jeudi 20 décembre 2012

Hôtel du Nord


Trois bouquins posés sur la table de chevet pour une traversée vers les lumières froides et les sonorités rugueuses. Norvège, Islande, Suède, trois escapades, trois nuitées, trois étoiles. Taxe de séjour: quarante-huit euros et soixante centimes.
 
 
 
NUIT 1: LA COMPLICITÉ DU GEL
 
Premier roman d'un Norvégien qui a obtenu le prix des Libraires pour ce polar, chronique réussie d'un village où l'hiver est une saison de l'âme.
 
 
 
 
 
 
 Dans les polars venus du Nord, on ne résiste pas dans un premier temps à cette étrangeté climatique, cet au-delà du froid qui ne correspond à rien de connu sous nos latitudes. Une partie de la Scandinavie se situe au-dessus du cercle polaire alors que l'Islande flirte avec cette frontière naturelle. Près de 80 pour cent des 5 millions de Norvégiens habitent le sud où se concentrent les villes mais la plus grande d'entre elles, Oslo, a une population inférieure à celle de l'agglomération bordelaise. Cette confédération de villages ancrés autour des lacs et des fjords abrite des hommes silencieux, adeptes d'un christianisme austère. C'est le deuxième temps de la fascination, l'homme des saunas courant nu dans la neige entre deux sermons du pasteur. Un portrait mythique bien-sûr, mais les éditeurs français ont compris sa puissance exotique. Cet arrière plan social et religieux s'impose à la lecture du premier roman publié en France de Levi Henriksen.
 
 Son héros, Dan Kaspersen, revient dans son village après un détour par la case prison pour une affaire de trafic de drogue. Dans la ferme familiale, plus rien ne peut le retenir: ses parents sont morts, son frère s'est suicidé un peu avant sa sortie de prison, une machination le réduit à son statut de criminel et semble lui interdire une réintégration au sein d'une  communauté, complice par son silence du gel qui assiège les mémoires. C'est donc une histoire de rédemption contrariée que nous raconte Henriksen. D'abord par la culpabilité que Kaspersen éprouve vis à vis de la mort de son frère Jacob, ensuite par les enjeux de classe qui le séparent des notables. En revisitant ses souvenirs, il nous permet d'appréhender le fonctionnement tribal de ses sociétés villageoises: luthériens contre pentecôtistes, riches contre pauvres, Bible contre Bible. Henriksen déploie son intrigue policière avec habileté en la nourrissant d'une chronique de la vie paysanne d'où émerge le portrait réussi et très attachant d'un homme de bonne volonté.
 
Du sang sur la neige – Levi Henriksen – Presses de la Cité – 355 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 24 octobre 2010
 
 
 
 
 
NUIT 2: NOIR D'ISLANDE
 
 
 
 
 
 La particularité du roman nordique, c'est cette lenteur qu'on retrouve dans des atmosphères plus proches de Simenon que de l'effervescence stylistique de James Ellroy. Depuis la Cité des Jarres, on sait que l'Islandais Arnaldur Indridason appartient à cette famille d'écrivains. Il y a le froid et l'arrière-plan presque dépressif de cet hiver arctique mais sa singularité tient peut-être autant à la proximité des pôles qu'au caractère insulaire de son œuvre. La géographie commande le style. On imagine Reykjavik comme un village où les destins se séparent la nuit venue derrière la buée hostile des carreaux. Les âmes repliées sur une chaleur capitalisée en secret déclinent leurs sentiments avec parcimonie. Au cœur de ce monde clos flanqué de brumes, l'exhibitionnisme dénote un manque de savoir-vivre.
 
 Jamais consolé de la mort de son frère dont il se sent responsable, le commissaire Erlendur est le flic le plus malheureux du monde. Son humanité bien réelle transpire sans s'ébruiter. Incapable d'étreinte, il nous plonge avec lui dans un désespoir sans nom. Parce qu'on l'aime, Erlendur. Il est bien le seul à comprendre le chagrin des mères. A saisir le désarroi d'une population immigrée que les indigènes méprisent. A écouter loin dans la nuit les pleurs d'une femme au téléphone. A réussir le pari de demeurer, livre après livre, ce héros désenchanté qui nous enchante.
 
Hiver Arctique – Arnaldur Indridason – Métailié – 335 pages – 19€ - Point Seuil - 7,60€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 29 mars 2009
 
 
 
 
 
 
 
NUIT 3: HÔTEL DU NORD
 
 
 
 Une lumière froide et cette sensation que les nuits seront interminables imprègnent Winter, le bien-nommé, commissaire de la police criminelle de Göteborg en Suède. Ce flic hivernal qui rêve aux nuits d'été sur la Costa del Sol, traque avec une lenteur assumée l'assassin d'une jeune femme retrouvée pendue dans une chambre d'hôtel. Le souvenir d'une autre disparition, dix-huit ans plus tôt au même endroit, le persuade d'un lien mystérieux entre les deux affaires. Un clair-obscur très maîtrisé.
 
Chambre numéro 10 - Ake Edwardson - 10/18 - 500 pages - 8,60€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 16 novembre 2008