël.

Âmes volées – Stuart Neville – Traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau – Rivages – 412 pages – 22€ - **

Lionel Germain

Silence coupable

 Le suspense qui oppose la curiosité du lecteur à l'espoir d'une révélation est un exercice d'une extrême complexité pour lequel Lisa Gardner n'est pas la moins douée. Sophie, une fillette de six ans a disparu. Est-ce pour la protéger que Tessa Leoni, femme flic empêtrée dans une accusation de meurtre, garde un silence coupable? On se gardera bien de vous donner la réponse mais sachez que l'affaire est ficelée pour vous laisser la langue pendante jusqu'à la dernière ligne.

Preuves d'amour – Lisa Gardner – Traduit de l'américain par Cécile Deniard – Albin Michel – 436 pages – 20,90€ - ***

Lionel Germain

Potins de sa mère

 Karim Madani poursuit l'exploration de "cette ville qui ne dort jamais", Akestra dont la violence électrique avait séduit les lecteurs du "Jour du fléau". Au cœur du ghetto juif tenu par la mafia, Maxime tente de sauver de l'hospice sa vieille maman délirante. Dans cette guerre des gangs sur fond de trafic d'herbe, Madani signe un très bon roman noir où s'impose le personnage de Maxime, tendre et désespéré.

Casher Nostra – Karim Madani – Seuil – 288 pages – 19€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 décembre 2013