mercredi 31 octobre 2012

Une si longue absence




Personnage central de l'œuvre d'Indridason, le commissaire Erlendur s'est fait la malle depuis deux épisodes. Quel est le sens de cette disparition? A quoi joue le romancier quand il efface le personnage "récurrent" autour duquel est censé s'organiser l'univers des autres protagonistes?


 En l'absence d'Erlendur, dont les vacances se prolongent, c'est Sigurdur Oli qui tient la boutique policière avec Elinborg, la femme de l'équipe. On retrouve les échos des affaires précédentes et Indridason en profite pour approfondir le personnage de Sigurdur Oli, notamment les rapports compliqués qu'il entretient avec son ex et le regard partagé entre effroi et compassion qu'il porte sur son père atteint d'un cancer de la prostate.
 
 Bien-sûr, il y a cette enquête qui remue les eaux troubles de la finance, mais aussi passionnante qu'elle soit, le lecteur en est subtilement détourné le temps d'un coup de fil d'Eva Lind, la fille d'Erlendur, cherchant à savoir si son père a donné de ses nouvelles. Et c'est là qu'on réalise l'habileté d'Indridason.
 
 Pour le lecteur, le monde s'organise autour de cette absence forcément anecdotique si on change de point de vue. Cette feinte nous promène du monde du roman, autarcique et centré sur la figure du héros, à un pseudo roman du monde dont le surgissement et la pertinence se nourrissent en secret de la disparition d'Erlendur. A chaque nouvel épisode sans Erlendur, le lecteur est livré à cette illusion que le monde peut continuer sans lui, que sa vie ou sa mort sont sans effet sur le réel, que dans le roman à venir se recroiseront sans fin les mêmes terreurs et les mêmes personnages. Et pourtant, une seule question vient au lecteur au moment de refermer le livre: Mais où est donc Erlendur?

La muraille de lave – Arnaldur Indridason – traduit de l'islandais par Éric Boury – Métailié – 319 pages – 19,50€ - ****
Lionel Germain



mardi 30 octobre 2012

Serial dragueur






Quel joli titre! Prix du premier roman du festival de Beaune, Olivier Gay peut effectivement remercier Mona qui a trouvé cette si poétique accroche. Les filles de la nuit sont la cible d'un tueur en série et le narrateur-enquêteur est lui-même un noctambule, revendeur de coke. C'est au nom des vieux souvenirs que son ex-femme, flic en charge du dossier, le transforme en détective avec ses potes toxicomanes. Vérité du personnage et légèreté du style font pardonner une intrigue un peu faiblarde dans sa conclusion.




Les talons hauts rapprochent les filles du ciel – Olivier Gay – Le Masque – 380 pages – 6,60€ - **
Lionel Germain



lundi 29 octobre 2012

Naissance d'une police scientifique





Le commissaire Kolvair, unijambiste, cocaïnomane et désabusé, enquête dans ce deuxième épisode de la série sur le meurtre d'un homme d'affaires. En arrière-plan de l'intrigue où se façonnent les rudiments de la science policière, on découvre la ville de Lyon en 1920, la préparation d'une exécution capitale et les terribles conditions de survie dans les colonies pénitentiaires d'enfants alors même que la loi de 1912, sans cesse repoussée, prévoyait une justice spécialisée pour les mineurs. Une reconstitution historique passionnante.


De mal à personne – Odile Bouhier – Presses de la Cité – 240 pages – 19€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 28 octobre 2012



jeudi 25 octobre 2012

L'esprit de la Lettre




Au moment où Serge Quadruppani sort "Madame Courage", retour sur son premier roman publié chez Métailié en 1991.
 

