jeudi 14 novembre 2013

Melting Cop




 Ça fait belle lurette que Wambaugh n'arpente plus le bitume mais il a été flic. Il a même écrit ses premiers romans policiers alors qu'il était encore en service et nul autre que lui ne réussit mieux ce mélange de réalisme et d'invention. Un réalisme déjanté qu'on retrouve dès l'ouverture, cinq pages de dialogues entre deux seconds couteaux de la brigade de Hollywood. Le ton est donné: pas de super héros mais une bande de pieds-nickelés assermentés. 
 
 
 
 Andi McCrea, 45 ans et 24 ans de patrouille, avec un fils en Irak et la volonté farouche de s'en sortir,  continue ses études pour devenir inspectrice. Victor Chernenko, le flic ukrainien, essaime ses propos de jeux de mots involontaires par méconnaissance de la langue anglaise. Tandis que Budgie Polk, la grande, élève son fils de quatre mois, Mag Takara, la petite, enfile des talons aiguille pour traquer les amateurs de filles faciles. Wesley Drubb rêve de l'anti-gang. Hollywood Nate se verrait bien en haut de l'affiche. Et l'Oracle, enfin, saint patron de la brigade. Il a 69 ans et la trouille de rendre les armes.
 
 
 
 
 La guerre qu'ils mènent les oppose à une foule de délinquants dérisoires, camés en mal de crack, artisans du crime à la recherche de l'éternel jackpot. Il ne reste du théâtre chinois Grauman qu'un temple de dupes sur le parvis duquel une armée de faussaires cherche à détrousser les touristes: fausses Marilyn, faux superman destinés à ramasser les miettes du grand barnum industriel. Ce petit faubourg de Los Angeles crache les marginaux sur le pavé comme une machine infernale mais la vision éclatée du monde que propose Wambaugh nous épargne les envolées condescendantes. La patte du romancier, c'est justement cette capacité à saisir l'humanité parquée du mauvais côté de la frontière, là où campent avec une douloureuse incertitude les soutiers du rêve américain: semper flicus.
 
 
 
 
 
 
 Toujours en compagnie de ce héros collectif auquel Ed McBain consacra une œuvre monumentale, la lumière des étoiles mortes n'en finit pas d'asservir la faune du Walk of Fame."L'envers du décor" reprend quelques unes des figures emblématiques de cette police de proximité. Les patrouilleurs connaissent la plupart des fantômes de la ville. Certains leur renvoient une image inversée d'eux-mêmes, comme un négatif de leur apparente normalité. Hollywood Nate est un policier qui courtise le rêve impossible d'une carrière d'acteur de la même façon que Dewey, truand à la petite semaine en ménage avec une harpie, est un comédien sans rôle, condamné à usurper des identités multiples pour convertir ses échecs au cinéma en victoires crapuleuses.
 
 
 En guise de bouquet final, Joseph Wambaugh interrompt la farandole des faits-divers et dynamite la petite entreprise de ce couple de malfrats. Mais le sujet du livre, c'est bien-sûr cette portion de colline, vaisseau amiral d'une civilisation qui n'a plus que les oripeaux de sa grandeur et dont le Capitaine Crochet a pris la barre.
 
Flic à Hollywood - Joseph Wambaugh - Seuil Policiers - 376 pages - 21,50€
L'envers du décor du décor – Joseph Wambaugh – Seuil – 466 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche –  Juillet 2008 - décembre 2010