C'est ma tournée...

 

Sète 2011 - LG

 

 

Affirmer que le réel est une fiction, c'est reprendre une proposition qui tourne en boucle au-dessus des comptoirs. A l'heure de l'apéritif, tout le monde est en général d'accord pour conclure que la réalité dépasse même la fiction, c'est-à-dire que son invraisemblance, qualité essentielle du mauvais roman, la réduit parfois au statut de scénario improbable. Mais de quoi parle-t-on vraiment? Là où le roman noir déconstruit les représentations du réel, finit-on par dénicher une "vérité" du monde qui nous reste accessible? Jolie question. Vaste programme…

Femme fractale

 Oscar Pastorius est-il un handicapé chanceux ou le prototype de l'homme augmenté? C'est une question à plusieurs millions de dollars qui n'intéresse pas que les idéologues fumeux du transhumanisme.

"Marketing viral" de Marin Ledun décrivait en 2008 les conséquences d'une science abandonnée aux businessmen de l'industrie pharmaceutique.  Dans "Zone Est", un roman d'anticipation où le productivisme avait transformé la France en déchetterie, il enfonçait le clou sur la furie dévastatrice des mêmes laboratoires.


Après un détour du côté des damnés de l'entreprise qui lui a valu le Trophée 813 du meilleur roman francophone pour "Les visages écrasés", c'est donc à nouveau l'opacité d'une recherche inféodée au consortium militaro-industriel qu'il interroge en reprenant le propos de "Marketing viral" et certains de ses protagonistes.

Une femme soumise aux tortures expérimentales de son propre père se retrouve traquée après l'explosion d'un village où l'on préparait les cobayes avec des puces chargées d'ADN. Coincée entre ses bourreaux et des flics manipulés qui ignorent le dessous des cartes, elle n'a qu'une idée en tête, retrouver sa fille et tenter de lui épargner son sort. Si pour le poète, la femme est l'avenir de l'homme, dans le monde que nous dépeint l'auteur, le ventre des mères n'est plus qu'un enjeu de pouvoir et de domination.

Dans le ventre des mères – Marin Ledun – Ombres noires – 460 pages – 18,90€ - ***

Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 23 septembre 2012

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Du Saké dans le Sushi

 Jazz ou rock? Dans le polar français, les partisans de l'un ou l'autre genre musical se livrent une amusante petite guerre de tranchées. Réjouissons-nous donc de lire dans ce roman pétillant, la reprise des hostilités, "parce que le rock, ce n'est rien d'autre que ça: de la merde en boîte spécialement conditionnée pour des blancs, jeunes et cons". Impossible, sinon, de résumer ce festival de mauvais coups, drôle et tonique, avec, en plein Tokyo, une scène culte de gangsters cinéphiles que n'aurait pas reniée Audiard.

Gokan – Diniz Galhos – Cherche Midi – 212 pages – 16,80€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 23 septembre 2012

Évasion fiscale

 Dans ce grand bal de frelons qui agite la finance internationale, on ne s'épargne aucun mauvais coup et les voleurs n'hésitent pas une seconde à se voler entre eux. C'est le sujet de ce roman passionnant malgré le cynisme idéologique très accommodant  avec la vilaine "loi des marchés". Les voleurs de voleurs, traqués par une milice quasi sectaire, affrontent une élégante comptable sino- canadienne experte en fraudes financières et en arts martiaux. Distrayant.

L'évadé de Wan Chai – Ian Hamilton – Traduit de l'anglais par Laura Contartese – 10/18 – 391 pages – 20,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 16 septembre 2012

Noir en rafales

 Associé au site Livresque du Noir, les éditions Jigal nous proposent une rafale de 15 textes sur le thème de la "différence" et du regard des autres. Sophie Loubière excelle à nous plonger dans cette souffrance invisible des enfants maltraités. A travers son récit, on retrouve les échos tragiques d'une actualité récente. Dans un registre opposé, le bordelais Sébastien Gendron raconte avec beaucoup d'humour une grosse "bêtise", l'enlèvement du ministre de l'Intérieur par des pieds-nickelés fatigués de servir d'enclume aux politiques sécuritaires. L'ensemble des droits sera reversé à l'association Écoute ton Cœur dont l'objectif est de favoriser l'insertion des enfants autistes.

Les auteurs du noir face à la différence – Éditions Jigal – 205 pages – 16,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 16 septembre 2012

Descente de flic

La première page, très astucieuse, donne immédiatement la dimension du personnage principal. Noyé dans l'alcool de ses soirées interminables, le policier Nick Belsey a planté la voiture de patrouille. Antipathique, magouilleur et hors-la-loi, il trouvera pourtant plus tordu que lui au sein de la mafia financière de la City et laissera jusqu'au dernier chapitre planer le doute sur la valeur qu'il attribue à son insigne de flic. Une excellente introduction au versant sombre du business londonien.

Sur le fil du rasoir – Oliver Harris – Seuil – 485 pages – 21,90€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-Dimanche - 9 septembre 2012

Couscous pied-noir

Perpignan connaît un automne meurtrier pour la colonie "pied-noir". La police est sur les dents après l'assassinat d'un retraité, la destruction d'un monument dédié aux morts français de l'Algérie et la menace que certains voient planer sur une communauté entière, figée dans le souvenir. Le lieutenant Sebag cible davantage les anciens membres de l'OAS, en lutte contre les accords d'Évian. 

Dans des flashbacks très courts mais d'un réalisme saisissant, l'auteur nous fait revivre les ultimes sursauts de l'Algérie française en 1961.

La jalousie de Sebag et le questionnement discret qu'il entretient avec sa conscience construisent en parallèle un des personnages les plus attachants du polar hexagonal.

Les violents de l'automne – Philippe Georget – Jigal – 340 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-Dimanche - 2 septembre 2012

L'ennui du chasseur

 Quand le maçon Tim Carrier vient boire sa bière dans le bistrot de son pote Rooney, il a surtout envie de se faire oublier. Pas de chance, un inconnu lui refile sur le coin du comptoir un contrat de 20 000 dollars pour éliminer une femme. Méprise, complot et début d'une course-poursuite avec un tueur dont Dean Koontz a particulièrement soigné le portrait tout en nous livrant quelques réflexions inquiétantes sur le pouvoir des "experts". Un suspense calibré pour la serviette de plage.

Un type bien – Dean Koontz – Traduit de l'anglais par Dominique Defert – 410 pages – 20,90€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-Dimanche - 2 septembre 2012

Chaud devant

 Dans un futur proche qui ressemble comme deux gouttes de pétrole à la période actuelle, une jeune psychothérapeute paraplégique s'occupe au sein d'un internat psychiatrique d'une adolescente  rebelle et meurtrière. Le titre français annonce la couleur, ça fleure bon l'apocalypse. L'adolescente a des visions de tsunamis et de puits enflammés pendant qu'une vraie catastrophe planétaire se prépare en mer du Nord. Profitons sans tarder du réchauffement climatique, le temps pourrait se gâter.




Avant la fin – Liz Jensen – Traduit de l'anglais par Aline Weill – Seuil – 400 pages – 21,80€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-Dimanche - 26 août 2012