 
A défaut de la lettre, on peut parler de l'esprit de ce livre qui est comme un coulis de venin sur la chair molle de notre littérature. "Les lasses prostates et les têtes de nœud chauves qui incarnent à son zénith l'élan des Lettres en France" sont rayées d'un coup de plume assassin. Avec une feinte innocence, Quadruppani nous donne son univers de branques pour une copie conforme du nôtre. Le personnage principal, Émile Krachevski, un ex-gauchiste, ex-vedette du GIGN reconverti en privé, est un concentré de toutes les perversions du système. Le grossissement du trait pourrait lui être fatal mais son statut de "détective", héros mythique du roman noir, légitime ses débordements.
Et Serge Quadruppani est un poète. Écoutez plutôt:

"Noirs sapés, Noirs en bleus, Noirs gris de fatigue. Arabes trop vieux pour s'accoutrer de verlan. Rastas de Montreuil, Zoulous d'Argenteuil (…) néo-clodos armés de chiens galeux, de boniments bien-pensants et de hargne alcoolique. Touristes échappés de leurs cars comme des larves pâles tombées de leur cocon, en route vers le fantasme momifié de Pigalle. Petits blancs des derniers comptoirs en zinc…"

A travailler au noir en surveillant son "flow" entre l'école et la cité.

Y – Serge Quadruppani – Métailié – 1991 - (on le trouve d'occasion sur les sites de vente en ligne ou mieux chez certains bouquinistes)
Lionel Germain – adapté d'un article publié dans Sud-Ouest-dimanche en mars 1991



mercredi 24 octobre 2012

La main dans le tajine





 Mise à la retraite pour sa participation involontaire à une manifestation, la commissaire antimafia Simona Tavianello est en vacances à Paris quand une main tranchée apparaît dans le tajine de son voisin de table. Fin du tourisme culinaire. Une nouvelle drogue baptisée Madame Courage, destinée aux militaires algériens dans les années 90, envahit la capitale française. Violence, blanchiment d'argent sale, c'est un tableau, hélas, très convaincant des petits arrangements qui se mitonnent dans les cuisines des services spéciaux. Par un styliste du roman noir.



Madame Courage – Serge Quadruppani – Le Masque – 278 pages – 18€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2012



mardi 23 octobre 2012

Prélude à un massacre





 Pour les jeux de Berlin en 1936, Albert Grosjean, journaliste sportif marseillais est chargé par Jean Moulin d'infiltrer les milieux nazis. C'est  aussi un aviateur, héros de la Guerre de 14 et à ce titre frère d'armes des pilotes qui ont initié la guerre aérienne. Dans ce roman découpé en courts chapitres, on côtoie Goering et sa sœur Olga, les espions mythiques et les crapules galonnées qui complotaient contre la République espagnole. Un récit très percutant de ce prélude à un massacre.


Les anneaux de la honte – François Thomazeau – L'Archipel – 260 pages – 18,95€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2012



lundi 22 octobre 2012

Étude de milieu

 
 
 
 
L'histoire d'un truand à l'ancienne paraît à première vue complètement décalée dans le paysage français contemporain où les gamins se découpent allègrement au pistolet mitrailleur. Et pourtant Francis le Parisien est un personnage auquel on adhère immédiatement. Grâce à la puissance d'une écriture sèche, la description de cette fin de parcours emporte le lecteur dans un festival de coups tordus. La sauvagerie libérée de toute contrainte morale développe l'argument du prologue: "la vie n'est que question de survie".




Voyoucratie – Dominique Forma – Rivages – 190 pages – 7,65€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2012



 

jeudi 18 octobre 2012

BAC affable



 
En 2010, Dominique Manotti avait creusé le bon sillon en mettant en scène une de ces fameuses brigades qui font la Une à Marseille aujourd'hui. Racket, corruption, connivence d'une hiérarchie soucieuse de protéger les intérêts d'un clan politique, tout y est. Lisez ou relisez "Bien connu des services de police".

 
 Loin des hymnes à la gloire de la Grande Maison, les polars de Dominique Manotti ne plaident pas pour une fraternité des armes au service du droit et de la justice. Magouilles immobilières, chômage, délocalisation, affairisme, elle dépiaute la légitimité d'un pouvoir obsédé par l'emballage publicitaire qui reconditionne ses désastres, du clip idéologique sur la sécurité au grand zapping intellectuel sur les bienfaits du libéralisme.
 
 "Lorraine connection", exhumait les complicités politiques du K.O. social sidérurgique. "Bien connu des services de police", donne la vedette aux soldats perdus de l'embrouille politicienne. Un commissariat à Panteuil, dans la région parisienne. Chaque étage a son rôle à jouer dans la mise en ordre de l'espace qu'il contrôle. Tout en haut, la femme commissaire improvise les scénarios qui permettront d'éradiquer les squats au nom de l'intérêt général et pour le plus grand profit des promoteurs. Au rez-de-chaussée, les hommes de la BAC ont les pieds dans la boue. Ce sont eux qui font le film, en rackettant au passage quelques prostituées et en terrorisant les clandestins. En figuration intelligente, on retrouve quelques personnages des romans précédents pour illustrer la nature tribale du pouvoir.

 Quand la bavure inévitable menace les beaux projets des scénaristes, les fusibles sont toujours au rez-de-chaussée. Plus efficace qu'un pamphlet sur les violences policières, le polar coup de poing de Dominique Manotti renoue brillamment avec la tradition iconoclaste du roman noir.

Bien connu des services de police - Dominique Manotti - Série noire – 211 pages – 14,95 euros - ***
Réédition en poche chez Folio Gallimard – 5,95€
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 16 mai 2010

L'article indipensable de Dominique Manotti dans Libération



 

mercredi 17 octobre 2012

Tricot de flic




 Le commissaire Léon qui vit à Montmartre avec sa vieille maman et son chien Babelutte fait du tricot en cachette pour s'empêcher de fumer. L'humour et la fantaisie des personnages l'emportent sur l'originalité des intrigues, davantage prétextes à faire vivre des seconds rôles caractérisés avec tendresse. Notamment le chien babelutte, fatigué des cadeaux de son maître, chaussettes et haillons tricotés dans les creux de l'enquête. On s'entiche vite de cette petite comédie humaine.


Madame Édouard – La nuit des coquelicots – Nadine Monfils – Belfond – 445 pages – 19€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 14 octobre 2012



mardi 16 octobre 2012

Liaisons dangereuses






 Les romans de Martina Cole se traînent parfois en longueur avec des apartés dignes du café du commerce mais son idée d'association amoureuse entre une femme flic et un parrain de la pègre offre des perspectives réjouissantes. Dernier volet de la trilogie consacrée à ce duo, "Impures" nous fait découvrir la façade respectable derrière laquelle se cachent les réseaux de prostitution. Avec en prime, les liaisons dangereuses qu'entretiennent les élites avec la mafia locale.




Impures – Martina Cole – Traduit de l'anglais par Marie Ploux – Fayard – 430 pages – 22€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 14 octobre 2012



lundi 15 octobre 2012

L'Irlande au bord des lèvres


C'était symbolique et courageux mais une poignée de main entre la Reine et un ancien militant de l'IRA ne permet pas aussi facilement d'enterrer la hache de guerre. En avril, la bombe déposée devant le commissariat de Newtownhamilton rappelait au monde que les dissidents de l'armée républicaine étaient toujours hostiles à des négociations.
 
 

Au fond, ce sont les romanciers qui nous en disent le plus sur les haines recuites et les crispations identitaires. "Redemption factory" de Sam Millar mettait en lumière les liens entre mafia et lutte pour l'indépendance. Avec trois personnages, Stuart Neville poursuit la descente aux enfers des "Fantômes de Belfast" sous la forme d'un western égaré en Ulster où idéalisme, trahison et business brouillent les cartes.
 
 
Gerry Fegan, assassin de l'IRA encore hanté par l'ombre de ses crimes trouve un refuge provisoire à New-York. Sur l'île, Jack Lennon, le flic catholique considéré comme un renégat, est contraint de laisser filer les affaires commanditées par les Unionistes. Le Voyageur, un tueur nomade engagé par la fille d'un truand est quant à lui chargé de retrouver et d'éliminer Gerry Fegan. Dans ce scénario implacable, les trois hommes solderont leurs comptes à Belfast. Le Bon, la Brute et le Truand, assignés à des rôles que la petite enclave nordiste du Royaume Uni se condamne à transmettre de génération en génération.
 
Collusion – Stuart Neville – Traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau – Rivages – 377 pages – 22€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 14 octobre 2012

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lundi 8 octobre 2012

Radicalité malthusienne

 


 
 En juillet 1845 à New-York, un incendie met Timothy Wilde sur la paille. Défiguré et sans un sou, le voilà contraint de rejoindre les toutes nouvelles forces de police. Entre le grouillement des Irlandais affamés et la peur irrationnelle de cette immigration, Timothy enquête sur des meurtres d'enfants qui pourraient bien avoir un lien avec ce surgissement d'un nouveau monde. En prime, sur une bonne idée de Carine Chichereau, la traductrice, un lexique de l'argot du XIXème siècle complète l'ouvrage.



Le dieu de New-York – Lyndsay Faye –Fleuve noir – 520 pages – 20,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 7 octobre 2012



jeudi 4 octobre 2012

Port de la poisse




 La deuxième aventure du journaliste Maté Calder basé à La Rochelle commence par un clin d'œil au personnage de Rivière Salée, un roman publié en 1996 par José Varela. Biographe autorisé du patron de l'Anita Conti, un thonier reconverti en laboratoire pour l'IFREMER, Maté Calder est dans sa cabine du port de La Pallice, en pleine nuit, quand il est le témoin d'une chasse à l'homme sur les quais. Un Noir poursuivi par des Blancs armés parvient à se réfugier à bord.

 Le journaliste essaie alors de prendre en charge le jeune Selim, immigré en provenance de Guinée et seul survivant d'une traversée pendant laquelle ses compatriotes ont été rejetés à la mer. On sait que cette histoire terrifiante s'est vérifiée à de nombreuses reprises. Maté Calder qui n'est pas un mauvais bougre a pourtant des doutes sur la véracité de l'affaire. Ces clandestins seraient capables d'inventer n'importe quoi pour bénéficier d'un accueil VIP au pays des droits de l'homme. Le plus absurde tient en quelques mots: Selim était pêcheur mais les navires européens ont fait le vide sur les côtes avec leurs aspirateurs à sardines. Conséquence, pour manger du poisson même en conserve, l'Afrique s'invite dans nos supermarchés.

 Un polar bien rythmé dans lequel Maté Calder n'hésite pas à donner un savoureux cours de littérature soviéto-stalinienne à un marin ukrainien. L'humour noir n'a pas de patrie.

Quai des grumes – José Varela - Tamtam – 276 pages – 14,20€ - **
Lionel Germain



lundi 1 octobre 2012

Fin d'empire







 Les romans de Pierre d'Ovidio sont des romans gris. C'est un degré précieux dans le nuancier littéraire. On y découvre des saisons sans appétit pour la lumière, comme cette IVème République débutante et déjà orpheline de son Grand Homme. Le héros de cette série remarquable, Maurice Clavault, est un flic. Alors que la France entière ressemble à un commissariat insalubre et glacial, les colonies découvrent les vertus de l'autonomie ou de l'indépendance. En mission à Madagascar, Maurice s'aperçoit vite que les braises de l'insurrection sont attisées par la férocité du pouvoir colonial.



Le choix des désordres – Pierre d'Ovidio – 10/18 – 286 pages – 7,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 30 septembre 2012



Famille décomposée






 Entre roman rose et roman à suspense, difficile de se frayer un chemin qui ne soit pas caricatural. Marie Vindy réussit à ménager la vraisemblance de ses personnages, un capitaine de gendarmerie et une belle jeune femme solitaire. Leur rencontre se fait à l'occasion d'un meurtre et la romance ne survivrait sans doute pas au mystère et à la menace qui plane sur le passé de la jeune femme. Une lecture idéale pour les soirées pluvieuses d'automne.




Une femme seule – Marie Vindy – Fayard – 400 pages – 19€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 30 septembre 2012